par Hermine Béthune, Psychologue clinicienne
le 2020-06-03
Vous venez de vivre un évènement choquant, un évènement auquel vous n’étiez pas préparé ? De par sa nature brutale et menaçante pour la vie
psychique et/ou physique, ce dernier peut devenir un traumatisme.“On peut définir le traumatisme psychique, ou trauma, comme un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur”. (Chidiac & Crocq, 2010).
Revenons succinctement sur différentes réactions pouvant être observées et décrites durant le temps de l'événement traumatique. En tant que psychologue, nous recevons fréquemment des impliqués** animés d’une grande culpabilité d’avoir agi ou de ne pas avoir agi lors de l'événement vécu. Néanmoins ces différentes réactions ne sont pas le fruit de la volonté. Il s’agit de réponses instinctives régies par nos structures cérébrales qui concentrent leur activité afin d'accroître la vigilance pour se défendre face à la menace perçue. Cette défense s’organise en fonction de la personne que vous êtes. A savoir : un être unique de par votre génétique et de par les multiples expériences vécues tout au long de votre vie. Il n’existe pas de « bonne » ou « mauvaise » réaction, il s’agit de la vôtre et c’est une réaction qui ne peut être contrôlée par la conscience.
Certaines réactions vous sont déjà familières, elles sont connues sous les termes « fight or flight » ou réponse “combat-fuite”.
Ici, nous vous en exposons deux autres qui sont intéressantes à savoir repérer si vous ou un proche, êtes victime d’un événement traumatique. Elles font partie d’une troisième réponse : « freeze », littéralement « se geler », physiquement ou psychiquement.
Il s’agit d’une part de la sidération qui est un « état de stupeur émotive dans lequel le sujet, figé, inerte, donne l’impression d’une perte de connaissance ou réalise un aspect catatonique par son importante rigidité, voire pseudoparkinsonien du fait des tremblements associés » (Buffet, 2014). La sidération est une réaction qui s’apparente à une anesthésie. Nous pouvons l’observer aussi chez certains animaux qui vont simuler un état de mort afin de leurrer un prédateur menaçant. Ce phénomène a toujours existé et a vocation de protéger le psychique notamment en distanciant la souffrance et les émotions.
Une autre réaction pouvant être observée : la dissociation. Elle est caractérisée par une perturbation et/ou discontinuité dans l’intégration normale des émotions, de la conscience, de l’identité et de la mémoire (DSM-5***, 2013). Elle peut prendre différentes formes telles que l’amnésie dissociative (l’oubli d’éléments spécifiques liés à l’évènement ou encore la totalité de l’évènement), la dépersonnalisation (impression de sortir de son corps, de s’observer) ou la déréalisation (expérience d’irréalité de l’environnement).
C’est notamment en raison de ces réactions que certaines interventions précoces existent. Si vous venez d’être confronté à un événement potentiellement traumatique, vous pourrez être amené à rencontrer dès la fin de l’évènement des psychologues, médecins, infirmiers (Constantin-Kuntz et al., 2004). Ces interventions auront pour vocation de contenir le stress et d’essayer de recréer une cohérence dans le discours afin de sortir d’un état de sidération et/ou de dissociation.
L’expérience traumatique peut être vécue directement (témoins, victimes), ou indirectement (présents aux alentours, proches). La prise en charge psychologique était dans un premier temps, centrée autour des impliqués directs avec comme objectif de limiter les répercussions psychologiques à court, moyen ou long terme comme par exemple les Troubles de Stress Post-Traumatique (TSPT). L’expérience des différentes interventions menées a permis de faire le constat que tous les impliqués directs ne développent pas automatiquement de TSPT. En revanche on peut observer que les personnes n’ayant pas vécu l'événement physiquement mais ayant été au contact d’impliqués directs (famille, collègues, amis) pouvaient développer une symptomatologie traumatique (Constantin-Kuntz et al., 2004). Cela sous-tend alors l’importance de la prise en charge des impliquées indirects en sensibilisant notamment sur leur légitimité à recevoir des soins au même titre que les personnes impliquées directement.
A la suite de l’événement, il se peut que des manifestations de stress surviennent. Il s’agit d’un temps de digestion de ce qui vient de vous arriver. Vos réactions (trouble du sommeil, de l’alimentation, d’irritabilité, souffrance psychique et somatique, etc.) sont des réactions normales à la suite d’un événement dit anormal. Néanmoins, s’il est naturel de traverser ces états pendant un temps, prendre conscience de l’intérêt d’une prise en charge psychologique semble primordial afin de limiter l’enkystement dans ces manifestations de stress.
Des suites d’un événement traumatique peuvent naître des marqueurs et des manifestations psychologiques et physiologiques témoignant d’un état de stress qui ne s’estompe pas, malgré le temps qui passe (DSM-5, 2013).
On peut observer :
Des reviviscences : souvenirs répétitifs, envahissants, involontaires.
Des flashbacks : des dissociations pendant lesquelles l’évènement traumatique est revécu provoquant une importante détresse.
Des terreurs nocturnes ou cauchemars : des rêves répétitifs liés à l’évènement traumatique un sentiment intense ou prolongé de détresse psychique lors de l’exposition à des indices externes pouvant évoquer un des aspects de l’expérience traumatique (odeurs, couleurs).
Des conduites d’évitement : en raison de cette détresse ressentie, on peut observer alors des conduites d’évitement visant à limiter l’exposition à des rappels externes qui pourraient éveiller des souvenirs ou des pensées liés à l’évènement (contourner des lieux, limiter les sorties, ne plus voir certaines personnes).
Par ailleurs on peut aussi observer :
Des altérations négatives des cognitions et de l’humeur (difficulté de mémorisation, de concentration, humeur négative persistante, diminution de l’intérêt portée aux activités de loisirs, irritabilité, incapacité à éprouver des émotions positives ou de plaisir, sentiment de détachement d’autrui).
D’autres marqueurs, tels que des accès de colères, des comportements autodestructeurs, de l’hypervigilance peuvent aussi émerger.
Quelle que soit la durée entre l'événement et l’apparition de certains de ces symptômes (des semaines, des mois ou parfois même des années), s’ils s’installent au-delà d’un mois, ils manifestent d’un état de stress directement liés à l’exposition traumatique (DSM-5, 2013).
Vivre ces manifestations est particulièrement difficile et quotidiennement éprouvant. Leur installation dans le temps, signe de futures difficultés dans les différentes sphères de la vie d’une personne (familiale, relationnelle, professionnelle).
Ainsi la prise en charge thérapeutique a pour vocation d’aider à sortir de cette souffrance infernale venant perturber l’organisation psychique, somatique et personnelle.
L’addiction : On observe un lien fort entre l’addiction et le psychotraumatisme. En effet, lorsqu’on vit une telle souffrance on peut se tourner vers des « anxiolytiques » naturels (drogues, alcools, antidouleurs) qui peuvent avoir provisoirement l’effet de contenir l’angoisse en permettant notamment de trouver le sommeil. L’addiction s’installe insidieusement et constituera une difficulté supplémentaire importante à long terme. L’effet recherché reste le même (en moins ciblé et en provoquant de graves addictions) que celui dont vous pourriez bénéficier par un traitement prescrit par un médecin pour soulager ces angoisses. Les avantages de passer par un médecin sont que les effets et la durée du traitement seraient contrôlés afin d’éviter les addictions. Ces traitements seraient choisis et adaptés spécifiquement pour vous.
La dépression : Le stress vécu de manière prolongée (adrénaline, hyper activation de l'amygdale) épuise certaines régions cérébrales, telles que celles permettant notamment de sécréter des hormones dites de « bonheur » (dopamine, sérotonine). Il s’agit alors d’une entrée dans la dépression avec de nouveaux symptômes surgissant et paralysant un peu plus encore la vie psychique, sociale, familiale et professionnelle. L’expérience de ces symptômes et de cette souffrance peut aboutir à des idées suicidaires pouvant conduire au passage à l’acte.
Ne pas s’enfermer dans le silence et la souffrance.
Le tableau clinique décrit ci-dessus est inquiétant et handicapant. On n’en soupçonne l’existence qu’une fois qu’on en fait l’expérience. Ainsi en revenant au point de départ de ces manifestations et pathologies, on en revient au vécu du stress suite à l'événement traumatique. On peut alors prendre la mesure de l’intérêt de ne pas s’enfermer dans le silence et la souffrance. Il est toujours plus accessible et efficace de travailler sur ces manifestations dès l’apparition des symptômes plutôt qu’en situation d’épuisement psychologique extrême. Malheureusement, en tant que psychologue, on observe une grande tendance à ne pas vouloir ou oser initier des prises en charges. Cela peut être liée à un déni des troubles apparus ou la conviction que rien ne peut être fait pour soulager ces souffrances. C’est pourquoi il semble important d’être sensibilisé et d’être vigilant à son entourage pour aider et accompagner une personne dans cette démarche. Car même si une personne développe un TSPT, sombre dans la dépression et/ ou dans une addiction: il est possible grâce au travail thérapeutique, aux ressources personnelles et aux ressources de l’entourage, de sortir de ces souffrances et de pouvoir recommencer à vivre, en se retrouvant.
De nombreux intervenants se mobilisent et proposent des thérapies ayant démontré leur intérêt dans la prise en charge de personnes exposées à un événement traumatique.
Les Cellules d’Urgences Médico Psychologiques (CUMP) se mobilisent dès lors qu’un évènement grave impliquant plusieurs victimes survient. Constituées de médecins, psychologues, psychomotriciens, infirmiers, elles sont une source de soutien et de transmission d’informations importantes tels que les centres et numéros qui peuvent être contactés pour une prise en charge. L’un des objectifs de ces interventions, dites de « defusing » et de « debriefing » , est de permettre de recréer une cohérence dans le discours afin de pouvoir sortir d’un éventuel état dissocié ou sidéré et de permettre une conscientisation ainsi qu’une élaboration de l’expérience vécue.
Par ailleurs, dix centres nationaux de psychotraumatologie coordonnés par le Centre National de Ressource et de Résilience (CN2R) ont ouvert leurs portes récemment suite à un appel à projet ministériel. Leur vocation est d’améliorer les connaissances et la prise en charge de personnes ayant vécu un événement traumatique.
Faîtes-vous confiance et prenez en considération le droit que vous avez à vivre un accompagnement, sans que cela ne rime avec échec personnel ou faiblesse morale. Accordez à vos proches la confiance de vous faire part de leurs inquiétudes s’il en existe à votre égard et entendez-les. L’entourage est une ressource particulièrement aidante en cas de difficulté, essayez de ne pas vous isoler dans votre souffrance.
Pour finir, il est toujours possible d’évoluer et de bénéficier rapidement d’un mieux-être, notamment concernant les symptômes tels que les reviviscences, les troubles du sommeil et les flashbacks qui peuvent s’apaiser rapidement grâce à des outils thérapeutiques ciblés et conçus pour. Il est conseillé de tenter des approches thérapeutiques qui sont élaborées et scientifiquement reconnues par l’OMS et l’HAS pour la prise en charge du traumatisme, comme l’EMDR et l’ICV, proposées par des psychiatres et des psychologues.
Lexique:
* Somatique: traduction physique d’un stress psychique (ex: maux de tête, de dos, trouble du sommeil, eczéma).
** Impliqué: Mot utilisé pour désigner une personne ayant vécu un événement traumatique.
*** DSM-5: Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié en 2013 par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Sources :
American Psychiatric Association. (2013). Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5 e éd.). Arlington, VA: American Psychiatric Publishing.
Buffet, A.-L. (2014, septembre 24). État de sidération—Définition. Consulté, à l’adresse https://cvpcontrelaviolencepsychologique.com/2014/09/24/etat-de-sideration-definition/
Chidiac, N., & Crocq, L. (2010). Le psychotrauma. Stress et trauma. Considérations historiques. Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, 168(4), 311– 319. doi:10.1016/j.amp.2010.03.013
Constantin-Kuntz, M., Samba, F., Zoute, C., Moreau, P., & Chaumet, F. (2004). Des traitements psychologiques des impliqués indirects dans les situations d’urgence psychologique. Pratiques Psychologiques, 10(4), 335‑347. https://doi.org/10.1016/j.prps.2004.09.002