par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-01-14
Alice a fait de brillantes études,
elle est douée et n’a eu aucun mal à trouver le poste qu’elle souhaitait. Ses
premières expériences en entreprise sont de véritables succès même si elle ne
le reconnaitra jamais. Elle travaille beaucoup, s’investit et… ça marche :
son manager vient de lui parler d’une mission complexe dont elle serait le chef de projet pour le mois de janvier.
Mais Alice ne lui fournit qu’une réponse évasive et fuyante. Elle est persuadée que son patron la surestime. Malgré les bons retours sur son travail, elle n’a pas, selon elle, les compétences suffisantes pour une telle tâche. C’est à Michel, son collègue, qu’il aurait dû proposer…
Quelques jours plus tard, Alice vient consulter un psychologue qui lui a été recommandé. Le thérapeute découvre une jeune femme rongée par l’angoisse. La proposition qui lui a été faite la terrorise. Selon elle, cela ne fait aucun doute, l’image de la salariée sérieuse et brillante qu’elle renvoie n’a rien à voir avec ce qu’elle est vraiment : elle s’estime nulle et moins douée que ses collègues. Pour en arriver là, elle a eu de la chance, c’est tout.
“Trois critères qui permettent de l’identifier : l’incapacité de s’attribuer une réussite, l’impression d’être surestimé et la peur d’être démasqué”
Pourtant, quand le psychologue renvoie Alice à son expérience, elle est bien incapable de vous donner des exemples d’échecs ou de faits qui pourraient rendre rationnel ce sentiment. Tout laisse à penser qu’Alice mérite son succès et qu’elle est à la hauteur.
C’est en 1978, que deux chercheurs américains parlent du « syndrome de l’imposteur » pour la première fois et mettent en avant trois critères qui permettent de l’identifier : l’incapacité de s’attribuer une réussite, l’impression d’être surestimé et la peur d’être démasqué.
Ces symptômes, quand ils sont éphémères, sont assez courants, 62% à 70% de la population aurait douté "ne serait-ce qu’une fois de la légitimité de leur statut" selon les données avancées par Chassangre en 2016 (1). Ce sentiment peut d’ailleurs s’exprimer seul et de manière isolée dans un fonctionnement psychique sain et pas uniquement dans le milieu professionnel. Pauline Rosa Clance, experte du sujet, préférera parler d’ailleurs « d’expérience de l’imposteur ».
Au-delà de la question sémantique, ce trouble, même s’il a tendance à diminuer avec l’âge (2) peut persister chez certaines personnes engendrant une grande souffrance psychologique.
Les comportements que va mettre en place la jeune femme pour faire face à son illégitimité supposée peuvent être de deux types :
Soit elle se prépare de manière excessive pour réussir à tenir la mission quitte à mettre en péril sa santé; soit elle procrastine concernant les tâches qu’elle doit accomplir.
Dans les deux cas, si elle réussit elle aura tendance à attribuer son succès à des causes extérieures : « en travaillant autant, qui n’aurait pas réussi ?», « j’étais au bon endroit au bon moment ». Ce processus est l’attribution causale d’une réussite qui est généralement externe et instable chez les prétendus imposteurs. (3)
Ce qu’il faut retenir, c’est l’irrationalité de la croyance d’Alice qui conditionne l’ensemble de ses comportements. A terme, elle pourrait avoir tendance à :
- se fixer des objectifs moindres pour s’assurer de ne pas échouer : refuser cette mission par peur de l’échec par exemple ;
- éviter toute situation susceptible de la mettre en avant par l’avenir ;
La crainte d’Alice est d’être humiliée si elle échoue. (4)
La faible estime d’Alice pour sa propre personne est le résultat d’une évaluation dysfonctionnelle d’elle-même qui entraîne des états dépressifs et anxieux communs à la plupart des personnes souffrant du syndrome de l’imposteur. (5)
Fort de ce constat, un accompagnement psychothérapeutique pourrait amener Alice vers une acceptation inconditionnelle d’elle-même qui l’aiderait à considérer sa personne avec ses failles et ses points forts.
La réattribution causale de ses réussites peut se travailler grâce à un outil très simple (6) :
Si vous souhaitez vous évaluer : le Clance impostor phenomenon scale (CIPS) est une échelle validée scientifiquement (en anglais et en français) composé de 20 items et accessible facilement sur internet. Elle mesure les manifestations qui peuvent être induites par ce syndrome. Les réponses sont graduées de 1 (pas du tout) à 5 (tout le temps). Plus le résultat est élevé, plus vous faites vraisemblablement l’expérience du syndrome.
Pauline d'Heucqueville
(1) Kévin Chassangre. La modestie pathologique pour une meilleure compréhension du syndrome de l’imposteur. Psychologie. Université Toulouse le Mirail-Toulouse II 2016. Français.
(3) Clance, P. R. (1985). The Impostor Phenomenon : Overcoming the fear that haunts your success. Atlanta, GA: Peachtree. Cité par Chassangre 2016