Bienvenue sur weppsy, un ensemble d’articles écrits par des psychologues à destination du grand public.
Ce blog est issu du souhait de partager des idées du monde de la psychologie, de créer des échanges grâce à “une rencontre” avec des praticiens sur des sujets qui vous touchent et vous interrogent. Une rencontre car chaque texte est le fruit du travail personnel et de l’expérience d’un psychologue et porte dès lors sa signature. Vous trouverez ici une grande diversité d’approches : chaque article est l’expression d’un point de vue, d’une pratique. Nous sommes convaincus que la pluralité des approches et la dimension intégrative des pratiques nourrissent une réflexion riche et en mouvement. Nous vous invitons ainsi à explorer ces ressources avec ouverture et bienveillance, valeurs essentielles de notre réseau, que nous souhaitons prolonger et faire vivre dans ce projet avec vous.
L’objectif est ainsi de vous donner un maximum d’informations afin de faire avancer votre réflexion sur des sujets, et que vous puissiez faire des choix éclairés, concernant par exemple le type de psychologue ou de courant qui pourraient vous convenir au mieux.
Afin d’approfondir les thématiques abordées, vous trouverez des sources et des liens en bas des articles, qui sont des invitations à approfondir les thématiques abordées, ainsi que des informations sur l’auteur. Nous vous proposons de les retrouver sur leur fiche weppsy ou via leur site si vous souhaitez les contacter. Par ailleurs, comme vous le savez, ces écrits ne pourront pas répondre totalement à une problématique spécifique et personnelle, mais seront, nous l’espérons, un point de démarrage et un début d’éclairage pour vous. Aussi, rien ne remplacera un entretien avec un psychologue.
Les auteurs de weppsy sont des psychologues cliniciens, du travail, ou chercheurs, qui travaillent dans différentes organisations telles que l’hôpital, l’entreprise, les écoles ou encore comme indépendant. Ils sont tous diplômés de l'Ecole de Psychologues Praticiens.
Vous trouverez ci-contre des catégories, qui évolueront et s’enrichiront au fil du temps, afin de pouvoir vous repérer au mieux et cibler vos recherches.
Maintenant, à vous d’explorer !
par Pauline Faivre, Psychologue et Entrepreneuse, Co-fondatrice de Tom&Josette
le 2021-05-11
«Le lien intergénérationnel est l’ultime manière de nous rendre sensible l’idée d’éternité dans un monde marchand et désenchanté.»
Les liens intergénérationnels ont été le ciment de notre société pendant des générations. Alors pourquoi ne pas les créer sous une forme nouvelle, adaptée aux enjeux d’aujourd’hui ? Nous avons tout à gagner à valoriser l’expérience de ceux qui nous précèdent en les plaçant, dès que cela est possible, dans une situation de transmission.
L’importance des 1000 premiers jours de la vie d’un jeune enfant fait aujourd’hui consensus au sein de la communauté scientifique : du 4ème mois de la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant, il connaît un rythme de croissance et de développement unique et rapide à l’échelle d’une vie humaine.
Le rôle des EAJE (Etablissements d'Accueil du Jeune Enfant), qui peuvent accueillir le jeune enfant dès l’âge de 10 semaines, est déterminant dans le développement de l’enfant au cours de ces 1000 premiers jours, et plus largement au cours des trois premières années de sa vie.
Une attention bienveillante et désintéressée
“Élever des enfants consiste essentiellement à les tourner vers les autres et à leur permettre de construire une relation de confiance en leur futur. Or, aujourd’hui, cette dynamique est renversée : nous sommes dans un climat de peur du futur et de suspicion envers la société”, expose le Rapport Giampino.
Or, la personne âgée peut porter sur l’enfant un regard neuf et désintéressé, là où la relation enfant-parent est aujourd’hui de plus en plus marquée par le stress, la pression qui repose sur les épaules des parents et les attentes projetées sur l’enfant. Par exemple, les parents d’un enfant dont l’acquisition du langage est plus tardive que celle d’autres enfants de leur entourage risqueront de s’en inquiéter et de sur-stimuler l’enfant. La personne âgée quant à elle, peut savoir d’expérience que le rythme d’acquisition langagière de chaque enfant lui est propre, et ainsi, ne pas s’en inquiéter.
La personne âgée peut alors apporter à l’enfant une attention bienveillante et désintéressée, qui l’accepte pour ce qu’il est et sans angoisse; et cette relation va favoriser la prise de conscience par le jeune enfant de sa propre individualité en renforçant sa confiance en lui-même.On peut d’ailleurs résumer cette phase du développement comme l’enfant exprimant son besoin vis-à-vis de l’adulte : “aide-moi à prendre conscience que je suis”.
La relation enfant-personne âgée fait expérimenter un rapport au temps apaisé à l’enfant
Le rapport au temps des parents n’est pas celui de l’enfant.
Le rapport Giampino souligne l’accélération du temps à laquelle les parents sont confrontés, et le décalage entre la temporalité du monde professionnel et celle de l’enfant : « Alors que les parents évoluent dans un monde professionnel où priment de plus en plus la rapidité, l’efficacité, la fluidité, les enfants sont comme des grains de sable qui bloquent les rouages de cette belle machinerie ». Dans ce cadre là, «souvent, les parents ne sont pas assez présents à la situation, à ce qu’ils font » (Béatrice Copper-Royer). On pourrait résumer en disant que la phrase que le jeune enfant entend le plus avant ses trois ans est “dépêche-toi !”.
L’équipe de la micro-crèche intergénérationnelle Tom&Josette à Rennes observe que les enfants, comme les adultes, sont plus calmes, sereins, patients, quand ils sont en présence des résidents. Pour 6 familles sur 10, l’enfant a pris confiance en lui.
Notre entretien avec Mme Elodie Masanet, la psychologue de l’EHPAD Péan (dans lequel est intégrée une micro-crèche) avait fait ressortir le cas d’une jeune enfant d’ordinaire peu persévérante dans les activités proposées : là où elle ne pratiquait d’habitude une activité coloriage que pendant une dizaine de minutes, la présence et les encouragements d’un résident de l’établissement, placé dans une position de “tuteur” au cours de l’activité, avait permis à l’enfant de rester concentrée sur cette activité pendant près de 45 minutes.
Enfants et personnes âgées partagent un besoin universel : besoin d’attention, de tendresse, de temps.
Le lien intergénérationnel crée ainsi une rupture dans un monde où on ne prend plus le temps : l’intergénérationnel c’est finalement prendre le temps pour l’autre, prendre le temps de prendre soin, et appréhender la différence.
Pour l’enfant et sa famille : la rencontre avec la différence
Le jeune enfant n’a pas peur de la personne âgée : il accepte ses différences telles qu’elles sont. La rencontre régulière avec des personnes âgées, notamment à l’âge où l’enfant consolide son identité en se confrontant à l’Autre et découvre la socialisation et la relation à l’autre (entre 2 et 3 ans), est un rempart de taille contre les peurs et préjugés associés à la différence.
Pour les parents de l’enfant, les contacts fréquents et ordinaires avec des personnes âgées conduisent à un changement de regard et de perception de la personne âgée. Le lien intergénérationnel, dans le cadre d’une valorisation des capacités de chacun, est donc un levier d’inclusivité et un rempart contre l’âgisme, cette forme de discrimination qui touche les personnes âgées.
Ajouter de la vie aux jours et retrouver un rôle social
“Les trois fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance et l’ennui constituent l’essentiel de ce qui contribue à la souffrance des personnes âgées”, énonce le manifeste de l’ONG américaine The EDEN Alternative, dédiée à la qualité de vie des seniors.
La relation avec un jeune enfant transforme le quotidien de la personne âgée par sa spontanéité et par l’absence de préjugés de l’enfant envers elle. La relation se noue alors d’abord par le regard, le sourire, le toucher, le jeu ou la transmission.
Ces relations, dans lesquelles la personne âgée adopte un rôle d’aîné ou de grand-parent, lui permettent de renouer avec le sentiment d’utilité sociale, de trouver un but et un rôle social valorisant, ce que le psychologue Cameron Camp traduit par la notion “d’engagement.” Les résultats de 3 études menées par Camp avec des activités intergénérationnelles mettant en relation des enfants et des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs montrent que les activités intergénérationnelles de type Montessori conduisent à davantage d’engagement : la personne âgée étant plus activement impliquée dans l’activité ou dans l’interaction avec le soignant que dans une condition standard d’activités.
La société doit prendre conscience de la richesse immense qu'il y a à impliquer les personnes âgées, adapter l’environnement pour leur donner un rôle.
C’est la clé de l’intergénérationnel qui repose sur la réciprocité dans la relation.
Ce sentiment de pouvoir donner, être utile est vital et il doit correspondre à une réalité.
Stimulation cognitive et motrice
La relation avec l’enfant peut stimuler la mémoire, des émotions, de l’attention de la personne âgée : elle fait appel à des souvenirs et des émotions enfouis et à la mémoire des gestes.
Cette relation s’accompagne généralement d’une stimulation physique quasi-inconsciente et spontanée (se baisser pour ramasser ce qui est tombé, se lever pour montrer quelque chose à l’enfant…), qui vient du fait que la personne âgée sent que l’enfant a besoin de lui.
Cette stimulation peut se révéler particulièrement pertinente en ce qui concerne les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Olivier de Ladoucette explique ainsi que “la maladie d’Alzheimer altère différentes fonctions cognitives, différentes mémoires. Néanmoins, la mémoire affective, celle des émotions et la capacité à entrer en relation avec l’autre demeurent longtemps conservées. C’est là-dessus qu’il faut capitaliser. Il est souvent vain de vouloir réanimer des fonctions cognitives très détériorées, mais on peut continuer à interagir au niveau émotionnel.”
En conclusion, développer davantage la relation intergénérationnelle répond aujourd’hui :
aux défis éducatifs que présente l’accélération dans notre rapport au temps dans le développement du jeune enfant,
au défi de la prise en charge de la dépendance et de l’entrée dans une société de la longévité : quel rôle social voulons-nous donner à nos aînés ?
au défi de société qu’est l’âgisme et la question du regard que nous portons en tant que société sur la personne âgée.
C’est sur cette vision forte que nous avons fondé avec mon associée, Astrid Parmentier, Tom&Josette.
Ce projet qui nous est cher se fonde sur les besoins que partagent le jeune enfant et la personne âgée (besoin de tendresse, d’un cadre rassurant qui favorise l’autonomie, d’un rapport au temps apaisé) et sur ce qu’ils peuvent s’apporter mutuellement.
Tom&Josette est un réseau de micro-crèches intergénérationnelles. Tom&Josette intègre des micro-crèches dans des établissements pour les personnes âgées avec un projet pédagogique basé sur la richesse du lien intergénérationnel au quotidien pour les enfants et les personnes âgées.
Tom&Josette est entouré d’un comité scientifique qui mène une recherche dans les crèches afin de montrer les bienfaits de ce lien au quotidien.
Le projet de liens intergénérationnels mené par Tom&Josette concerne d’abord des jeunes enfants à partir du moment où ils marchent et sont en train d’acquérir le langage, âgés d’environ 18 mois à la veille des 4 ans.
Son ossature est un projet de lien quotidien basé sur activités très simples. Certaines d’entre elles peuvent avoir en particulier la finalité de stimuler l’éveil sensoriel de l’enfant (éveil musical par exemple), sa mémoire et son attention (lecture de contes, histoire), la coordination oeil-main, etc. La durée de ces activités est d’environ une demi-heure. Toutes ces activités ont pour finalité la création de liens entre le jeune enfant et la personne âgée. Elles se fondent sur les piliers de la pédagogie développée par Maria Montessori : autonomie, libre-choix, apprentissage par l’expérience. Ainsi, l'activité n'est jamais imposée mais proposée à l'enfant et à la personne âgée. Ceux qui veulent participent avec leurs capacités, sans aucun objectif de rendement ou de production.
Pauline Faivre
Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot. La guerre des générations aura-t-elle lieu ?,Calmann Lévy (2017)
Rapport de Sylviane Giampino : Développement du jeune enfant – Modes d’accueil, Formation des professionnels (2016)
The Eden Alternative® is an international, non-profit 501(c)3 organization dedicated to creating quality of life for Elders and their care partners, wherever they may live.
Revolutionizing the Experience of Home by Bringing Well-Being to Life (The Eden Alternative) :
par Florence Jary, Senior Coach - Psychologue et Présidente Fondatrice d’Axomega-Care
le 2021-03-17
Et si le digital était vraiment au service de votre vie ? Est-ce bien le cas aujourd’hui à titre professionnel ou personnel ? Quelle place a-t-il pris pour nous et quelles transformations globales dans notre façon de vivre et de travailler?
Pour commencer, ré-explorons ce que l’on appelle le digital.
« Digitalis », c’est en latin l’épaisseur d’un doigt. En langue Française, le digital évoque les doigts qui courent sur un clavier. Le quotidien dans le monde actuel est rythmé pour nombre d’entre nous à cet exercice de nouvelle virtuosité … Au-delà, en Anglais « digit » signifie numérique. Concrètement le numérique s’appuie sur les données qui servent l’informatique et traitent l’information, mais en fait le digital englobe bien plus que cela : l’utilisation de toutes les nouvelles technologies et par extension tout l’écosystème de communication qui l’accompagne, les réseaux sociaux, la modélisation en 3D, l’intelligence artificielle …
La digitalisation et le numérique marquent le début d’une nouvelle révolution industrielle au XXIème siècle, après celles de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, celle de l’électricité au XIXème siècle, et celle de l’informatique dans les années 1970.
Le digital nous impose dès lors une transformation sur tous les plans : il nous oblige à modifier nos modes de travail, nos pratiques, allant jusqu’à impacter notre pensée.
« Depuis plusieurs années, la révolution digitale concentre l’attention de toutes les entreprises et de tous les gouvernements. Au départ technologique, cette disruption est en fait beaucoup plus profonde. Elle est sociale parce qu’elle bouleverse nos interactions à la fois entre individus et entre individus et organisations : toute interaction doit être directe, fluide, rapide, plaisante et surtout pertinente. » (5).
Comment cela se traduit-il pour l’entreprise et les collaborateurs?
Au niveau de l’entreprise, la digitalisation a radicalement modifié nos usages ces dernières années. D’abord en permettant un accès plus rapide et plus large à l’information comme synonyme de gain de temps et d’argent : accès aux informations RH par l’intranet et les réseaux sociaux de l’entreprise, e-learning, télétravail…
Plus spécifiquement nous assistons à une transformation de la fonction Ressources Humaines. En premier lieu, l’ensemble des processus RH s’automatisant (gestion de la paie, des absences, gestion des arrêts maladie, gestion et animation de l’intranet/RSE, gestion prévisionnelle des départs, gestion des pics d’activité… ), le socle de base de « la gestion du personnel » s’ouvre à une réalisation par des tiers ou par les entités des métiers opérationnels.
Ainsi, la plupart des salariés bénéficient aujourd’hui, en self-service, d’une capacité d’accéder à tout moment aux informations utiles pour leur gestion administrative, à avoir une plus grande visibilité sur l’ensemble des projets de l’entreprise, à pouvoir interagir avec les autres dans le monde entier, à travailler et à se former à distance.
Les atouts pour les Ressources Humaines et le lien avec les collaborateurs
On peut facilement lister les avantages majeurs que permet la digitalisation des outils et processus RH. Tout d’abord les modes de communication sont rendus plus fluides avec une meilleure exploitation de toutes les compétences et connaissances disponibles, en évitant les déplacements coûteux et chronophages.
Avec l’émergence des outils de travail collaboratifs, les frontières s’effacent. Les réseaux sociaux d’entreprise permettent aux équipes de communiquer en temps réel, d’être plus réactives, de se coordonner plus efficacement. L’intention est d'accroître l’efficacité et la coopération.
Avec l’émergence de l’intelligence artificielle*, les processus s’automatisent pour recruter, gérer les carrières et les compétences des salariés. Par exemple, certains groupes industriels ont développé des chatbots (agents conversationnels) pour répondre à leurs collaborateurs sur divers sujets, de la gestion de leur planning en passant par leurs droits à la formation professionnelle ou encore leurs congés.
D’autres ont recours à ces mêmes chatbots pour informer les candidats, les sélectionnent sur les réseaux sociaux avec l’appariement des mots clés des CV et des profils de poste, voire tentent l’utilisation de robots pour les entretiens d’embauche. L’entreprise se dote de systèmes de « matching » par analyse sémantique entre référentiels métier et profils des collaborateurs pour faciliter les parcours de carrière. Autant d’avancées soutenues par les nouvelles technologies qui facilitent les tâches opérationnelles des RH.
Avec le recours au télétravail, la relation à l’espace-temps change. Le travail à distance que de nombreux salariés ont expérimenté pour la première fois durant le confinement, est un marqueur des nombreuses possibilités offertes par la digitalisation avec la réduction du temps passé dans les transports, du stress et de la fatigue qui en découlent.
Des dangers et des paradoxes
Pour autant, on voit se dessiner les risques du tout numérique, exacerbés ces derniers temps par la crise du Covid 19 qui a obligé violemment un nombre de travailleurs, pas toujours préparés à cela à y recourir systématiquement.
On voit bien les paradoxes se renforcer : le digital qui a créé une culture de l’instantanéité oblige à une réactivité permanente face au flux d’information (et à fortiori pour ceux qui travaillent à l’international). Le travail distanciel impose un rythme soutenu.
En hyper sollicitation, les salariés enchaînent les réunions, les réponses aux emails, les lectures de notifications et évidemment la réalisation de leurs missions. Le risque de submersion est réel avec ses dérives (risques psychosociaux, burn-out) qui font l’objet de nombreux débats et articles.
La digitalisation qui ouvre le champ de la communication et abolit les frontières, semble en même temps diminuer les échanges en présentiel, même quand les salariés se trouvent dans les mêmes locaux, du moins les contacts informels s’appauvrissent, les interactions humaines spontanées aussi.
Au niveau des RH elle-même, le recours systématique au digital peut engendrer l’impression qu’il n’est plus possible d’être vraiment accompagné par les personnes en charge des Ressources Humaines ou par son manager.
Le défi des Ressources Humaines
De nombreuses questions s’ouvrent quand ces changements de modalités de travail se font « à marche forcée », quand cette quête de performance au travers d’un recours au tout digital fait oublier l’essentiel : le rôle de l’Humain dans l’entreprise.
Jusqu’à présent, ce sont des règles et des processus qui ont indiqué la trajectoire de la création de valeur de manière rationalisée. Mais il semble que cela a étouffé la capacité des collaborateurs à être créatifs et agiles, contrairement aux injonctions que l’entreprise leur donne, un paradoxe de plus.
On le voit bien, plus que jamais, le grand défi des ressources Humaines est de s’envisager dans un nouveau positionnement au sein des organisations, centré sur l’appui auprès des managers du pilotage stratégique, de l’accompagnement du changement et du développement d’un environnement professionnel épanouissant pour les salariés, ce qui passe par la reconnaissance de leurs compétences et de leur motivation, par une plus grande autonomisation, et le développement d’une culture collaborative.
Pour une entreprise sur trois, le télétravail est désormais ancré dans les habitudes et seules 8% des entreprises disent en être seulement au stade de la réflexion. Dans ce contexte, le système pyramidal des entreprises ne peut que changer. Il faut créer une symétrie des attentions où on pense à son collaborateur autant qu’à son client.
De plus, le collaborateur est aujourd’hui inter-relié à une organisation verticale (sa structure hiérarchique dans l’entreprise), à une communauté interne horizontale (par exemple via un même métier, des projets communs), à des communautés professionnelles externes via les réseaux sociaux. La porosité entre l’interne et l’externe est totale et les limites de l’entreprise sont dépassées. On ne peut logiquement plus définir les collaborateurs d’une entreprise comme étant seulement ceux qui travaillent dans les locaux de l’entreprise avec un statut de CDI.
Dominique Turcq (Docteur en sciences sociales et en management), postule que le management de demain devra s’adapter aux attentes nouvelles des collaborateurs et aux nouveaux enjeux : économie du don, relations de confiance, partage nouveau des pouvoirs et des rôles. Le collaboratif sera demain le principal avantage compétitif. C’est lui qui favorisera l’engagement des collaborateurs, contribuera aux gains de productivité, à l’innovation. (6)
Le digital au service de l’humain, et non l’inverse
« Pour 9 DRH sur 10, le rôle de manager est impacté par l’introduction du digital : il est ainsi amené à évoluer loin des normes et repères habituels et à se réinventer avec la transformation digitale. Les organisations attendent de leurs managers qu’ils accompagnent cette transformation en prenant la posture de coach et de chef d’orchestre entre différentes équipes projet et en animant un portefeuille de compétences. » (7)
Une entreprise à la fois plus digitale et plus humaine est l’enjeu majeur qui se dessine pour les DRH dans les années à venir. Selon le journal du net (JDN) : « 79% des Français souhaite pouvoir s’entretenir avec une personne afin de résoudre un problème ou obtenir un conseil ». Le digital se doit donc bel et bien de rester au service de l’humain et non l’inverse. Le tout digital est un mirage qui met en exergue le fossé de tout automatiser et déshumaniser pour faire plus vite et moins cher. Or les prises de décisions justes ainsi que les solutions stratégiques ne peuvent, aujourd’hui encore, être exécutées que par l’intervention humaine et requièrent un minimum d’attention, de sensibilité à l’autre et de réflexion.
Pour Jacques-François Marchandise, directeur général de La Fing (un think tank qui étudie les transformations numériques), tout dépend de nous.
« Nous avons le choix de l’usage que nous faisons du numérique, des robots, de l’intelligence artificielle dans nos organisations : pour aider les hommes et les femmes, renforcer le capital humain qui est notre vraie richesse, plutôt que pour nous remplacer ou nous servir ».
La période actuelle a permis de replacer l’humain au premier plan et a mis toutes les entreprises face à leurs lacunes, leurs faiblesses et leurs contradictions. Si les conséquences de cette crise sanitaire à court terme semblent peut-être négatives, on voit à plus long terme apparaître leurs bénéfices secondaires. Elles peuvent être amplement positives pour les organisations qui sauront se servir des avantages du digital à bon escient, pour rendre le travail plus efficace, plus collaboratif, renforcer la confiance et l’engagement de leurs collaborateurs, contribuer à une meilleure qualité de vie au travail.
En synthèse, donner au digital sa vraie place : être au service de l’Humain !
Florence Jary,
Présidente-Fondatrice d’Axomega-Care et senior coach
Notions
*Intelligence artificielle : « capacité donnée à une machine d’aider l’homme à résoudre des problèmes complexes qui apprend et s’améliore de manière autonome » - Cuillandre (2018)
Pour aller plus loin ...
Bibliographie
2- Charlin, L. (2017). « Intelligence artificielle : une mine d’or pour les entreprises ».
4- Dejoux, C. (2015). « Compétences digitales du manager : un chantier pour les entreprises ». Revue Personnel, p. 48-49.
5 - Mallard, S. (2018). Disruption. Dunod, Paris.
6 - Baratoux, P. (2016). Qu'est-ce que digital signifie vraiment? RH Info
7 - Baudoin, E. (2019). Transformation digitale de la fonction RH. Dunod, Paris.
par Charlotte Papeians, Psychologue Clinicienne
le 2021-03-03
Même si le diagnostic de TDA/H (Trouble de l’Attention avec ou sans Hyperactivité) est rarement posé avant l’entrée en CP, une prise en charge peut être mise en place dès le plus jeune âge. En effet, bien qu’à cet âge certaines fonctions telles que l’attention, l’inhibition, la planification ou la flexibilité sont en cours de développement, plus cette prise en charge est holistique et précoce, meilleur sera le pronostic dans le développement de l’enfant. Ce qui est d’autant plus important lorsque ce dernier présente un défaut d’inhibition, une gestion émotionnelle difficile et/ou des habiletés sociales peu développées.
Au vu de ces éléments de repérage précoce, que pouvons-nous proposer comme prises en charge à un enfant scolarisé en classe de maternelle ?
Voici quelques précisions afin d’approfondir ce sujet ensemble.
Qu’appelle-t-on les fonctions exécutives ? Qu’est-ce que l’inhibition, l’intelligence émotionnelle et les habiletés sociales ?
Les fonctions exécutives sont les fonctions supérieures du cerveau incluant l’activation, la planification, l’inhibition et la flexibilité. Or, pour l’enfant qui rentre au CP, elles sont encore « immatures », c’est-à-dire en cours d’acquisition.
L’inhibition est la capacité à contrôler ses pensées, ses émotions, son comportement, en centrant son attention sur ce qui est demandé. Bien évidemment, le développement de l’inhibition se fait progressivement et n’est pas optimal en maternelle mais, en tant que professionnels, nous pouvons d’ores et déjà accompagner l’enfant dans un meilleur contrôle de soi.
L’intelligence émotionnelle regroupe la conscience de soi, la maîtrise de soi, la motivation interne, l’empathie et les compétences sociales.
Quant aux habiletés sociales, il s’agit d’un « ensemble de capacités qui nous permettent de percevoir et de comprendre les messages communiqués par les autres, de choisir une réponse à ces messages et de l’émettre par des moyens verbaux, de façon appropriée à une situation sociale » (Baghdadli & Brisot-Dubois, 2011). Ces habiletés se développent très fortement au cours des trois années de maternelle.
Dans le cadre d’un suivi psychologique, plusieurs orientations peuvent être envisageables, en individuel ou en groupe, avec ou sans les parents. Parmi toutes ces possibilités, comment s’y retrouver ?
Comprendre la demande précise
Dans un premier temps, le psychologue clinicien ou le neuropsychologue aura pour objectifs de comprendre la demande sous-jacente, de prendre le temps de s’intéresser à l’environnement de l’enfant à travers des entretiens avec l’enfant, ses parents et des échanges avec l’école pour proposer un accompagnement des plus adaptés et utiles à un instant T. Et la demande peut évoluer dans le temps compte-tenu des besoins des parents, de l’enfant et de son développement.
Aider à développer son intelligence émotionnelle
Dans un second temps, un accompagnement psychologique peut être mis en place afin d’aider l’enfant à développer son intelligence émotionnelle. C’est souvent par ce biais-là que l’enfant arrive en séance du fait de difficultés de comportement à la maison et/ou à l’école avec un débordement émotionnel que bien des parents qualifient de « crises ».
Il s’agit alors d’accompagner l’enfant dans la connaissance de soi afin qu’il repère notamment quelles émotions le traverse et pourquoi et quels sont ses besoins pour s’apaiser. L’aider à développer un regard positif sur soi en travaillant notamment sur l’estime de soi, l’autonomie physique et psychique apparaît également nécessaire dans l’accompagnement proposé.
Par ailleurs, des séances autour de la problématique d’inhibition sont souvent bien utiles en complément afin d’apprendre à attendre avant d’agir, à anticiper, à ne pas être impulsif et bien analyser ce que la personne peut lui demander.
De nombreux jeux pour des enfants de maternelle (Bazar Bizarre, Pippo, Cocotaki, Uno, etc.) vont dans ce sens et sont à utiliser, quand c’est possible, à la maison afin de généraliser ce qui est vu en séance.
Or, le programme INEMO (IN pour INhibition et EMO pour EMOtions) est une bonne illustration de ce qui peut être proposé aux enfants âgés entre 3 et 6 ans afin de les aider à développer leurs capacités d’inhibition et compétences socio-émotionnelles. Ce programme, développé en Belgique par Alexandra Volckaert et Marine Houssa, Docteures en psychologie, est à destination des enseignants et a pour visée de prévenir d’éventuelles difficultés comportementales telles que l’agitation, l’impulsivité, l’inadaptation sociale ou des difficultés émotionnelles en stimulant de manière ludique les capacités d’inhibition et en apprenant aux enfants à gérer leurs émotions et les situations de conflit, grâce à des outils scientifiquement validés, qui pourront également être utilisés à la maison. En effet, se préoccuper des émotions d’une part et de l’inhibition d’autre part est une manière d’agir de manière préventive mais aussi de commencer à rééduquer les difficultés que rencontre l’enfant et d’accompagner les parents dans leur ajustement compte-tenu des spécificités de l’enfant.
Les parents comme de vrais alliés thérapeutiques
Il apparaît souvent nécessaire de travailler avec le parent car il va pouvoir mettre en place un certain nombre d’outils à la maison et généraliser ce qui a été vu en séance. Les parents ont alors un grand rôle à jouer et leur coopération et leur confiance sont nécessaires si nous voulons que l’enfant évolue de manière positive. Un soutien à la parentalité, de manière ponctuelle, peut donc être associé à des séances individuelles. Il consiste en l’information sur les difficultés rencontrées par l’enfant et comment modifier son environnement, son éducation, l’enseignement ou l’adaptation de ceux-ci à l’enfant et à ses symptômes.
A eux seuls, les suivis psychologiques suffisent-ils ?
Bien souvent, une prise en charge en psychomotricité, surtout quand la prise en charge est précoce apparaît nécessaire et assez bien acceptée par les enfants car elle est ludique. Il s’agit de proposer une rééducation des fonctions mentales et motrices par l’intermédiaire du corps. Dans le cas d’enfants où nous suspectons un trouble de l’attention, le psychomotricien aura pour rôle, entre autres, d’aider l’enfant à développer ses stratégies de contrôle et de résolution de problèmes.
Par ailleurs, le psychologue peut orienter vers un orthophoniste si le langage met du temps à se mettre en place ou s’il y a des difficultés de prononciation. Par la suite, un suivi orthophonique peut être nécessaire dans le cas de présence d’un trouble spécifique des apprentissages (les fameux troubles « dys ») notamment dans le cas de dyslexie/dysorthographie.
Les rééducations orthoptiques apparaissent généralement nécessaires dans le cadre par exemple, de discrimination visuelle, de mémorisation de séquences visuelles, de discrimination figure/fond. Pour rappel, l’orthoptiste est spécialisé dans les troubles de la vision et peut aider un enfant présentant des difficultés d’attention à développer ses stratégies du regard, à améliorer son balayage visuel.
Le psychologue aura particulièrement à cœur de coordonner l’ensemble des prises en charge afin d’amener une cohésion dans les soins et rééducations apportés à l’enfant et de soutenir les parents. Le lien avec l’école est également primordial afin de comprendre de manière objective comment l’enfant gravite dans cet environnement et quels aménagements spécifiques peuvent être proposés.
Par la suite, compte-tenu du développement de l’enfant, qu’est-ce qui peut être proposé ?
Une fois que le diagnostic a été confirmé par un professionnel spécialisé dans le trouble de l’attention et que l’enfant a atteint un certain âge, d’autres prises en charge peuvent être mises en place.
Les bénéfices essentiels d’une approche multimodale
En effet, une approche multimodale avec plusieurs modalités d’intervention apparaît nécessaire à mettre en place pour un meilleur résultat.
De nombreux programmes sont développés notamment au Québec avec Pierre-Paul Gagné (MétoAction, MémoAction, Apprendre avec Reflecto) afin de comprendre les divers mécanismes et fonctionnements mentaux qui entrent en jeu de manière consciente dans tout apprentissage, qu’il soit concret ou abstrait. C’est une approche métacognitive de prise de conscience de ses stratégies mentales qui permet d’apprendre à apprendre. Ce type de prise en charge peut être une bonne entrée en matière quand l’enfant a les capacités métacognitives suffisamment développées à savoir vers 8-9 ans.
La remédiation cognitive
Une fois que l’enfant a pris conscience de sa façon de réfléchir, nous pouvons proposer de la remédiation cognitive (ou rééducation neuropsychologique) qui consiste en une approche cognitivo-comportementale où, par des exercices de stimulations spécifiques, l’enfant va d’une part apprendre à utiliser des aptitudes cognitives différentes pour contourner ses difficultés et d’autre part développer les fonctions où persistent des lacunes par de l’entraînement. Les interventions neurocognitives partent de l’hypothèse que l’entraînement de fonctions cognitives cibles (attention, mémoire de travail et fonctions exécutives) peut réduire les difficultés liées au TDA/H avec une prise de conscience des difficultés, la stimulation des fonctions déficitaires et la mise en place de stratégies de compensation adéquates.
L’importance de l’accompagnement des parents
En parallèle, l’accompagnement des parents, sous forme de coaching ou de soutien à la parentalité, apparaît toujours nécessaire en les aidant à mettre notamment en place un système éducatif propre à leur enfant. En groupe, les interventions psychoéducatives auprès des parents avec les groupes types Barkley sont un autre axe d’intervention, bien souvent complémentaires d’autres prises en charge. Ces approches apportent souvent une aide significative sur les comportements parentaux, les relations familiales et le fonctionnement psychosocial de l’enfant ayant un TDA/H.
Le groupe : un atout de choix pour les enfants
Toujours en groupe mais cette fois-ci à destination des enfants, le psychologue peut proposer notamment deux types de groupe.
Un groupe d’habiletés sociales aura pour objectifs, entre autres, d’améliorer la reconnaissance et l’expression des émotions, de favoriser l’expérimentation des relations sociales positives en apprenant notamment la coopération et les fonctionnements adaptatifs et d’exploiter les forces personnelles et remobiliser leur estime de soi. A chaque séance, la problématique inhibition/flexibilité est également traitée.
Un groupe de remédiation cognitive (comme peut le proposer Pifam, Programme d’Intervention sur les Fonctions Attentionnelles et Métacognitives développé par Francine Lussier) aura pour buts, à travers 12 séances, de développer la métacognition et d’acquérir des stratégies d’apprentissages propres et généralisables à l’école et à la maison afin notamment de développer son attention visuelle et auditive, sa mémorisation, sa flexibilité, sa planification, son contrôle de l’impulsivité et sa résistance à la distraction. L’idée sous-jacente est d’amener les enfants à une certaine autonomie et que les outils soient trouvés par eux-mêmes et non plus par leurs parents.
Ces interventions groupales amènent bien souvent une nouvelle dynamique dans la prise en charge et sont souvent bien vécues par les enfants ; ces derniers montrant souvent à partir d’un certain âge une certaine lassitude dans les prises en charge individuelles. Cela permet également de mettre en pratique ce qui a été perçu en séances individuelles et de développer notamment l’aspect habiletés sociales.
Les autres modalités thérapeutiques complémentaires
Par ailleurs, des séances de graphothérapie peuvent être mises en place. Il s’agit d’une rééducation de l’écriture auprès d’enfants ou d’adolescents dysgraphiques, c’est-à-dire présentant des difficultés de mise en place de l’écriture : écriture illisible et peu soignée, écriture trop lente, tenue anormale du stylo.
L’ergothérapie apparaît également bien souvent essentiel notamment avec l’entrée au collège : accompagnement des enfants atteints de TDA/H afin de préserver et développer leur indépendance et leur autonomie dans leur environnement quotidien et social, mise en place de l’outil informatique pour alléger l’effort cognitif qu’engendre la prise de note manuscrite.
Enfin, les méthodes pharmaceutiques (présentes depuis les années 50-60) sont une solution parmi d’autres. Ce sont généralement des traitements à base de psychostimulants (telles que le méthylphenidate ou l’atomoxétine qui sont deux types de molécules) afin d’augmenter la stimulation cérébrale. Les médicaments interagissent au niveau de la régulation hormonale en palliant le déficit. La méthylphenidate, par exemple, ralentit la destruction de dopamine ; celle-ci agit donc plus longtemps et stimule de manière plus efficace les cellules responsables du contrôle de l’attention.
En conclusion, le trouble de l’attention est un trouble qui dure depuis plusieurs mois et s’exprime dans différentes situations. Il n’est donc pas lié à un contexte (sanitaire par exemple) ou à une situation précise (maladie ou autres) du fait de sa durabilité et quand nous reprenons l’anamnèse de chaque enfant, nous retrouvons bien souvent des signes précurseurs assez tôt dans leur développement.
De fait, un accompagnement psychologique peut être mis en place même si l’enfant est jeune d’autant que plus cette prise en charge sera précoce et globale, meilleur sera le pronostic dans le développement de l’enfant même si, bien entendu, il faut tenir compte de la sévérité du trouble, des éventuelles comorbidités et du profil singulier de chaque enfant.
En effet, les trois symptômes du TDA/H que sont le déficit d’attention, l’hyperactivité motrice et l’impulsivité ont des intensités et des manifestations qui varient selon l’enfant et ont des expressions différentes. Il faut noter qu’on ne peut pas guérir du trouble de l’attention mais que grâce à cet accompagnement sur mesure en collaboration avec les parents, l’école et les différents professionnels qui gravitent autour de l’enfant, nous pouvons pallier certaines difficultés de l’enfant et diminuer les répercussions négatives sur l’environnement familial, scolaire et social.
Charlotte Papéians
Ressources :
Pour les enfants
Mon cerveau a besoin de lunettes, Québecor, 2010, rédigé par le Dr Annick Vincent
Max est dans la lune de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch
See you later, Procrastinator! (Get it done) de Pamela Espeland et Elizabeth Verdick
Pour les parents
Try and Make me! de Ray Levy, Bill O’Hanlon et Tyler Norris Goode
Mon enfant s’oppose. Que dire ? Que faire ? du Dr Gisèle George
Cent idées pour mieux gérer les troubles de l’attention de Francine Lussier
Vivre et communiquer avec un enfant hyperactif du Pr François Bange
Comment aider mon enfant hyperactif ? de Marie-Claude Saiag, Stéphanie Bioulac et Manuel Bouvard
Pour les professionnels
Troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) du Dr Anne Gramond
Cent idées pour mieux gérer les troubles de l’attention de Francine Lussier
Plan d’intervention pour les difficultés d’attention de Cristiane Drouin et d’André Huppé
par Anaïs Roux, Psychologue
le 2021-02-17
Nous sommes à peu près tous d’accord pour dire que le stress et l’anxiété sont les maux de notre siècle. La décennie 2020 que nous venons d’entamer ne semble pas vouloir nous contredire sur ce fait : le nombre de traitements anxiolytiques délivrés entre mars et septembre 2020 est de + 1,1 millions par rapport à l’attendu (1).
Chaque année, et ce, depuis plus de 20 ans, nous voyons se développer des innovations pour soigner ce stress. Ces derniers temps, ces innovations sont centrées autour des nouvelles technologies.
En effet, le Moi quantifié est arrivé. Partout et à tout moment, nous pouvons avoir accès à une abondance d’informations sur nous, notamment par le biais d’objets connectés, d’applications mobiles, d’internet etc. Nous pouvons surveiller notre sommeil, notre rythme cardiaque, nos calories brûlées, nos nombres de pas, nos états de concentration et tant d’autres de nos données physiologiques.
Alors pourquoi ne pourrions-nous pas mettre les mesures de ces données au service de la gestion de nos émotions et notamment du stress ?
LA MESURE DES SIGNAUX CORPORELS DU STRESS
En effet, un des aspects fondamentaux de la régulation du stress est la conscience intéroceptive, c’est-à-dire notre capacité à détecter et interpréter les signaux physiologiques internes du stress. Le stress, au-delà d’impacter nos compétences cognitives, a des conséquences physiques et émotionnelles. Le stress modifie le fonctionnement de notre corps.Face à une situation stressante ou une pensée anxieuse, notre corps va libérer des hormones, l’adrénaline et le cortisol, ce qui aura pour conséquence entre autres d’entraîner une augmentation du rythme cardiaque, de la pression sanguine, de la fréquence respiratoire. Si le stress est ponctuel, cette réaction physiologique va nous permettre d’affronter la situation stressante. Mais si l’exposition au stress est prolongée, ces hormones peuvent entraîner une usure excessive du corps, du système immunitaire et des capacités cognitives, et impacter la santé mentale (burn out, dépression, usure émotionnelle etc.)
Le fait de quantifier, mesurer, nos réactions physiologiques nous aiderait à en prendre conscience, à être attentif aux signaux faibles de notre corps sous stress pour travailler dessus avant qu’il ne soit trop tard.
Et c’est exactement là-dessus que le biofeedback est innovant et pertinent.
QU’EST-CE-QUE LE BIOFEEDBACK ?
Pour faire bref, le biofeedback est un processus non-invasif qui consiste à mesurer les états physiologiques d'un individu et à lui fournir ces informations en temps réel afin qu'il puisse apprendre à modifier son activité physiologique dans le but d'améliorer sa santé.
Les mesures de l’état physiologique passent par des captations de l'activité électrodermale (réaction sudatoire de la peau), de la respiration, du rythme cardiaque, de la variabilité du rythme cardiaque, de la pression artérielle, ou encore de l'activité électrique du cerveau. Nous ne sommes pas obligés de tout mesurer lorsque nous faisons du biofeedback, nous pouvons choisir seulement 3 ou 4 mesures. Les réactions physiologiques mesurées par les capteurs sont affichées sur un écran que l’individu et le psychologue peuvent voir. Le retour sur les réactions du corps est donc instantané.
Armé de ses capteurs physiologiques, l’individu échange avec le psychologue sur une situation particulièrement stressante ou une pensée générant particulièrement de l’anxiété.
L’objectif est que l’individu puisse percevoir visuellement les réactions de son corps pour aider à identifier les déclencheurs du stress. Puis, l’individu travaille avec le psychologue à l’identification de stratégies permettant de gérer le stress et de retrouver un niveau de calme. Cela peut passer par des techniques basées sur la pleine conscience, la relaxation, la respiration etc.
La personne améliore ainsi la conscience qu’elle a d’elle-même et de son corps et acquiert un certain contrôle sur ses réactions physiologiques pouvant être néfastes à long terme. Le biofeedback est donc un outil d’apprentissage.Il se met en place sur plusieurs séances pour permettre à la personne de devenir de plus en plus sensible aux réactions de son corps, jusqu’à ne plus avoir besoin des informations visuelles qu’offrent les capteurs.
POURQUOI LE BIOFEEDBACK EST UN SUCCÈS ?
Parce qu’il permet un apprentissage
Le simple fait de faire regarder à un individu ses réactions physiologiques à travers des capteurs et un écran est clairement insuffisant. C’est pour cela qu’il est essentiel que la pratique du biofeedback soit couplée à une interaction avec un professionnel de la santé mentale. A travers une élaboration autour de la situation stressante et la pratique d’exercices pour atteindre le calme, l’individu voit son état physiologique se modifier sous ses yeux. Le ralentissement de son rythme cardiaque, l’apaisement de sa respiration, la baisse de la réaction sudatoire de sa peau… ces signaux positifs agissent comme une récompense. Ce renforcement positif va avoir comme effet d’ancrer le bon comportement ou la bonne pensée venant calmer le stress.
De plus, il arrive souvent que le renforcement positif permis par la simple vision des signaux physiologiques positifs soit accentué par une musique agréable ou des couleurs encourageantes par exemple.
Parce qu’il permet un engagement
L’entraînement par biofeedback donne un feedback continu à l’individu sur sa capacité à réguler son stress physiologiquement. Ce feedback continu est un aspect crucial car c’est grâce à lui que l’individu va pouvoir être témoin de ses progrès session après session. Ce suivi de leur progrès va maintenir les individus engagés pendant toute la durée de l’entraînement.
Parce qu’il offre un sentiment de contrôle
Lorsqu’une personne parle de son stress ou de son anxiété, on entend souvent la panique associée au manque ou à la perte de contrôle sur ses émotions. Par exemple : « Je me suis laissé.e envahir par le stress », « J’ai été angoissé.e toute la journée, je n’ai pas pu travailler ou faire quoique ce soit », ou encore « Mes pensées tournaient en boucle et m’empêchaient de dormir ».
Un des atouts les plus significatifs du biofeedback est le fait qu’il redonne un sentiment de contrôle et d’efficacité personnelle aux personnes sujettes au stress. Lorsque la personne prend conscience que sa respiration ou un changement de pensées a un impact positif sur son état physiologique, elle ne subit plus son stress, mais apprend à le maîtriser par elle-même. Une sensation de contrôle plus importante, diminue la détresse que provoque le stress ou l’anxiété.
Pour conclure, l’innovation thérapeutique du biofeedback permet de créer du lien entre le corps et l’esprit, de prendre la mesure de l’impact de ses émotions sur son corps et sa santé. Grâce à l’apprentissage permis par le biofeedback, l’individu détecte en amont les signaux faibles du stress et de l’anxiété afin d’agir rapidement avant qu’ils ne s’imposent.
Par conséquent, le biofeedback lui permet sur le long terme de maîtriser soi-même ses états de stress et d’anxiété. En ce sens, le biofeedback apparaît comme une technique d'autonomisation et une alternative aux traitements médicamenteux du stress et de l’anxiété.
L’ESSENTIEL DU MESSAGE
Le biofeedback est une “evidence based practice”, c’est-à-dire une pratique testée et validée scientifiquement, qui répond aux exigences de certains établissements de soins de santé et entreprises pour soigner le stress et l’anxiété. Armé de plusieurs capteurs mesurant son état physiologique, l’individu prend conscience de l’impact de ses pensées et des éléments stressants sur son corps. Grâce à un feedback en direct, l’individu peut apprendre à calmer ses états physiologiques à travers des exercices de relaxation ou encore de pleine conscience.
Anaïs Roux
Ref 1 - Ebook Doctolib, Santé mentale des français : agir face aux impacts de la Covid-19, 202
SÉLECTIONS DE RECHERCHES PROUVANT L'EFFICACITÉ DU BIOFEEDBACK
par Charlène Nassif, Psychologue clinicienne
le 2021-02-03
Lorsque vous vous imaginez consulter un(e) psychologue en cabinet libéral ou au sein d’une institution, vous pensez sûrement d’emblée à un soutien psychologique ou à un suivi thérapeutique parmi les nombreuses spécialités qui existent (psychanalystes, thérapeutes cognitivo-comportementalistes, praticiens EMDR ou ICV…). Hors, tout dépend de la demande : en effet, le ou la psychologue formé(e) peut aussi proposer un bilan neuropsychologique.
La pratique du bilan neuropsychologique est assez répandue mais peut-être ne savez-vous pas dans quelle mesure celui-ci vous serait utile, ou pourrait l’être pour vos proches. Voici quelques éclairages…
Qu’est-ce que la neuropsychologie ?
La neuropsychologie est une discipline datant de la seconde moitié du XIXème siècle. Elle est née de l’interaction entre la neurologie, la psychologie et la psychiatrie en plein essor des neurosciences.
C’est une discipline scientifique qui étudie les fonctions cognitives* et leurs rapports avec les structures cérébrales.
Qu’est-ce qu’un neuropsychologue ?
Le neuropsychologue
« C’est un psychologue spécialiste des troubles neurologiques (de la mémoire, de la parole, de la marche, de la préhension, etc.) d’origine organique, ayant des incidences dans la vie de tous les jours »2.
Lorsque j’étais stagiaire auprès d’une neuropsychologue, ma mission était d’identifier les troubles du patient, de tenter de détecter leur origine, et d’établir le lien avec les fonctions cérébrales atteintes. Par exemple, à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (service de Médecine Physique et de Réadaptation du Professeur Azouvi), nous recevions des patients ayant subi pour la plupart, un Accident de la Voie Publique (AVP). En fonction du type d’accident, la localisation des atteintes cérébrales était différente d’un patient à un autre, et donc la gravité des troubles également.
Afin d’essayer de comprendre ces troubles et l’histoire de chaque patient, une anamnèse (c’est-à-dire le récit des antécédents d'un malade) était effectuée puis un bilan neuropsychologique, le tout sur une journée. Une prise en charge pouvait ensuite être proposée au sein du service de rééducation.
Le travail du neuropsychologue
Le neuropsychologue travaille de façon structurée et complète : c’est-à-dire qu’il intervient à partir d’un protocole et d’une démarche bien établis, en fonction du type de patient qu’on lui adresse. L’aspect relationnel est bien évidemment tout à fait essentiel.
Son intervention se décompose en trois temps :
1. Un temps d’entretien préalable ;
2. Un temps d’évaluation ;
3. Un nouvel entretien de restitution.
Il travaille donc de la manière suivante :
A. Évaluer la demande : quand réaliser un bilan neuropsychologique ?
Chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte, dans le cadre de trouble des apprentissages (les troubles « dys », exemple : dyslexie), de suspicion de haut potentiel intellectuel (HPI), de trouble du comportement (exemple : troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, TDA/H), suite à un traumatisme crânien (exemple : accident de la route) …
B. Évaluation des fonctions cognitives à l’aide de tests psychométriques standardisés :
On parle ici de « passation de tests » : le neuropsychologue a besoin de se représenter le mode de fonctionnement cognitif du patient, en tenant compte de sa façon de penser et d’analyser son environnement.
À partir des éléments médicaux qu’il connaît, des lésions cérébrales observées et des hypothèses avancées, le neuropsychologue propose les tests adaptés (par exemple : les troubles de l’humeur peuvent être dus à des lésions organiques situées à un endroit spécifique du cerveau).
C. Procéder à l’interprétation et à la rédaction du bilan :
Ensuite a lieu la « restitution des résultats » au patient. En fonction de la demande initiale, la restitution peut également être proposée à la famille et aux responsables de son lieu de travail. Cette restitution peut notamment être destinée aux rééducateurs, dans la perspective du retour à son domicile.
Un travail de rééducation peut être proposé par le neuropsychologue suite au bilan neuropsychologique. « Il peut également participer aux expertises médico-légales (séquelles d’accidents survenus sur la voie publique, mise sous tutelle des personnes affaiblies sur le plan cognitif ou du comportement, reprise d’une activité professionnelle…) »2.
Quelles sont les compétences nécessaires pour effectuer ce travail ?
« Il faut savoir être organisé et structuré, avoir un esprit mathématique et de synthèse, être ouvert et curieux »2.
La neuropsychologie se différencie de la psychologie clinique par son aspect plus scientifique. Appliquer un protocole n’est cependant pas suffisant : en effet, la clinique et la relation humaine sont primordiales dans la passation des tests. Ce sont des qualités et des compétences qui sont indispensables et intrinsèques au travail de passation mais aussi lors de la restitution des résultats. C’est ce qui permet d’obtenir une bonne qualité de soin. Aussi, il est important de savoir que seuls les psychologues sont habilités à faire de la psychométrie.
De quelles fonctions cognitives s’agit-il ?
L’attention, la mémoire de travail, la mémoire épisodique, la mémoire autobiographique, la mémoire sémantique, les praxies, les gnosies, les fonctions exécutives.
Elles définissent les capacités du cerveau qui nous permettent « de communiquer, de percevoir notre environnement, de nous concentrer, de nous souvenir d’un événement ou d’accumuler des connaissances »1.
Pour conclure, si vous remarquez que certaines de vos capacités cognitives sont en déclin et affectent votre vie quotidienne (exemples : une perte de mémoire, une difficulté à s’orienter ou se repérer dans l’espace, des difficultés de concentration…), pensez à contacter un(e) psychologue formé(e) au bilan afin de discuter de la pertinence de celui-ci.
Cela vous permettra de mieux vous connaître et de distinguer aussi un réel trouble cognitif d’un épisode passager ayant un impact sur vos capacités cognitives (exemple : il y a une différence entre une anxiété majeure conséquente au contexte sanitaire actuel pouvant perturber certaines de vos capacités cognitives et des troubles qui affectent une aire spécifique du cerveau provoquant un dysfonctionnement cérébral).
Charlène Nassif
1. S. MONTEL. 11 grandes notions de neuropsychologie clinique. Dunod, 2016.
2. S. CHÉNEAU, B. DURLIN. Métiers de la psychologie. L’Étudiant, 2009.
par Cécile Pichon, Psychologue et Coach en Transition Professionnelle
le 2021-01-13
Perte d’un emploi, chômage longue durée, recherche de nouvelles opportunités, les périodes de transition professionnelle s'accompagnent parfois d’une perte de confiance en soi pour les personnes qui les traversent. Pourquoi notre estime de soi se trouve-t-elle fragilisée quand on est en recherche d’emploi ? Que se passe-t-il de si spécial pendant ces transitions pour que notre équilibre en soit bouleversé ?
Les périodes de transitions professionnelles sont des périodes d’incertitude. Qu’allons-nous faire, où postuler, et comment continuer à payer son loyer, son emprunt, ses charges ? L’inconfort s’installe. Au-delà d’une préoccupation concrète, matérielle, voire économique, une inquiétude plus profonde et diffuse peut émerger : mais au fond, quelle est ma valeur sur le marché du travail ? Qui va m’embaucher et à quel prix ? Qu’ai-je de plus que les autres candidats ? Mon projet n’est-il pas trop ambitieux, présomptueux, ou au contraire, est-ce que je me sous-estime ?
C’est notre valeur et nos capacités qui peuvent être directement remis en question...
La fin d’un emploi peut ébranler notre image de nous. Dans une société où nous avons tendance à nous définir socialement par le travail, il est parfois difficile de se constituer une image de soi satisfaisante en dehors d’un statut préétabli : “je suis étudiant, salarié, retraité”, etc. Notre identité se trouve comme fragilisée en l’absence d’activité. Ainsi que l’expliquait le pédiatre et psychanalyste britannique Donald Winnicott, notre image de soi se construit dans l'altérité, à travers le regard de l’autre et notamment, au tout début de l’enfance, à travers celui de notre mère ; on imagine aisément que l’on continue de s’observer sous le regard de nos pairs.
Quand nous quittons un emploi, les interactions sociales professionnelles qui nous permettaient de recevoir des feedbacks sur nous de la part de nos collègues, de notre direction, s’arrêtent. L’image de soi est à redéfinir. Cette période de changement s’accompagne souvent d’une perte de repères et peut être vécue comme un deuil à faire : c’est la fin de l’appartenance à un groupe (l’ancien employeur, l’ancienne équipe, etc... ) et l’on ne sait parfois plus comment se définir. Certaines personnes vivent même la période de chômage comme une disqualification sociale. Dans ces situations, l’image de soi est alors modifiée négativement puisque la nouvelle donne sociale - l’absence d’emploi - vient restructurer l’identité au niveau cognitif.
Mais au fait, qu’est ce que c’est que l’estime de soi, et comment peut-on dire que l’on a - ou non, confiance en soi ? Faut-il enchaîner les succès professionnels et personnels pour pouvoir dire que l’on a une bonne estime de soi ? Existe-t-il des personnes qui ont, dans l’absolu, confiance en eux, et d’autres qui n’y parviennent jamais ? La notion est en fait complexe, fluctuante, et l’on peut tous être affectés par un manque de confiance en soi à certains moments ou dans certains aspects de notre vie ...
Identité, image de soi, estime de soi, confiance en soi, les termes sont imbriqués...
La psychologue américaine H.R. Markus, a introduit la notion d'un schéma de soi, c’est-à-dire une image, subjective, évolutive et dynamique qui se modifie à travers l’ensemble des connaissances que l’on a à propos de soi, au fur et à mesure des expériences que l’on vit.L’estime de soi, constitutive de ce schéma de soi, fonctionne alors dans ce système comme un jugement de valeur - positif ou négatif- que l’on porte sur soi-même.
La confiance en soi, quant à elle, est une composante de l’estime de soi. C’est la confiance que nous accordons en notre capacité à nous en sortir, à réussir, à atteindre le but qu’on s’est fixé. Elle est rarement absolue, mais plutôt appliquée à des domaines, dans des situations données : “je me sens capable d’exécuter cette figure de danse”, “je doute de ma faculté à retrouver un emploi si je démissionne”. Finalement, cette confiance pourrait se définir comme une sorte d'optimisme, qui nous aide à croire en nos ressources. Elle se construit généralement dès l’enfance et se consolide via le cumul d’expériences considérées comme “satisfaisantes” ou “réussies”. Mais alors, comment garder confiance quand on vit l’épreuve d’un chômage, qui vient directement nous questionner sur nos capacités ? Même si elle ne touche que la sphère professionnelle, l’expérience de difficultés au travail peut contaminer plus largement notre confiance, la baisse de l’estime de soi gagnant progressivement les autres sphères de l’image de soi...
Pour le philosophe Charles Pépin, si la confiance en soi est composée d’une confiance en ses capacités, elle se construit aussi grâce à notre faculté d’accorder notre confiance aux autres, et grâce à une confiance plus générale dans la vie. Même si elle ne remet pas nécessairement en question vos compétences, une transition professionnelle peut venir questionner notre capacité à faire confiance au monde qui vous environne : “Vais-je être reconnu à ma juste valeur ? Vais-je trouver autour de moi un environnement bienveillant ?” “La vie va-t-elle me sourire dans cette prochaine étape ?”
Cette idée du philosophe d’une confiance construite en fonction des autres va dans le même sens que les modèles développementaux de l’estime de soi de certains théoriciens de l’attachement. Nicole Guédeney, pédopsychiatre à l’Institut Mutualiste Montsouris de Paris apporte dans l’un de ses articles un éclairage sur la dimension développementale de l’estime de soi, construite en lien avec nos expériences primaires d’attachement. Le monde qui m'entoure est-il sécurisant et me met-il en confiance ? Me rassure-t-il ou non sur ma valeur ? Notre capacité à nous faire confiance se construit alors sous le regard plus ou moins bienveillant que notre environnement (parents, entourage, éducateurs...) porte sur nous et sur nos actes.
Quand l'entourage est bienveillant, nous avons tendance à projeter que les autres relations à venir seront similaires, simples et rassurantes. Puis, au fur et à mesure de notre vie, les expériences que nous traversons viennent renforcer ou fragiliser notre confiance.Dans le cadre d’une transition professionnelle, l’inquiétude peut être d’autant plus grande que la dernière transition avait été compliquée, ou que vous avez été confronté à plusieurs reprises à des environnements malveillants ou stressants.
On constate donc un lien entre difficultés passées et difficultés auxquelles on peut faire face dans le présent. La période de transition peut s’accompagner d’une résurgence des blessures du passé, lorsque la confiance en ses compétences n’a pas été bien établie de façon sécurisante. C’est alors que peuvent resurgir ces peurs qui nous tétanisent : peur de ne pas être la hauteur, peur de décevoir, peur de l’échec, etc.
Pour gagner en confiance, nous avons besoin de sentir que nous avons les moyens d’agir et les capacités nécessaires pour rebondir durant les situations incertaines que sont les transitions professionnelles. Plus nous nous sentons en mesure de nous adapter à ce monde mouvant, plus nous sommes confiants dans notre capacité de résilience, c’est-à-dire, notre aptitude à faire face aux événements, quels qu’ils soient. La confiance en soi se manifeste comme une confiance en notre sentiment d’efficacité personnelle : face aux difficultés, nous saurons rebondir. Les expériences antérieures d’échec et de difficultés surmontées sont alors de belles illustrations de cette capacité de “coping” dans l’adversité. Sur ce sujet, l’ensemble des expériences de vie surmontées peuvent être relues pour nous rassurer dans notre disposition à prendre les bonnes décisions et rester à flots dans les différentes tempêtes que nous avons traversées.
Dans ces temps de transition, il peut être intéressant de soigner tout particulièrement notre estime de nous en nous investissant dans d’autres domaines que le travail : la confiance grandit aussi dans les succès sportifs, les relations humaines gratifiantes, l’expression des talents artistiques, relationnels, etc... Autant de sphères à ne pas négliger lorsque l’on recherche un travail, car cela peut avoir un réel impact sur notre motivation et confiance !
Les transitions professionnelles sont des périodes de réorganisation de l’image de soi qui peuvent donner lieu à de l’inconfort. L’identité est à redéfinir, cela peut être véritablement l’occasion de se la réapproprier. Un accompagnement peut permettre de mieux vivre le passage et être l’occasion de travailler sur l’image de soi, les schémas ancrés et les identités professionnelles. Prendre soin de soi, en restant actif et en s’investissant dans des activités extra-professionnelles peut aussi permettre de renforcer notre confiance tout en rééquilibrant les différentes parties qui cohabitent en nous pour créer une image globale satisfaisante qui permette d’oser et d’avancer ! Car la confiance en soi n’est pas la capacité à enchaîner les succès, mais plutôt la disposition à rebondir et à remettre en selle après les difficultés.
par Valentine Ricaux, Psychologue clinicienne certifiée TCC
le 2020-11-12
Au cours de la vie, 2,3% de la population serait touchée par des troubles obsessionnels compulsifs, dit TOC. Ils font partie des troubles anxieux. Alors que 80% ou 100% de la population générale présenterait des obsessions sans retentissement pathologique, les obsessions vécues dans le TOC se démarquent en fonction de leur fréquence, de leur durée et de la capacité de la personne à la rejeter.
Le TOC se caractérise par la présence de quatre composants principaux : les obsessions, les compulsions, les conduites d’évitement et l’anxiété associée. La principale conséquence est une détresse psychologique importante et un retentissement dans la vie sociale des personnes touchées.
Comment peut-on comprendre les TOC?
Il faut partir du concept de l'obsession.
Elle se définit comme une pensée ou une image mentale consciente et involontaire qui s’impose à notre esprit de façon répétitive et persistante (Sauteraud, 2005). Celle-ci est la plupart du temps constante de par ses thèmes et provoque une anxiété importante dont le rituel ou la compulsion a pour but de la faire disparaître.
La compulsion apparaît ainsi comme un acte moteur (souvent de lavage, de vérification ou de rangement) ou mental (comptage, répétition) répétée de façon ritualisée et “donnant réponse” à une obsession. La personne reconnaît le caractère infondé de son comportement mais tend vers une réduction rapide de l’anxiété associée.
Les compulsions de lavage associées à des obsessions de malheur, ou la peur obsédante de commettre un acte impulsif contre soi ou les autres (comme c’est le cas dans le cadre de la phobie d’impulsion, retrouvée fréquemment dans la dépression post-partum) sont des TOC fréquemment vécus.
Plusieurs hypothèses ont pu être mises en évidence afin de comprendre le développement d’un trouble obsessionnel compulsif chez une personne. Explorons-les ensemble.
Hypothèses du modèle comportemental
La théorie du conditionnement opérant de Skinner permet d’expliquer le fonctionnement et surtout le maintien du trouble dans le temps en s’appuyant sur la notion de renforçateur. En effet, un renforçateur pérennise ou rend plus fréquent une pensée, une émotion ou un comportement. Ainsi, un renforcement négatif (dans le sens de la soustraction de quelque chose de désagréable) de l’anxiété et de la souffrance qui découlent de l’obsession va être observé par les conduites de compulsion.
Les rituels et conduites d’évitement de la personne vont s’installer de façon adaptative, c’est-à-dire pour juguler l’angoisse, mais vont également avoir pour conséquence la mise en place d’une sensibilisation et d’une aggravation de la perception négative des nouvelles confrontations à la situation (Sauteraud, 2005). Les conduites d’évitement et les rituels de la personne entraînent certes un apaisement de l’obsession à court terme mais la renforcent à long terme. Ce qui conduit au maintien du trouble.
Hypothèse du modèle cognitif
Un dysfonctionnement du traitement de l’information apparaît au cœur de l’hypothèse cognitive d’explication du maintien du TOC dans le temps. En effet, on retrouverait chez les personnes atteintes de TOC une fixation excessive aux pensées obsessionnelles et intrusives par rapport à la population générale, également sujette à l’apparition de ce phénomène normal. On retrouve ici une activation du fonctionnement cognitif de danger et d’hyper-vigilance menant à l’apparition de distorsions cognitives responsables d'erreurs de raisonnement et de pensées automatiques sources d’anxiété.
Hypothèse du modèle physiopathologique
Concernant les influences bio-génétiques sur le TOC, Cottraux (2004) met en évidence les prédispositions générales à développer des troubles anxieux chez les sujets souffrants de TOC. Cette vulnérabilité serait une conséquence des événements de vie, du type d’éducation et des facteurs environnementaux du sujet ainsi que les impacts de ces derniers sur ce dernier.
Le développement du TOC surviendrait alors généralement à la suite d’un événement majeur ayant perturbé le fonctionnement habituel de la personne. Si seulement 30% des cas identifient formellement un facteur déclenchant, on retrouve pour les autres une situation moins précise étant à l’origine du développement du TOC (mariage, burn-out, accouchement, accident…).
Ducasse et Fond (2013) rappellent que les caractéristiques du TOC sont habituellement associées à un mauvais fonctionnement du système sérotoninergique ayant pour conséquence une fragilité et une vulnérabilité du sujet au stress. Ce dysfonctionnement aurait également pour conséquence une hypersensibilité des récepteurs post-synaptiques en réponse au déficit initial de sérotonine et provoquant un déficit d’habituation.
Quelles sont les possibilités thérapeutiques à ce jour?
La thérapie cognitive et comportementale est souvent utilisée dans le cadre du traitement du TOC.
Selon cette approche, l’exposition graduée avec prévention de la réponse (EPR) apparaît comme un outil central dans la prise en charge du trouble obsessionnel-compulsif (Meyer, 1966) de par l’habituation à une confrontation progressive à l’anxiété provoquée par la venue de l’obsession sans réponse compulsionnelle.
Ce phénomène d’habituation peut permettre une réduction de la fréquence et de l’intensité des obsessions ainsi que de l’anxiété associée à ces dernières.
Dans le cadre de cette prise en charge, une évaluation par l’échelle d’obsession-compulsion de Yale-Brown (Y-BOCS) permet d’obtenir une mesure de la sévérité par la durée, le retentissement, l’anxiété associée, la résistance et le contrôle de la personne sur les symptômes obsessionnels et compulsifs.
La combinaison médicamenteuse et psychothérapeutique a également démontré son efficacité : les antidépresseurs démontreraient à eux seuls une efficacité dans 30 à 40% des cas (Chaloult, Goulet & Ngô, 2014).Les principaux utilisés étant les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) ainsi que les antidépresseurs imipraminiques.
Quelles sont les conséquences pour la vie sociale?
Le retentissement social, familial, professionnel apparaît important. Il est souvent source d’une souffrance importante pour la personne et son entourage. Dès lors, le niveau de conséquences des Toc avec les activités de la vie quotidienne varie en fonction de la sévérité des troubles vécus.
Si vivre avec une personne atteinte de TOC peut être difficile, la tolérance et la compréhension permettent un meilleur accompagnement de celui qui en souffre, que ce soit dans ses efforts et sa prise en charge.L’association AFTOC propose dans ce sens soutien, information aux personnes et familles atteintes par ce trouble.
Valentine Ricaux
Son profil weppsy
Références
Cassin, S., Richter, M., Zhang, K.A., Rector, N (2009). Quality of Life in Treatment-Seeking Patients With Obsessive-Compulsive Disorder With and Without Major Depressive Disorder. Can psychiatry, 54 (7).
Chaloult, L., Goulet, J., Ngô, T.L (2014). Guide pratique pour l’évaluation et le traitement cognitif et comportemental du trouble obsessionnel-compulsif. Polyclinique médicale Concorde (1)
Cottraux, J. (2004). Trouble Obsessionnel-Compulsif. EMC-Psychiatrie, 1 (1), 52-74
Ducasse, G. & Fond,G. (2013) Troubles obsessionnels compulsifs résistants et antipsychotiques : données neurobiologiques et thérapeutiques actuelles. Annales Médico-Psychologiques 171, 725–732
Meyer, V., 1966, Modifications of expectations in cases with obsessional rituals, Behaviour Research and Therapy, 4, 273-280
Ruscio, A., Stein,D., Chiu, W., Kessler, R (2010). The Epidemiology of Obsessive-Compulsive Disorder in the National Comorbidity Survey Replication. Mol Psychiatry, 15 (1)
Sauteraud, A. (2002). Je ne peux pas m'arrêter de laver, vérifier, compter - Mieux vivre avec un TOC. Paris: Odile Jacob.
Sauteraud, A. (2005). Le trouble obsessionnel compulsif. Paris: Odile Jacob
Schoendorff, B., Purcell-Lalonde, M., & O’Connor, K. (2013). Les Thérapies de Troisième Vague dans le Traitement du Trouble Obsessionnel-Compulsif : Application de la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement. Santé Mentale au Québec, 38, 153-173.
par Arthur Durif Meunier, Psychologue clinicien
le 2020-10-27
En cette période hors du commun, quelques-uns d’entre nous ont effectivement pu trouver en l’humour un moyen de s’aérer l’esprit, de s’évader en échappant brièvement à la réalité dans laquelle nous nous trouvions. Mieux encore, ce mécanisme nous offre la possibilité de partager cette escapade avec ceux qui nous entourent et à un prix bien moins élevé que celui de nos compagnies aériennes.
Sur le papier, l’efficacité de l’humour semble imbattable : il rayonne sur soi comme sur les autres, il peut être utilisé dans un grand nombre de situations et ne nécessite d’aucun matériel particulier. Pourtant, telle la poudre noire, son usage peut participer à l’embellissement de nos vies comme à l’assombrissement de notre existence.
Du feu d’artifice à la poudre à canon, l’humour dispose d’un fabuleux pouvoir tantôt protecteur et tantôt destructeur.
Je vous propose, dans un premier temps, de commencer par un bref résumé des bienfaits et des méfaits de l’humour. Nous aborderons par la suite le rôle qu’il peut jouer pour notre survie en agissant sur notre rapport à la réalité et au sens que nous lui accordons.
« La faculté de rire aux éclats est preuve d'une âme excellente » Jean Cocteau
Sur le plan physiologique, le rire aurait une quantité d’effets bénéfiques ; Fry en décrit un certain nombre. Le rire agirait sur le système musculo-squelettique en contractant par exemple les muscles du visage ou ceux de la ceinture abdominale. Il aurait un impact sur le système cardio-vasculaire. Lyttle comparera même les bénéfices du rire à ceux d’un jogging. Selon Fry le rire stimulerait aussi le système endocrinien, le fonctionnement immunitaire et le système nerveux. Plus difficile à mettre en évidence, de nombreux bienfaits physiologiques occasionnés par l’humour découlent de la réduction du stress que l’on sait aujourd’hui responsable d’une grande quantité de maladies.
Sur le plan psychologique, plusieurs auteurs (Martin, Kuiper, Olinger et Dance) considèrent l’humour comme une stratégie de coping, une stratégie d’adaptation contre le stress. En psychologie positive (Peterson et Seligman), il est d’ailleurs considéré comme l’une des forces qui transcendent la réalité quotidienne. Mais l’humour a aussi sa place dans le référentiel psychanalytique où il fut décrit par Freud comme un mécanisme de défense particulièrement efficace et dont il dira « L’humour, lui, peut être conçu comme la plus haute [...] réalisation de défense » (Freud). Il est en effet le moyen d’extérioriser une problématique dans une forme socialement acceptable et de la rendre agréable à son public. Nous conclurons la partie des bienfaits psychologiques de l’humour sur son lien avec la résilience. En effet, Cyrulnik le considère comme « […] un des plus précieux facteurs de résilience : l’humour ». Il est, selon l’auteur, le moyen de dépasser certains évènements difficiles voire traumatiques, en leur proposant une autre interprétation, une interprétation qui prête à rire.
Passons maintenant aux bénéfices sociaux. L’humour serait selon Guibert, Paquerot et Roques un facteur puissant de cohésion sociale, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement il facilite la communication en renforçant l’interaction et en améliorant la compréhension mutuelle d’un groupe. Deuxièmement il traduit une attention particulière à autrui, ce qui développerait la confiance et faciliterait la création d’un réseau social. Pour Bottega l’humour permet de jouer avec les représentations et ainsi de proposer un autre point de vue, une autre façon de concevoir la même réalité.
Abordons maintenant les bienfaits cognitifs apportés par l’humour. D’après la théorie Jungienne, l’humour peut constituer une source d’énergie. En effet son aspect social ainsi que le plaisir occasionné par son usage permettent de lutter contre l’épuisement professionnel. L’un des meilleurs exemples, est l’humour parfois décalé que l’on entend dans des milieux professionnels difficiles comme celui du secteur médical. De nombreuses recherches comme celle de Rambaud tendent à montrer que son usage dans les milieux hospitaliers est un mécanisme de défense qui sert à protéger les équipes de la souffrance à laquelle elles sont exposées. Il permet d’après Lyttle de court-circuiter les modèles de pensée fermés et improductifs, ce qui conduirait d’après Isen, Daubman et Nowicki à des méthodes de résolution de problèmes créatives et innovantes.
« Tout ce qui permet de guérir, peut également être utilisé à mauvais escient » Platon.
Les méfaits de l’humour vont du simple quiproquo aux manipulations perverses et malveillantes. Le meilleur moyen de différencier la simple maladresse de la volonté de nuire consiste à s’intéresser à la question de l’intentionnalité. Si le droit parle d’homicide involontaire ou volontaire pour définir l’intention qui se cache derrière un acte, Freud parle au sujet de l’humour de contenus « innocents » et « tendancieux ». Ce n’est pas parce que l’intention n’est pas mauvaise en soi que l’humour ne peut pas blesser. Même le plus petit malentendu, par manque de tact, de délicatesse ou par naïveté, une fois dit, ne peut être retiré. Mais le plus grand danger que peut représenter l’humour réside dans sa forme « hostile », selon Freud, qui consiste à « exploiter le ridicule » pour discréditer et rabaisser un individu.
Rien ne semble mieux représenter le pouvoir salvateur de l’humour que la citation suivante :
« If I had no sense of humor, I would long ago have committed suicide » Mahatma Gandhi
(Si je n’avais pas le sens de l’humour, je me serais suicidé depuis longtemps)
Nous avons vu précédemment que l’humour est un excellent mécanisme de défense, il est aussi un excellent facteur de résilience ; mais concrètement, comment agit-il, quel est son mécanisme permettant de préserver la santé mentale d’un individu ? Pour trouver un élément de réponse, je vous propose de nous pencher sur l’ambiguïté que suggère l’humour. Pour reprendre les écrits de Freud à ce sujet, l’humour est constitué d’un contenu manifeste (explicite) et un contenu latent (implicite). C’est la superposition de ces deux sens qui permet de créer l'ambiguïté. Prenons un exemple tout simple :
Mon collègue me demande comment je trouve sa nouvelle chemise, ce à quoi je lui réponds « Oui, oui, oui, elle est très belle. Probablement l’une des plus belles que tu n’as jamais portée ». Nul doute que pour certains d’entre vous, cette réponse passe pour de l’ironie, mais elle induit chez d’autre le doute. Suis-je alors parfaitement franc (contenu manifeste), ou purement ironique (contenu latent) ?
Explorons encore un peu plus le pouvoir qu’a l’humour dans sa capacité à créer l’alternative, car c’est là qu’en réside la clef de voûte. L’humour semble avoir ce pouvoir créateur, pouvoir qui en dépit des normes sociales, métaphysiques, voire même éthiques, peut proposer une compréhension, une interprétation alternative à la réalité rencontrée. Un existentialiste qui passerait par là évoquerait très certainement la capacité de l’humour à créer du sens et nous savons pertinemment ce à quoi mène l’absence de sens :
Que ce soit au travail dans ces “bullshit jobs” menant au burn-out.
Ou bien lors d’un traumatisme quand le sens des faits se révèle si insoutenable pour l’esprit qu’il mène au déni.
Quand la frustration de subir une situation non choisie et sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir mène au désespoir ou à la dépression.
Alors oui, l’humour avec sa capacité à créer un sens, même fantasmé ou illusoire, peut servir de parade à une situation dénuée de toute logique, de toute explication rationnelle ou simplement insupportable.
Il y a cependant un deuxième mécanisme qui se met en place à la suite de cette création de sens : l’apparition d’un choix.L’humour semble alors incarner l’une des armes dont nous disposons pour faire face à la fatalité de la vie en nous donnant le choix d’en changer le sens. Je vous propose ici un exemple permettant d’illustrer mon propos :
Lors d’un groupe d’analyse de pratique post-confinement, je rappelle en début de séance la nécessité de porter le masque, ce à quoi l’une des participante répond : « Ça y est, ça repart en bal masqué ! ». Nous avons tous expérimenté le déplaisir qu’occasionne le port du masque, mais par une habile pirouette elle sut changer la représentation que nous nous faisions de cette directive. Je vous rassure tout de suite, nous ne nous sommes pas mis à faire la danse des canards pour autant. Mais l’espace d’un instant, elle a su nous proposer un voyage en pleine renaissance italienne.
Partant d’un non choix, d’une situation subie sur laquelle nous n’avions aucun pouvoir (le port du masque), ce trait d’humour a su créer un choix alternatif, nous accordant de ce fait la possibilité de ne plus subir en faisant un choix. Si pour de nombreuses raisons nous avons collectivement retenu le choix le plus réaliste à savoir celui de se remettre au travail, cette décision nous appartenait !
Si l’humour dispose de fabuleux pouvoirs, comme ceux de créer du sens en s’exemptant de toutes règles rationnelles ou d’introduire la notion de choix face à des situations semblant sans issue, il incarne aussi l’outil parfait pour fuir. Quand l’humour est au service du désengagement, de la déresponsabilisation, quand il est utilisé pour fuir la réalité, la dégrader ou bien la cacher, son usage devient profondément toxique. Il existe un certain nombre d’indicateurs permettant d’identifier ce type d’usage. D’abord sa fréquence : une utilisation systématique de l’humour peut traduire une forme de rigidité dans la manière d’appréhender certaines situations. Puis son intensité, un humour trop lourd, trop artificiel voire disproportionné peut révéler un malaise face la situation rencontrée. Enfin, il est souhaitable de prendre en compte les formes de cet humour, car certaines d’entre elles comme la dérision, le sarcasme ou l’ironie peuvent s’avérer nocives tant pour l’auteur que pour son entourage.
Pour conclure sur le rôle que peut jouer l’humour dans la survie d’un individu, nous pouvons retenir les choses suivantes. D’abord les bienfaits de l’humour rayonnent aussi bien sur la santé psychique que physique. Ensuite, il agit directement sur l’appropriation d’une situation ou d’un évènement en y proposant dans un premier temps un autre sens, puis en créant un choix. Enfin, si l’humour a pour effet de soulager les individus se trouvant face à une situation désagréable ou subie (soit par manque de sens, soit par manque de choix), il peut le faire de deux manières :
Soit par un processus sain permettant l’acceptation puis le dépassement de la situation.
Soit par un processus toxique menant au déni, à la fuite ou à l’évitement.
Pour plus d’informations sur les bienfaits et méfaits de l’humour je vous invite à consulter des études comme « Etude exploratoire sur les usages de l’humour en milieu professionnel » (Durif Meunier 2019) ou d’autres méta-analyses du même type.
Arthur Durif Meunier
Sa fiche sur weppsy
Sources :
Bottega, C. (2008). L'humour est-il un outil de management ?. Humanisme et Entreprise, 288(3), 21-34. doi:10.3917/hume.288.0021.
Cyrulnik, B. (2001). Les Villains Petits Canards. Paris : Odile Jacob
Durif Meunier, A. (2019). Etude exploratoire sur les usages de l’humour en milieu professionnel. (Mémoire mention très bien, école de psychologues praticiens, Paris).
Freud, S., (1992). Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient. Paris: Gallimard
Fry, W. F. (1994). The biology of humor. Humor: International Journal of Humor Research, 7(2), 111-126. Repéré à : http://dx.doi.org/10.1515/humr.1994.7.2.111
Guibert, N., Paquerot, M., & Roques, O., (2002) L’humour en management : un essai de structuration du domaine, Congrès des IAE, Paris
Isen, A.M., Daubman, K.A., & Nowicki, G.P. (1987), Positive affect facilitates creative problem saving, Journal of personality and social psychology, vol.52, p.1122-1131
Jung, C.G., (1991) Les types psychologiques, 7ème édition, Genève : Georg Ed.
Lyttle, J. (2007). The judicious use and management of humor in the workplace. Business Horizons, 50 (3), 239-245. Repéré à: https://doi.org/10.1016/j.bushor.2006.11.001
Martin, R. A., Kuiper, N. A., Olinger, L. J., & Dance, K. A (1993). Humor, coping with stress, self-concept, and psychological well-being. Humor: international Journal of Humor Research, 6, 89-104.
Peterson, C., & Seligman, M. E. P. (2004). Character strengths and virtues: A handbook and classification. Oxford, England: Oxford University Press.
Rambaud, A. C. (2016). L’humour aux frontières de la vie et de la mort. (Mémoire mention très bien, École de psychologues praticiens, Paris) Repéré à : http://www.psycho-prat.fr/e/bibliotheque?w[bibliotheque_l][where]=#form_bibliotheque_l
par Aude Mouton, Psychologue Clinicienne
le 2020-10-13
Pourquoi ce tapage à propos de la bienveillance ? Pourquoi punir et donner la fessée jusqu’alors le « bon » choix est aujourd’hui si décrié ? Comment l’enfant peut-il apprendre et comprendre les limites sans punition ?
Avant 6 ans, le cortex préfrontal n’est pas suffisamment développé pour faire son travail : réguler les émotions de façon efficace.
Nous avons tous vécu ce grand moment de solitude face à notre enfant en complète tempête émotionnelle devant… son biscuit cassé. Notre cerveau d’adulte analyse la situation et ne comprend pas que la frustration de ne pas avoir son gâteau comme on le veut, la déception de voir la cassure, puisse provoquer un tel comportement. L’émotion peut apparaître chez l’adulte mais elle est vite « contrôlée » par le cerveau et produit un comportement « a minima » car l’émotion est intériorisée.
Nous avons tous tenté d’expliquer avec calme que « non, il n’y a plus de raisins » devant un enfant qui nous répond sans relâche que « oui, mais moi j’en veux un maintenant ! »
Le cortex préfrontal qui permet d’accueillir une émotion et de la soumettre au concept de la réalité (= prendre du recul) n’est pas encore fonctionnel. L’enfant n’est donc pas en mesure de comprendre que son désir doit être soumis à une réalité concrète.
Tout cela pour dire que l’enfant avant 5 ou 6 ans n’est pas à même de contrôler un grand nombre de ses vécus émotionnels et cela se perçoit par des comportements qui ne sont pas « acceptables » socialement. (Vous pouvez lire “Au coeur des emotions de l’enfant” de Filliozat)
Tout d’abord, marchent-elles vraiment ? Il faut bien souvent un grand nombre de répétitions de punitions pour que le comportement disparaisse. Une punition inclut toujours une notion de peur. On propose un déplaisir, une peur, à l’enfant face à un comportement. C’est alors une autre partie du cerveau qui est mise en route. Le « système de récompense », qui comprend les récompenses et les punitions, provoquent des productions hormonales qui vont amener le sujet à répéter ou éviter un comportement. C’est la base du training animal.
Donc à long terme, il est vrai que le comportement s’accentue ou s’arrête mais cet entraînement n’est pas un apprentissage à long terme. L’enfant a du mal à faire le lien entre la punition et « l’intérêt » de la punition. Et même les adultes… combien d’entre nous râlent lorsqu’ils reçoivent un PV ? Un excès de vitesse est un danger pour tous… mais le PV reste une punition inacceptable et désagréable, qui change peu nos comportements sur la route. Les études montrent d’ailleurs un meilleur changement chez le conducteur après un stage qui explique les dangers plutôt qu’après une amende.
Les comportement qu’un parent veut faire cesser ou provoquer chez son enfant comporte généralement une notion d’acceptation sociale.
Si on réfléchit vraiment à la règle que l’on veut mettre en place, on devrait y trouver une logique, une rationalisation sociale, un intérêt dans le développement de l’enfant.Dans ce cas, il est toujours possible de trouver une solution intelligente de répondre à la situation.
L’obéissance est à différencier de la soumission. Dans une relation de confiance, l’enfant sera plus enclin à faire confiance à la personne qui le sécurise.
L’enfant qui a un comportement dangereux (mord, traverse la route, ne s’attache pas en voiture ..) n’est souvent pas en recherche de provocation. Cette compétence arrive plus tard (après 6/7 ans). Il est peut-être dans la recherche des limites, c’est-à-dire comprendre la différence bien/mal, acceptable/inacceptable, etc. mais il est surtout, le plus souvent, dans une recherche de relation, de rapproché à l’autre.
Ouvrir le dialogue, expliquer, rendre possible l’expression du sentiment est toujours une bonne idée. Un enfant est très rapidement dans le conflit quand il est en désarroi avec ses propres émotions. Un enfant va aussi chercher à « prendre le contrôle » pour se sentir puissant et fort.
Un enfant a très vite une sensation de frustration car il vit dans un monde de plaisirs et il n’est pas capable de se rendre compte de l’importance des demandes de la réalité.Tout ceci ne sont pas des excuses pour le laisser faire ! Tout ceci sont des connaissances essentielles pour lui verbaliser et l’amener à développer ces compétences.
Oui. Absolument vrai.
La parentalité bienveillante n’est pas l’absence de limite : la parentalité bienveillante est la tentative de poser des limites de façon respectueuse de l’enfant, de son développement et de son intégrité.
Les violences ordinaires sont nombreuses :
Demander à un enfant un contrôle émotionnel que son cerveau n’est pas capable de produire
Demander à un enfant une absence d’émotion ou une variation émotionnelle
Ne pas proposer de dialogue ou d’empathie
Les atteintes physiques (la fessée, la tape sur la main)
Les atteintes verbales, c’est-à-dire les insultes, le dénigrement, les menaces
Mais aussi :
Laisser tout faire à l’enfant, lui donner le choix sur tout
Ne pas avoir d’exigence et le laisser seul assumer ses comportements
Le laisser dominer l’autre, qu’il soit un autre enfant ou un autre adulte.
Ceci aussi sont des violences ordinaires car l’enfant rentre dans une toute puissance très anxiogène dont il est très dur de sortir.
Pour se sentir en sécurité l’enfant a besoin de sentir que son parent est stable, sûr de lui, qu’il est un guide fiable. Les adultes ont une supériorité intellectuelle, développementale, physique, d’expérience. Ils doivent absolument imposer un cadre de vie à l’enfant dans lequel celui-ci peut se développer en sécurité. Ce cadre est l’ensemble des règles de la société, de la famille que l’enfant doit apprendre à suivre pour être un membre actif de la communauté dans laquelle il vit. On peut choisir de l’aider à se développer par contrainte ou par coopération.
Vos buts à long terme
La première étape me semble être de réfléchir au long terme. Comment voulez-vous que vos enfants soient dans 20 ans ? En se projetant dans le futur, on trouve les réponses à nos demandes éducatives. Se tenir correctement à table est une demande classique, qui change d’un pays à l’autre mais qui reste une aptitude importante à apprendre. Si on imagine nos enfants dans le futur, on peut alors leur expliquer que manger correctement est une marque de respect de l’autre, c’est une compétence qui nous permet d’appartenir à un groupe, de respecter l’espace autour de nous et ceux qui nettoient après nous…
Éduquer par l’exemple.
Si vous voulez des enfants empathiques, soyez empathique envers eux. Si vous voulez des enfants attentifs, soyez attentifs à eux. Si vous voulez des enfants authentiques, soyez authentiques… Nos enfants se crient dessus, disent des gros mots et tapent parce qu’ils imitent ce qu’ils voient.
Un enfant imite jusqu’à tard dans son développement, et vous êtes sa principale source d’inspiration !
Comment un enfant peut-il comprendre qu’il est mal de taper… en se faisant taper ? C’est une ambivalence que le cerveau ne peut pas accepter. Et si les mots le disent, l’expérience physique reste la même : je suis dominé par la douleur physique, je dominerai par la douleur physique.
La punition
J’aimerais vous proposer ici de tenter la “coopération” à la place de la punition. Votre famille est une équipe, une communauté et suivre le chef du groupe est important pour que l’ensemble de la communauté fonctionne.
Expliquez vos besoins: "J’ai besoin que tu ailles te mettre en pyjamas pour avoir le temps de faire le dîner”. “J’ai besoin que tu ailles te laver les mains pour que nous profitions tous d’une maison propre”.
Proposez-lui de participer à la conversation éducative. Même très jeune vos enfants vous surprendront par leur capacité à analyser ce qu’ils vivent. Vous pouvez ainsi faire la liste de ses responsabilités dans le groupe (toujours en accord avec son âge)
Choisissez un sujet qui vous importe dans vos valeurs familiales et tentez de faire comprendre à vos enfants son importance. Ayez une discussion à propos de pourquoi on le fait, les conséquences de suivre ce principe et de ne pas suivre ce principe, comment le gérer en famille, qui est une petite communauté. Tentez le partenariat sur un sujet et voyez les effets rapides !
Enfin, vous pouvez rappeler à votre enfant qu’il a encore le choix devant vos ordres: il peut coopérer s’il se sent capable, ou exprimer son vécu. Un enfant a parfois un sentiment qui le bloque: il n’a pas fini son jeu et il voudrait quelques minutes supplémentaires, il ne se sent pas capable de faire la tâche demandée, il a besoin d’aide ou de soutien… en lui rappelant qu’il peut soit obéir, soit exprimer les raisons de sa “désobéissance”, vous continuez de construire une relation de confiance et non de soumission, vous créez un environnement de cohésion.
Pour mieux comprendre, je recommande les livres de Guéguen et Filliozat pour découvrir des outils techniques, ainsi que les livres de Faber & Mazlish. Enfin, parler de vos expériences pendant des ateliers ou groupes de paroles peut également être très efficaces.
Aude Mouton
par Charlotte Papeians, Psychologue Clinicienne
le 2020-09-29
Ces dernières années, nombreux sont les parents qui se questionnent sur un éventuel TDA/H (Trouble De l’Attention avec ou sans Hyperactivité) chez leur progéniture et ce même avant l’entrée en CP. Ils s’inquiètent souvent au sujet des motifs suivants : « je dois répéter plusieurs fois avant que mon enfant réalise ce que je lui demande » ; « c’est une pile électrique » ; « il bouge tout le temps » ; « il fait des crises de colère » ; « il ne tient pas en place en classe » ; « il n’écoute pas », etc.
Ces réactions et ces comportements doivent-ils alerter quant à un éventuel trouble de l’attention et ce, même chez des enfants scolarisés en classe de maternelle ? Ou cela fait-il partie de leur immaturité cérébrale et de leurs fonctions exécutives qui ne sont pas totalement développées ? En effet, ces dernières sont l’ensemble des fonctions cognitives impliquées dans la régulation intentionnelle de nos pensées et dans la réalisation de nos comportements en fonction des buts que nous nous sommes fixés (dont mémoire de travail, planification, inhibition, flexibilité). Elles se construisent au fil du temps et ce, dès la première année de la vie et particulièrement entre l’âge de 3-5 ans.
De fait, il apparaît difficile de se prononcer sur un éventuel TDA/H avant l’âge de 6-7 ans.Mais, des signes d’appel sont à prendre en compte afin de mettre en place un accompagnement adapté le plus précocement possible même si le diagnostic n’est pas posé d’emblée. Nous partons alors du postulat que plus une prise en charge de l’enfant et de l’entourage est précoce, meilleure sera l’inscription de l’enfant au sein de sa famille, de son école et avec ses pairs (cf. projet INEMO, www.inemo.be).
Or, l’inhibition est « la capacité à centrer son attention, à gérer ses émotions et son comportement. Elle permet d’éviter d’avoir des comportements impulsifs. C’est l’inhibition qui nous aide à centrer son attention afin d’accomplir la tâche demandée sans se laisser distraire par les stimuli de son environnement, comme le bruit » (Rafiqi, 2017).
L’inhibition renvoie donc au contrôle intentionnel des pensées, des comportements et des impulsions.
Quelques exemples d’un déficit d’inhibition chez les enfants : au cours du jeu Jacques a dit, l’enfant n’arrive pas à inhiber son action à accomplir quand la demande n’est pas précédée de « Jacques a dit… ». En classe, c’est l’enfant qui est incapable de ne pas se retourner quand un camarade parle et à demeurer attentif aux explications de son enseignant. Lors de rédaction, c’est quand l’enfant est souvent hors sujet car il n’inhibe pas ses idées non pertinentes et non en accord avec ce qui lui est demandé au préalable.
Or, « la flexibilité́ nous permet de faire des changements rapidement entre deux tâches et nous aide à tolérer les changements imprévus » (Caron, 2011; Chevalier et Blaye, 2006; Gagné et al., 2009). Cette composante nous permet de prendre conscience de nos erreurs et d’y remédier en modifiant nos stratégies cognitives. Elle nous permet également d’être plus créatif afin de fournir plusieurs idées différentes pour une même situation.
Nous pouvons retrouver cette fonction dans de nombreuses situations : par exemple, deux enfants jouent au gendarme et au voleur. L’un des enfants commence par le voleur puis change de rôle. Ou, un enfant construit une tour avec des blocs et si celle-ci s’effondre, il doit recourir à une autre stratégie afin de reconstruire la tour. Dans les relations avec les autres, nous pouvons la retrouver au cours de conflits lorsqu’il s’agit de faire des compromis, par exemple lors de choix de jeux. Ou, lors de situation d’apprentissage comme les calculs où il faut passer d’une opération à une autre sans confusion.
Or, l’intelligence émotionnelle correspond à la capacité à identifier ce qu’on éprouve, à savoir mettre des mots dessus, en comprendre l’origine, en reconnaître le déclencheur immédiat et les causes plus cachées. C’est également la capacité à identifier et à comprendre les émotions des autres mais aussi à pouvoir gérer de manière efficace ses propres émotions et ses relations interpersonnelles.
De fait, elle est constituée de 5 composantes :
La conscience de soi : il s’agit notamment de la compréhension de ses émotions, de la capacité à s’autoévaluer et de la confiance en soi. Cette composante se développe au fil des années et dépend de ses capacités intrapersonnelles.
La maîtrise de soi : il s’agit de la gestion de ses émotions et de ses impulsions, de la conscience et de l’adaptabilité à une situation. Nous voyons bien ici que du fait de leur faible inhibition et de leur flexibilité limitée, le contrôle de soi apparaît hasardeux et ce, même après l’entrée en CP où il leur est demandé plus de maîtrise.
La motivation interne
L’empathie : c’est la capacité à détecter et à interpréter correctement les émotions d’autrui et de comprendre les autres. Il s’agit alors de prendre le temps de décoder les signes faciaux, comportementaux et verbaux chez les autres afin d’apporter la réponse adéquate. Mais, du fait d’un manque d’attention visuelle notamment, ces enfants ne « voient » pas les signes que leurs interlocuteurs peuvent leur donner.
Les compétences sociales.
Un manque d’intelligence émotionnelle peut ainsi entraver la qualité des interactions sociales (5e composante) qui constitue un autre signe d’appel. Il s’agit notamment d’une difficulté à s’adapter à l’autre du fait d’une mauvaise analyse, d’une non-application des codes sociaux (regarder l’autre, s’intéresser à l’autre, faire des compromis, etc.). Dans ce cas-là, l’enfant peut avoir du mal à nouer des relations avec les autres enfants, il a du mal avec les règles du jeu, à faire des compromis, à contrôler son comportement. Il peut avoir une mauvaise analyse des situations sociales et souvent, a un biais d’attribution associé (projette sur autrui ce qu’il imagine que l’autre pourrait penser).
Bien que d’autres réactions et comportements peuvent alerter les parents, les signes que nous avons décrits constituent les plus prégnants et répandus. Les autres signes d’appel peuvent être par exemple : absence de persévération et/ou d’effort cognitif à savoir que l’enfant a du mal à aller au bout de ce qu’il entreprend notamment quand il est face à la difficulté, problème d’attention soutenue, difficulté d’organisation, lenteur dans la réalisation des choses notamment au niveau de l’initiation, etc.
Face à ces différents signes, un accompagnement notamment psychologique et/ou psychomoteur associé ou non à une guidance parentale peut être proposé dans le but d’agir de manière préventive. Il s’agit notamment de stimuler de manière ludique les capacités d’inhibition des jeunes enfants, de leur apprendre à gérer leurs émotions et de les aider à comprendre et à appliquer les codes sociaux notamment dans les situations de conflit. Des trucs et astuces peuvent également être fourni aux parents et aux enseignants afin que l’enfant soit aidé dans tous ses milieux de vie, ce qui amène de meilleurs résultats.
Mon enfant s’oppose. Que dire ? Que faire ? du Dr Gisèle George
Cent idées pour mieux gérer les troubles de l’attention de Francine Lussier
TDA/H La boîte à outils d’Ariane Hébert
Ces parents à bout de souffle. Un guide de survie à l’intention des parents qui ont un enfant hyperactif de Suzanne Lavigueur
L’enfant hyperactif de Marie-France Le Heuzey
Réponses à vos questions sur l’hyperactivité. Reconnaître l’hyperactivité et aider l’enfant à la surmonter de Michel Lecendreux, Eric Konofal et Monique Touzin
Comment aider mon enfant hyperactif ? de Marie-Claude Saiag, Stéphanie Bioulac et Manuel Bouvard
Mon cerveau a besoin de lunettes, Québecor, 2010, rédigé par le Dr Annick Vincent
Le cousin hyperactif de Jean Gervais
Edgar-la-bagarre de Roger Poupart
Max est dans la lune de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch
par Bénédicte Cart, Psychologue clinicienne
le 2020-09-22
Voici un sujet qui revient régulièrement à différentes périodes de l’année: celui de la déprime, du burn-out, de la dépression ou encore la fatigue et l’irritabilité chez les enfants.
La dernière semaine de classe est souvent synonyme d'hyper-vigilance, de chutes en tout genre, de conflits, de pleurs et de maladies. Mais pourquoi 5, 6 ou 7 semaines d'école viennent mettre à mal les enfants et qu'est-ce que cache ce mal-être ?
Intéressons-nous tout d'abord aux différents noms que porte cet épuisement : il y a bien sur le « burn-out », mot tendance qui peut faire moins peur que la dépression. Et puis, la dépression, une psychopathologie connue et bien définie chez l'adulte mais plus opaque chez l'enfant. Elle est liée à une grande tristesse, un manque d'envie pour les activités, des idées noires et parfois des idées suicidaires. Elle peut être réactionnelle à un événement (comme un deuil, une perte…) ou chronique. Quant au burn-out, il est apparenté à la question professionnelle : il s’agit de l'adulte en souffrance au travail. Mais depuis quelques années, on entend ce terme dans le milieu de la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent. Après avoir lu plusieurs articles sur le sujet et avoir rencontré des élèves en « décrochage scolaire » ainsi que des enseignants impuissants face à ce genre de situations, je me demandais : S’agirait-il d’une nouvelle forme de souffrance plus profonde et complexe que le simple désintérêt pour l'école? Nos enfants sont-ils tous au bord de la dépression ?
La dépression est une maladie référencée dans le DSM (manuel de référence dans le champ médical des maladies mentales), il s’agit d’un trouble thymique (en rapport avec l’humeur). Une dépression peut avoir plusieurs causes, plusieurs manifestations. Elle peut être réactionnelle ou durable (on parle alors de dépression atypique ou de bipolarité si la personne présente également des épisodes de manie). La thérapie est souvent double, c’est-à-dire chimiothérapeutique et psycho-thérapeutique, permettant une stabilisation de l’humeur et un travail axé sur la compréhension et l’acceptation de la maladie au quotidien.
Concrètement, l'enfant déprimé est peu concentré à l'école et fatigué, il a du mal à se lever le matin. Il est d'humeur triste ou colérique, parfois même agressif. Il se referme sur lui-même, généralise un malheur à toute sa vie et ne voit pas de solution pour s'en sortir ou que ça aille mieux.
Chez l’enfant, la dépression est difficile à diagnostiquer. En effet, le peu de corrélation au niveau de la symptomatologie de la dépression chez l’adulte et l’appréciation nécessairement subjective de l’humeur font que l’enfant sera toujours le meilleur observateur de son propre ressenti. S’il est le meilleur observateur, il pose bien moins aisément des mots dessus.
En effet, même quand la symptomatologie se rapproche de celle de l’adulte, la plainte dépressive est rare, remplacée par de l’hostilité (à l’adolescence) ou le ralentissement psychomoteur qui peut se transformer en une sagesse excessive et une forte culpabilité.
En général, elle s'installe lentement ou à la suite d'un événement vécu comme violent ou traumatique (décès, viol, racket…). La forme la plus répandue est celle qui évolue lentement, difficile à repérer car l'agressivité et le comportement agité sont au premier plan et cachent la tristesse et la douleur. Non traitée, elle peut disparaître spontanément après quelques mois avec des symptômes perdurant 1 ou 2 ans.
Un enfant souffrant de dépression, même si celle-ci n'est pas diagnostiquée ou réellement visible par l'entourage, est un enfant en construction. Sa personnalité va donc utiliser le mode dépressif pour se solidifier. Comme une maison, nous choisissons du bois, des briques… la personnalité opte pour un mode. Cela signifie que l'enfant déprimé qui grandit va plutôt générer des symptômes dépressifs en réaction aux événements de vie auxquels il est confronté tout au long de sa vie.
Voici une question bien délicate à aborder, quand son enfant rentrant de l'école nous dit « Je suis nul, je veux mourir ». Luis Vera explique qu'il faut aborder ce sujet pour manifester à son enfant son inquiétude à son sujet et sa compréhension de son mal-être.
Avant tout chose, en tant que parent, discuter de ses idées, pensées et émotions autour de la mort est nécessaire.
En discuter ne rendra pas concret l'acte, mais permettra bien le partage du fardeau avec l'enfant. Évoquer les idées suicidaires n’en a jamais créé chez des enfants qui n’en avaient pas.Cet échange n'a pas pour but de minimiser le discours de l'enfant ou de lui montrer tout ce qui va bien, seulement de l'écouter et d'évaluer le niveau de risque suicidaire. Tout d'abord, un enfant qui a des idées noires, « Je suis trop nul, personne ne m'aime », n'a pas forcément d'idées suicidaires, mais indique un déficit d'estime de soi. Par la suite, si l'enfant commence à dire « Je vais me tuer », « Je vais me jeter par la fenêtre », alors on parle d'idées suicidaires. Il y pense, mais de manière générale car les choses semblent trop difficiles. Il s'agit de la seule solution à tous ses malheurs. En effet, l’enfant a plus de mal à se projeter dans le futur et imaginer que les choses vont s’améliorer, il vit enraciné dans le présent. Dans ce cas-là, l'adulte peut lui proposer de consulter un psychothérapeute tout en lui faisant comprendre qu'il a entendu sa plainte. On peut aussi l’amener à chercher d'autres solutions. Et le dernier niveau qui doit absolument alerter le parent est le scénario suicidaire. Dans ce cas, l'enfant décrit comment et éventuellement quand il va passer à l'acte, souvent à des proches, des amis, sur les réseaux sociaux... A cet instant, il est important de proposer à l'enfant une consultation médicale, se rapprocher du personnel médical de l'établissement fréquenté, ou encore emmener l’enfant aux urgences pédo-psychiatriques les plus proches. En effet, l’enfant a moins la notion de la permanence de la mort que l’adulte, et peut donc passer à l’acte de façon impulsive, sans avoir réellement en tête les conséquences.
Après ces échanges, l'enfant ne se sent plus seul dans sa détresse et peut s'apaiser. Il s'agit d'un moyen d'attirer l'attention sur ses angoisses et l'enfant doit trouver une oreille pour expliquer ses peurs. Ainsi l'adulte peut rassurer et proposer à son enfant une prise en charge par des professionnels. Cela permet de diminuer le sentiment de culpabilité et d'anormalité que l'enfant ressent.
La dépression est une pathologie qui nécessite des prises en charge médicale et thérapeutique comme chez l'adulte mais le manque de connaissance et d'informations sur celle chez l'enfant a laissé la place à un autre trouble : le burn-out. Un enfant peut-il être atteint de burn-out ? Et comment se manifeste-t-il ?
Commençons par une définition simple du burn-out : il s’agit d’un épisode dépressif en réaction à un épuisement professionnel, ou scolaire dans le cas des enfants. Chez l'enfant, le burn-out est une forme de fatigue ou d’épuisement physique et psychologique. Pour être plus clair, il s’agit d’une réaction à un stress intense et prolongé. Ils sollicitent leurs ressources, de plus en plus, jusqu’à l’épuisement, et c’est là que nous parlons de burn-out. Ce sont des enfants exténués, qui ont souvent des problèmes de sommeil ou même d'alimentation, et peuvent présenter une irritabilité et des rapports conflictuels avec les adultes.
Une étude réalisée par Sandra Zakari et Hossaïn Bendahman a montré que le stress ou les pressions en rapport à la scolarité, les attitudes parentales, l’entourage social, les relations avec les enseignants, la relation à la fratrie, le parcours scolaire lui-même, les projets d’orientation et les activités extrascolaires sont relatives au mal-être ou à l’épuisement, le plus souvent visible à l'école, et on parle alors d'épuisement scolaire.
L’épuisement chez les enfants est donc une réalité qui prend de l’ampleur. Il s’agirait d’une sur-stimulation du cerveau, créée par l’environnement où l’enfant lui-même, qui va user peu à peu ses ressources. Le cerveau, ayant une fonctionnement comme le corps, a besoin d’un entraînement progressif. Si celui-ci ne fait l'expérience que de stress, projections futures et interprétations de ses résultats scolaires, il aura beaucoup de difficultés à envisager le futur de façon positive. De plus, si les personnes de son entourage sont elles-mêmes sous pression, angoissées ou déprimées, alors son fonctionnement en miroir va utiliser les mêmes mécanismes, qui deviendront des automatismes de pensées jusqu'à l'épuisement. C’est également pour cela que les parents doivent être vigilants par rapport à leur propre humeur, et prendre soin d’eux-mêmes.
Il ne faut pas oublier le caractère épisodique du burn-out, ou de la dépression qui à l’échelle d’un enfant nécessite un rééquilibrage de son temps, de ses activités, et de son rythme.
La première solution fait appel au bon sens. Quand on est épuisé nerveusement, il faut faire une pause. Pour un enfant, les vacances sont idéales. Cela permet d'aller chez les grands-parents ou de rester en famille, de faire des activités calmes et sans pression ou enjeu de réussite. Il peut fréquenter un centre de loisir, ou partir en colonie. L'idée est de casser son rythme habituellement et renouer avec un environnement plus calme et moins stressant.
Deuxièmement, la famille, ou son entourage, peut prendre du recul sur la vie, les attentes et la pression que subit l'enfant en souffrance et lui permettre de faire des expériences positives et bienveillantes en l’encourageant à s'ennuyer, se reposer tranquillement. Il faut parfois lâcher prise pour que l’enfant retrouve sa joie de vivre et un équilibre plus stable.
Sources :
- Pour aider votre enfant à retrouver le sourire – Luis Vera- Odile Jacob, 2008
par Sophie du Bouëtiez, Psychologue clinicienne
le 2020-09-15
Aujourd’hui dans les cabinets de psychologie, on observe une explosion des consultations autour du Haut Potentiel Intellectuel (HPI). Que ce soient des parents inquiets du comportement de leur enfant ou des adultes en recherche d’une explication quant à leurs difficultés, le HPI apparaît de plus en plus comme l’hypothèse principale à explorer pour mettre du sens sur des troubles scolaires/professionnels, relationnels, émotionnels...
Si la terminologie varie depuis quelques décennies (surdoué, précoce, HPI, EIP...), le concept du HPI renvoie aujourd’hui à une série de caractéristiques communément admises dans la littérature scientifique : un fonctionnement cérébral singulier caractérisé par une activité très intense et des connexions plus importantes que la moyenne (et ce tant entre les deux hémisphères qu’au sein d’un même hémisphère cérébral). En découlent de puissantes capacités de raisonnement, de mémoire, de langage et de compréhension, mais aussi une aptitude remarquable à associer, conceptualiser et organiser ses idées.
Au quotidien, chez l’enfant comme chez l’adulte, le HPI se manifeste alors par une pensée rapide et foisonnante, une grande créativité et sensibilité, une forte lucidité dans le rapport aux autres et au monde, ou encore une curiosité insatiable.
On considère qu’un peu plus de 2% de la population est concernée par le HPI : ce chiffre est stable dans le temps, les tests psychométriques étant régulièrement réétalonnés pour tenir compte de l’effet Flynn (augmentation des capacités intellectuelles des individus au fil des générations). Ce taux ne varie pas non plus en fonction du milieu socioculturel : le HPI concerne des personnes de tout âge, de tout milieu social, de toute profession...
Aujourd’hui le HPI est un mode de pensée de plus en plus reconnu, tant chez les professionnels que chez le grand public. Mais dans la pratique psychothérapeutique, on peut être surpris par les représentations anxiogènes véhiculées autour de ce sujet.
Beaucoup de patients identifiés HPI viennent ainsi consulter, pétris d’angoisses : inquiétude d’être différents, de ne jamais trouver leur place, d’être « condamnés » à l’anxiété ou à la dépression...On observe également une tendance chez les patients HPI à envisager leur fonctionnement intellectuel comme la « cause unique » de leurs difficultés. Certainement parce que c’est ce qu’ils ont lu ou entendu.
Or, aujourd’hui, certaines études tendent à montrer qu’il existe la même proportion d’individus épanouis dans la population tout-venant que chez les personnes présentant un HPI. Le mythe du « surdoué qui va mal » est principalement porté par un biais de représentativité énorme : les patients que nous recevons en consultation sont par définition ceux qui sont en souffrance. En consultation, nos patients HPI sont donc souvent anxieux ou déprimés. Mais parmi la population HPI non-consultante, beaucoup se portent bien et même très bien !
Cela signifie-t-il que le HPI n’a aucune incidence sur la vie émotionnelle et relationnelle ? Non, bien sûr. On peut considérer que ce mode de pensée favorise notamment une plus grande réactivité émotionnelle et une forte recherche de sens. S’en suivent une grande empathie, un besoin permanent de comprendre les règles et les attentes extérieures, un souci aigu de l’équité et de la justice... D’autre part du fait de sa rareté (seuls 2% de la population sont concernés), le HPI peut avoir une répercussion relationnelle puisqu’il induit un sentiment de décalage social : l’impression de ne pas raisonner comme ses pairs, de ne pas se reconnaître dans leurs centres d’intérêts, de ne pas être compris dans ses émotions et ses réactions.
Mais ces particularités ne sont pas systématiquement synonymes de souffrance. L’empathie peut par exemple favoriser la qualité des relations humaines ! La quête de sens et d’équité peut constituer un système de valeurs qui va guider l’individu vers des choix personnels et professionnels particulièrement épanouissants, ou encore le sentiment de décalage peut amener à mobiliser des capacités imaginatives et créatives pour transmettre des idées novatrices ou atypiques à travers l’art par exemple.
En fait, le HPI peut être vécu durablement dans la souffrance lorsqu’il vient cohabiter avec des difficultés d’ordre psycho-affectif préexistantes (tels qu’un manque de confiance en soi, une carence affective, des difficultés de gestion émotionnelle...). Il agit alors comme un accélérateur de particules qui amplifie les affects douloureux. Chez un adulte qui peine à trouver sa place avec autrui par exemple, le sentiment de différence induit par le HPI renforce la difficulté relationnelle initiale et devient synonyme de solitude. De la même manière, ce fonctionnement intellectuel, caractérisé par l’hypersensibilité, peut accroître l’intensité des affects douloureux à l’œuvre dans les troubles anxieux ou les troubles de l’humeur. Ainsi, le HPI peut accentuer la souffrance de patients en difficulté, mais ne semble pas en constituer la cause unique.
Cette distinction est primordiale, car elle porte avec elle un remaniement des enjeux psychothérapeutiques. Le risque de considérer avec le patient que ses difficultés sont générées uniquement par son HPI, dans un lien direct de cause à effet, c’est de l’enfermer dans une représentation tronquée de sa souffrance, en délaissant les aspects psychoaffectifs pourtant centraux (qualité de l’image de soi, des relations sociales et affectives, de la gestion émotionnelle...).Chez des patients évitants ou avec une image de soi fragilisée, on risque en outre de renforcer des mécanismes de défense puissants (déni, intellectualisation), délétères pour le travail thérapeutique. Enfin, le HPI étant une particularité cérébrale stable (on l’est ou on ne l’est pas, cela ne change pas au cours de la vie), considérer cela comme une cause de souffrance induit une notion de fatalité très angoissante pour le patient (« Toute ma vie je serai en souffrance, en décalage et incompris ! »).
Avec les patients HPI, l’accompagnement psychothérapeutique peut alors consister à les aider à s’approprier leur mode de fonctionnement pour en faire une force. Il ne s’agit pas de nier les particularités de leur pensée et les répercussions émotionnelles et sociales qui en découlent. Mais plutôt d’identifier leur système de valeurs et leurs besoins pour s’épanouir pleinement, en s’appuyant sur la puissance, l’originalité de leur pensée et leur grande sensibilité.
Faire de ce mode de pensée atypique une ressource pour tisser des liens d’une grande richesse avec autrui et s’engager dans des projets de vie porteurs de sens.Les amener à relire leur parcours à la lumière de ce HPI, accepter et reconnaître les difficultés qui ont pu en découler, mais aussi observer toutes les ressources qui pourront en émerger. On choisit ainsi de focaliser sur les problématiques d’ordre psycho-affectif, en s’appuyant sur le HPI comme sur un outil formidable pour étayer le mieux-être et la résilience.
Une intelligence élevée peut constituer un facteur de protection pour faire face aux épreuves de la vie : meilleure capacité d’analyse et de remise en question, meilleures capacités d’élaboration émotionnelle (mise en mots, identification des déclencheurs et des besoins...). Ainsi, chez mes patients présentant un HPI, je suis souvent stupéfaite par leur créativité pour rebondir et faire preuve de résilience face aux souffrances. L’accompagnement psychothérapeutique des patients ayant un HPI est alors souvent passionnant, car on trouve chez ces patients des qualités émotionnelles, humaines et intellectuelles qui permettent d’avancer à pas de géant, dans la créativité, le plaisir et l’audace.
Sophie du Bouëtiez
Sources :
Gauvrit, N., & Ramus. F. (2017). La légende noire des surdoués. Consulté à l’adresse https://www.researchgate.net/publication/314096481_La_legende_noire_des_surdoues
par Dr Elise Neff, psychiatre CUMP. Interview réalisée par Hermine Béthune
le 2020-07-29
Aujourd’hui le Dr Elise Neff, psychiatre permanente de la Cellule d’Urgence Médico Psychologique (CUMP) de Paris nous partage son éclairage sur les interventions dites d’urgence. Cet interview est en lien avec l’article sur le psychotrauma publié sur weppsy permettant d'appréhender ce qu’est un psychotrauma et l’intérêt d’anticiper l’enkystement des manifestations traumatiques.
Qu’est-ce que l’intervention au temps 0 ?
Comment s’organise ce dispositif sanitaire ?
Que s’est-il passé pendant le confinement ?
Comment peut-on devenir volontaire et s’engager auprès de la CUMP ?
Voici les questions auxquelles le Dr Neff répond dans cette courte interview menée par la psychologue clinicienne Hermine Béthune.
par Marie Rengade, Psychologue clincienne
le 2020-07-22
Dans l’art-thérapie on considère que la créativité est le moteur de toute chose et notamment du changement. L’écriture même de cet article est un acte créatif qui peut laisser place aux mêmes fantasmes et peurs qu’à un patient devant une toile, un étudiant devant un projet de mémoire ou encore un entrepreneur avant une conférence. La peur de mal faire touche nombre d’entre nous. Pour autant, c’est dans le faire que l’on se rencontre. Dans cet article, je vais vous présenter l’art-thérapie qui est un moyen de se découvrir ou de se laisser découvrir par d’autres modes d’expression que le face à face classique entre deux personnes au sein d’un suivi.
En effet, l’art-thérapie intègre un tiers dans la prise en charge, une médiation artistique. La création déclenche un processus de transformation de la personne. A vrai dire, nous sommes tous nés d’un acte créateur. Et par la création, c’est-à-dire l’utilisation de toutes nos palettes internes (émotions, doutes, peurs, angoisses, fantasmes, besoins…), notre univers psychique et biologique, nous pouvons sortir quelque chose de nous-mêmes. Pour le psychiatre Jean-Pierre Klein, l’art-thérapie est un « accompagnement thérapeutique de personnes mises en position de création de telle sorte que leur parcours d’œuvre en œuvre fasse processus de transformation d’elle-même ». C’est un moyen de se connecter à la vie qui bouillonne en nous. L’art-thérapie ne demande pas à ceux qui la pratique d’être des De Vinci, des Van Gogh ou des Picasso, il n’y pas de notion de beau ou de laid. Elle est donc accessible à tous.
Cette approche permet de remettre la pensée en mouvement pour stimuler la verbalisation qui, elle-même, doit amener à l’action et au changement.
L’art a toujours été utilisé à des fins curatives pour le corps et l’esprit. Néanmoins, l’utilisation de l’art comme thérapie construite est relativement récente. A la fin du XIXe siècle, des psychiatres proposent à leurs patients de s’exprimer par des dessins ou des peintures pour pouvoir analyser par la suite leurs productions. Par ailleurs, au sein des institutions (psychiatrique, scolaire ou communautaire) des artistes, dont certains appartenant au courant de l’art brut, y travaillaient. L’art brut est souvent considéré comme étant le terreau de l’art-thérapie bien que ce soit une pratique tout autre. L’art brut est un courant artistique développé au XXe siècle par le sculpteur et peintre Jean Dubuffet. Ce dernier s’intéressait tout particulièrement aux œuvres de patients qu’il trouvait uniques, n’étant pas des créations d’artistes professionnels. Comme Dubuffet voyait dans ces œuvres une beauté naïve et spontanée, il décida de les exposer au grand public pour faire connaître cette nouvelle forme d’art. D’autres professionnels de l’art ont ensuite adhéré à cette vision. Ces artistes ont constaté les effets bénéfiques de la pratique artistique chez les personnes souffrant de troubles psychiques, physiques ou mentaux.
L’art-thérapie a également été investie par la psychanalyse avec Jung qui considérait que seule la personne elle-même a le pouvoir de se guérir et que l’activité artistique permet de mettre la personne en mouvement.Il y a une grande variété d’approches en art-thérapie (humaniste, systémique, psychodynamique, behavioriste…), néanmoins elles se rejoignent sur l’aspect thérapeutique du processus de création.
Aujourd’hui, le métier d’« art-thérapeute » est un titre reconnu par l’état.
L’art thérapie est indiquée pour des personnes présentant des fragilités psychiques ou en demande de développement personnel. Elle peut être pratiquée auprès d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de personnes âgées.
Par ailleurs, cette médiation est utilisée au sein d’institutions diverses comme des EHPAD, des entreprises, des prisons, des hôpitaux et peut s’adapter au public accompagné. Le public peut présenter une maladie neurodégénérative liée à l’âge (Alzheimer, parkinson), un handicap psychique ou mental (Autisme, trisomie, trouble dys), une maladie mentale (schizophrénie, anorexie etc.) ou encore des difficultés psychiques passagères ou cycliques de plus ou moins longue durée et intensité (deuil, dépression, bipolarité…). Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de présenter un « trouble » pour pratiquer l’art-thérapie. C’est également un moyen de mieux se connaître et de s’exprimer par d’autres voies.
Les médiations artistiques sont nombreuses et utilisent l’ensemble de notre corps. Cela peut être de l’expression vocale (chant, théâtre, slam, conte…), de l’expression corporelle (danse, yoga, clown…), des ateliers plastiques (dessin, peinture, collage), la photographie, les vidéos, l’écriture ou encore le travail d’une matière comme l’argile. Le patient se rencontre dans l’interaction avec la médiation artistique. Il y a un apprivoisement, la personne investit son œuvre et y dépose des émotions, des angoisses, des aspirations qui lui appartiennent. Il n’est plus question d’un « je » direct mais d’un « il » qui parle de soi.
Pour l’art-thérapeute Sylvain Bridet-Lamoureux, qui travaille dans un centre de santé mentale à Madagascar, l’art-thérapie ouvre les portes et les fenêtres de l’individu. Cela laisse entrer la lumière, les parfums et les couleurs.
C’est une ouverture vers l’intérieur (vers soi) et vers l’extérieur (l’Autre).Par les activités proposées dans le centre (Yoga, slam, peinture, danse, expression corporelle…), les intervenants autorisent les patients à être. Les rapports entre thérapeute et patients sont horizontaux. Le terme même de « patient » est questionné et sera remplacé par celui « d’ami ». Le matin, avant de commencer les activités, il y a un temps de parole qui s’appuie sur une œuvre artistique présentée à tous. Pour exemple, le tableau « Le Baiser » de Klimt pourra être projeté à l’écran pour que les amis puissent investir le sujet des relations entre hommes et femmes, de la sexualité et s’autoriser à parler de cela. L’œuvre devient un tremplin à la verbalisation.
Lorsque je travaillais dans ce centre, j’ai pu accompagner une adolescente en rupture avec sa famille. Elle avait fait plusieurs tentatives de suicide et lors de nos entretiens elle était très défensive, ce qui ne lui permettait pas d’être authentique avec elle-même et avec moi. Cependant, lors d’un atelier de slam, elle a pu sortir quelque chose de congruent, un texte fort sur ses ressentis, sur son parcours. C’étaient des éléments qu’elle n’avait pas pu amener en entretien. Elle a tenu à me faire écouter son œuvre et cela nous a permis d’avancer ensemble vers son rétablissement. C’est à travers des expériences comme celle-ci que j’ai pu constater l’utilité de l’art-thérapie et à quel point cela peut être complémentaire avec un suivi individuel. La relation d’une personne avec son œuvre permet de faire émerger des ressentis qui peuvent ensuite être verbaliser et élaborer. Ainsi, l’art amène la personne à puiser en elle en se connectant à ses ressources internes pour être dans l’autodétermination et se réinventer dans la vie.
Sources :
Entretien avec l’art-thérapeute Sylvain Bridet-Lamoureux le 01/03/2020
Hamel, J. & Labrèche, J. (2010). Art-thérapie. Larousse.
Klein, J. (2019). L’Art-thérapie. Paris : Presse Universitaire de France.
par Astrid Roustang-Jeglot, Psychologue clinicienne-psychothérapeute
le 2020-07-16
L’hypnose est une pratique très ancienne, dans la continuité des traditions des guérisseurs et des chamans. A la fin du XIXème siècle, l’hypnose est l’une des deux sources (avec la psychologie morale Paul Charles Dubois dans un tout autre registre) à l’origine de toutes les psychothérapies. Freud, lui-même la pratiqua, puis l’abandonna pour créer la psychanalyse.
Approche classée dans les thérapies dites « brèves », elle s’intéresse à l’unité corps-psyché.
Son champ d’intervention est large et peut convenir aux adultes comme aux enfants et adolescents qui s’y montrent souvent très réceptifs.
Actuellement, parmi les approches thérapeutiques existantes, beaucoup portent l’héritage de l’hypnose ou s’en inspirent sans trop la nommer (psychanalyse, relaxation, sophrologie, EMDR, ICV, Mindfulness …).
Longtemps, l’hypnose a souffert de l’image de l’hypnose de spectacle qui peut encore la faire craindre et d’un certain mystère persistant qui l’entoure. Ce sont des figures emblématiques telles que Milton Erickson aux Etats-Unis dans les années 1950 qui l’ont mieux fait connaître dans le domaine de la santé. La brièveté avec laquelle elle peut aider à faire surgir le changement sans délibération aucune, mais aussi son étude scientifique et rigoureuse lui a permis de retrouver ses lettres de noblesse. En France, elle revient dans les années 1980 ( L. Chertok, D. Michaux, J. Godin, J.A. Malarewicz) avec à la clef, un ouvrage fondateur de François Roustang dans cette renaissance : Qu’est-ce que l’hypnose ?
Depuis maintenant quelques dizaines d’années, l’hypnose s’est refait une place dans le milieu médical avec différents champs d’intervention avec notamment la création de plusieurs diplômes universitaires en hypnose médicale dans les facultés de médecine : Paris Salpêtrière (AFEHM), Université Sorbonne, Université Bourgogne, Université de Bordeaux,…
A l’hôpital, elle accompagne la sédation médicamenteuse (pour la réduire) lors d’anesthésie, elle facilite la gestion de la douleur dans des pathologies dites chroniques, ou encore elle est proposée pour accompagner des sevrages tabagiques, faire face à des phobies (araignées, piqûre, …) ou accompagner des situations de stress (prise de parole en public, examen).
Si l’on peut être plus ou moins réceptif à l’hypnose, et si elle peut être plus ou moins profonde (le degré de profondeur n’est pas en lien avec son efficacité thérapeutique), elle repose toutefois sur une potentialité commune à chaque être humain : faire une expérience subjective, celle d’expérimenter un état dit modifié de conscience que l’on nomme la transe hypnotique. Attention ! Ce n’est pas la conscience qui est modifiée mais bien l’état : comme lorsque, concentré sur un sujet, on se met à rêvasser. D’ailleurs, la transe vous en avez déjà sûrement fait involontairement l’expérience en lisant, ou en écrivant (transe de l’écrivain), en dansant (transe du danseur), en conduisant lorsque vous étiez au volant tout en étant ailleurs…
L’approche de l’hypnose dont on parle le plus est celle qui vise la dissociation : lorsqu’on a mal, on cherche plutôt à se couper de la sensation douloureuse. Mais l’hypnose peut aussi être pratiquée dans une visée réassociative lorsque l’hypnothérapeute (vous réserverez le terme d’hypnotiseur à ceux qui font du spectacle et non du soin) aide à rétablir la relation entre des parties de soi qui s’ignorent les unes les autres comme c’est le cas dans les troubles psychosomatiques, dans certaines problématiques d’addiction ou encore pour les traumatismes qui ont été encapsulés.
Enfin, en dehors du soin médical, certains sportifs y recourent pour améliorer leur performance, d’autres encore pour permettre de développer leur intuition, leur créativité, leur ouverture au monde notamment par l’apprentissage de l’auto-hypnose.
Astrid ROUSTANG-JEGLOT
Sources :
- HALEY, J. (2007). Un thérapeute hors du commun : Milton H. Erickson, Paris : Desclée de Brouwer.
- ROUSTANG, R. (1994). Qu’est-ce que l’hypnose ?, Paris : Les Editions de minuit.
- FAYMONVILLE, ME : https://www.hypnosium.com/video/interview-pr-me-faymonville-lieges-belgique/
- CAZARD-FILIETTE, C., WOOD, C. & BIOY, A. (2016). Vaincre la douleur par l’hypnose et l’auto-hypnose, Paris : Vigot-Maloine.
- BELLEGROUX J. (2018). Autohypnose et performance sportive, Paris : Amphora.
- Revue TRANSES, La créativité, N° 6, Janvier 2019, Paris : Dunod.
- BENHAIEM, J-M. (2019). Hypnose toi toi-même- L’auto-hypnose l’expérience de la liberté, Paris : Flammarion.
par Ondine Peyron, Psychologue Clinicienne
le 2020-07-08
Lorsque l’on parle de groupe de thérapie, l’esprit associe souvent cela à groupe de parole ou groupe des AA (Alcooliques Anonymes). Or, depuis la création des AA il y a près d’un siècle, le champ de la thérapie a su s’approprier le groupe comme un riche outil thérapeutique, que l’on soit alcoolique ou non !
Il existe de nombreuses façons de travailler en groupe. En effet, c’est une pratique assez jeune et ses vertus reconnues en ont permis un développement rapide dans le champ de la psychothérapie. Certains parlent d’ailleurs d’« accélérateur de thérapie ». On retrouve des groupes de psychothérapie en psychanalyse, en analyse transactionnelle, en Gestalt, il existe aussi le psychodrame par exemple.
La taille du groupe varie en fonction du thérapeute et de la place disponible dans l’espace thérapeutique. Cependant, il est récurrent en analyse transactionnelle de trouver des groupes entre 6 et 10 clients. Ce groupe peut être animé par un thérapeute ou deux. Ici aussi, cela va dépendre du type de groupe à animer et le nombre de personnes présentes. Par exemple, au nombre de 18, il sera bien plus pertinent d’avoir deux thérapeutes présents dans l’espace.
Dans ma pratique de psychologue et psychopraticienne, la thérapie de groupe est un élément clé. En effet, en analyse transactionnelle, le travail en groupe a autant sa place que celui de couple, ou la thérapie individuelle. Ce qui paraît d’ailleurs assez logique : c’est une théorie de la communication et l’analyse des transactions sera encore plus riche in vivo.
En groupe, naturellement et assez rapidement se rejouent les problématiques personnelles de chacun. On va se sentir exclu, avoir des difficultés à prendre sa place, ou bien au contraire vouloir prendre toute la place et faire le plus de bruit possible.Je prends des situations extrêmes, mais qui sont assez récurrentes. Si l’on regarde de plus près, cette posture adoptée en séance semble bien connue de chacun. Elle ressemble étrangement à celle que l’on prenait enfant aux repas de famille, ou celle si inconfortable, retrouvée au quotidien au bureau…
Le fait de retrouver ces sensations bien désagréables pourraient être une bonne raison de ne pas vouloir intégrer un groupe de thérapie ! Mais je vais vous convaincre du contraire. En effet, comme énoncé précédemment, l’espace thérapeutique va permettre de ressentir ou reproduire de façon inconsciente des schémas bien connus. Cette libération facilitera la prise de conscience et la mise au travail. Pour moi, le groupe est un peu comme un petit laboratoire d’expériences où presque tout est possible du fait du cadre et des règles établies.
Dans mon cabinet, il s’agit d’un groupe, constitué de 6 ou 7 personnes avec qui j’ai déjà commencé un travail thérapeutique en individuel. En fonction d’un planning défini à l’avance, nous nous réunissons une à deux fois par mois et nous nous mettons au travail avec ce qui arrive dans l’ici et le maintenant le fameux hic et nunc. Autrement dit, dans un état de pleine conscience, chacun se met à l’écoute de ses pensées, ses émotions, ses ressentis puis les partage dans le groupe. Ceci peut prendre du temps, ou pas.
Voici un exemple :
Il est 19h16. Chacun est installé et a choisi le fauteuil, le petit canapé ou le grand canapé (dans mon cabinet, plusieurs types de sièges sont présents). Le groupe commence normalement à 19h15. C’est parti pour trois heures ensemble. Personne ne sait encore très bien ce qui va se passer mais tout le monde se connaît maintenant. À force de se réunir toutes les deux semaines et de partager des choses personnelles certains liens se sont déjà formés.
J’arrive à mon fauteuil, toujours le même, et exprime dans mon attitude non verbale que la séance peut commencer. Un moment de silence s’installe mais rapidement la parole prend place.
Ingrid : Je ne sais pas pourquoi, mais ce soir je me sens un peu stressée de venir. J’avais d’ailleurs oublié la séance, mais mon téléphone me l’a rappelée et depuis je sens le stress monter.
Stéphanie : Ah oui c’est drôle ! Moi pas du tout. Au contraire, j’étais contente de vous retrouver ce soir. Avec les vacances qui sont passées, j’avais l’impression qu’une éternité nous avait séparé.
Silence.
Le thérapeute : Ingrid, est-ce que tu veux nous parler un peu de ce stress ?
Ingrid : En fait, la dernière fois on a parlé de mon père et j’ai eu l’impression qu’on n’était pas allé jusqu’au bout. Et je crois que je n’ai pas envie d’en parler…
Voici 5 minutes d’un début de groupe qui vont ouvrir sur de nombreux potentiels de travail. Certains décideront de faire leur cheminement en silence, d’autres pourront ou se sentiront dans le besoin de le partager dans le groupe. Le processus est en place et continue son chemin.
Pour développer l’alliance de confiance permettant le travail thérapeutique, certaines règles sont essentielles :
La règle de discrétion : Tout ce qui est dit dans le groupe reste dans le groupe. Peuvent être partagés des ressentis ou des vécus personnels, mais on ne parle pas des autres en dehors du groupe.
La règle de non-passage à l’acte : On ne touche pas son voisin ou sa voisine sans lui demander au préalable. Parfois on peut avoir l’envie par compassion ou sympathie de prendre l’autre dans ses bras, de lui tenir la main. C’est tout à fait possible mais : on demande ! En revanche, même si on demande, on n’a pas le droit de se frapper ou d’avoir de relations sexuelles.
La règle de sobriété : Chacun vient dans le groupe sans avoir bu ou fumé des substances qui altèrent la conscience.
En groupe, du fait d’être présent aux discours des autres, notre champ de conscience va s’élargir et permettre d’avoir accès à des zones encore non explorées.
Aussi, ce format est propice à la régression et donc à l’affaiblissement de nos défenses psychiques. Ce qui est certes parfois assez bouleversant, mais bénéfique à l’avancée personnelle.
La force du groupe est aussi un contenant important. Chacun fait partie intégrante du groupe et participe à son bon fonctionnement. Le fait de ne plus être seul face à ses blocages ou ses peurs rassure et réconforte. C’est ici que l’on voit l’effet thérapeutique que le groupe prend à lui seul du fait d’exister. Autrement dit, le fait de prendre part à une aventure commune est en elle-même thérapeutique et permet d’aller plus loin dans une démarche d’avancée personnelle avec en renfort et en soutien : le groupe.
Ondine Peyron
Raconte-moi ton groupe, Actualités en analyse transactionnelle 2015/3 (n° 151)
Edmond Marc, Christine Bonnal, Le groupe thérapeutique, Approche intégrative, 2014.
par Christine Pane, Psychologue Clinicienne
le 2020-07-01
L’approche thérapeutique de l’Intégration du cycle de la vie (ICV, en anglais LI c'est-à-dire Lifespan Integration) a été créée par Peggy Pace, une psychothérapeute américaine, au début des années 2000. Elle utilisait alors l’EMDR (Eye Movement desensitization and reprocessing), méthode qui consiste à traiter un souvenir traumatique pour en diminuer la charge émotionnelle. Un jour, dans son cabinet, alors qu’elle soignait un souvenir de la petite enfance d’une patiente, celle-ci resta bloquée dans cet évènement passé, comme si elle avait de nouveau 6 ans alors qu’elle était adulte. Peggy Pace lui demanda alors de se remémorer un souvenir à 7 ans puis 8 ans et ainsi de suite jusqu’à un événement récent. En aidant cette patiente à retraverser les évènements de sa sa vie, elle observa une amélioration de ses symptômes et de sa perception émotionnelle du traumatisme initial. L’ICV était né !
Peggy Pace partit du principe que « les personnes victimes de traumatisme savent (dans leur tête) que l’évènement est passé mais ne ressentent pas ceci comme vrai dans leur corps, et imagina une technique astucieuse pour faire faire à ses patients l’expérience, dans leur corps, de la sensation du temps qui a passé entre l'événement traumatique et aujourd’hui » (Joanna Smith).
La méthode de l’Intégration du Cycle de la Vie est donc une méthode psycho-corporelle qui se base sur les recherches récentes en neurosciences affectives portant sur le trauma et l’attachement :
Lorsqu'une personne vit un événement douloureux ou traumatisant, elle peut se sentir débordée et totalement impuissante à le gérer en fonction des circonstances, de son histoire, de son jeune âge et de son niveau de sécurité affective. Le cerveau est débordé et a du mal à traiter l’information. Il isole alors le souvenir traumatique dans un réseau neuronal peu connecté aux autres réseaux afin qu'il soit réactivé le moins possible, un peu comme s’il “l’encapsulait” dans un coin. Le souvenir est parfois tellement isolé qu’on peut développer une amnésie partielle ou totale de l’évènement. C’est un moyen tout à fait normal de survie, qui permet de se protéger de l’effraction psychique. Cependant, une image, un bruit, une odeur, une date, une situation, une émotion peuvent réactiver le trauma, comme si l'événement allait de nouveau se produire. Ainsi, une situation qui ne nécessite pas l’activation du système de stress en apparence peut tout de même déclencher certains comportements, pensées ou émotions parce qu’un élément semble similaire à la situation traumatique vécue parfois plusieurs dizaines d’années plus tôt.
Ces événements du passé continuent d’influencer notre comportement, consciemment ou non, et nous réagissons dans le présent de façon inadaptée aux enjeux actuels, comme si nous cherchions à résoudre la ou les situations du passé non résolues.
L’exemple typique est celui d’une personne ayant vécu un traumatisme lors d’un accident de voiture : elle se met à avoir des sueurs, palpitations, à chaque fois qu’elle remonte dans une voiture, même des années après l’accident. Même si elle sait que l’accident est loin derrière elle, son corps réagit comme s’il ne le savait pas.
Dans des situations comme celles-ci, la source de la réactivation semble évidente mais il est parfois plus difficile de faire le lien, comme par exemple dans le cas d’attaques de panique qui peuvent trouver leur source dans les premiers liens d’attachement teintés d’une forte anxiété.
A la naissance, notre cerveau est immature et très fragile. Un bébé humain ne peut rien faire tout seul, il ne peut survivre sans sa ou ses figures d’attachements.
Les structures plus « rationnelles », comme le cortex préfrontal, qui vont servir à réguler les émotions ne sont pas encore développées chez le tout petit.
Le rôle de la figure principale d’attachement est de se substituer à ces structures pour réguler les émotions de son enfant.Ce dernier pourra ainsi faire régulièrement l’expérience d’apaisement lors de situations stressantes, ce qui lui permettra d’acquérir petit à petit les capacités pour réguler ses émotions lui-même.
Parfois, la figure d’attachement n’est pas suffisamment disponible pour répondre et moduler les besoins émotionnels de l’enfant qui développe alors des croyances et des schémas sur la vie et dans ses relations tels que : le manque de confiance en l’autre, la peur d’être rejeté, les difficultés de séparation, le sentiment d’insécurité, les difficultés de régulation de ses émotions…
Une des perspectives intéressantes de la thérapie ICV est de travailler sur cette période du début de vie. Il ne s’agit pas de transformer la qualité de l’attachement originel à nos parents mais de développer un autre attachement à nous-même et, par là-même, aux autres. Le thérapeute va amener l’adulte à entendre qu’il n’est plus dans l’environnement de l’époque et qu’il est un bébé digne d’attention et d’amour. « Cette compréhension de son histoire rend alors possible la désactivation des réseaux neuronaux ayant inscrit psychiquement et dans son corps la croyance qu’il n’en vaut pas la peine ou qu’il y a un danger à être dans une relation intime et de confiance » (Eric Binet).
L’objectif, grâce à l’imagination active et à la posture du thérapeute, est de vivre des expériences positives afin que le patient puisse développer une auto-compassion vis à vis du tout-petit qu’il a été et qu’il porte en lui.
L’outil principal de la thérapie est la ligne du temps. Il s’agit d’une liste chronologique de souvenirs marquants élaborée par le patient pour chaque année de sa vie, de son premier souvenir jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, la sieste en maternelle / le lapin dans la classe / la visite à la maternité /…./premier job/divorce/.../ le début du confinement /et un souvenir tout récent pour revenir dans le présent.
Pour un trauma récent, on demande au patient de se rappeler d’une quinzaine de souvenirs depuis le choc jusqu’à aujourd’hui.
Ce « voyage » dans le passé permet de remettre chaque souvenir à sa place et par la même diminue la charge émotionnelle qui était associée à ces évènements douloureux.
Au fil des répétitions, certains souvenirs sortent de leur isolement, d’autres émergent spontanément et s’intègrent à l’histoire, connectés aux autres.
Divers protocoles existent avec des objectifs différents : améliorer la régulation émotionnelle, traiter les conséquences d’un événement traumatique, traiter une relation douloureuse, faire vivre au patient des expériences réparatrices en rejouant les interactions précoces que le patient aurait dû vivre à ce moment-là.
L’ICV est donc une méthode douce qui permet la « digestion » des émotions du passé en reconnectant les réseaux neuronaux les uns aux autres afin de dater les événements passés et faire en sorte que le système corps-esprit n’y réagisse plus malgré nous. Sentir dans son corps que le passé est terminé est ce qui assure le changement. L’originalité et la profondeur de cette approche est de pouvoir aussi engager un travail de réparation minutieux des enjeux relationnels précoces.
Cette thérapie est principalement indiquée pour le traitement des traumatismes récents ou anciens, avec ou sans troubles de stress post-traumatique, des difficultés de régulation émotionnelle et des troubles de l’attachement.
L’ICV permet de travailler autour des relations précoces lorsque celles-ci ont été marquées par des séparations, une hospitalisation, une dépression, des négligences ou de la maltraitance.
Sources
- Joanna Smith, (2018), A la rencontre de son bébé intérieur, Dunod.
- Eric Binet, (2017), Le présent au secours du passé, Satas.
- Peggy Pace, (2019), Pratiquer l’ICV, Dunod.
Pour aller plus loin et rechercher un thérapeute
https://integrationcyclevie.com/
par Hugues Faucheux, Psychologue clinicien et de l'Education nationale. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre.
le 2020-06-27
Le psychologue clinicien et psychologue de l'Éducation Nationale Hugues Faucheux vous éclaire sur une problématique qui touche l'enfance et l'adolescence : le décrochage scolaire.
Loin d'être un phénomène uniforme et homogène, il se matérialise par autant de trajectoires individuelles et d’histoires de vie et s’explique par une combinaison de facteurs de risques internes et externes à l’École.
par Hugues Faucheux, Psychologue clinicien et de l'Education nationale. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre.
le 2020-06-27
Après avoir analysé le décrochage scolaire d'une manière globale dans la première partie de son interview, Hugues Faucheux inscrit ce phénomène dans l'actualité : quel rôle a joué le confinement dans le décrochage scolaire ?
En France, 500 000 élèves (sur un ensemble de 12 millions) auraient "décroché" pendant la fermeture des écoles : cela reste une estimation selon le ministère de l’Education, s'agissant de données remontées des observations des enseignants et chefs d'établissements. Des études plus précises sont en cours afin de collecter un état des lieux plus fiable.
par Caroline Delannoy, Psychologue et Executive Coach d'Organisations
le 2020-06-24
Avant de vous retrouver ici, sur cet article, qu’étiez-vous en train de faire? C’est bien indiscret, certes, mais sans tout nous dévoiler … aviez-vous la sensation d’être complètement concentré(e)s? Tellement que vos actions et votre conscience fusionnaient? La perception d’être vraiment maître de cette action? D’avoir les compétences pour la réaliser? Le temps comme suspendu?
Si, c’est le cas … cela semble bien être ce que l’on appelle le flow. Un état de conscience optimale, où nous nous sentons particulièrement bien, entièrement absorbés par une activité qui nous challenge, et où nous nous accomplissons au mieux.
Cet état peut nous être bien utile. Le rechercher et l’utiliser à bon escient pourraient nous aider à identifier ce qui est essentiel pour nous tous, et prendre conscience de la complexité qui nous entoure.
A point nommé avec ce dont nous avons besoin actuellement? Où que nous regardons, cette crise hors normes fait voler en éclat nos organisations collectives et personnelles déjà ultra minutées et accélérées. Il suffit d’échanger authentiquement avec nos proches ou nos collaborateurs pour mesurer combien cela nous a tous profondément bousculés. Depuis, je confie souvent aux personnes que j’accompagne en coaching professionnel ou d’organisation, que quand nous les revoyons, nous ne rencontrons pas les mêmes personnes que nous connaissions. Vous ne trouvez pas?
Dans un contexte malheureusement similaire, parce qu’ayant grandi dans un monde d’après guerre à reconstruire, Mihaly Csikszentmihalyi, psychologue hongrois, a consacré les 15 dernières années de sa vie à un projet : comprendre comment continuer à pouvoir donner le meilleur de ce que nous sommes malgré les circonstances de notre vie. Il s’est intéressé tout particulièrement à ce sentiment d'être davantage vivants que nous ressentons quand nous sommes immergés dans des activités hautement engageantes, avec des défis élevés. En d’autres termes, dans le flow.
Entrons donc dans le vif de cet état.
Son nom officiel : - vous le connaissez, maintenant - le « flow », ou état d’expérience optimale. Il est développé dans le courant de la psychologie positive, fondée officiellement en 1988.
Petits surnoms : certains sportifs ou codeurs dans l’informatique parmi vous ont pu aussi le baptiser entrer dans la zone. Dans le travail ou les études, il est aussi connu sous le terme d’état de grâce, les musiciens anglo-saxons parlent d’être in the groove et les poètes d’être visités par les muses. Joli, n’est-ce pas?
Ses effets ressentis et observés : … conscience, agilité, esprit limpide. Vous avez compris, le terme tire son nom de l’expérience qu’il procure. Quand nous sommes dedans, nous sommes … dedans. Enraciné dans le présent ... Pas dans ce qui nous en éloigne.
Ce sont d’ailleurs les mots utilisés par les personnes rencontrées par Mihaly Csikszentmihalyi pour décrire le flow. Joueurs d’échecs, danseurs, passionnés d’escalade, mais aussi des professionnels, comme des chirurgiens. Récemment Steven Kotler, entrepreneur, écrivain américain, fondateur de Flow Research Collective, a chassé des sportifs de l’extrême, et tous décrivaient la même expérience.
La personne est « totalement concentrée sur son activité, la performant de façon optimale, contrôlant parfaitement l’activité, qu’importent les difficultés qui adviennent durant ce moment ; cette personne est si concentrée qu’elle n’entend pas ou peu l’extérieur. Elle paraît « obnubilée » par l’activité, elle ne se préoccupe pas de son apparence, de l’image qu’elle renvoie ; elle perd cet ego qui lui ferait contrôler sa chevelure, sa tenue physique, son attitude, les normes sociales d’apparence et de comportement non liées à l’activité elle-même. Elle semble perdre conscience d’elle-même au point d’oublier son corps et ses besoins : elle oublie de manger, ne se repose pas, etc. On voit qu’elle est face à de grands défis dans son activité, mais elle parvient à les relever et s’accroche avec endurance et ténacité. » (1)
Types d’activités concernées : soyons directs, le flow n’est pas éthique en soi. Cela dépend de la façon et la raison pour laquelle vous l’utilisez. Le flow est possible dans toutes les activités.
Ses mécanismes biologiques : quand nous sommes dans cet état, nous fabriquons un cocktail « fait maison » de Dopamine, Anandamine, Noradrénaline, Sérotonine et Endorphines. Un mix que j’aime bien appeler « D.A.N.S.E. » car ce ballet biologique oeuvre de concert pour faire swinguer nos meilleures ressources internes et libérer ce potentiel.
La noradrénaline et la dopamine renforcent et affinent notre attention malgré les milliers de distractions quotidiennes. Moins connue, l’anandamide (celle que vous essayez de stimuler en mangeant du chocolat) favorise les connexions cérébrales générant des compréhensions globales plus performantes que les sessions classiques de brainstorming. Adeptes de la méditation, vous avez dû reconnaître l’origine sanskrit ananda (béatitude) couplée à amide, sa fonction chimique. On ne présente plus les endorphines, célèbres pour leurs vertus analgésiques qui nous permettent ici, dans la performance réalisée, de brûler la chandelle par les deux bouts sans s’y perdre avec. Enfin la sérotonine, neurotransmetteur et hormone du bonheur présente dans notre cerveau et notre système digestif, nous incite à maintenir une situation qui nous est favorable pouvant être bien plus efficace que tous les team-bonding au bord de mer.
À présent, la recherche sur le flow se poursuit et utilise divers outils, comme l’ESM (Experience Sampling Method, qui permet de suivre l’expérience subjective des personnes), des questionnaires spécifiques au flow (3), les avancées de la psychologie, de la biologie et physiologie, plus récemment des neurosciences et des expériences en réalité virtuelle. Par exemple, les études des neurosciences sur ce sujet sont encore à leurs débuts. Toutefois avec des tests salivaires, il semblerait que les personnes en état de flow ne présenteraient pas de stress (absence de cortisol dans la salive), alors que les conditions pourraient en être génératrices.
Les conditions le favorisant : hélas ce n’est pas sur commande. Nous ne pouvons pas forcer le flow … nous ne pouvons que l’inviter. Il peut néanmoins surgir partout, pourvu que les conditions soient réunies.
Les activités où le flow est possible viennent répondre à nos trois besoins fondamentaux qui nous aident à nous réaliser (3) :
se sentir autonomes : d’avoir eu la possibilité de choisir l’activité, comment, quand et où la réaliser,
se sentir compétents : d’avoir la perception d’être suffisamment compétent pour le faire,
se sentir en lien avec les autres (proximité sociale) : d’avoir la possibilité de nous sentir reliés aux autres via celle-ci ou de pouvoir la partager avec d’autres, ou qu’elle soit reconnue par d’autres.
Quoi d’autre? Se détendre concernant la peur de ne pas réussir et la prise de risque. Y être hostile vous ferme de facto les portes du flow car cela ne vous laisse pas d’espace de progression et de découverte.
C’est comme une vague à prendre, qui se situe exactement entre la peur, l’anxiété (si le challenge est trop grand), et l’ennui (s’il est trop facile, nous diminuons nos capacités d’attention). C’est ce que l’on appelle le canal du flow.
En somme, suffisamment motivant et suffisamment ardu.
N’importe qui peut accéder à cet état cependant les conditions favorables décrites plus haut ne sont pas exactement les mêmes selon les cultures (2).
Par exemple, sans appuyer sur une comparaison hautement sensible à l’heure actuelle dans la sphère géopolitique, l’une des différences remarquées lors d’une étude est qu’il apparaît que la motivation intrinsèque des Américains ne s’étend pas lorsque les défis augmentent, ni quand ils sont égaux aux compétences : ils seraient davantage « motivées intrinsèquement » lorsque les défis adviennent dans des compétences déjà acquises. Au contraire, pour les personnes chinoises, les défis auraient un effet négatif sur leur motivation. Ils expérimentent davantage le flow dans une condition nommée « ennui » ou « relaxation » : quand les défis sont bas et qu’il y a de très hautes compétences. L’explication serait très probablement dans le fait que la culture peut avoir une forte influence sur le fait ou non de rendre désirable tel ou tel état mental.
Dès lors, la différence observée pour ces derniers serait que leur recherche de l’état de Tao, portée sur la prudence et l’attention au détail, viendrait en contradiction avec celle du flow, plus orientée vers le dépassement de défis.
Ses apports aujourd’hui : le flow est un des rares états au sein desquels nous sécrétons ce cocktail interne. Il peut concerner tous les domaines de notre vie.
Ces dernières semaines ne vous êtes-vous pas demandé(e)s comment tenir le rythme et les défis qu’apporte chaque jour cette crise?
Appliqué au travail, il a un rôle majeur dans les trois compétences clefs si précieuses pour affronter le monde VICA actuel (volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté) que sont la motivation, la créativité et l’apprentissage.Le flow est pour certains le code secret à la source de la motivation intrinsèque, alias le feu sacré pour citer la charmante expression d’une jeune manager très collaborative que j’ai interviewé récemment pour un podcast sur l’engagement collectif dans l’entreprenariat.
Votre performance et créativité seraient multipliées par cinq grâce au flow (7). Comme s’amuse à le plébisciter Steven Kotler, si vous passez votre lundi dans un état d’expérience optimale, vous pouvez accomplir tout ce que vous faites habituellement du lundi au vendredi. D’ailleurs, certaines grandes entreprises internationales ont déjà repensé leur philosophie de travail autour du flow (comment le favoriser pour le travail individuel et en collaboration).
Cela peut guider aussi les enseignants et parents afin d’aider leurs adolescents.
Se placer dans un quête du flow peut favoriser le renforcement de vos capacités d’attention et de concentration, créer des vocations et permettre un développement continu, changer le regard posée sur les difficultés souvent vécus comme des contraintes, et niveler les objectifs pour continuer à apprendre de la vie. Les compétences que vous pouvez acquérir par le flow sont autant d’outils pour vivre plus équipés face aux crises qui se cumulent.
C’est devenir ce que Mihaly Csikszentmihalyi nomme, autotélique : être de plus en plus capable de transformer les conditions de toutes les situations que nous affrontons afin que celles-ci puissent nous enrichir et produire un état optimal.
Comme vous pouvez l’imaginer, si le flow advient pour des activités déterminantes pour soi, cela vient donner du sens à notre vie. Parce que nous sommes le produit de ce à quoi nous avons porté de l’attention, nous ressentons alors un fort sentiment d’accomplissement de soi. Cela nous donne confiance en nous-mêmes plus nous le pratiquons. Mihaly Csikszentmihalyi explique qu’il réduit notre anxiété dite « ontologique », celle de ne pas exister pleinement. Cela peut contribuer à nous soulager quant à notre quête de légitimité dans le monde et nous aider à trouver notre place, et notre voie.
Plus que jamais, nous avons fondamentalement besoin d’éveiller nos capacités à être solidaires, attentifs, et innovateurs dans la compréhension et l’empathie. Puiser dans notre humanité et notre profondeur. Je partage pour cela la vision d’Otto Scharmer, sympathique et pragmatique professeur du MIT à Cambridge (Massachusetts) quand il écrit le mois dernier "lorsque les systèmes s’effondrent, les humains se lèvent’".
Le stress et le monde VICA pourraient nous pousser à chercher cette profondeur dans la surface, comme le percevait déjà en 2006 le plus rock des écrivains et essayistes transalpins, Alessandro Baricco, doté d’un bon sismographe intérieur. Sur le plan psychologique, nous aurions tous tendance à vouloir trouver sans attendre des solutions ou savoir comment réagir. Résultat, tels des “crocodiles” (par référence au système limbique ou reptilien sur-sollicités dans ces cas), nous aurions tendance à croquer trop rapidement l’étape de prise de conscience de l’ensemble de la situation.
Rechercher l’essentiel à travers le parcours du flow et son expérience peut être une voie qui permet de trouver ces profondeurs si on les utilise à bon escient. Quand voulez-vous commencer?
Le flow peut se déployer sur les plans de la relation à l’autre et en collectif, comme dans les équipes, à l’image des ces fameux jazz bands. Vers le développement d’une conscience collective et moins de solidarité en silo? Si cela vous intrigue, nous pouvons l’explorer dans un prochain article.
1 - Csikszentmihalyi, M. (2014). Flow and the foundations of positive psychology. Springer, Dordrecht.
2 - Psychological Selection and Optimal Experience Across Cultures, social empowerment through personal growth, Antonella Delle Fave, Fausto Massimini, Marta Bassi, ed Springer
3 - Assessing flow in physical activity : the flow state scale-2 and dispositional Flow Scale-2, Susan A. Jackson, Robert C. Eklund
4 - Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2017). Self-determination theory: Basic psychological needs in motivation, development, and wellness. Guilford Publications.
5 - Otto Scharmer - A New Superpower in the Making: Awareness-Based Collective Action ( Medium - 9 avril 2020)6 - Alessandro Baricco (2008). I barbari. Saggio sulla mutazione.
Article en français : Courrier International - I Barbari "Vive la superficialité ! " (2010)
7 - McKinsey Quartely - Increasing the 'meaning quotient' of work (2013)
8 - Aimelet-Périssol, C. (2002). Comment apprivoiser son crocodile. Ed. Robert Laffont Paris.
Pour aller plus loin :
Conférence de Mihaly Csikszentmihalyi : "Flow, le secret du bonheur"
Site et ressources sur le flow et le dépassement de soi, fondé par Steven Kotler (anglais)
par Christelle Goldner, Psychologue et thérapeute familiale et de couple. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre
le 2020-06-22
Le couple à l'épreuve du confinement...
Christelle Goldner, psychologue et thérapeute familiale et de couple, nous avait déjà éclairés grâce à son témoignage et à des exercices pratiques dans un article de ce blog.
Elle revient en interview, pour nous donner son bilan sur le couple pendant le confinement.
Interview réalisée par Laetitia Ribeyre de l'équipe Weppsy !
par Aude Mouton, Psychologue Clinicienne
le 2020-06-16
Vous voulez protéger vos enfants de votre propre souffrance et vous avez tout à fait raison. Ils ne sont pas capables d’assumer le rôle de confident, ils ne sont pas à même de comprendre les tenants et les aboutissants de votre situation d’adulte.Il est cependant primordial de partager avec votre enfant, en des termes qu’il comprend, des éléments de votre vécu affectif.
Nous ressentons tous de façon inconsciente ce qu’il se passe chez l’autre : en analysant les expressions du visage, les tons de la voix, les émotions que nous avons à leur contact. Vous-même adulte, si vous entrez dans une pièce à la toute fin d’une dispute entre deux collègues, vous serez à même de ressentir la tension entre ces deux personnes. Si vous entendez que « tout va bien » vous serez alors mal à l’aise car votre intuition vous donne une information de tension, et votre raisonnement, voulant faire confiance à l’information, vous indique que tout va bien. Si vos collègues ont l’honnêteté de vous dire qu’ils ont un différend, mais que cela les regarde eux, vous vous sentez tout d’un coup plus serein : vous avez une information cohérente avec votre intuition émotionnelle.
“Que vous le vouliez ou non, vos enfants savent, sur un plan inconscient, émotionnel, intuitif, que votre relation est douloureuse ou tendue”
Vous avez bien compris le parallèle fait avec une situation de séparation parentale : que vous le vouliez ou non, vos enfants savent, sur un plan inconscient, émotionnel, intuitif, que votre relation est douloureuse ou tendue. Mettre des mots sur cette situation la rend plus facile pour votre enfant, cela le rassure sur son intuition, et vous lui permettez d’être en situation de cohérence émotionnelle.
La façon d’évoquer les conflits ou les problèmes d’adulte avec un enfant n’est pas toujours évidente. On a peur d’en dire trop, de faire peur, de devoir accueillir leurs réactions.
Vous trouverez une bonne façon d’en parler en vous posant la question de savoir ce qui « appartient » à votre personne et ce qui « appartient » à la famille. En effet, votre couple est le fondement de la famille, de celui-ci découle le couple parental, et de ce partenariat découle la parentalité telle que vécue par votre enfant.
Votre identité personnelle et votre relation amoureuse vous appartiennent et ne concernent pas directement vos enfants. En revanche la dynamique familiale et ce que vivent vos enfants, oui.
Vous trouverez les mots lorsque vous aurez fait le tri entre ce que vous vivez vous, en tant qu’homme/femme, mari/femme, et ce que vivent vos enfants avec leurs papa et maman, les personnes avec qui ils vivent. Vous trouverez les mots qui parlent de façon vague de difficultés d’adultes et vous pourrez replacer le sujet sur leur bien-être à eux.
« Papa et maman sont tendus, ils ont beaucoup de questions d’adulte. Ce sont des histoires personnelles, nous t’aimons tous les deux et toi tu as tes histoires d’enfant.»
« Papa et maman sont en train de prendre des décisions de couple, ce qui est important c’est que tu puisses être toi car nous t’aimons comme tu es. »
Vous voyez dans cet exemple le minimum employé pour parler de ce qui touche la sphère adulte mais qui le rassure sur son vécu intuitif, en le replaçant dans son rôle d’enfant dont il n’a pas à bouger.
Replacer l’enfant dans son rôle d’enfant vous ouvre la porte sur le deuxième sujet le plus anxiogène pour l’enfant : votre amour. Les enfants vivant ce contexte de divorce sont souvent sujets à ce que nous appelons « l'angoisse de séparation ».
En toute logique, si mes parents peuvent arrêter de s’aimer, ils arrêteront peut-être un jour aussi de m’aimer moi.
En toute logique, si le couple de mes parents explose, c’est potentiellement ma relation avec papa ou maman qui peut aussi exploser un jour.
Les paroles d’amour, portées sur la relation uniquement, sont importantes pour les enfants et primordiales chez l’enfant de parents qui se séparent. Nous parlons ici d’évoquer à votre enfant un amour qui n’a pas de condition, qui ne comporte aucune autre condition que le lien qui vous unit.
Je vous recommande vivement le livre « Mon amour » qui permet de dire tout cela à votre enfant par le biais d’une lecture. Vous pouvez prendre l’habitude de dire de façon régulière, au coucher par exemple : « Je t’aime, parce que tu es toi, parce que tu es mon fils/ma fille, tu es une personne essentielle au monde, je t’aime parce que c’est comme ça, je t’aime tous les jours et pour toujours ». Est repris dans ce bel ouvrage le concept des paroles d’amour de la thérapeute Bernadette Lemoine sur l’angoisse de séparation.
Ces paroles un peu « bisounours » peuvent paraître inutiles, étranges, à côté de la plaque… mais vous trouverez comment les faire vôtres afin de transmettre à votre enfant cette sécurité interne primordiale à son bien-être.
Vos enfants ont un grand besoin de se sentir sereins dans la relation qu’ils ont avec vous et avec leur autre parent. Rassurer un être cher sur la pérennité de la relation et de l’amour qui vous unit est toujours utile et sain.
La tâche la plus dure est souvent celle de préserver l’image de votre ex-conjoint.
Vos enfants sont les vôtres, mais ils sont aussi les enfants de votre conjoint, que vous le vouliez ou non, que votre amour ait duré ou non. Plaçons-nous au niveau de l’enfant : lui a deux parents, qu’il n’a pas choisi et qui sont les modèles de sa vie, les principaux acteurs dans son développement. Un enfant grandit en répondant aux attentes, aux injonctions, aux interdictions, aux valeurs de ses deux parents. L’image de la femme et de la mère ainsi que de l’homme et du père se créent chez les enfants en réponse à leurs relations avec leur mère et leur père : c’est ainsi.
Vous êtes peut-être dans la colère, dans l’injustice, dans la tristesse, dans la trahison, dans la violence, dans le rejet… ou tout autre forme du deuil de votre relation. Mais votre ex-conjoint reste une figure primordiale dans le développement de votre enfant, avec ses limites, ses défauts et ses excès, mais c’est ainsi.
Il apparaît primordial d’essayer de dissocier votre ex-conjoint et ce qu’il représente pour vous dans votre vie de ce qu’il est en tant que parent dans la vie de votre enfant. Il en va du bien-être et de la santé mentale de vos enfants.
Vous pouvez néanmoins rester authentique dans vos discours en dissociant justement comme vous l’avez fait pour parler de la séparation. « Ton papa/ta maman a fait certains choix dans notre relation d’adulte mais je sais qu’il/elle t’aime et que tu l’aimes et votre relation est précieuse, tu as le droit d’aimer les adultes importants de ta vie même si moi je ne l’aime plus »
On pourrait penser que dire de telles choses est inutile et que votre enfant « sait » mais nous en revenons à cette incohérence profonde qu’un enfant peut ressentir que nous appelons « conflit de loyauté ». L’enfant pense bien souvent devoir prendre parti, devoir défendre un parent, devoir choisir un camp. Vous pouvez penser que dire de telles choses est impossible ou ridicule mais il semble important de penser en termes de papa/maman et non pas en termes de mari/femme. Votre enfant vit une relation avec son parent qui n’est pas la relation que vous vivez avec cette même personne.
En offrant ce message à votre enfant, vous le débarrassez d’un énorme poids, d’une grande incertitude, et d’une grande souffrance.
Votre enfant a besoin de continuer à voir chacun de ses deux parents pour ce qu’ils sont pour lui : un père, une mère, qui l’aime chacun à leur façon.
Sources:
- The Intelligent Divorce : Taking care of your children, Mark Banschick and David Tabatsky
- Mon amour, de Astrid Desbordes (Auteur), Pauline Martin (Illustrations) 2015
- Maman ne me quitte pas ! : Accompagner l'enfant dans les séparations de la vie. Bernadette Lemoine et Anne-Marie d' Argentré, Saint-Paul éditions religieusescollection Enquêtes
par Emmanuelle Vaux Lacroix, Psychologue clinicienne. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre
le 2020-06-10
Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est l’EMDR ?
Cela veut dire Eye Movement Desensitization and Reprocessing. En français, on dit EMDR ou Désensibilisation et Retraitement par les mouvements oculaires. C’est une thérapie créée par Francine Shapiro en 1987 et qui a pour but de traiter des souvenirs traumatiques qui restent actifs. Quand je dis “actif”, je parle par exemple d’une personne qui fait des cauchemars ou pense à l'événement traumatique fréquemment sans en avoir l’intention. L’EMDR permet au cerveau de digérer quelque chose de façon naturelle grâce, entre autres, à ce que l’on appelle des stimulations bilatérales alternées (SBA), le fameux mouvement des doigts devant les yeux. Ces SBA peuvent également être produits de façon sonore (avec un casque) ou tactile (ce que l’on appelle du tapping).
La théorie qui sous-tend cela en EMDR est ce que l’on appelle le Traitement Adaptatif de l’Information (TAI). L’hypothèse de Shapiro est que notre corps et notre cerveau sont faits pour traiter de l’information de manière adaptée de façon naturelle. Normalement, je sais classer les informations et souvenirs dans mon cerveau : un bon repas avec des amis le samedi soir où il ne s’est rien passé d’extraordinaire se range dans les souvenirs types “soirées entre amis”. Je ne me pose pas la question et je traite.
Les souvenirs difficiles peuvent être classés dans la boite « je suis nulle » ou « souvenirs tristes » ou « souvenirs trop difficiles à traiter », mais je peux ne pas me souvenir que cette boite (symbolique) des « souvenirs trop difficiles » existe…
Les souvenirs agréables ou douloureux, mais traités (par exemple le deuil d’un grand-parent ou d’un échec professionnel ou d’une rupture amoureuse) vont constituer la mémoire autobiographique, et je saurai parler de ce qui m’est arrivé dans la vie en y faisant référence, tout en ayant conscience que ces événements sont dans le passé.
On se souvient mieux des souvenirs très douloureux, quand ils n’ont pas pu être traités par notre cerveau, car on ne sait pas toujours où les classer dans la bibliothèque à souvenirs. C’est ce que l’on appelle une mémoire traumatique : j’ai l’impression que c’est encore actuel, je n’arrive pas à le mettre dans le passé. Le travail de mise en mémoire ne se fait pas naturellement. Quand un souvenir est très désagréable et traumatique (ce qui veut dire qu’il y a une confrontation directe ou indirecte avec la mort) ou quand il y a une répétition d’évènements moins dramatiques mais très répétitifs (par exemple : un parent qui régulièrement fait des commentaires sur le physique de l’enfant ; un supérieur hiérarchique qui dénigre le travail ; une mise à l’écart par plusieurs groupes d’amis…), le cerveau ne sait pas traiter cette information. Le souvenir reste donc actif et peut être activé par des déclencheurs. Par exemple, si j’ai été agressé par quelqu’un portant un pull rouge, les pulls rouges vont me faire peur mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je peux ne pas me souvenir de ce genre de détails, donc ne pas comprendre pourquoi j’ai peur du rouge et parfois ne pas me souvenir de l’évènement dans sa totalité, ce que l’on appelle alors une amnésie dissociative.
Le fait d’être “déclenchés” par des choses apparemment neutres, est un phénomène qui a été très présents chez ceux qui avaient vécu le Bataclan : dès qu’ils entendaient des bruits forts, comme des feux d’artifice, ils étaient paniqués.
L’histoire officielle est que Francine Shapiro faisait des études de littérature, a traversé un cancer et voulait ensuite donner sens à sa vie. Elle s’est donc réorientée pour faire des études de psychologie. Elle devait faire sa thèse et un jour, elle est dans les bois, et elle se rend compte qu’en faisant des balayages oculaires (en regardant les arbres), quelque chose qui l'inquiétait ne l’inquiète plus. Elle décide de tester cela sur des amis psys, mais en se rendant compte qu’ils n’arrivent pas à balayer spontanément, elle invente la stimulation avec le balayage des doigts. Elle remarque que chez eux aussi, l’inquiétude liée à un événement peut baisser. Au début ça ne s’appelait que EMD, car elle ne faisait que la désensibilisation oculaire dans un premier temps. Elle propose d’évaluer cette technique et d’en faire un sujet de thèse en rencontrant des vétérans de la guerre du Vietnam. Tous présentaient un TSPT, ou Trouble de Stress Post-Traumatique. Elle a des résultats très prometteurs, et c’est comme ça que tout démarre.
Elle va ensuite ajouter le Retraitement. C’est l’idée qu’à chaque trauma s'ajoute une pensée négative qu’on a sur nous-mêmes : “Je suis responsable, je suis une mauvaise personne”, par exemple.
L’EMDR permet donc non seulement de désensibiliser, c’est-à-dire parvenir à parler du souvenir traumatique sans s’effondrer car il n’est plus “actif”, mais en plus de retraiter les pensées dysfonctionnelles qui y sont associées.On comprend grâce à cela que l’on n’est pas responsable, que l’on n’est plus en danger face à nos déclencheurs. Ces souvenirs resteront difficiles, ce ne seront jamais des souvenirs joyeux mais il sera possible d’en parler sans avoir cette sensation de peur, de tristesse, ou de honte et il n’y aura plus de manifestations corporelles.
Les évolutions de l’EMDR sont infinies. L’EMDR est reconnue par l’OMS et la HAS (Haute Autorite de Santé) comme étant la thérapie la plus efficace, avec les TCC, pour traiter le trauma. Cette reconnaissance permet d’avoir accès à des fonds importants pour la recherche, rendue plus facile car l’EMDR est protocolisé. Ceux qui font de l’EMDR sont tous psychologues ou psychiatres mais viennent souvent de courants thérapeutiques différents au départ et donc ça donne une communauté de thérapeutes riche, que je respecte beaucoup.
Le trauma est classiquement défini comme la confrontation directe ou indirecte avec la mort mais cette définition est réductrice. Le trauma peut aussi être constitué d’une accumulation de petits traumatismes, de la part des parents par exemple. Quelqu’un qui a subi des moqueries incessantes durant son enfance pourra aussi avoir un vécu dit traumatique. En anglais, nous utilisons l’expression “Big T and little t trauma”, c’est à dire trauma avec une majuscule ou une minuscule, pour bien souligner cette différence. L’EMDR peut donc s’adresser à tout le monde. Je reçois des personnes pour tous types de problématiques : divorce, burn out, dépression ou encore phobies car nous avons des protocoles spécialisés pour répondre à différents besoins.
Les gens pensent que c’est une thérapie seulement destinée au trauma, mais c’est en fait une thérapie intégrative. L’EMDR n’est pas que l’outil de désensibilisation, mais c’est aussi le TAI c’est à dire le Traitement Adaptatif de l’Information.Je me demande : qu’est-ce que mon patient n’a pas pu traiter dans son expérience ? Nous traitons beaucoup de choses encore méconnues du grand public comme la maltraitance par négligence émotionnelle : étant enfant, le parent répondait aux besoins matériels mais sans prendre en compte les besoins affectifs.
L’EMDR est composé de 8 phases, et tout le monde se représente bien la phase 3 à 7 car ce sont les phases de désensibilisation. Avant cela, on fait un travail d’anamnèse et de stabilisation, où on aide les patients à travailler leurs ressources. La phase 8 est dédiée à ce que l’on appelle la réévaluation et les scénarios du futur. Elle permet de nous assurer que le traitement a tenu d’une séance sur l’autre. Puis nous proposons à nos patients de se visualiser dans une situation similaire dans le futur pour bien ancrer le changement (par exemple, quelqu’un qui avait une phobie de la conduite suite à un accident de voiture ; une fois le souvenir de l’accident retraité, nous allons lui proposer de se visualiser en train de conduire tranquillement… et après de le faire dans la vraie vie évidemment !)
Durant la phase de stabilisation, l’EMDR puise dans d’autres courants comme l’hypnose, les TCC, ou encore la sophrologie. On renforce d’abord le patient et ses ressources avant de traiter le trauma car sinon le retraverser pourrait être trop difficile, selon la complexité de l’histoire du patient. Cependant ce n’est pas magique, ça ne se fait pas en 3 séances. Les seuls traumas qui se traitent facilement sont les traumas récents simples, comme un accident récent mais sans séquelle et sans que le patient n'ait eu des traumas antérieurs. Ce n’est pas comme de l’hypnose, on ne fait pas une séance isolée d’EMDR.
Nous n’avons pas besoin d’avoir les détails des événements pour pouvoir soigner le trauma. Quand on demande de raconter plusieurs fois le trauma, Janet et Ferenczi le disaient déjà à leur époque, on finit par retraumatiser le patient. Ils gardent trop dans le présent ce qui appartient au passé, ce qui peut parfois être le cas dans des thérapies classiques lorsque que l’on réaborde de nombreuses fois les mêmes traumatismes.
On ne sort pas d’une séance secoué car on restabilise le patient à la fin de la séance. On travaille toujours en attention double, c’est-à-dire avec un pied dans le passé et un dans le présent. C’est une situation très inconfortable mais je m’assure que mon patient n’a pas deux pieds dans le présent, car dans ce cas nous ne sommes que dans le cognitif. Et si le patient a les deux pieds dans le passé, il risque d’être trop déstabilisé. A la fin de la séance cependant, on a de nouveau deux pieds dans le présent. On travaille avec ce que l’on appelle la fenêtre de tolérance. On fait attention au fait que nos patients ne soient surtout pas en hyperactivation (fight or flight, c’est à dire qu’ils veulent fuir ou combattre) ou en hypoactivation (freeze, la sidération). Si tel est le cas, c’est qu’on est allés trop loin. J’ai des personnes qui viennent à 8h du matin et qui vont travailler ensuite, donc une séance d’EMDR n’est pas plus bouleversante qu’une autre forme de thérapie.
Aujourd’hui sur internet on trouve beaucoup de vidéos de séances d’EMDR, pour ceux qui sont intéressés par le fait de mieux comprendre ce qu’il s’y passe.
Ils me demandent souvent : A quoi ça sert d’aller remuer le passé ?
Je leur réponds que quelque chose qui vous dérange ou s’active trop dans le présent, fait forcément écho à quelque chose dans le passé. Ils ne comprennent pas certaines de leurs réactions, ils se voient faire mais n’arrive pas à s'arrêter.J’ai souvent l’exemple de parents qui se mettent trop en colère contre leurs enfants mais ils n’arrivent pas à se maîtriser. Ils ont des réactions disproportionnées car l'événement fait écho à leur histoire. Je vois aussi des personnes qui n’arrivent jamais à avoir une relation amoureuse stable, les choses se passent toujours mal. Dans leur cas, il y a un manque de sécurité dans l’attachement au départ. Ils ont des formes d’attachement anxieux, évitant ou encore désorganisé et on travaille sur cela avec eux.
Dans 85% des cas, le trauma unique évolue positivement sans problème. Le plus dur à traiter, c’est le viol ou encore le trauma complexe qui démarre dans la petite enfance et vient des figures d’attachement. Ce trauma de l’enfance est difficile car ce sont les personnes qui doivent assurer notre sécurité qui génèrent le trauma. Muriel Salmona explique bien cela sur son site (lien en bas de l’article).
Sur le site EMDR France, il y a un annuaire. Pour y être on a été accrédités, donc supervisés. Tous les 5 ans, on se fait réaccrédités. C’est une des forces de l’EMDR. Pour être maintenir ce titre, les praticiens doivent faire de la formation continue.
Sur les sites EMDR, il y a des petits booklets qui détaillent bien les choses pour les patients et il y a accès à pleins de vidéos de séances d’EMDR.
Il y aussi EMDR Europe pour ceux qui sont à l’étranger. Chaque pays a son site, que je vous encourage à découvrir.
par Hermine Béthune, Psychologue clinicienne
le 2020-06-03
Vous venez de vivre un évènement choquant, un évènement auquel vous n’étiez pas préparé ? De par sa nature brutale et menaçante pour la vie
psychique et/ou physique, ce dernier peut devenir un traumatisme.“On peut définir le traumatisme psychique, ou trauma, comme un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité (physique ou psychique) d’un individu, qui y est exposé comme victime, témoin ou acteur”. (Chidiac & Crocq, 2010).
Revenons succinctement sur différentes réactions pouvant être observées et décrites durant le temps de l'événement traumatique. En tant que psychologue, nous recevons fréquemment des impliqués** animés d’une grande culpabilité d’avoir agi ou de ne pas avoir agi lors de l'événement vécu. Néanmoins ces différentes réactions ne sont pas le fruit de la volonté. Il s’agit de réponses instinctives régies par nos structures cérébrales qui concentrent leur activité afin d'accroître la vigilance pour se défendre face à la menace perçue. Cette défense s’organise en fonction de la personne que vous êtes. A savoir : un être unique de par votre génétique et de par les multiples expériences vécues tout au long de votre vie. Il n’existe pas de « bonne » ou « mauvaise » réaction, il s’agit de la vôtre et c’est une réaction qui ne peut être contrôlée par la conscience.
Certaines réactions vous sont déjà familières, elles sont connues sous les termes « fight or flight » ou réponse “combat-fuite”.
Ici, nous vous en exposons deux autres qui sont intéressantes à savoir repérer si vous ou un proche, êtes victime d’un événement traumatique. Elles font partie d’une troisième réponse : « freeze », littéralement « se geler », physiquement ou psychiquement.
Il s’agit d’une part de la sidération qui est un « état de stupeur émotive dans lequel le sujet, figé, inerte, donne l’impression d’une perte de connaissance ou réalise un aspect catatonique par son importante rigidité, voire pseudoparkinsonien du fait des tremblements associés » (Buffet, 2014). La sidération est une réaction qui s’apparente à une anesthésie. Nous pouvons l’observer aussi chez certains animaux qui vont simuler un état de mort afin de leurrer un prédateur menaçant. Ce phénomène a toujours existé et a vocation de protéger le psychique notamment en distanciant la souffrance et les émotions.
Une autre réaction pouvant être observée : la dissociation. Elle est caractérisée par une perturbation et/ou discontinuité dans l’intégration normale des émotions, de la conscience, de l’identité et de la mémoire (DSM-5***, 2013). Elle peut prendre différentes formes telles que l’amnésie dissociative (l’oubli d’éléments spécifiques liés à l’évènement ou encore la totalité de l’évènement), la dépersonnalisation (impression de sortir de son corps, de s’observer) ou la déréalisation (expérience d’irréalité de l’environnement).
C’est notamment en raison de ces réactions que certaines interventions précoces existent. Si vous venez d’être confronté à un événement potentiellement traumatique, vous pourrez être amené à rencontrer dès la fin de l’évènement des psychologues, médecins, infirmiers (Constantin-Kuntz et al., 2004). Ces interventions auront pour vocation de contenir le stress et d’essayer de recréer une cohérence dans le discours afin de sortir d’un état de sidération et/ou de dissociation.
L’expérience traumatique peut être vécue directement (témoins, victimes), ou indirectement (présents aux alentours, proches). La prise en charge psychologique était dans un premier temps, centrée autour des impliqués directs avec comme objectif de limiter les répercussions psychologiques à court, moyen ou long terme comme par exemple les Troubles de Stress Post-Traumatique (TSPT). L’expérience des différentes interventions menées a permis de faire le constat que tous les impliqués directs ne développent pas automatiquement de TSPT. En revanche on peut observer que les personnes n’ayant pas vécu l'événement physiquement mais ayant été au contact d’impliqués directs (famille, collègues, amis) pouvaient développer une symptomatologie traumatique (Constantin-Kuntz et al., 2004). Cela sous-tend alors l’importance de la prise en charge des impliquées indirects en sensibilisant notamment sur leur légitimité à recevoir des soins au même titre que les personnes impliquées directement.
A la suite de l’événement, il se peut que des manifestations de stress surviennent. Il s’agit d’un temps de digestion de ce qui vient de vous arriver. Vos réactions (trouble du sommeil, de l’alimentation, d’irritabilité, souffrance psychique et somatique, etc.) sont des réactions normales à la suite d’un événement dit anormal. Néanmoins, s’il est naturel de traverser ces états pendant un temps, prendre conscience de l’intérêt d’une prise en charge psychologique semble primordial afin de limiter l’enkystement dans ces manifestations de stress.
Des suites d’un événement traumatique peuvent naître des marqueurs et des manifestations psychologiques et physiologiques témoignant d’un état de stress qui ne s’estompe pas, malgré le temps qui passe (DSM-5, 2013).
On peut observer :
Des reviviscences : souvenirs répétitifs, envahissants, involontaires.
Des flashbacks : des dissociations pendant lesquelles l’évènement traumatique est revécu provoquant une importante détresse.
Des terreurs nocturnes ou cauchemars : des rêves répétitifs liés à l’évènement traumatique un sentiment intense ou prolongé de détresse psychique lors de l’exposition à des indices externes pouvant évoquer un des aspects de l’expérience traumatique (odeurs, couleurs).
Des conduites d’évitement : en raison de cette détresse ressentie, on peut observer alors des conduites d’évitement visant à limiter l’exposition à des rappels externes qui pourraient éveiller des souvenirs ou des pensées liés à l’évènement (contourner des lieux, limiter les sorties, ne plus voir certaines personnes).
Par ailleurs on peut aussi observer :
Des altérations négatives des cognitions et de l’humeur (difficulté de mémorisation, de concentration, humeur négative persistante, diminution de l’intérêt portée aux activités de loisirs, irritabilité, incapacité à éprouver des émotions positives ou de plaisir, sentiment de détachement d’autrui).
D’autres marqueurs, tels que des accès de colères, des comportements autodestructeurs, de l’hypervigilance peuvent aussi émerger.
Quelle que soit la durée entre l'événement et l’apparition de certains de ces symptômes (des semaines, des mois ou parfois même des années), s’ils s’installent au-delà d’un mois, ils manifestent d’un état de stress directement liés à l’exposition traumatique (DSM-5, 2013).
Vivre ces manifestations est particulièrement difficile et quotidiennement éprouvant. Leur installation dans le temps, signe de futures difficultés dans les différentes sphères de la vie d’une personne (familiale, relationnelle, professionnelle).
Ainsi la prise en charge thérapeutique a pour vocation d’aider à sortir de cette souffrance infernale venant perturber l’organisation psychique, somatique et personnelle.
L’addiction : On observe un lien fort entre l’addiction et le psychotraumatisme. En effet, lorsqu’on vit une telle souffrance on peut se tourner vers des « anxiolytiques » naturels (drogues, alcools, antidouleurs) qui peuvent avoir provisoirement l’effet de contenir l’angoisse en permettant notamment de trouver le sommeil. L’addiction s’installe insidieusement et constituera une difficulté supplémentaire importante à long terme. L’effet recherché reste le même (en moins ciblé et en provoquant de graves addictions) que celui dont vous pourriez bénéficier par un traitement prescrit par un médecin pour soulager ces angoisses. Les avantages de passer par un médecin sont que les effets et la durée du traitement seraient contrôlés afin d’éviter les addictions. Ces traitements seraient choisis et adaptés spécifiquement pour vous.
La dépression : Le stress vécu de manière prolongée (adrénaline, hyper activation de l'amygdale) épuise certaines régions cérébrales, telles que celles permettant notamment de sécréter des hormones dites de « bonheur » (dopamine, sérotonine). Il s’agit alors d’une entrée dans la dépression avec de nouveaux symptômes surgissant et paralysant un peu plus encore la vie psychique, sociale, familiale et professionnelle. L’expérience de ces symptômes et de cette souffrance peut aboutir à des idées suicidaires pouvant conduire au passage à l’acte.
Ne pas s’enfermer dans le silence et la souffrance.
Le tableau clinique décrit ci-dessus est inquiétant et handicapant. On n’en soupçonne l’existence qu’une fois qu’on en fait l’expérience. Ainsi en revenant au point de départ de ces manifestations et pathologies, on en revient au vécu du stress suite à l'événement traumatique. On peut alors prendre la mesure de l’intérêt de ne pas s’enfermer dans le silence et la souffrance. Il est toujours plus accessible et efficace de travailler sur ces manifestations dès l’apparition des symptômes plutôt qu’en situation d’épuisement psychologique extrême. Malheureusement, en tant que psychologue, on observe une grande tendance à ne pas vouloir ou oser initier des prises en charges. Cela peut être liée à un déni des troubles apparus ou la conviction que rien ne peut être fait pour soulager ces souffrances. C’est pourquoi il semble important d’être sensibilisé et d’être vigilant à son entourage pour aider et accompagner une personne dans cette démarche. Car même si une personne développe un TSPT, sombre dans la dépression et/ ou dans une addiction: il est possible grâce au travail thérapeutique, aux ressources personnelles et aux ressources de l’entourage, de sortir de ces souffrances et de pouvoir recommencer à vivre, en se retrouvant.
De nombreux intervenants se mobilisent et proposent des thérapies ayant démontré leur intérêt dans la prise en charge de personnes exposées à un événement traumatique.
Les Cellules d’Urgences Médico Psychologiques (CUMP) se mobilisent dès lors qu’un évènement grave impliquant plusieurs victimes survient. Constituées de médecins, psychologues, psychomotriciens, infirmiers, elles sont une source de soutien et de transmission d’informations importantes tels que les centres et numéros qui peuvent être contactés pour une prise en charge. L’un des objectifs de ces interventions, dites de « defusing » et de « debriefing » , est de permettre de recréer une cohérence dans le discours afin de pouvoir sortir d’un éventuel état dissocié ou sidéré et de permettre une conscientisation ainsi qu’une élaboration de l’expérience vécue.
Par ailleurs, dix centres nationaux de psychotraumatologie coordonnés par le Centre National de Ressource et de Résilience (CN2R) ont ouvert leurs portes récemment suite à un appel à projet ministériel. Leur vocation est d’améliorer les connaissances et la prise en charge de personnes ayant vécu un événement traumatique.
Faîtes-vous confiance et prenez en considération le droit que vous avez à vivre un accompagnement, sans que cela ne rime avec échec personnel ou faiblesse morale. Accordez à vos proches la confiance de vous faire part de leurs inquiétudes s’il en existe à votre égard et entendez-les. L’entourage est une ressource particulièrement aidante en cas de difficulté, essayez de ne pas vous isoler dans votre souffrance.
Pour finir, il est toujours possible d’évoluer et de bénéficier rapidement d’un mieux-être, notamment concernant les symptômes tels que les reviviscences, les troubles du sommeil et les flashbacks qui peuvent s’apaiser rapidement grâce à des outils thérapeutiques ciblés et conçus pour. Il est conseillé de tenter des approches thérapeutiques qui sont élaborées et scientifiquement reconnues par l’OMS et l’HAS pour la prise en charge du traumatisme, comme l’EMDR et l’ICV, proposées par des psychiatres et des psychologues.
Lexique:
* Somatique: traduction physique d’un stress psychique (ex: maux de tête, de dos, trouble du sommeil, eczéma).
** Impliqué: Mot utilisé pour désigner une personne ayant vécu un événement traumatique.
*** DSM-5: Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, publié en 2013 par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Sources :
American Psychiatric Association. (2013). Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5 e éd.). Arlington, VA: American Psychiatric Publishing.
Buffet, A.-L. (2014, septembre 24). État de sidération—Définition. Consulté, à l’adresse https://cvpcontrelaviolencepsychologique.com/2014/09/24/etat-de-sideration-definition/
Chidiac, N., & Crocq, L. (2010). Le psychotrauma. Stress et trauma. Considérations historiques. Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, 168(4), 311– 319. doi:10.1016/j.amp.2010.03.013
Constantin-Kuntz, M., Samba, F., Zoute, C., Moreau, P., & Chaumet, F. (2004). Des traitements psychologiques des impliqués indirects dans les situations d’urgence psychologique. Pratiques Psychologiques, 10(4), 335‑347. https://doi.org/10.1016/j.prps.2004.09.002
par Rose de Cherisey, Psychologue clinicienne
le 2020-05-27
Nous sommes issus, en France et plus largement en Europe occidentale, d’une histoire, entre autres, cartésienne, qui sépare l’émotion de la raison.
Nous avons longtemps considéré que l’émotion était un frein à la raison. Selon Descartes, l’émotion, au même titre que la passion, représenterait même des affections, venant alors entraver le raisonnement et le bon fonctionnement du cerveau.
Les recherches plus récentes, effectuées par les neurologues et psychologues, montrent à l’inverse, que les émotions et le cerveau travaillent ensemble, s'apportant des informations complémentaires importantes, participant à ce que l’on appelle les compétences logiques et les compétences émotionnelles (1).
Dans différentes cultures et notamment en Asie par exemple, la prise en compte des émotions est ancestrale et constitue une énergie positive au service de chacun, tant d’un point de vue professionnel que personnel, collectif qu’individuel.
Il n’est pourtant pas rare encore aujourd’hui d’entendre des demandes impossibles telles que « on laisse le perso chez soi et le pro au travail » ou des clichés tels que « les émotions n’ont pas leur place en entreprise ».
Alors, qu’en est-il de ces fameuses émotions dans notre vie professionnelle ? Celles que nous savons maintenant nécessaires à la gestion de notre vie quotidienne, mais surtout, indissociables de notre être et de notre essence même ?
Notre société actuelle est duelle dans bien des sens (2), et la crise sanitaire que nous venons de traverser nous a confrontés à ces ambivalences qui se sont creusées, mais également à nous-mêmes (3). Le retour au monde professionnel comme nous le connaissions il n’y a que quelques mois encore ne pourra pas se faire sans transformation ni changement.
Les entreprises qui se sont le mieux adaptées à la crise d’un point de vue professionnel ont écouté les collaborateurs dits « de terrain », ont développé en eux une confiance, une volonté de pousser à l’autonomie, à la créativité, tout en créant des espaces de paroles où chacun pouvait s’exprimer librement (4). On arrive donc ici à ce qu’on appelle l’Intelligence émotionnelle.
Si sa définition paraît évidente, son application ne l’est pas pour autant, principalement à cause de nos croyances concernant les émotions et leur utilité, ceci, autant dans la vie professionnelle que personnelle. Nous entendons encore fréquemment qu’un garçon ne doit pas pleurer (et donc être triste) ni avoir peur, et qu’une fille ne doit pas se mettre en colère mais privilégier la douceur et la tranquillité. Il semble donc important, avant d’aborder l’intelligence émotionnelle, de considérer les émotions en elles-mêmes.
On parle d’abord des émotions primaires, dites biologiques, innées, instinctives. Au nombre de six, elles participent à notre survie. On retrouve la Joie, la Colère, la Peur, la Tristesse, le Dégoût et la Surprise. Tout comme les couleurs primaires qui forment, en se mélangeant, un arc-en-ciel, les émotions primaires vont s’imbriquer et donner des émotions plus complexes, appelées les émotions secondaires, plus communément connues sous le nom de « sentiments » : la colère associée à la peur peut par exemple donner un sentiment de frustration, ou d’injustice. La joie et la tristesse se transformeront en nostalgie.
Chaque émotion a une origine et un besoin qui lui sont propres. La peur, provoquée par une situation perçue comme dangereuse indique un besoin de sécurité. La colère, générée par une atteinte à l’intégrité demande la réparation du dommage commit. Une fois cette base posée, nous pouvons nous demander ce qu’est l’intelligence émotionnelle et quelles sont ses compétences (5) ?
Comme évoqué plus haut, nous avons des compétences logiques et des compétences émotionnelles. Quelles sont, alors, les 5 compétences émotionnelles ?
Les émotions sont encore parfois méconnues et donc, difficilement identifiables. En parallèle, elles arrivent en nombre et il n’est pas toujours évident de savoir quelle est l’émotion la plus présente à tel ou tel moment. Il est donc important, lorsqu’on se sent pris dans un flot émotionnel, de se poser la question : qu’est-ce que je ressens ? Les techniques sont aujourd’hui variées pour se mettre en condition d’écoute de ses émotions et de leurs ressentis corporels, allant du balayage corporel au yoga, passant par la respiration, l’écriture, l’entretien psychologique ou encore la méditation. Il ne tient donc qu’à chacun d’entre nous de développer cette posture d’identification qui nous amènera à la deuxième compétence émotionnelle.
Une fois l’identification de l’émotion principale terminée, il nous faut comprendre ce qui l’a engendrée (la situation, et donc le comment) et la raison pour laquelle c’est cette émotion qui s’installe plutôt qu’une autre (la réaction, et donc le pourquoi).
Chacun d’entre nous avons des réactions qui nous sont propres, dirigées par nos expériences précoces et actuelles, notre personnalité, nos injonctions, notre seuil de tolérance…. Ainsi, la compréhension de l’émotion nous aidera à nous rapprocher de nous-même, de nos valeurs, et nous permettra donc de l’exprimer.
L’émotion peut s’exprimer en deux temps (à chaud ou avec une prise de recul), mais de bien des manières. Elle peut rester pour nous ou être communiquée à l’autre, se décharger dans le sport ou dans l’écriture, la musique, ou dans un courriel à un collègue qui nous a énervé.
L’important, dans cette notion d’intelligence émotionnelle sera de pouvoir exprimer son émotion sans être sous son emprise, que l’on puisse l’accepter et s’en servir, au lieu de tenter de la refouler ou de la dénier car on ne lui trouve pas d’utilité instantanée.
Réguler ses émotions, c’est réussir à ne pas être dirigé par elles, mais s’en servir de manière efficace et sereine, pour avancer en accord avec nous-mêmes. C’est aussi réussir à réguler celles de notre interlocuteur, de l’aider à les identifier, à comprendre et exprimer ses propres émotions, même si elles sont en désaccord avec les nôtres. Il y a donc la notion du respect de l’autre et de ce qu’il ressent, de ce que ses comportements et émotions viennent provoquer chez nous. Si l’Intelligence émotionnelle passe par un travail individuel, elle prend forcément en compte l’autre, puisque nous sommes avant tout des êtres sociaux. Comme nous l’avons vu plus haut, les méthodes de régulation des émotions sont nombreuses et il ne tient qu’à chacun d’entre nous de trouver la méthode en accord avec nous-même.
L’émotion participe au passage à l’action. Lorsque je traverse la route, la peur me fait regarder sur les côtés pour m’assurer de passer en toute sécurité. Ne pas prendre nos émotions en considération lors du passage à l’action nous ferait bien souvent foncer droit dans le mur, puisque nous n’aurions pas conscience ni des risques, ni de notre réelle motivation à le faire. Devenir manager d’une équipe lorsqu’on n’apprécie pas particulièrement les responsabilités, asseoir son statut de supérieur hiérarchique et prendre la parole en public, par exemple, risque de faire de nous un manager en difficultés qui risquerait de dégrader un collectif.
A la lecture de ces cinq compétences, on comprend alors qu’elles s’appliquent non seulement dans le milieu professionnel, mais également dans le milieu personnel.
Il s’agit d’une démarche individuelle ayant un impact fort sur soi, mais également chez nos différents interlocuteurs.
La crise du Covid-19 a eu un impact sur chacun d’entre nous. Elle a aidé à des prises de consciences personnelles et sociétales, environnementales et économiques. De nombreux groupes veulent voir émerger de nouvelles actions, méthodes, pour intensifier le respect de la planète, repenser l’économie individuelle, nationale, mondiale, le monde du travail, la course au « tout, tout de suite » et aussi et surtout, être plus proche de l’humain. De la prise de conscience du travail des soignants à celle du besoin d’être avec nos proches, de travailler, de sortir, de bouger, en passant par la nécessité de trouver du sens à nos actions et notre quotidien, ces prises de conscience ont pour idéologie de nous rapprocher de l’essentiel (6).
Dans nos conditions professionnelles et dans l’optique d’un retour dit « à la normale », il sera donc important de privilégier cet espace d’échange autour des ressentis individuels et collectifs, où chaque membre de l’équipe, collaborateur comme manager, arrivera à se munir de ces compétences pour les exploiter et s’en servir dans le but d’agir et d’interagir, en adéquation avec soi-même et les autres.
Loin d’être l’unique clef, l’intelligence émotionnelle à travers une communication plus ouverte, transparente et bienveillante nous rapprochera de cet essentiel et nous guidera vers nos besoins fondamentaux.
Rose de Cherisey
Sources
La raison des émotions Antonio R. Damasio, paru en janvier 2010 Essai (Poche)
https://www.institut-entreprise.fr/limpact-de-la-crise-du-covid-19-sur-le-travail-premiere-analyse
Manager avec l’intelligence émotionnelle. Pierre-Marie Burgat, Ed. Dunod. 2016.
par Sophie Cappe de Baillon, Psychologue et coach en orientation
le 2020-05-19
Le déconfinement a sonné. Néanmoins pour certains, le télétravail, les révisions à domicile, la garde des enfants laissent un goût de confinement prolongé ou en tout cas, n’aide pas à se mobiliser plus pour son travail.
Une réunion à forts enjeux prochainement ou des examens à préparer ? Au fil des jours cela peut devenir de plus en plus urgent. C’est idéal de commencer maintenant car vous avez (encore ?) du temps. Et pourtant. Rien à faire. Vous ne trouvez pas l’énergie.
Qu’on soit salarié ou étudiant, travailler est un défi encore plus grand en ce moment. Au début, il y a eu l’excitation de découvrir un nouveau rythme de travail, de chez soi, à distance. Mais les jours ont passé et l’énergie manque vraiment… Dans cet article je vous propose de : comprendre pourquoi cette période est si propice à la démotivation, d’ouvrir des pistes de réflexions afin de comprendre ce qui vous motive, et concrètement, qu’est-ce que je peux faire pour retrouver de l’énergie ?
Pourquoi cette période est si propice à la démotivation ?
Depuis le début du confinement, on a tous changé nos habitudes de travail à cause d’un seul élément : notre cadre social n’existe plus. Le rythme de nos vies personnelles a changé de manière évidente mais côté professionnel, ça a été un peu plus insidieux. Au début, on était ravis d’échapper au temps de transport, aux réunions à rallonge et autres désagréments. Pourtant, toutes ces habitudes apportent un rythme et une structure à nos quotidiens, sans même que nous en ayons conscience.
Prenez la réunion d’équipe hebdomadaire: elle vous sortait souvent de la tête mais voir vos collègues quitter leurs bureaux tous en même temps vous rappelait à l’ordre. Désormais, vous êtes le seul et unique acteur de votre rythme, à vous de vous organiser avec vos contraintes professionnelles ET personnelles. Cela demande beaucoup plus d’énergie. (D’autant plus si certains de vos co-confinés ont moins de 10 ans !)
En plus de cela, il y a le manque ou le trop plein de travail, le chômage partiel ou encore l’assignation de “travail de fond” toujours repoussé jusqu’alors. En bref, c’est l’incertitude et on se questionne : est-ce que mon travail actuel est vraiment utile ?
Modification du lien social, absence de temporalité, résultats peu visibles, manque d’objectifs, autant de raisons de baisser les bras ?
Bill Gates disait : “Je choisis une personne paresseuse pour un travail difficile, car une personne paresseuse va trouver un moyen facile de le faire.”
Toutes ces contraintes pourraient être l’opportunité de développer votre capacité à être un paresseux-heureux. Parlons plus en détail de la motivation pour mieux agir !
La motivation c’est la raison qui va nous mettre en mouvement, la cause qui va susciter l’énergie. Regardons cela plus en détails.
La théorie de l'autodétermination a défini 3 types de motivation principaux :
L’amotivation est l’absence de motivation. Pas trop besoin de vous expliquer, je pense qu’on a tous vécu récemment où on passe d’une tâche à l’autre, sans conviction. Cet état de léthargie très désagréable renvoie à la question du sens : pour quoi faire cela ? L’attitude à adopter peut être de vous interroger sur le besoin auquel répond cette activité.
La motivation extrinsèque est la réalisation de tâches pour des motifs externes. L’enfant puni qui se retrouve à écrire 100 fois la même phrase pour une punition est un bon exemple. Il y a différents types de régulations de cette motivation. Prenons l’exemple du travail.
Je travaille pour faire plaisir à mes parents/mon boss → Il s’agit d’une régulation externe.
Je travaille parce que si je ne le fais pas je vais culpabiliser → Il s’agit d’une régulation introjectée.
Je travaille car ça me permettra d’atteindre un poste qui me plaira → Il s’agit d’une régulation identifiée.
Je travaille car c’est aligné avec mes valeurs de travail bien fait → Il s’agit d’une régulation intégrée.
Différentes type de régulations qui vous permettent de gagner en motivation à court/moyen terme.
La motivation intrinsèque est le plus haut degré de motivation, le plus durable et aussi le plus personnel ! Vous souvenez vous d’un moment où vous vous êtes engagé spontanément et volontairement dans une tâche par intérêt ou plaisir personnel ?
Pour expérimenter ce qu’est la motivation intrinsèque, pensez à la dernière activité que vous avez aimé faire sans solliciter trop d’énergie. Ca peut être la cuisine, la lecture, le sport… Il y a 3 piliers dans la motivation intrinsèque :
Avoir de l’autonomie : pouvoir orienter ses désirs comme on le souhaite
Agir pour quelque chose qui a du sens pour nous.
Développer une envie de maîtrise : réaliser qu’on peut toujours apprendre plus sur ce sujet !
Attention, il n’y a pas une motivation meilleure que l’autre. On a besoin de la motivation intrinsèque ET extrinsèque pour se mettre en marche. Ces différents types de motivation s’inscrivent dans un continuum où l’énergie fluctue selon notre capacité à écouter nos envies personnelles et à reconnaître nos forces et compétences.
Ces périodes de confinement et déconfinement sont une belle occasion de faire plus avec moins, l’occasion de développer une paresse efficace et d’aller au plus simple comme le disait Bill Gates. Dans ce but, je vous propose deux expériences.
Expérience 1 : dans les dernières semaines, quelles sont les activités qui vous ont mobilisé sans effort ? Celles pour lesquelles vous pouvez-vous mettre en mouvement facilement ? Identifier ces moments de mise en mouvement facilitée vous permet d’identifier vos forces : les choses que vous savez bien faire spontanément.
Expérience 2 : Pour affiner la connaissance de vos motivations, je vous propose de reprendre 3 moments professionnels où vous vous êtes senti particulièrement motivé. Décrivez les en détail (votre rôle, vos interlocuteurs, vos actions exactes…) Puis sous votre texte, tracez 2 colonnes à compléter à lumière des types de motivations décrits ci-dessus. D’un côté, vous inscrivez vos motivations intrinsèques et de l’autre côté, vos motivations extrinsèques pour comprendre ce qui marche pour vous motiver personnellement. Et la prochaine fois que l’absence de motivation se fait sentir, allez piocher dans cette liste !
Prenez soin de vous,
Sophie Cappe de Baillon
Psychologue - Coach en orientation
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Sources :
https://www.ted.com/talks/dan_pink_the_puzzle_of_motivation?language=fr
par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-05-12
Je vais être honnête, je suis devenue incollable sur le programme télévisé, j’ai repoussé mon réveil jusqu’au dernier moment, le micro-ondes est dorénavant mon meilleur ami et je n’ai pas encore revêtu mon jogging commandé en express le 17 mars dernier …
Avez-vous suivi le challenge abdominaux, cuisiné avec des grands chefs et aidé vos enfants à résoudre le problème de mathématiques : celui avec le trou dans la baignoire ?
C’est étrange de s’apercevoir que les vingt-quatre heures qui constituent nos journées peuvent être à la fois interminables et nous filer entre les doigts. Organiser ce temps a constitué un défi majeur lors du confinement : remplir ses journées pour lutter contre l’ennui pour certains ou au contraire arriver au bout de sa liste de tâches pour d’autres.
Notre niveau d’énergie fluctue sans cesse, nous sommes soumis à nos différents rythmes biologiques :
les cycles circadiens qui durent 24 h et nous permettent d’alterner les phases de veille et de sommeil, ils sont synchronisés par l’alternance jour/ nuit
les cycles ultradiens eux, sont plus courts : c’est l’alternance de périodes de grande efficacité avec des moments où nous sommes moins éveillés.
Tout au long de la journée, nous alternons les phases de vivacité (de 90 à 120 minutes) avec des moments où nos organismes ont besoin de se régénérer (15 à 20 minutes).
Alors si vous avez envie de vous étirer, de bailler, que vos pensées s’emmêlent, c’est que vous n’êtes pas disposé à accomplir des tâches coûteuses en énergie : votre organisme a besoin de faire une pause pour repartir de plus belle !
Ces cycles se synchronisent automatiquement mais sont aussi influencés par nos modes de vie et quand ils se désynchronisent nous somme à plat !
Voici quelques conseils pour prévenir le risque d’épuisement :
Pour expliquer la charge mentale, on compare souvent notre cerveau à un canal de transmission.
Ainsi, le flot d’informations professionnelles, les contraintes personnelles et l’actualité viennent remplir notre « disque dur interne » et quand il surchauffe : la facture peut être salée !
A la différence d’un circuit électrique où les appareils s’éteignent lorsqu’ils sont trop nombreux, le cerveau va filtrer les informations qu’ils jugent moins importantes pour les mettre au second plan. Résultat: plus une tâche est difficile à résoudre, moins nous sommes capables d’en effectuer d’autres au même moment.
Lire un mail et écouter les informations tout en surveillant du coin de l’œil votre enfant demandent au cerveau un effort considérable pour rester attentif et concentré. Vous sollicitez au même moment votre cortex préfrontal qui doit sans cesse faire l’aller-retour entre les différentes zones cérébrales impliquées dans ces activités.
Votre cerveau ne sait pas faire plusieurs choses à la fois et être optimal dans la gestion de chaque tâche.
Il n’y a pas que les tâches à accomplir qui fatiguent notre cerveau. Le contrôle des émotions qui accompagnent l’ensemble de ces pensées est éreintant !
Par les temps qui courent, il est tout à fait naturel, quelles qu’aient pu être nos conditions de confinement, de ressentir des émotions plus fortes que d’habitude : la peur, la tristesse ou la frustration par exemple.
Que vous soyez seul ou en famille, que vous soyez actif ou en activité partielle, il n’est pas toujours simple de prendre le temps d’analyser ses ressentis, pas toujours adapté de parler de ce qui nous gêne. Nous sommes enfermés dans un huis clos émotionnel :
Soyez le Sherlock Holmes de votre état intérieur :
Placez vous devant une feuille de papier et écrivez vos pensées comme elles viennent,, sans les juger. Au début, elles seront peut-être confuses mais à force de les extérioriser vous allez au bout d’un moment mettre le doigt sur l’origine de vos ressentis. Pour vous aider, partez d’une situation banale et racontez-la simplement. Si vous rêvez, couchez vos souvenirs sur le papier et nommez les émotions que vous ressentez. Il n’y a pas de mauvais sujet ! A force d’associations, vous allez vous libérer des émotions et des pensées qui se sont accumulées et qui peuvent modifier votre humeur et votre comportement.
Gardez votre routine :
D’après une étude longitudinal menée par l’IFOP, 74 % des personnes confinées rapporteraient des troubles du sommeil. Ces derniers sont réputés pour leurs impacts sur les activités quotidiennes et sur le niveau d’anxiété.
Les facteurs environnementaux jouent un rôle fondamental dans la régulation de notre énergie :
L’alimentation par sa quantité (excès et restriction) et par sa qualité joue un rôle essentiel dans votre apport en énergie : si vous le pouvez, il est nettement recommandé d’éviter la prise d’excitants et la nourriture industrielle.
Délimitez vos espaces :
Pour beaucoup, déconfinement ne rime pas avec retour au travail. Alors une fois encore, essayez de séparer l’espace de travail de l’espace de vie : même si c’est symbolique ! Ranger vos affaires de travail une fois la journée terminée pour les ressortir le lendemain.
L’explosion de l’offre culturelle et la profusion des recommandations sont certes, une chance inouïe d’être plus créatif, d’apprendre de nouvelles choses, de faire passer ces temps de confinement et de déconfinement pour ressortir grandi de cette expérience. Mais attention, pas de panique si vous ne trouvez rien qui vous attire, c’est peut-être simplement que votre besoin se trouve ailleurs : laissez vous le temps d’aller à sa recherche …
« Les hommes connaissent leur désir mais pas les causes qui les déterminent »
Pauline d'Heucqueville
Sources :
- Génétique des rythmes circadiens et des troubles du rythme circadien du sommeil - Genetics of circadian rhythms and of circadian rhythm sleep disorders, Y.Dauvilliers12
- Enquête réalisée par l’Ifop pour le consortium COCONEL, qui réunit des chercheurs de l’UMR VITROME, 2020
par Marion de Champsavin, Psychologue clinicienne
le 2020-05-07
La pandémie actuelle confronte la population toute entière à une situation imprévisible. Et nous voilà confinés depuis presque deux mois, afin de se protéger de cette invisible menace. Vie sociale, mode de travail, économie, quotidien s’en retrouvent bousculés.
Afin d’apporter un éclairage à cette question, nous explorerons le processus de crise à l’échelle planétaire et individuelle, et les changements qu’elles supposent. Les éléments théoriques rapportés ici ont pour objectif de mieux comprendre ce qui se joue en nous et autour de nous à l’heure de la situation pandémique et de proposer des outils thérapeutiques pour nous aider à la traverser.
La crise au sens large
La crise marque la rupture d’un équilibre par la survenue d’un évènement inattendu, laissant vulnérable, limité, celui qui la subit. « Présentant en effet le visage d’une situation insolite par nature, la Crise est faite d’instabilité et de surprise, de tensions et de paradoxes, d’incertitude et de désordre, d’ignorance et d’aveuglement collectif ou individuel ». (T. Portal, 2009). Les incertitudes se trouvent accrues et l’équilibre doit alors être retrouvé.
Alors que l’homme percevait le monde à travers une logique cartésienne, plaçant la raison au cœur de sa pensée, la succession d’évènements chaotiques fait peu à peu place à la dimension d’inconstance.
Ces évolutions nous amènent à sortir de l’ère de l'individualisme pour aller vers une vision holistique du monde, reliant davantage l’homme à un système. Pour faire face à un univers qui nous dépasse, hors de de notre maîtrise, « Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille… » (E. Morin, 2020).
Edgar Morin nous explique que le désordre réside dans tout système vivant, l’homme compris, et que nous fonctionnons avec, malgré, à cause, tandis qu’une partie est « refoulée, vidangée, corrigée, transmutée, intégrée ». La crise nous confronterait alors à un désordre jusque-là dissimulé.
Crise du sujet
A l’échelle individuelle, cette perte de repères vient accentuer les réactions émotionnelles, mêlant tensions, stress, émotivité. Révélatrice des troubles de l’homme, la crise nous renvoie à notre sentiment d’impuissance. Ainsi, l’apparition du COVID-19 expose l’individu à la menace de sa propre mort ou bien à celle de ses proches. C’est la confrontation à notre propre mort qui vient faire trauma. Bouleversant nos croyances, cette menace fragilise nos personnalités. Devant le traumatisme psychique, Louis Crocq met en évidence trois types de perte qu’il me semble intéressant de développer afin de mieux saisir la vulnérabilité à laquelle nous sommes exposée.
- la perte de « l’illusion d’invulnérabilité » : Face à un danger de mort, l’homme se sentirait en insécurité, redoutant d’être menacé à tout moment par un évènement qui le rendrait faillible. Cela nous renvoie à la perte du fantasme d’immortalité.
- la perte de la « croyance en un environnement physique sécurisant, solide et protecteur ». Confronté aux limites de son environnement avec l’apparition d’une menace, l’évènement traumatique révèle une défaillance extérieure, renvoyant l’homme à un sentiment d’insécurité profond. Or pour vivre sans souffrance, l’homme a besoin de sentir en sécurité dans le monde qui l’entoure.
- la perte de la « conviction que l’humanité est bonne ». Afin de se sentir en sécurité dans la rencontre avec l’autre, l’homme a besoin de pouvoir compter sur autrui. Or dans un évènement traumatique, le groupe peut nier ce besoin, ou bien parce qu’il se trouve impuissant face aux besoins de la victime, ou bien parce qu’il est lui-même agresseur. Dans la situation actuelle, force est de constater que le secours nécessaire à la protection de la population se trouve entravé entre autres par la survenue imprévisible d’un virus et sa rapidité de propagation. A cet évènement s’ajoute le phénomène de contagion, qui vient interroger notre rapport au soin, au soutien, dans un contexte où l’individu est une potentielle menace pour l’autre car possiblement contagieux.
Face à l’effondrement de trois croyances nécessaires à la sécurité interne du sujet, l’homme se retrouve « démunis de tout moyen de défense » (Louis Crocq, 1997). Derrière la dimension de vulnérabilité à laquelle nous sommes exposés, la pensée psychiatrique aborde la notion de changement dans les phénomènes de crise. Celle-ci est décrite comme « un état temporaire de déséquilibre, de changement remettant en question l’ordre ou la stabilité du sujet et dont l’évolution est ouverte et variable. La crise participe ainsi de la succession de deux temps, celui de l’incertitude et de l’indécision, de l’angoisse ou d’un sentiment de rupture, puis celui de la résolution, d’une issue favorable ou défavorable ». (J-J Rassial, E. Bidaud, P. Lévy, 2001) Pour Jean-Claude Carrière, la crise implique « à la fois tout le passé et tout l’avenir de l’action dont il marquait le cours ».
Vers un changement
La phase d’agitation émotionnelle amenée par la crise nous met face à notre vérité jusque-là ignorée. Cette étape certes inconfortable, nous donne l’occasion de mettre au grand jour ce qui était caché jusque-là, et de trouver du sens dans ce qui pouvait nous échapper, aussi bien au niveau individuel que collectif. Elle nous confronte à la fois à notre rapport au monde, à nos croyances et à nos profondes incertitudes. Ce passage révèle en nous des ressources insoupçonnées, mettant en lumière nos capacités d’adaptation, de transformation. « Niveau de perception, capacité d’adaptation, imagination » font parties des ressources nommées par Thierry Portal pour pouvoir vivre cette crise et la dépasser. L’accueil de nos émotions et notre capacité d’acceptation sont également des ressources que nous développerons par la suite. Ce cheminement nous amène peu à peu à un processus de discernement, à l’action de trier, d’analyser.
L’origine du mot Crise « krisis » signifiant « jugement, décision », trouve alors tout son sens. Ainsi derrière le passage de confusion, se dessine la possibilité d’une décision, nous amenant vers une nouvelle direction. A nous d’inventer la suite, d’en déchiffrer le sens.
A l’échelle planétaire la crise suppose donc des changements au niveau de nos représentations. Comme le souligne Thierry Portal, les périodes de grandes instabilités ont vu éclore de nouvelles perspectives telles que la théorie de l’évolution de Charles Darwin au 19e siècle, ou encore la découverte de l’inconscient et sa théorisation par Sigmund Freud. « Petit à petit, de nouveaux discours d’explication du monde « tel qu’il vient » entrent en scène comme autant d’articulations majeures entre des moments de grands basculements où tout change, rendant possible ce qui n’était hier qu’illusion » (T. Portal 2009). Ce propos se voit renforcé par Edgar Morin qui explique que « Toute évolution naît toujours d’évènements/accidents, de perturbations qui donnent naissance à une déviance, qui devient la tendance, … laquelle entraîne des désorganisations/réorganisations plus ou moins dramatiques ou profondes ». Selon lui, la crise crée de nouvelles conditions pour l’action, impliquant des mouvements de progression et de régression, de possibles réorganisations, créations et dépassements. « Elle met en marche, ne serait-ce qu’à un moment, ne serait-ce qu’à l’état naissant, tout ce qui peut apporter changement, transformation, évolution ». (E. Morin)
Impliquant ruptures et changements, le processus de crise est à penser comme un passage ouvrant une voie à la créativité et à l’imaginaire. J-J Rassial, E. Bidaud, P. Lévy (2001) présentent la crise comme contribuant à la construction de l’individu, tout en rappelant qu’il peut s’y perdre. Ce passage suppose alors un choix entre « La voie du sens et celle du non-sens ; de l’être et du non-être. », ainsi exprimé par Derrida. Ces auteurs proposent alors de « penser l’espace de la crise, l’espace transitionnel et l’espace analytique » comme un tout « théoriquement cohérent où le sujet se met en « jeu ».
Face au caractère urgent de la situation, il est naturel de mettre en place des comportements nous assurant une certaine maîtrise, visant à nous rassurer en partie. La durée du confinement peut également nous amener à remplir notre emploi du temps pour éviter l’ennui, l’angoisse, la fatigue et autres sensations désagréables qu’il peut faire remonter. Les concepts amenés ici, visent au contraire à accepter la réalité telle qu’elle est, et laisser la place à notre intériorité pour mieux accéder à nos ressources.
Le stoïcisme développé par Xénon nous enseigne à percevoir la réalité telle qu’elle l’est réellement et ainsi vivre en accord avec le monde, en replaçant la nature comme source des lois de l’univers. Il s’agit « de cette possibilité d'adjoindre aux manifestations incertaines de l'existence individuelle ou collective un équilibre menant à une part relative de stabilité, nous laissant alors la possibilité de comprendre la nature et de réfléchir sur notre conduite » pour mieux s’y adapter comme l’explique Thierry Portal. Cette vision amène à une certaine sagesse, à l’exemple de Sénèque, pour qui rien ne peut le perturber car il intègre qu’un événement hors de sa portée modifie ce qu’il avait anticipé.
Le stoïcisme nous invite à une philosophie de l’instant présent et de l’acceptation afin d’aller vers un mieux-être. En psychologie, plusieurs outils thérapeutiques soutiennent la dynamique d’acceptation. Nous allons proposer ici certains principes développés par la thérapie d’acceptation et de l’engagement (dite ACT « Acceptation Commitment Therapy »), ainsi que la pratique de la méditation. Ces outils sont des pistes pour nous aider à vivre cette période de crise pour mieux la dépasser.
La Thérapie ACT nous invite à accepter nos expériences négatives (pensée, émotion, situation, douleur), contre lesquelles nous avons habituellement tendance à lutter, afin de soigner nos maux. L’acceptation participe à l’augmentation du sentiment de maîtrise des phénomènes, et de cohérence. Il s’agit dans un premier temps de reconnaître les failles des comportements mis en place pour lutter. Cette dynamique nécessite une démarche volontaire et active. L’expérience peut être pénible sur le court terme en tant qu’elle renvoie à des émotions ou pensées désagréables. La démarche est à penser sur le moyen ou long terme pour être efficace.
La thérapie ACT repose sur plusieurs principes dont les valeurs et la défusion du langage que nous allons décrire ici.
Des exemples de métaphores données par J-L Monestès et M. Villatte amènent à prendre conscience que nous pouvons agir de manière indépendante de nos pensées ou émotions négatives qui s’imposent parfois comme barrière psychologique. Un des exercices consiste à penser dans sa tête « Je ne peux pas lever la main », et dès que cette pensée apparaît, nous l’indiquons en levant la main.
La pratique de la méditation est également une aide à l’acceptation et à l’accueil de l’instant présent. Cette méthode nous propose d’observer les pensées qui nous traversent, sans émettre de jugement dessus. Il s’agit également de faire davantage de place à notre corps, en recentrant notre attention sur nos sensations corporelles ou bien en se focalisant sur notre respiration. Les situations anxiogènes peuvent altérer notre respiration « Quand nous sommes stressés, nous la mettons même en hypofonctionnement » nous rappelle Michel Odoul. Être en silence, simplement relié à son souffle permet de faire davantage d’espace. Cet espace, qui fait place au vide est nécessaire à l’émergence de notre créativité que nous pouvons avoir tendance à sous-estimer. Dans sa pratique, le thérapeute Thierry Janssen insiste sur l’importance du silence pour éveiller notre conscience et se détacher peu à peu des peurs qui nous conditionnent. Par cette discipline du silence, il présente une voie d’accès à notre vérité intérieure nécessaire pour choisir en liberté.
Les outils présentés ci-dessus ne donnent pas une solution immédiate aux émotions ou situations désagréables. Elles sont des invitations à accueillir la réalité telle qu’elle est. Sur le court-terme, ces outils peuvent donner un effet de soulagement et nous renvoyer également à des expériences inconfortables comme nous avons pu le voir. Dans la pratique, cette prise de contact avec le monde et avec nous-mêmes qu’implique ces théories, sont des axes de travail pour poser des choix en cohérence avec ce que nous sommes et ainsi faire de cette crise l’occasion de revenir à un essentiel qui était peut-être négligé, une créativité inexploitée.
Sources :
- Janssen, T. (2018). Ecouter le silence à l’intérieur. Paris : l’iconoclaste
- Monestès, J-L,. Villatte, M. (2011). La thérapie d’acceptation et d’engagement ACT. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson
- Morin, E. (1976). Pour une crisologie. Communications. 25, 149-163
- Ponseti-Gaillochon, A., Duchet, C., Molenda, S (2009). Debriefing psychologique. Paris :Dunod
- Portal, T. (2009). Avant-Propos. Crises et facteur humain. 13-31
- Portal, T. (2007). Du pouvoir en situation extrême. Magazine de la communication de crise sensible. 14, 4-49
- Rassial, J-J., Bidaud, E., Lévy, P. (2001) La crise du sujet. Connexions. 76, 105-113
par Claire Raynaud de Lage, Psychologue Clinicienne
le 2020-05-05
« Sauver ou périr », cette devise de la Brigade de Sapeurs-pompiers de Paris pourrait résumer le fonctionnement psychique des personnes souffrant du syndrome du sauveur : sauver l’autre, dépenser une énergie incommensurable pour le porter, démêler les nœuds de sa vie, l’aider à corps perdu, ou ne pas exister.
Le sauveur a un besoin irrépressible de s’engager dans le sauvetage de ses proches, de ses amis, de sa famille, il répond toujours présent lorsque vous avez besoin d’aide, est prêt à passer des heures entière avec vous pour solutionner vos problèmes, à traverser la France pour vous rejoindre si vous avez mal, il fait preuve d’une abnégation sans limite dans toutes ses relations. « À première vue, le sauveur contemporain de la vraie vie peut sembler être le partenaire idéal, mais en réalité c’est un héros tragique. » (Lamya, Krieger, 2012)
En effet, l’altruisme sans limite voire l’héroïsme dont font preuve les personnes souffrant du symptôme du sauveur cache en réalité une tentative de « restaurer une perception de lui-même négative ou endommagée, héritée de son enfance. » (Lamya, Krieger, 2012)
« La problématique du sauveur renvoie systématiquement à la petite enfance. Si nous sommes concernés, c’est que nous avons été précocement placés dans un rôle de sauveur vis à vis de l’un de nos parents » (Leblanc, 2015). L’enfant est confronté à un parent qui n’a pas les moyens d’être suffisamment bon, de prendre soin de lui, car lui-même en souffrance. Cette réalité qui génère de l’angoisse chez l’enfant le pousse à prendre en charge l’adulte.
Se développe alors une grande intuition, orientée vers les besoins et désirs de l’autre ainsi qu’une très grande sensibilité à sa souffrance. […] L’enfant et ses besoins s’effacent devant la nécessité de combler les failles narcissiques du parent concerné et de lui éviter toute souffrance. Le bénéfice initial (rendre son parent suffisamment bon pour lui) s’efface également et l’enfant trouve peu à peu sa raison d’être dans l’apaisement et le bien-être de l’autre, s’éloignant de ce qu’il est réellement, lui. (Leblanc, 2015)
Ainsi l’enfant grandit et devient un adulte qui a fait sien le rôle qui lui a été préalablement assigné. Ce rôle est, en outre, accompagné de nombreuses croyances.
Croyance et attachement en la valeur de l’altruisme, croyance que sa valeur réside dans l’altruisme. Autrement dit, « c’est parce que je suis utile que l’autre m’aime, si je n’aide pas l’autre je ne vaux rien. » Pour être aimé, il doit tout faire pour rendre la vie des personnes qui l’entourent moins pesante. Ainsi le sauveur est dépendant de l’autre, ce qui motive son désir de devenir indispensable. « Qui suis-je si l’autre n’a pas besoin de moi ? »
Dans cette répétition au sein de ses relations, le sauveur finit toujours par ressentir un profond mal être car il est de nouveau confronté aux sentiments d’impuissance et de détresse qui ont jalonné sa propre histoire. "La difficulté majeure de ces personnes programmées pour prendre en charge l'autre, c'est qu'elles ne savent pas s'abandonner, explique Stéphanie Haxhe. Elles n'ont jamais été enlacées dans des bras qui les rassuraient, et ce qu'elles réclament à l'autre, c'est la part d'amour infantile qu'elles n'ont jamais reçu. Une quête insatiable, forcément.» (Senk, 2013) Le sauveur trouve plus évident et moins effrayant de prendre soin des autres que de prendre soin de lui-même.
Le sauveur est donc une personne qui souffre d’une très faible estime de soi, qui ne croit pas à sa valeur intrinsèque. Toute la difficulté pour la personne souffrant du syndrome du sauveur réside dans le fait de déposer les armes et d’accepter qu’elle a besoin d’aide. En effet, les souffrances de l’autre sont souvent moins abyssales et effrayantes que les siennes.
Le renoncement à la position de sauveur nécessite bien souvent l’aide d’un psychothérapeute pour être accompagné dans cette confrontation avec le vide intérieur, « pour pouvoir affronter une culpabilité sidérante, jusqu’à l’interdit de vivre, […] [pour] accepter de renoncer à la toute-puissance, accepter de rencontrer ses limites et son impuissance, au risque de revenir aux blessures narcissiques précoces à l’origine de la situation de sauveur» (Leblanc, 2015), Mais aussi pour apprendre à s’aimer soi-même, et à reconnaître et à écouter ses émotions, ses besoins, et les faire exister.
Toutefois, le renoncement à la position de sauveur ne signifie pas qu’il faut abandonner toutes démarches altruistes, mais au contraire cela vient équilibrer et ajuster l’aide offerte.
En se libérant de l’emprise de l’archétype du sauveur, on ne cesse pas de se préoccuper des autres. Les valeurs et talents que nous avons développés sont réels, et il s’agit maintenant de les mettre au service de l’autre de manière juste, sans porter atteinte à son intégrité ni à la nôtre. Cela demande une position d’humilité, en acceptant d’être un «humain ordinaire», conscient aussi bien de ses qualités (à assumer) que de ses limites (à respecter). (Leblanc, 2015)
Le syndrome du sauveur en pratique :
Tendance à porter secours dans toutes les situations (famille, amis, travail)
Besoin de se sentir indispensable ou besoin de trouver les solutions aux problèmes des autres
Capacité à faire passer ses besoins sous silence et à faire passer ceux des autres en priorité
Grande capacité d’abnégation ou de sacrifice
Se sentir responsable du bien-être de l’autre
Capacité à se rendre disponible à n’importe quel moment
Difficulté à opposer une réponse négative à quelqu’un qui vous demande de l’aide
Estime de soi défaillante
Besoin de reconnaissance pour exister
Le sauveur a tendance à se donner à corps perdu dans tous les endroits de sa vie, toujours prêt à rendre service, à accepter une charge de travail supplémentaire, ce qui le rend plus à risque de développer des pathologies comme le burn-out.
Le sauveur a aussi un insatiable besoin de reconnaissance, pas toujours comblé, qui peut parfois lui causer des difficultés dans ses relations : rupture de lien, ou au contraire abus de sa largesse. Ces ruptures, vécues comme des échecs, peuvent alimenter une spirale négative qui le conduit vers la dépression.
Enfin, comme le sauveur a tendance à oublier ses propres besoins au profit de ceux des autres, ses besoins trouvent une autre voie d’expression dans le corporel, ce qui peut conduire à de nombreux soucis de santé comme l’insomnie, l’asthme, les problèmes de dos, les problèmes digestifs…
Le syndrome du sauveur est un mode de fonctionnement hérité de la petite enfance. C’est pourquoi il est souvent nécessaire d’effectuer une psychothérapie afin de travailler sur ses blessures infantiles.
En outre, pour amoindrir ce mode de fonctionnement, plusieurs pistes peuvent être suivies par la personne souffrant de ce syndrome :
Apprendre à définir son identité en dehors de son rapport à l’autre
Apprendre à reconnaître qu’elle aussi a besoin d’aide
Combattre sa crainte de ne plus être aimée si elle se montre faillible
Apprendre aussi à identifier ses besoins
Pouvoir les nommer
Apprendre à dire non
Apprendre à différencier sa valeur des actes posés
Apprendre à recevoir
Apprendre à s’aimer et s’accepter
Le contexte actuel favorise le désir de prendre soin des autres, d’appeler nos proches, de s’occuper de nos voisins trop âgés pour sortir, et cette solidarité qui s’instaure est belle.
Toutefois, il est important de conserver un équilibre. Etre présent pour l’autre, lui tendre la main, l’aider si je peux le faire oui, mais la tentation du sauveur sera toujours d’en faire plus, souvent pour ne pas se confronter à sa propre angoisse, son inactivité, sa crainte de l’avenir ou son sentiment de solitude. Pourtant, ce temps donné pourrait aussi être l’occasion pour lui d’accepter ses émotions, positives ou négatives, de se recentrer, d’apprendre à s’écouter, à définir ses besoins et les nommer, de prendre le temps, puisque nous en avons, prendre le temps de s’apprivoiser, de se découvrir, d’exister en dehors de la relation à l’autre.
Toute personne qui aurait tendance à se jeter à corps perdu dans l’aide aux autres se trouve confrontée à un choix pendant cette période : passer sa journée au téléphone pour être certaine qu’elle n’a pas oublié quelqu’un qui pourrait potentiellement aller mal, ou s’asseoir et se demander comment elle va et de quoi elle a besoin.
Claire Raynaud de Lage
Sources :
Lamya M., Krieger M. (2012). Le syndrome du sauveur, Eyrolles, pp 1-7
Leblanc E. (2015). Le Sauveur : de l’Archétype à… moi. Savoir psy. Repéré à http://savoirpsy.com/wp-content/uploads/2015/12/Article-Leblanc-Le-Sauveur.pdf
Senk P. (2013). Ce que cache le «syndrome du sauveur ». Le Figaro Santé, Repéré à https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/10/11/21371-ce-que-cache-syndrome-sauveur
par Yolaine de Nanteuil et Marie Chaligné, Psychologues cliniciennes
le 2020-05-02
La résilience. Un mot qui résonne souvent à nos oreilles ces derniers temps : dans la bouche de nos dirigeants, de nos soignants, des titres de journaux
et le 25 mars dernier l’armée française a même lancé une opération résilience. Mais qu’est-ce c’est vraiment la résilience ?Résilience…Un terme passé dans le langage courant pour décrire un phénomène psychologique que d’aucuns pourraient assimiler à une forme de guérison. Terme originellement utilisé par les physiciens pour désigner la capacité d’un matériau à résister aux chocs, il est devenu depuis synonyme de force permettant de sortir vainqueur d’une situation difficile, parfois tragique. ll s’agit d’un processus, ce qui veut dire que ce n’est pas simplement une résistance au choc, ce n’est pas seulement absorber le choc et rester droit. C’est quelque chose de dynamique et en mouvement pour avancer dans le cheminement de sa vie, malgré des conditions difficiles.
« La résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères. » (Manciaux)
On ne peut aborder le sujet de la résilience sans énoncer de prime abord le traumatisme psychique. « [Ce] « choc » est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre » (Ferenczi). On retrouve ce traumatisme dans la violence sous toutes ses formes, y compris au sein des événements qui relèvent pas directement de la responsabilité de l’Homme: catastrophes naturelles, pandémies.
Le traumatisme psychique touche profondément l’individu et le rend particulièrement vulnérable. Or, l’être humain a ceci de fortement bien constitué qu’il cherchera – de manière plus ou moins efficace, allant parfois jusqu’à développer des symptômes – à utiliser des ressources, des stratégies adaptatives afin de sortir d’une situation qui lui est insupportable.
Parmi ces moyens opérants, se trouve la résilience. Celle-ci pourrait se définir comme la capacité d’un individu soumis à des événements difficiles et déstabilisants – voire parfois des traumatismes graves –, à s‘en remettre et à retourner à l’état précédant le choc ; à se développer « sainement », en se tournant vers l’avenir.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre français, a beaucoup pensé la résilience et la présente comme une série de postures de protection faisant appel à la créativité et permettant la transformation psychique de la souffrance humaine. Selon lui, il s’agirait de la faculté de résistance au choc et de la capacité de récupération : « Le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur. Un mot permet d'organiser une autre manière de comprendre le mystère de ceux qui s'en sont sortis : la résilience, qui désigne la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit d'adversité. »
Dans le contexte mondial actuel, cette « résilience » peut être vue comme la capacité de la société à faire face à la crise sanitaire à laquelle elle est confrontée. Cette pandémie plonge en effet chaque individu dans un événement qu’il peut appréhender comme quelque chose de difficile, voire traumatisant.
Au travers de ce regard porté sur une maladie possiblement mortelle qui petit à petit gagne et touche le monde entier, le sujet doit faire le deuil de sa toute puissance illusoire, accepter la finitude de son existence, se trouvant ramené à la triste condition de sa vulnérabilité.
Pour survivre à la menace du virus, chacun doit ainsi faire preuve de résilience.
Pour survivre à la menace du virus, cette résilience pousse en partie à accepter de s’enfermer, appelant à nouveau à des nécessités d’adaptation. Comme si la résilience appelait la résilience.
La résilience provient de l’interaction entre la personne elle-même et son entourage, son histoire de vie et le contexte actuel dans lequel elle évolue (environnement social, économique, politique), mais aussi entre les facteurs de risques et les facteurs de protection. Que sont ces facteurs ? Un même facteur peut être risque ou protection selon la personne, ou même selon les périodes de vie, le contexte, pour un même individu.
Les principaux facteurs de protection pour une personne résiliante seront : l’estime de soi, avoir un certain sens de l’humour, la sociabilité, avoir un projet de vie, être entouré d’une famille unie ou au moins d’un proche aimant, et plus largement avoir un soutien social.
Les deux facteurs de protection essentiels pour pouvoir faire preuve de résilience sont, dans cet ordre : le soutien et le sens.
Le sujet confiné se trouve isolé de ceux qu’il côtoie au quotidien. Que l’on soit confinés à plusieurs ou non, il faut savoir faire face à la capacité d’être seul (Winnicott, 1958) chez soi ou parmi ses pairs.
Quoi qu’il en soit donc, du fait de sa durée et de son aspect exceptionnel et subi, ce confinement confrontera l’individu à un moment ou à un autre à la solitude, à l’ennui, la monotonie. Un vide qu’il faudra combler, habiter. En famille, « ce havre de sécurité [qui] est en même temps le lieu de la violence extrême », l’isolement remet en question le lien, le « comment être » avec l’autre. Le désœuvrement et la lassitude génèrent ainsi des pensées qui pourraient venir combler ce sentiment de vide, ces pensées laissant parfois, selon les sujets, émerger certaines angoisses archaïques bien ancrées.
Ces angoisses archaïques, sont liées à la prime enfance, et selon le style d’attachement du sujet, celui-ci trouvera une réponse plus ou moins adaptée à la situation. John Bowlby, dans sa théorie (1960-1970) développe l’idée que le style d’attachement sécure permettrait à l’enfant de développer sa résilience : se sentant protégé par ses parents, il acquerrait la capacité à se défendre, à faire face. L’attachement du bébé à sa mère le protège, c’est ainsi que dans sa mémoire et dans sa biologie, la personne sait qu’elle a la capacité de se défendre et d’être protégée. Ce lien est la racine d’un sentiment de sécurité.
« Le bonheur et l’efficacité créative sont à leur maximum chez les êtres humains, de tous âges, lorsque ceux-ci sont assurés de la présence, à leurs côtés d’une ou plusieurs personnes de confiance pour leur venir en aide en cas de difficulté. » (Bowlby, 1979)
On peut donc aisément concevoir que chez les « insécures », les pensées émergentes entreraient en résonance avec le sentiment d’isolement (d’abandon) actuel et pourraient entraver le processus de résilience. L’entraver, mais pas l’empêcher : Sécure ou non, le sujet devra mobiliser d’autres ressources, contourner ses problématiques face à ce que l’enfermement lui renvoie, et le « coût psychique » de cette manœuvre dépendra de son vécu, de sa capacité à faire face.
« A chaque instant, la résilience résulte de l’interaction entre l’individu lui-même et son entourage, entre les empreintes de sa vie antérieure et le contexte du moment en matière politique, économique, sociale, humaine. Elle résulte aussi de l’interaction entre facteurs de risque et facteurs de protection ». (Manciaux)
Ainsi, être résilient ne signifie pas nécessairement « bien vivre » l’événement, mais savoir le vivre et le transformer, le sublimer en une force, une ressource psychique pour « l’à-venir ».
On peut donc souffrir et être résilient : il s’agit ici de faire au mieux ; de transcender la souffrance. Et si cette résilience est efficace, la pensée doit pouvoir continuer dans l’après : « Pour ceux qui arriveront à ne pas se laisser dissoudre par l’enfermement, à s’ordonner malgré la souffrance, cette expérience deviendra un pilier dans leur existence ». (Bensayag)
La résilience n’est jamais acquise une fois pour toutes puisqu’il s’agit d’un processus évolutif. Parfois, les ressources de la personne peuvent être dépassées par la force d’un traumatisme. Cette capacité est variable selon les circonstances extérieures, les étapes de la vie et la nature de l'événement traumatique.
Il est aussi important de savoir qu’elle se manifeste de façon très diverse selon les différentes cultures.
Pour la mettre en œuvre, chacun mobilisera ses propres ressources : créatrices, sportives, affectives, spirituelles…
Aussi, il semble opportun d’achever cet article sur les vers de Musset, qui, emprisonné, a su se montrer résilient et saisir la beauté du monde extérieur restreint qu’il apercevait depuis sa cellule et qui illustrent parfaitement ce processus :
« Ceux à qui ce séjour tranquille
Est inconnu
Ignorent l’effet d’une tuile
Sur un mur nu
Je n’aurais jamais cru moi-même,
Sans l’avoir vu,
Ce que ce spectacle suprême
A d’imprévu ».Yolaine de Nanteuil et Marie Chaligné
Le profil de Yolaine sur weppsy
- de Musset A, « Le mie prigioni »
(20 septembre 1843)., in. Poésies nouvelles, 1850.
- Manciaux, M., (2001). La résilience : un regard qui fait vivre, Études 2001/10 (Tome 395)
- Cyrulnik, B., (2018). Traumatisme et résilience, Rhizome 2018/3-4 (N° 69-70)
- Cyrulnik B, (1993), Les nourritures affectives, Odile Jacob, Paris
- Cyrulnik B., (1999), Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob
- Ferenczi S., (2006) Le traumatisme, Petite Bibliothèque Payot, Paris
- Bowlby, John. (1979) The Bowlby-Ainsworth attachment theory. Behavioral and Brain Sciences 2 (4):637-638 (1979)
par Marie-Astrid d’Alteroche, Psychologue clinicienne
le 2020-04-29
Regarder l’heure passer, allonger ses pauses café, surfer les réseaux sans but précis, nous connaissons tous ces creux d’activités au travail. Pour certains dont ces moments d’ennui font partie de leur quotidien, la situation peut devenir difficilement supportable. Fatigue, honte, culpabilité, perte de confiance en soi, déprime peuvent apparaître et constituent un terrain pour le développement d’un bore-out.
Révélateur de notre époque, le bore-out (“to be bored” en anglais signifie “s’ennuyer”) est bien moins médiatisé que le burn-out. Il inquiète les chercheurs en sciences sociales qui alertent depuis 2005 sur ses risques. Le syndrome peine à trouver sa place en tant que maladie reconnue, pourtant les conséquences psychologiques peuvent être importantes et vont de la fatigue à la perte d’estime de soi en passant par la dépression ou des passages à l’acte auto-agressifs.
Les définitions du bore-out sont nombreuses. Elles mettent toutes en avant une souffrance psychique engendrée par un manque d’activité au travail.
En 2008, une enquête réalisée par Stepstone révèle que 30 % des Allemands, 33 % des Belges, 29 % des Suédois et 21 % des Danois, soit en moyenne 1 Européen sur 3, n’a pas assez de travail pour combler ses journées. Selon Christian Bourion (2015), en France, 30% des salariés seraient concernés par le bore-out !
Vous vous ennuyez au travail ? Apparemment vous n’êtes pas seul. Nous vous présentons ici le cheminement de Gaston, jeune analyste en marketing:
« Je travaillais dans une entreprise en réorganisation. Ils avaient d’autres priorités. Même si j’étais jeune, ils m’ont mis au placard. Apparemment ça ne touche pas que les vieux. J’avais l’impression de servir à rien, j’étais crevé alors que je ne faisais rien de la journée…l’enfer ».
En effet, contrairement aux idées reçues, le bore-out ne touche pas seulement les quinquagénaires.. Il n’existe pas de « profil type du salarié » sensible au bore-out, nous pouvons tous être concernés à un moment donné de notre carrière. Comme Gaston, vous pouvez être jeune et être touché par ce phénomène.
Nous retrouvons ainsi, trois racines au bore-out, développées par Bataille : l’organisation (répartition du travail), le savoir-faire (les compétences de chacun) et les motivations (ambition, souhaits, intérêts) qu’il ne faut pas oublier de mettre en lien avec l’expérience individuelle de chacun (estime de soi, parcours de vie, besoin de reconnaissance…).
« J’étais crevé, je n’avais plus envie de rien faire, je culpabilisais et j’étais de plus en plus anxieux. Je me sentais nul. » Gaston
Les salariés dépossédés de leurs tâches se déshabituent et se désinvestissent du travail. Ils doutent de leurs capacités et leurs compétences à effectuer leurs tâches quotidiennes. Cette situation est particulièrement à risque car ces salariés deviennent inemployables à force d’accumuler de l’inexpérience. De plus, on observe que les salariés sont épuisés. Ils peinent à réaliser les tâches qui leurs sont confiées ce qui engendre de nombreuses conséquences dans une équipe. Pour la plupart des personnes, s’ennuyer au travail et être fatigué est inconcevable et sera durement jugé.
Les sentiments de honte et de culpabilité sont donc présents d’autant plus qu’il est difficile d’en parler autour de soi. Le bore-out se développe dans le temps. Il se nourrit du tabou, de la honte et du doute.Le salarié cache son état psychologique jusqu’au bout dans le but de préserver son travail. Il souhaite éviter le pire : être considéré comme « le fainéant », le « nul » mis au placard.
Cette situation est difficile à assumer au travail mais aussi en société. Dévoiler sa profession est souvent la première question dans un échange lors d’un dîner ou une soirée. La question « Que fais-tu dans la vie ? », au même titre que « Bonjour, comment ça va ? », est un reflex social plus ancré dans des normes de politesse qu’une réelle curiosité engagée. Si vous tentez l’expérience d’évoquer votre ennui au travail dans une conversation avec des inconnus, il se pourrait que vous ne receviez pas un accueil très valorisant. Observez les médias, la communication sur le burn-out est telle que s’en est devenu une expression courante : « Je suis au bord du burn-out ». Conséquence d’une société où la consommation et la performance sont très valorisées. Oser avouer son ennui c’est courir le risque d’une rupture sociale voire un signe de provocation aux yeux de tous.
Il est important de différencier le syndrome du bore-out de l’ennui. Le bore-out est une dimension de l’ennui.
Le Bore-out résulte de causes externes liées aux contextes professionnels soit à l’organisation, la motivation et le savoir-faire. Toutefois, celui-ci peut être un écho d’une possible intolérance à l’ennui, d’où l’intérêt d’une intervention thérapeutique comme le souligne Bataille. Avec le thérapeute, le rapport à l’ennui doit donc être questionné dans les loisirs, dans la manière d’être au monde et pas seulement dans l’environnement professionnel. Ainsi, il est nécessaire de se poser la question suivante : l’ennui est-il la cause ou la conséquence du bore-out ?
Amandine nous exprime son doute: « Dans mon job, je m’ennuie, j’ai besoin d’être stimulée par différents projets j’aimerais avoir de nouvelles responsabilités, de nouveaux challenges. Mais j’ai une situation confortable, je ne peux pas prendre de risque. Ça finira par s’améliorer. »
Ici rien d’alarmant me direz-vous. Pourtant, le désir de travail, est ici empêché voire étouffé. Pour fuir l’ennui et ses effets négatifs, plusieurs stratégies de contournement sont mises en place par les salariés.
La première tentative est de rationaliser l’ennui. Amandine est dans cette situation, tout en étant dans la passivité, elle met en place une croyance prédictive : « ça finira par s’améliorer ».
La deuxième étape est de mettre en place des stratégies d’évitements en faisant preuve de créativité : occuper le temps, faire un planning…
Lorsque ces deux stades sont dépassés, le salarié enclenche un autre plan de contournement : traiter ses affaires personnelles sur son lieu de travail. Les stratégies de comportements sont nombreuses mais lorsqu’elles sont toutes épuisées, la personne perd pied et s’enfonce. Elle risque de se sentir inutile et de perdre confiance en elle.
« Vous êtes bien gentille, mais si je fais un bore-out en quoi un psy va m’aider ? » Amandine
Aller voir un psychologue peut être difficile et si en plus c’est pour parler de son ennui cela peut sembler absurde voire rasoir ! Pourtant le psychologue peut être d’une aide précieuse dans ces moments difficiles.
Gaston dans notre vignette clinique s’ennuie, s'affaiblit, se fatigue, devient anxieux, perd confiance en lui… l’anxiété et la dépression le guettent. Il a été encouragé au cours de sa psychothérapie à faire un travail d’introspection. Il a cherché dans son histoire des moments empreints de sens à ses yeux : un instant spirituel, mystérieux ou merveilleux. Après avoir exploré des moments où il a ressenti des émotions comme l’amour, l’admiration, l’étonnement, la joie, Gaston grâce à la pleine conscience a développé sa capacité à centrer son attention. Avec bienveillance, il a fait expérience du moment présent, en contact avec toutes ses sensations (bonnes et mauvaises).
L’ennui est une expérience personnelle parfois douloureuse. Il est souvent placé sous le signe du vide. Pour Rhodes (2015), l’ennui est un rappel du manque de sens dans l’existence humaine.
Face à l’ennui nous éprouvons un désir fort de faire quelque chose d’utile, de s’investir dans une activité engageante, satisfaisante et porteuse de sens. Ainsi, il décrit cet état comme un « appel à la créativité ». Il peut nous permettre de mettre en perspective notre quotidien, si nous pouvons faire de l’ennui un levier d’action, des talents peuvent émerger lors de cette période.
Gaston a constaté que l’ennui n’est pas une fatalité et se transforme. Il a renoncé à être dans une situation passive. Cet épisode lui a permis d’identifier ses valeurs essentielles mais aussi le sens qu’il voulait donner à sa vie. Le suivi psychologique, ses différentes rencontres, son entourage, le développement d'activité de loisirs ont contribué à l’amélioration de son état. Différentes stratégies issues des thérapies cognitives et comportementales peuvent être utilisées avec succès face au bore-out.
Sources :
- Bataille, S. (2016). Le bore-out, nouveau risque. Références en santé au travail, 145, 19-27.
- Rengade, C. E. (2016). De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 26(3), 123-130.
- Chapelle, F. G. (2016). Modélisation des processus d’épuisement professionnel liés aux facteurs de risques psychosociaux: burn out, bore out, stress chronique, addiction au travail, épuisement compassionnel. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 26(3), 111-122.
- Bourion, C. (2015). Le bore-out syndrom: quand l'ennui au travail rend fou. Albin Michel.
- Bourion, C., & Trébucq, S. (2011). Le bore-out-syndrom. Revue internationale de psychosociologie, 17(41), 319-346.
par Margaux Jaillant, Psychologue clinicienne
le 2020-04-27
En cette période de confinement, les conditions et le stress exacerbent les tensions et les violences domestiques. Celles-ci peuvent être physiques mais aussi psychologiques, émotionnelles, sexuelles, ou encore financières … Elles n’ont pas de genre. Elles sont perpétrées par des hommes et des femmes et touchent les premiers comme les secondes.
Depuis le début du confinement, les signalements pour violences conjugales ont augmenté de +36% en région parisienne.
Le thème de cet article est de comprendre ce qu’est la violence afin de trouver des solutions pour s’en sortir.
Dans toute forme de relation : qu’est-ce qui est acceptable, qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Ce qui est acceptable dans toute forme de relation, ce sont tous les comportements qui vont dans le sens de l’amour de l’autre. C’est quoi aimer l’autre ? C’est respecter son intégrité physique et psychique. Le reconnaître comme un individu séparé, autonome, libre de penser, de ressentir et d’agir. L’accepter dans son entièreté, avec ses forces, ses faiblesses, son histoire. Et vouloir sincèrement son bonheur.
Ce qui n’est pas acceptable dans toute forme de relation, ce sont tous les comportements de violence physique et psychique. C’est-à-dire tous les comportements qui empêchent l’autre de vivre pleinement et sereinement. Tous les comportements de force, de contrainte, d’abus, de domination, de manipulation, d’oppression, de harcèlement, d’exploitation, de menace, de contrôle, d’emprise. Tous les comportements qui entraînent du stress et de la peur dans la relation.
Une relation saine d’amour est une relation où chacun est reconnu comme une personne unique et indépendante, avec ses propres besoins, ses propres désirs, et ses propres limites. C’est une relation où chacun a son espace dans lequel il se sent libre.
Les attentes sont liées à des besoins non satisfaits. Il est donc important de savoir reconnaître ses besoins (1), pour pouvoir les satisfaire (2) et les exprimer avec simplicité et sans reproches (3).
1. Comment reconnaître ses besoins ?
En s’offrant des moments de pause et de recentrage. Ces temps d’isolement offrent la possibilité de se reconnecter à soi et de se demander comment on se sent. Ils sont nécessaires pour prévenir du burnout.
Tous les êtres-humains ont des limites. Savoir les identifier et les respecter permet d’accepter celles des autres et d’être plus disponible pour eux.
En voulant trop en faire, la frustration et l’insatisfaction chronique augmentent entraînant avec elles des risque d’explosion (crises de colère et de larmes) et/ou d’implosion (épuisement physique, émotionnel, psychique).
2. Comment satisfaire ses besoins ?
Les moments de pause et d’intimité avec soi sont l’occasion de clarifier ses besoins.
Selon Manfred Max-Neef, économiste et environnementaliste chilien mort en 2019, les besoins humains fondamentaux sont regroupés dans les 9 catégories suivantes. Marshall Rosenberg a repris cette liste dans son concept de « Communication non Violente » (CNV).
Besoins physiologiques (santé physique et mentale, dormir, manger, marcher…)
Besoins de sécurité (avoir un lieu de confinement, partagé avec des personnes attentionnées, un travail assuré, etc.)
Empathie, compréhension (se sentir compris, entendu, reconnu dans ses états émotionnels)
Créativité (activités artistiques, écriture, danse, peinture…)
Amour, intimité (se sentir aimé, entretenir un lien de proximité avec un ami, le conjoint(e), une personne de la famille…)
Jeu, distraction (humour, rires)
Repos, détente, récupération (moments de calme et d’isolement)
Autonomie (se sentir libre de choisir, de décider, ne pas se sentir contraint)
Sens, spiritualité (trouver du sens à cette période de confinement, et agir en conséquence pour ne pas subir).
Reprendre cette liste sert à clarifier les besoins non satisfaits. Être à l’écoute de soi et prendre soin de ses besoins sans dépendre des autres facilite la communication avec eux.
3. Exprimer ses demandes sans reproche.
Une fois les besoins identifiés, ils peuvent être communiqués sans attente, ni reproche. Les attentes et reproches, implicites ou explicites, attisent les tensions en créant une pression chez l’un et un risque de déception chez l’autre. Il est donc préférable de parler de soi, de ses émotions et de ses besoins en utilisant le pronom « Je », plutôt que de se centrer sur l’autre et de multiplier les formules commençant par « tu ».
Cette attitude ouverte de partage laisse l’espace à l’autre pour parler à son tour de son expérience et de ses besoins sans être sur la défensive. L’écoute attentive, comme si c’était la première fois que l’autre s’exprimait, est importante dans la communication bienveillante.
A l’inverse, anticiper ce que va dire l‘autre ou prévoir sa réaction bloquent toute possibilité d’évolution.
Si l’autre n’agit pas en adulte responsable, chercher à le raisonner est peine perdue. Il vaut mieux dépenser son énergie dans la recherche de réponses créatives permettant de satisfaire ses besoins autrement, en ouvrant tous les champs des possibles.
En cette période de confinement, la solidarité est une ressource inestimable. Les proches sont souvent heureux d’offrir leur soutien. Demander de l’aide permet de se sentir moins seul. C’est aussi l’occasion de prendre du recul sur les situations problématiques.
Les activités physiques et de bien-être sont également indispensables pour se maintenir en forme et renforcer sa capacité d’adaptation face au stress. La méditation en pleine conscience, le yoga, la gym, le chant, la danse sont autant de pratiques qui apportent du calme et apaisent la réactivité dans les relations. Ces exercices peuvent aussi être l’opportunité de partager un moment agréable en famille.
L’affirmation de ses limites est nécessaire pour prendre soin de soi et de son entourage. Apprendre à dire « Non » - et quand le non n’est pas entendu, dire « Stop ! »- protège sa santé physique et psychique ainsi que celle de ses proches.
Si un sentiment d’insécurité est présent, des aides publiques sont mises en place par le gouvernement. Le 17 est à composer en cas d’urgence, un texto peut également être envoyé au 114. Un nom de code « masque 19 » peut être donné aux pharmaciens qui se chargeront d’alerter la police. Et il est aussi possible d’appeler le 3919 ou le 119 pour recevoir de l’aide anonyme et gratuite 24h/24, 7j/7.
La période de confinement peut être l’occasion de prises de conscience et d’actions pour créer du changement. Si le gouvernement demande à ce que les gens restent chez eux c’est pour protéger leur santé, pas pour les enfermer. Nous sommes dans un pays de droits, libres d’agir et de sortir quand cela est nécessaire, toujours dans cette démarche de protection de notre santé physique et psychologique. Si vous êtes victimes ou témoins de violences, rappelez-vous que vous n’êtes pas seuls, et soulevez-vous contre des comportements inacceptables.
Margaux Jaillant
Margaux Jaillant est psychologue clinicienne diplômée de l'Ecole de Psychologues Praticiens. Elle est spécialisée dans l'approche thérapeutique de l'intégration du Cycle de la Vie (ICV) et dans la pratique de la pleine conscience. Elle a créé un coaching pour sortir des relations toxiques, dont la sortie est prévue courant 2020, une fois le confinement levé ! Pour plus d'informations : https://www.mon-coaching-peppsy.com/sortir-relation-toxique
par Marie-Violette Vellutini, Psychologue clinicienne
le 2020-04-24
La question du risque suicidaire en cette période de confinement est au cœur de nombreuses préoccupations dans le domaine de la santé psychologique. En effet, la situation de crise sanitaire actuelle que nous connaissons induit un remaniement du mode de vie de la population, et par là même l’isolement de nombreuses personnes, la solitude étant identifiée comme un des facteurs du risque suicidaire.
“Ne plus penser”, un motif de passage à l’acte souvent présent dans le discours des personnes suicidaires, qui en dit long sur la souffrance que certaines pensées peuvent provoquer. Le confinement, synonyme de ralentissement d’activités, peut-être à contrario une période d’hyperactivité psychique douloureuse pour certains.
Le confinement ou enfermement, maintient dans un même espace, clos, et au même titre que nous sommes limités dans nos déplacement physiques, certaines pensées sont comme emprisonnées elles aussi. Les pensées qui « tournent un peu en rond », trouvent difficilement une voie d’expression, en l’absence de l’autre, de stimulations et peuvent rapidement devenir envahissantes. Nous comprenons donc l’importance de ce qu’il se joue à l’intérieur de chacun, la place qu’occupent pensées, émotions, ressentis et la manière dont l’individu s’en saisit, les recours qu’il a autour de lui pour « gérer » son activité psychique. Nous comprenons donc qu’il n’est pas nécessaire qu’un évènement particulier ait lieu pour qu’un passage à l’acte suicidaire soit possible, certaines pensées « suffisant » à le déclencher.
Le confinement ne peut être en lui-même tenu responsable du passage à l’acte suicidaire. Les raisons, la mise en acte dans la réalité, tout cela dépend de l’équilibre psychologique initial. Chez une personne qui aura un « terrain » suicidaire pré-existant, ou tout type de fragilité psychologique, certains maux seront exacerbés par la solitude, mais aussi par tout le climat anxiogène ambiant, les informations et prévisions pessimistes, l’inquiétude pour soi et pour ses proches. L’absence de projection vers un avenir positif, l’incertitude quant à un retour à la normal, les nombreux questionnements sur la suite, « l’après-confinement », sont de puissants vecteurs d’anxiété.
Des fragilités psychologiques mises bout à bout et intensifiées, entraînent dans certains cas, l’émergence et la récurrence de pensées noires, pouvant mener à une volonté de passage à l’acte de plus en plus soutenue, et de plus en plus précise avec un mode opératoire réfléchi. Une personne souffrant de troubles dépressifs pourra se sentir davantage exposée à ses pensées pessimistes, un individu anxieux en proie à davantage d’angoisses etc.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’en cette période, l’individu ne dispose plus, ou différemment, des ressources protectrices qu’il peut habituellement trouver à l’extérieur, qu’il s’agisse du parcours de soin mis sur pause (groupe de parole, consultations en face à face, ateliers thérapeutiques) ; ou tout simplement des contacts sociaux protecteurs (entourage familial, amical).
Il est donc confronté à une double difficulté : la solitude ou tout du moins l’éloignement s’il n’est pas seul ; ainsi que la privation de soins.Ce sont ces facteurs de protection là, et d’autres comme le travail, les activités extérieurs, le sport ; qui, en temps normal, peuvent faire barrière, plus ou moins solide, entre un individu présentant des pensées suicidaires et le passage à l’acte.
L’usage de toxique divers, comme moyen de combattre l’angoisse liée à la solitude, gagne du terrain en période de confinement.
Une aide pour trouver le sommeil, un anesthésiant d’émotions douloureuses. Les « avantages » de ces toxiques sont malheureusement nombreux, tout autant que le sont leurs dangers.Le passage à l’acte en étant sous emprise d’alcool, de drogues ; le risque d’intoxication, d’overdose, etc. Certains toxiques tels que l’alcool, de par l’effet désinhibant qu’il possède, peuvent agir comme un court-circuit, entre la pensée suicidaire et le passage à l’acte. L’acte suicidaire est posé de manière impulsive.
Ces états sont d’autant plus inquiétants que l’isolement les rend difficilement visibles aux yeux de l’entourage. En temps normal, l’absence d’une personne sur son lieu de travail par exemple, peut rapidement solliciter l’inquiétude de l’entourage professionnel. En situation de télétravail, voire absence d’activité la possibilité de venir en aide à un collègue n’est pas la même ; et donc la prise en charge moins évidente, rapide.
Il convient de ne pas négliger le risque chez les enfants et adolescents de passage à l’acte.
La situation de confinement peut en première intention laisser penser que les plus jeunes sont protégés de l’extérieur et des risques qu’il représente. Mais les réseaux sociaux sont toujours actifs avec leur lot de dangers.
Être à la maison ne protège pas de la violence extérieure, que cela soit en temps de confinement ou de manière générale. On pense notamment aux situations de harcèlement qui peuvent continuer d’exister voire s’intensifier à distance.
La tentative de suicide chez l’adolescent souvent mise sur le compte de la crise d’adolescence, est au contraire, à considérer avec sérieux. Elle est signe d’une réelle souffrance avec ou sans antécédents de troubles psychiatriques. Le passage à l’acte suicidaire chez l’enfant ou l’adolescent est caractéristique de l’impulsivité de cette période de développement, la souffrance est agie et non pas pensée.
Préserver un espace de liberté chez l’adolescent, son besoin d’intimité, porter un regard attentif sur des changements significatifs de comportements chez l’enfant et/ou l’adolescent ; permet de prévenir certains passages à l’acte. Une escalade dans l’agressivité, la violence, la provocation, les mouvements de fugues, l’usage répété de toxiques, des prises de risques à répétition sont des facteurs qui peuvent alerter.
Il est important de ne pas sous-estimer l’accès à des modes opératoires pour passer à l’acte, sous prétexte que l’adolescent ou l’enfant partage le même espace que son entourage. De nombreux suicides ont malheureusement lieu au sein du domicile familial.
Toute suspicion de passage à l’acte imminent doit amener la personne à contacter les urgences, et ce même si un doute subsiste quant à sa probabilité. La prudence concernant ces questions n’est jamais trop importante. Rassembler le plus d’éléments possibles concernant la personne susceptible de passer à l’acte est un réflexe précieux pour permettre une action rapide des urgences (samu, pompiers, police etc.), essayer autant que faire se peut d’avoir l’adresse de la personne en danger notamment.
Pour des personnes qui présentent des pensées suicidaires, sans risque de passage à l’acte imminent, le maintien ou le démarrage d’un suivi psychologique même à distance, est important. Créer du lien et de l’échange là où la solitude place l’individu seul face à lui-même, à ses pensées à ses représentations, permet que ces dernières soient considérées avec un peu plus de hauteur, de recul. Rythmer les journées, ritualiser certaines activités qui maintiennent dans une certaine temporalité, apportent des repères rassurants, facilitent également le maintien du contact social, protecteur même à distance.
Pour évaluer le risque d’un passage à l’acte imminent, certains repères permettent de s’orienter. En premier lieu, la présence ou non de pensées suicidaires, leurs récurrences (quand, pour la dernière fois, la personne a présenté ce type de pensée) ; l’établissement d’un scénario précis, et notamment un mode opératoire pensé, réfléchi, accessible. Dans certains cas, la date du passage à l’acte est déjà précise, là encore, interroger sur l’existence d’un moment choisi alerte sur l’urgence de la situation. Il est légitime de se questionner sur la manière de poser ces délicates questions, l’exercice difficile que représente l’investigation du risque suicidaire.
Nous retrouvons très souvent chez les proches cette inquiétude à parler du suicide comme pouvant faire émerger un désir de mort chez l’individu présentant des symptômes dépressifs.
Parler du suicide, des pensées suicidaires, du passage à l’acte ne donne pas « d’idées » à celui qui n’en n’a pas. Ces mots bruts « suicide », « passage à l’acte », « mode opératoire », peuvent eux aussi effrayer, mais il faut pouvoir les poser avec confiance, ils ne peuvent inciter la personne à passer à l’acte.
Le retour au calme de l’individu présentant des pensées suicidaires, peut malheureusement être annonciateur d’un passage à l’acte imminent, décidé et accepté. L’intention suicidaire a glissé vers la mise en acte ; et le suicidaire en « paix » avec cette décision trouve une sensation d’apaisement. En tant que professionnel de santé, ou membre de l’entourage, il est important de ne pas relâcher la vigilance, dans un moment où l’individu semblerait « aller mieux ».
Se saisir des plateformes d’écoutes gratuites (Suicide écoute, ligne d’écoute diverses) est aidant autant pour celui qui présente des pensées suicidaires, que pour la personne confrontée à celles d’un de ses proches.
Le confinement et ses différentes modalités ont donc un impact sur la santé psychologique de manière générale. Les conditions de confinement et les fragilités psychologiques existantes sont déterminantes face au risque de passage à l’acte suicidaire, qui est décuplé en contexte de crise sanitaire. Que vous soyez concerné par cette situation ou au contact d’une personne présentant des risques, le premiers réflexes consistent à rompre la solitude, à se faire accompagner et à alerter en cas de danger imminent.
Le passage à l’acte suicidaire est un sujet épineux qui soulève bon nombre d’interrogations, d’inquiétudes, d’émotions diverses. Les professionnels de santé (psychologue, médecins, infirmiers) sont disponibles pour évoquer ces problématiques en amont de toute situation de danger et permettent de trouver des ressources internes comme externes, pour « prévenir » d’un éventuel passage à l’acte.
SOS Amitié :
Permanence d’écoute téléphonique 24h/24, 7j/7.
Permanence d’écoute par tchat tous les soirs de 19 h à 23 h ou par mail (réponse sous 48h maximum).
Tél. : 01 42 96 26 26 (Ile-de-France).Les numéros régionaux d’appel sur le site de l’association.
Site Internet : www.sos-amitie.org.
Suicide Ecoute :
Ecoute des personnes confrontées au suicide.
Permanence d’écoute téléphonique 24h/24, 7j/7.
Tél. : 01 45 39 40 00
Site Internet : www.suicide-ecoute.fr.
SOS Suicide Phénix :
Accueil et écoute de toute personne confrontée à la problématique du suicide.
Permanence d’écoute téléphonique 7j/7.
Permanence d’écoute par messagerie accessible depuis le site internet de l’association.
Ligne nationale : 0 825 12 03 64 (de 16 h à 23 h).
Ligne Ile-de-France : 01 40 44 46 45 (de 12h à minuit).
Site Internet : www.sos-suicide-phenix.org.
Marie-Violette Vellutini
Sources :
https://www.conduites-suicidaires.com/le-suicide/le-suicide-chez-les-adolescents/
http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confsuicide/vedrinne.html
http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confsuicide/lejoyeux.html
par Juliette Houriez, Psychologue clinicienne
le 2020-04-20
Nous allons ici aborder la question de l’enfance en danger, bien souvent du fait d’un adulte négligent ou malveillant. Notons que nous ne traiterons pas ici des mises en danger entre enfants ou adolescents, qui peuvent nécessiter une prise en charge différente.
Cet article vous permettra un meilleur repérage des situations problématiques et de savoir comment vous pouvez agir pour apporter de l’aide à un enfant en danger.
Toute personne, sans être psychologue ou assistante sociale, peut mettre en place les signaux d’alerte précisés ici.
Pour rappel, la protection de l’enfance est un sujet qui concerne tout citoyen puisque selon la loi n°2016-297 du 14 mars 2016 « La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation, dans le respect de ses droits. [...] Elle comprend [...] l’organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection. [...] ».
Le contexte exceptionnel que nous vivons actuellement nous conduit à passer tout notre temps chez nous.
Si pour la plupart des enfants, le domicile est un lieu sécurisant et le contexte familial un endroit positif, pour ceux qui sont victimes de violences familiales ce domicile devient alors inquiétant, source d’angoisse et de souffrance.Pour les aider, cet article vous donnera les clés pour repérer, alerter et porter secours à un mineur en danger.
Cet article avait été rédigé avant le confinement et donne les mesures à prendre en des circonstances habituelles. Cependant, la situation actuelle peut venir impacter les processus classiques et de ce fait, il est très important de noter qu’en cas d’urgence et de danger immédiat pour un mineur, vous devez prendre contact avec les services de police (17 ou 112) ou le 114 (numéro joignable par SMS pour les violences conjugales ou intrafamiliales), et bien sûr avec les pompiers (18) ou le SAMU (15) selon situation. Notez par ailleurs que, pour plus de confidentialité, le 119 propose à présent un formulaire de demande d’aide en ligne : https://www.allo119.gouv.fr/recueil-de-situation. Vous trouverez ici le communiqué de presse réalisé par le GIP Enfance en Danger au début du confinement, et ici toutes les actualités du 119 durant le confinement.
Enfin, la violence n’est pas nécessairement le fait de personnes “dérangées” ou “monstrueuses” mais bien souvent d’anciennes victimes de violence et/ou de personnes souffrant de carences éducatives et affectives qui, face à une situation délicate, ne trouvent pas d’autre façon de faire. Une aide est alors nécessaire pour éviter ou faire cesser toute violence.Et parce qu’il n’est pas toujours simple de gérer son rôle de parent, en particulier durant le confinement, voici un guide des parents confinés, élaboré par des professionnels, contenant 50 astuces pour que le confinement se passe au mieux. Ajoutons que plusieurs lignes à destination des parents ont également été mises en place : SOS Parentalité au 0 974 763 963, Allo Parents Confinés (de l’Ecole des Parents) au 0 805 382 300, ou encore Allo Parents Bébé (d’Enfance et Partage) au 0 800 00 34 56. Elles ont pour but de proposer une écoute aux parents mis en difficulté par le confinement dans leur rôle éducatif.
Il importe de noter que c’est généralement l’aspect répétitif et cumulatif de signes d’alerte qui caractérise la situation de risque de danger et qu’un événement isolé ne permet pas toujours de qualifier la situation. Sauf lorsqu'il s’agit d’un abus sexuel ou d'un fait de violence grave, dans ce cas : l’élément isolé suffit. L’évaluation se fait également en fonction du niveau de gravité des troubles chez l’enfant, de la nature des risques repérés dans son environnement et de la mobilisation suffisante ou non des adultes responsables de l’enfant.
Les signes d’alertes peuvent être :
physiques (trace de coups, fractures, accidents domestiques à répétition, problèmes de santé répétés, énurésie - “pipi au lit”, pour l'énurésie nocturne, ou l’incapacité à “être propre” en journée, pour l'énurésie diurne -, encoprésie - l’incontinence fécale -, retard de croissance, aspect négligé)
comportementaux (violence ou agressivité, mutisme, inhibition, quête affective systématique, fugues répétitives, peurs inexpliquées, prises de risques répétées, accidents à répétition, désordres alimentaires, difficultés scolaires comme l’absentéisme, l’échec, le désinvestissement, enfant qui semble soumis au secret vis-à-vis de ce qui se passe chez lui)
et/ou se situer dans le contexte de vie de l’enfant (mode ou rythme de vie manifestement inadapté, absences ou excès de limites éducatives, exigences démesurées au regard des possibilités de l’enfant, absence de soins, de suivi médical et/ou suivi à outrance, manque d’attention envers l’enfant, marginalisation dans la famille, violence psychologique, physique ou sexuelle). Il est également important de noter que les violences intra-familiales ou conjugales provoquent chez les enfants qui en sont les témoins, des traumatismes profonds et durables. Ils peuvent être considérés dans ces cas-là comme un facteur aggravant d’une situation déjà repérée comme étant dangereuse.
Tout adulte est en mesure de noter ces signes mais leur analyse et la nécessité ou non de les transmettre aux autorités compétentes doit se faire avec le plus d’objectivité possible. Ainsi, lorsqu’on est un proche de l’enfant concerné, il est parfois plus complexe d’effectuer ces repérages et une aide extérieure pourra être requise.
Si un jeune vous parle de lui-même, il vous a probablement choisi pour se confier et à ce titre il est important de créer ou garder la confiance avec le jeune. Il s’agit de le rassurer, de l’assurer de votre souci de mettre en œuvre tout ce qui est de votre ressort pour l’aider et l’accompagner et de ne pas lui mentir (même pour le rassurer). Il est important de s’installer dans un lieu adapté, sécurisant et de consigner par écrit ses propos mot à mot pendant ou juste après l’échange. Prendre la parole pour révéler des faits n’est jamais facile pour un enfant ou un jeune et il importe donc d’être bienveillant et rassurant.
Il est important de bien réfléchir avant d’envoyer l’enfant vers un autre interlocuteur pour éviter le traumatisme que la répétition des propos peut engendrer. Il est préférable de contacter la CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes - numéro de téléphone différent pour chaque département, facilement trouvable en ligne) ou le 119 pour leur avis plutôt que de faire répéter l’enfant, car au-delà de l’aspect traumatique, il y a un risque de modification des propos ou que les propos ne soient ensuite plus recevables légalement.
Lors de l’échange avec l’enfant, il importe de poser des questions ouvertes, permettant à l’enfant une réponse spontanée. Les questions fermées type « oui/non » sont trop sujettes aux phénomènes de suggestion (= répondre ce qu’on pense que l’interlocuteur attend de nous). Le très jeune enfant pense par exemple que le “oui” est toujours la réponse souhaitée par un adulte.
En fin d’échange, il est important de le remercier de sa confiance et lui dire ce que vous allez mettre en place, que vous ne pouvez l’aider seul mais que vous allez demander de l’aide auprès des personnes compétentes.
Souvent, l’enfant ou le jeune demande que ses propos soient tenus secrets, il est nécessaire de lui faire part de l’impossibilité d’un tel secret tout en le rassurant sur les conséquences. Enfin, il s’agit de ne pas dramatiser la situation ni de la minimiser.
Le cas du jeune majeur : si celui-ci n’entre pas dans les critères de vulnérabilité tels que décrits par la loi, il s’agit de l’inviter à réaliser les démarches de lui-même et éventuellement l’accompagner (commissariat, hôpital…).
D’abord, il est essentiel de ne pas rester seul face à la situation.
Si vous avez recueilli les signes et/ou propos de l’enfant dans le cadre de votre travail au sein d’une institution (école, hôpital, centre aéré, colonie de vacances, conservatoire…), sollicitez votre direction, échangez avec vos collègues voire avec le psychologue s’il y en a un.
ATTENTION cependant, il s’agit de toujours rester dans le respect de la confidentialité et du devoir de réserve, on ne fait pas de « commérages » au sujet de la vie privée d’un enfant. Les phénomènes de sidération que l’on peut ressentir face à l’évocation de problèmes graves peuvent altérer notre discernement. Ne partagez que les informations réellement pertinentes.
Les responsables de la protection de l’enfance sont également à joindre afin d’évaluer la situation avec leur soutien. Le 119 est le numéro de la ligne nationale de l’enfance en danger, l’appel est gratuit et peut rester anonyme. Vous pouvez également leur demander des informations par écrit à cette adresse (sans que cela ne puisse constituer une information préoccupante) : https://www.allo119.gouv.fr/recueil-de-situation.
Vous pouvez par ailleurs prendre contact avec les responsables locaux proches de chez vous pour avoir des conseils concernant la situation que vous rencontrez, et pour échanger sur la pertinence d’un écrit. Vous pouvez contacter :
l’ASE c’est-à-dire L’Aide Sociale à l’Enfance, l’ancienne DDASS
la PMI c’est-à-dire Protection Maternelle et Infantile pour les futurs parents ou enfants de moins de 6 ans
et/ou joindre la CRIP de votre département (numéro qui diffère selon les départements et sont disponibles sur les sites de chaque CRIP).
La CRIP est la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes. Il y en a une par département et son rôle est de recueillir les informations remontées au sujet d’un enfant en danger afin d’évaluer les éventuelles actions à entreprendre. L’information est transmise par écrit par la personne ayant repéré les signes ou recueilli les propos de l’enfant et s’appelle une Information Préoccupante (IP). Il est légalement obligatoire d'informer la famille de la rédaction d'une IP à leur sujet, sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant. Lorsque le 119 est saisi d’une situation, il se charge de faire remonter l’IP à la CRIP.
Lorsqu’ils les reçoivent, les professionnels de la CRIP analysent les informations transmises et valident ou non leur caractère préoccupant.
Deux options existent ensuite.
Tout d’abord, une évaluation plus approfondie de la situation peut être nécessaire et dans ce cas ce sont les services sociaux de la ville dont dépend la famille qui s’en chargent (l’ASE). La CRIP s’occupe alors d’informer la famille et le signataire de l’IP.
Si le danger est très grave et/ou que l’enfant a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs mesures d’aides qui n’ont pas remédié à la situation, voire qu’il n’y a pas eu de mesure mais que les parents s’opposent à toute aide, dans ce cas la CRIP peut saisir directement le procureur.
Dans le cas de l’évaluation par les services sociaux et selon les résultats de cette enquête, il y a soit un arrêt de la mesure soit une proposition d’une aide qui est faite à la famille. Si l’aide est acceptée par la famille, on parlera de mesure de protection administrative mais si elle est refusée et imposée en justice on parle de mesure de protection judiciaire.
Les aides proposées peuvent être sociales ou judiciaires. Les aides sociales peuvent avoir lieu au domicile (aide financière, technicien d’intervention sociale et familiale, accompagnement social et budgétaire des familles, aide éducative à domicile), ou en dehors sous forme d’accueil provisoire de l’enfant à temps complet ou séquentiel (placement), d’un accueil de jour, ou d’un accueil mère-enfant selon situation. Les aides judiciaires peuvent être des mesures d’évaluation et d’investigation judiciaires, des aides à domicile (aide éducative en milieu ouvert, aide à la gestion du budget familial) ou un accueil de l’enfant à temps complet ou séquentiel (placement).
Bien souvent, les personnes qui informent du danger pour un enfant s'inquiètent des conséquences pour la famille. Il est important de noter que, chaque fois que cela est possible, l'accompagnement social et éducatif est favorisé. Le placement de l'enfant en dehors de son domicile n'est préconisé que lorsque la situation l'exige.
Les délits et les crimes doivent être signalés immédiatement au Parquet (c’est le cas notamment des abus sexuels, de la pédophilie). Les déclarants peuvent donc saisir eux-mêmes le procureur, si et seulement si, la situation est un cas d’extrême gravité nécessitant une protection immédiate de l’enfant. L’autorité judiciaire détermine alors l’opportunité d’une enquête pénale et c’est cette enquête qui recueille tous les éléments de preuve nécessaire.
Juliette Houriez
Sources :
- Document édité par le conseil départemental du 93 “Enfance en danger, que faire ?”
- Documents internes à l'Enseignement Catholique au sujet du Programme de Protection des Publics Fragiles
- Site du 119 : https://www.allo119.gouv.fr/
par Mathilde Duplex, Psychologue clinicienne
le 2020-04-15
Nul n’ignore à ce jour le contexte inédit dans lequel nous nous trouvons. À contrario de la tendance des dernières décennies, nous voilà sommés de nous mettre à l’arrêt et de réinvestir nos foyers. Or, cette assignation à domicile, lieu propice aux violences, n’est pas toujours sans danger.
Les personnalités des auteurs de violence, le plus souvent impulsifs, sont caractérisées par une faible tolérance à la frustration et une mauvaise gestion des émotions, de l’angoisse et de la tension. Couplées à l’inactivité et la quantité de temps passé ensemble en ce moment, il y a un fort risque de déclenchement ou d’aggravation des violences.
En tant que professionnels, entourage ou concernés, nous nous devons d’être vigilants.
Pour commencer, il est important de comprendre que les violences conjugales ne surviennent pas du jour au lendemain. Au contraire, leur apparition n’est rendue possible que par une phase d’approche et de séduction où le partenaire s’est montré adapté, attentionné et tourné vers l’autre. Ces souvenirs d’un début enchanteur poussent les victimes à minimiser les premières violences, à leur attribuer une causalité externe comme le stress ou la fatigue et à ne pas les signaler. Or, s’il est une certitude c’est que les violences se répètent et s’aggravent.
Les premières violences sont souvent d’ordre psychologique : ce sont les dévalorisations, les dénigrements (des centres d’intérêt, de l’entourage), les humiliations mais aussi l’exercice de pressions, de chantages ou de menaces. Prises séparément, ces violences peuvent paraître anodines mais la répétition et l’accumulation viennent progressivement isoler la victime et lui ôter la capacité de penser et de réagir. Cet insidieux sabotage va permettre à des violences plus directes de se manifester : les violences physiques (coups et blessures) et/ou sexuelles (tout contact sexuel imposé et non-consenti, même au sein du mariage !).
Le maintien de ces violences et la difficulté pour les victimes d’en prendre conscience et de s’en protéger reposent sur deux phénomènes : l’emprise et l’invalidation de la violence par l’auteur.
Les violences ont pour effet d’altérer la capacité à se voir positivement et à se concevoir digne d’amour. Plus l’estime de soi se dégrade, plus la croyance d’être aimé par son partenaire devient centrale et le lien à l’autre une nécessité. On n’arrive plus à penser par soi-même, on se sent incapables de prendre une décision sans l’autre. Ce lien de dépendance, c’est l’emprise.
L’intensité de ce lien fait qu’il est possible de le confondre avec de l’amour, mais l’emprise n’a rien à voir avec le sentiment amoureux car elle dénie à l’autre son individualité, sa liberté d’être et de penser (ce ne sont plus mes désirs ou besoins qui comptent, mais ceux de l’autre).
Elle se distingue du sentiment amoureux par la présence d’un malaise diffus, une focalisation de la pensée sur le partenaire, un sentiment de faute ou de mal faire en sa présence, l’angoisse de sentir que la relation peut se rompre à tout moment ou encore des difficultés à penser.
Il est important de comprendre que la violence n’est pas systématique. Pour la personne violente, les périodes de non-violence sont fondamentales pour baisser la garde de l’autre et maintenir l’emprise. Les excuses et les promesses entretiennent l’espoir que les choses peuvent s’améliorer et la violence se contrôler.
Pour empêcher la remise en question de la relation suite aux violences, ces dernières sont minimisées par leur auteur ou leur responsabilité retournée contre l’autre, renforçant la culpabilité. Cette invalidation de la violence, encouragée par les souvenirs du début, vient renforcer la croyance que « la violence se contrôle et son déclenchement dépend de mes efforts ». De sorte que, lorsque la tension revient, prémices de crises à venir, je pense être en mesure de maîtriser la violence en ajustant mes comportements à ce que je perçois des désirs de l’autre. Or, comme nous l’avons vu, la violence ne peut que se répéter, précisément car c’est une perte de contrôle.
Être violent, c’est vivre en acte les émotions et les pensées qui sont trop douloureuses pour être intégrées : ça explose hors de nous. La violence trouve souvent ses origines dans des expériences de vie difficiles mais les psycho-traumatismes, aussi terribles soient-ils, ne justifient pas les violences.
Sans une intervention psychologique, la violence ne cessera pas. Vous ne pourrez jamais vous adapter suffisamment, faire assez pour que cela cesse.
Or, personne n’est immunisé contre la violence et cette dernière a des conséquences directes sur le psychisme, qui, pour s’en protéger met en place des mécanismes de protection comme la dissociation (se couper de soi-même) ou l’anesthésie émotionnelle (ne plus rien ressentir). Efficaces sur le moment, ces mécanismes augmentent le seuil de tolérance à la violence et à la douleur amenant à banaliser la violence et en minimiser le danger.
La période inédite que nous vivons actuellement augmente drastiquement le risque d’escalade de la violence, allant jusqu’à des conséquences qui peuvent être dramatiques : le féminicide. Nous rappelons, bien que cela soit trop peu souvent évoqué, que les violences envers les hommes existent également au sein du couple. Voici les douze facteurs de risque permettant d’évaluer le degré de danger :
aggravation des violences/j’ai eu peur de mourir
il/elle m’a menacé de mort/a essayé de me tuer
Il/elle a accès à une arme à feu
Il/elle est inactif/au chômage
Nous nous sommes séparés
Contrôle coercitif/séquestration
Présence d’un enfant issu d’une autre relation
Viols conjugaux
Violences lors de la grossesse
Les enfants sont maltraités
Il/elle a déjà menacé/tenté de se suicider
Consommation de substances (alcool, drogues)
Le risque de décès augmente proportionnellement avec le nombre de facteurs et est considéré important dès 3 facteurs cumulés. A 10 ou plus nous vous recommandons de vous mettre immédiatement en sécurité et de solliciter de l’aide.
Pour vous aider, vous pouvez retracer l’historique des violences pour constater son évolution et repérer ses cycles. Vous pouvez également tenir un calendrier des épisodes violents, en rapportant la présence de blessures et l’intensité du sentiment de menace. Ce faisant, vous pourrez plus facilement évaluer leur fréquence et leur gravité.
La dépendance à l’autre, l’épuisement et l’isolement donnent l’impression de n’avoir pas d’autre choix que de rester et endurer. Mais il est toujours possible de s’en sortir et vous n’avez pas à le faire seule. En recréant du lien autour de vous (concernées, proches, collègues, associations), vous allez pouvoir bénéficier du soutien, de la bienveillance et de la conviction de votre entourage. Ces personnes, par leur présence, vous aideront à déconstruire la croyance que la violence est un mal nécessaire à l’amour et à retrouver la possibilité de vous voir autrement.
Les violences conjugales sont un crime !
Pour vous accompagner dans la découverte de vos droits, de votre détresse ou par mesure de sécurité, vous pouvez contacter une des nombreuses associations qui continuent d’opérer par téléphone (ex : CIDFF) ou vous rendre en pharmacie où un dispositif d’alerte a été mis en place. Les pharmaciens sauront réagir et vous orienter.
Le 3919 vous mettra en contact avec des professionnels qui sauront vous écouter, vous soutenir et déterminer avec vous la marche à suivre (permanence téléphonique, du lundi au vendredi, de 9h à 19h).
La plateforme en ligne : arretonslesviolences.gouv.fr permet de discuter en direct avec des forces de l’ordre, spécialement formées à la situation (ou envoi d’un sms au 114 pour les personnes sourdes et malentendantes).
En cas d’urgence, appelez le 17 et n’oubliez pas : Même en période de confinement, vous avez le droit de partir !
Une multitude de facteurs rendent difficile pour les femmes ou hommes victimes de violence d’en parler et d’alerter leur entourage : les menaces, chantages et pressions subies, la culpabilité, la honte et la perte d’estime de soi éprouvées ou encore l’emprise de l’agresseur qui annihile la volonté et la conscience d’avoir des droits et de la valeur. Il est possible que malgré une prise de contact, vous ne preniez pas conscience de la mesure du danger du fait des conséquences psychotraumatiques de ces violences qui augmentent leur seuil de tolérance à la violence. C’est pourquoi il est important de poser des questions.
L’emprise psychologique crée une forte alliance avec l’autre partenaire, aussi n’est-il pas toujours aisé de se positionner en tant qu’entourage. Voici quelques conseils pour en parler et maintenir le lien :
Il est important de reconnaître la violence et la souffrance, et de se positionner contre (vous pouvez vous appuyer sur la loi). Attention, ce n’est pas la même chose que de se positionner contre son auteur. Une opposition trop directe au partenaire viendra activer un conflit de loyauté qui ne sera pas en votre faveur. Vous gagnerez à être identifié comme un interlocuteur qui entend, qui ne juge pas et qui comprend que la situation est difficile.
Évitez de reproduire quelque chose de l’ordre du contrôle en étant trop directif. Vous pouvez centrer votre discours sur les ressources de la personne (ses qualités, ses accomplissements, son entourage, etc.) et chercher à susciter de l’espoir : « ouvrir » l’avenir et favoriser la rencontre avec des pairs (forums, témoignages).
Enfin, ne vous laissez pas décourager par les allers-retours fréquents, l’emprise est un phénomène psychologique très fort dont on ne se libère pas en deux temps, trois mouvements !
Les conséquences des violences conjugales en termes de santé, de qualité de vie et d’estime de soi sont telles que nous nous devons de nous en préoccuper. Les circonstances exceptionnelles que nous vivons aujourd’hui et qui mettent à mal la manière dont nous interagissons au quotidien ne doivent pas nous empêcher d’être là pour les autres, voire nous encourage à nous préoccuper des plus isolés, des plus vulnérables. La dématérialisation des rapports est une opportunité pour nous de rentrer en relation, de renouer des contacts ou simplement de prendre des nouvelles. SI vous êtes concernés, si vous êtes inquiets pour un proche, vous n’êtes pas seul.
Sources
par Christelle Goldner, Psychologue et thérapeute familiale et de couple. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre
le 2020-04-11
Nous vivons une crise sanitaire sans précédent, mais c’est aussi une crise profondément humaine.
Le mot crise en chinois, est représentée par 2 pictogrammes (wei ji) : l’un qui veut dire danger et l’autre, opportunité. La crise se trouve donc à l’intersection de ces deux réalités.Dans le travail que je fais avec les couples, j’essaie d’explorer avec eux comment transformer ce que nous traversons, si possible, en crise de croissance. Tout en étant attentive à ne pas faire de ce temps une obligation de performance. Ce temps ne peut être vu, il me semble, que comme une révolution sur les plans personnels, conjugaux, familiaux… La pression serait trop grande. Peut-être, et j’insiste sur le peut-être, que quelque chose de nouveau émergera pour le couple.
Nous constatons à la fin du confinement en Chine, que les demandes de divorce et les violences conjugales ont explosé et c’est pour cela que j’ai souhaité tenter d’apporter des éclairages et une aide aux couples actuellement en difficulté. Voilà l’idée que je partage avec les couples que je suis : cette période n’est pas un moment opportun pour prendre des décisions importantes concernant le couple. Cette période est trop particulière pour justifier une prise de décision, un changement radical. Laissons-nous le temps de traverser cette crise, et d’assimiler dans l’après-coup cette dernière.
Tout cela dépend bien évidemment de la qualité de la relation du couple avant le confinement. Ce dernier met en exergue les conflits préexistants et, s’il n’y en avait aucun, les effets ne seront pas du tout les mêmes.
Pour un couple où il y avait des tensions et des reproches, les conflits risquent d’augmenter car le niveau de stress pour chacun est important et le confinement a un effet loupe, d’aimant, qui attire à la surface ce qui pouvait rester au fond, caché…
Plusieurs types de conflits peuvent s’accentuer en ce moment.
Tout d’abord, je vois beaucoup de questionnements autour de la réorganisation des tâches. Il n’y a plus d’aides extérieures possibles, pour le ménage par exemple, et donc la quantité de tâches à redistribuer a beaucoup augmenté.
Je vois aussi certains couples qui vivent différemment le confinement sur le plan anxieux. L’un des deux est très affecté, avec par exemple des angoisses de mort qui s’exacerbent, alors que le partage des angoisses profondes n’est pas habituel dans le couple. Ce sont des couples qui partagent beaucoup d’autre choses, qui ont une relation longue et solide, mais qui n’ont pas eu jusqu’ici à échanger sur des angoisses très primaires, très personnelles. La difficulté pour le couple qui vit ce décalage est de ne pas pouvoir partager, car ça ne correspond pas à la façon dont le couple s’est construit. Ils sont davantage dans un modèle où on se protège l’un l’autre, mais aujourd’hui nous vivons en huis clos et l’échange à l’extérieur est mis à mal. Généralement ces angoisses sont liquidées, évacuées ou transformées dans un ailleurs qui aujourd’hui est inaccessible, et cela peut devenir un point de difficulté pour le couple.
Une autre difficulté peut être l’écart important au niveau du maintien de la vie professionnelle de chacun. Certains ont énormément de travail et d’autres au contraire voient leur activité diminuer voire disparaître. La réalité de chacun devient très différente, alors qu’en apparence elle peut sembler très proche… tous deux confinés dans le même lieu, partageant les mêmes repas.
Cette période est particulière aussi pour ceux qui cloisonnent beaucoup leur vie professionnelle, ne partageant que très peu ce qu’il peut s’y passer. Souvent le partenaire ne sait pas réellement ce que vit l’autre au travail. Et là, tout d’un coup, les frontières sont moins importantes ! Pour certains, ce nouveau partage sera très anxiogène car ils ont besoin d’avoir leur jardin secret, et le travail peut être ce lieu-là. Un lieu où chacun va pouvoir montrer quelque chose d’autre de lui car la personne que nous sommes dans notre vie intime ne nous définit pas complètement. Pour eux, il est important de maintenir certaines facettes cachées ou inconnues de l’autre, et la disparition brutale des frontières peut être une source de stress.
Par ailleurs, je retrouve souvent dans mes consultations un décalage entre celui qui habituellement se ressource à l’intérieur, et l’autre qui se ressource à l’extérieur (amis, travail, sport, sortie…). Comment se réguler alors quand ces espaces tampons ont disparu ?
Oui ! Certains vivent au contraire un réel rapprochement, car les vies sont débordées habituellement. Le couple parisien classique, qui avait tendance à “se rater”, se retrouve finalement à partager des repas, à se regarder et se parler autrement. Ce sont des partages de moments très simples, mais qui font renouer le lien. Pour ces personnes-là, le confinement est extrêmement bénéfique, leur permettant d’expérimenter des choses nouvelles qu’ils pourront, je l’espère, pérenniser dans leur vie post-confinement. Cette crise fait émerger chez certains couples des solidarités incroyables, des valeurs communes fortes.
Concernant la question du travail, certains le vivent comme une réelle richesse, un moment qui corrige parfois des fausses représentations du travail de l’autre. On prend conscience de ce que vit l’autre à travers les coups de fil, les visios, le rythme réel d’une journée de travail qui n’était pas forcément imaginé. Ce décalage peut créer des écarts ou rapprocher.
Le confinement fait rentrer dans le monde de l’autre, ce qui peut amener aussi davantage de compassion et de compréhension.Il peut ramener des points de discussion, d’échange et de débat, permettant de reconstruire du lien autrement. Le travail devient finalement un sujet de partage.
Pour certains cette période est une richesse, une nouveauté, pour d’autres un stress intense, et pour d’autres encore cela peut alterner. Quel que soit le vécu, j’invite les patients à échanger sur leurs ressentis.
Le risque est d'être les uns sur les autres, avec une perte de l’espace pour soi et pour le couple.
Cette perte d’espace personnel est encore plus marquée quand il y a des enfants. Les parents doivent soudainement gérer l’école. Ceci s'ajoute donc à la charge de travail habituelle du couple, et doit être réparti dans le couple. C’est une charge mentale et concrète énorme. Les parents doivent s’improviser instituteur, avec une pression de l’école qui envoie parfois énormément de devoirs.
Il doit y avoir une réorganisation individuelle, mais aussi en tant que couple conjugal ET parental, ce qui n’est pas négligeable...
Quand les deux travaillent et que l’un investissait davantage sa parentalité auparavant, il doit y avoir une nouvelle répartition. C’est un réapprentissage pour l’autre parent autour de sa parentalité, ce qui peut être une richesse et une opportunité. Certains vont découvrir un plaisir en tant que parents, mais d’autres peuvent se sentir incapables, mis en défaut, pas à la hauteur dans cette nouvelle place. Dans cette situation, quand les couples sont déjà en conflit, un des écueils est l’instrumentalisation des enfants. Les enfants peuvent alors être utilisés pour tenter de retrouver une homéostasie dans le couple, car les régulateurs externes que sont le travail, les amis, la famille… n’existent plus actuellement.
Weppsy propose : Pour les parents en difficulté, Juliette Lachenal de Peppsy propose depuis le début du confinement un accompagnement. C’est un guide de survie, sous la forme de newsletter quotidienne avec des conseils, aides et astuces ! A découvrir !
Dans ce temps de confinement, l’espace conjugal disparaît et cela est très difficile à gérer.
Face à cette problématique, mais aussi pour les couples sans enfant, je propose aux couples de se donner rendez-vous car le rythme est soutenu et le risque est de s’éloigner. Cela peut être particulièrement vrai en région parisienne, où l’espace privilégié du couple est souvent à l'extérieur : faire un cinéma, aller au théâtre, dîner au restaurant. Comment redonner à l’intérieur, au couple conjugal, ce qui était habituellement à l'extérieur ? C’est un vrai défi.
Quels challenges peut-on se donner à deux ? Tentez de trouver quelque chose d’interactif, qui génère de la complicité.
Je pense qu’il est également indispensable de trouver du temps pour soi, seul.
Souvent nos temps pour nous, ce sont nos déplacements, les temps de transport, les temps à l'extérieur. Ils sont des temps de pause, de réflexion, des petits moments de “bulle”. Aujourd’hui, chacun doit oser dire quand il a besoin d’avoir du temps pour lui. Cela ne veut pas dire “Je ne veux pas passer du temps avec toi” mais plutôt “Je n’ai pas encore eu mon temps pour moi, et il est essentiel”. On peut déjeuner seul de temps en temps si besoin, par exemple, même si tout le monde est à la maison.
Le couple est un équilibre entre sentiment d’appartenance et individuation. C’est une danse en permanence entre les deux. L’espace de l’individuation est aujourd’hui menacée, ainsi chacun doit à sa manière le créer.Chacun doit pouvoir exprimer ce dont il a besoin, et pour cela je trouve que la CNV, la communication non violente, est un excellent outil à proposer aux couples. Je la décrirai dans les outils pratiques proposés à la fin de l’article.
Oui je travaille beaucoup avec ce modèle, et j’utilise souvent une image pour expliquer cela au couple. Chacun arrive dans le couple avec sa valise : son passé, son vécu avec sa famille d’origine. Le couple doit alors se poser plusieurs questions : crée-t-on une valise commune ? Dans ce cas, de quoi se sépare-t-on ? Souhaite-t-on garder deux valises distinctes ? C’est possible aussi, et dans ce cas ces personnes restent très peu différenciées de leur famille d’origine. Je vois cela poser problème aujourd’hui chez certains couples qui se retrouvent confinés dans la famille d’origine d’un des membres du couple. Le couple peut alors se retrouver dans la chambre datant de l’enfance de l’un. Ce n’est pas anodin pour eux, de se retrouver alors en position infantile. Les places et les rôles de chacun bougent. Comment se repositionner en tant que couple adulte ? Cette question vient attirer vers la surface le niveau de différenciation d’avec la famille d’origine. On doit protéger l’enveloppe couple pour que cette période puisse plutôt créer un rapprochement transgénérationnel que des conflits. Ceux qui sont mal différenciés d’avec leur famille d’origine risque de voir se potentialiser les problèmes de couple.
Et je trouve que ceux qui ont fait le choix conscient, même si c’était difficile car cela signifiait avoir moins de place, moins de contacts variés, de ne pas aller dans leurs familles reconnaissent que ce choix peut réellement consolider quelque chose de l’enveloppe couple. Cette décision peut avoir des effets thérapeutiques, en aidant à marquer cette différenciation.
Un exercice d’écoute
Un premier exercice, qui peut sembler simple mais qui est très puissant, est un exercice d’écoute. On propose que chaque personne parle à tour de rôle, pour 5 minutes de façon ininterrompue au sujet de son ressenti en ce moment, ses difficultés, ou tout simplement ce qu’il souhaite partager. L’autre ne réagit pas, ne juge pas, ne répond pas mais écoute simplement. Lorsque le premier a terminé, c’est à l’autre de partager ce qu’il ressent, ce qu’il traverse. Nous prenons rarement le temps de nous écouter “jusqu’au bout” comme ça, et c’est pourtant que dans ces moments-là que l’on prend réellement conscience, en profondeur, de ce que l’autre est en train de vivre. Christelle Goldner propose également de faire cet exercice en proposant un temps d’expression de 15 minutes. En partant des sensations du corps (ex : « je sens mon dos tendu, mes jambes légères… ») pour se connecter davantage au cœur. Dans ce cas, la personne qui parle est allongée, la tête sur les genoux de l’autre, qui est assis en tailleur. Celui qui est assis écoute, a les mains sur les épaules avec celui qui partage. C’est un réel exercice de connexion, de complicité et de bienveillance. L’idée étant de toujours alterner, que chacun à chaque session puisse s’exprimer.
La Communication Non Violente : comment exprimer son ressenti sans blesser l’autre ?
En effet, la CNV, proposée par Marshall Rosenberg, auteur du livre habilement appelé «Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs», propose quelques étapes clés pour exprimer un besoin sans que l’autre se sente attaqué:
Je parle uniquement des faits. J’évite les “toujours, jamais”.
Je parle en “je”. J’évite de blâmer, de dire “tu”. Je prends la responsabilité de ce que je suis en train de dire. Quelqu’un d’autre aurait peut-être pensé au ressenti autre chose face à cette situation.
Je parle de mon ressenti. Je mets des mots sur mes émotions.
J’exprime mes besoins
Je trouve avec l’autre, à qui j’aurai également demandé de partager son ressenti, un compromis, une voie d’amélioration.
Cela peut paraître simple, mais personne ne le fait spontanément !
Les 4 cavaliers de l’apocalypse : quels éléments bannir de la communication dans le couple ?
Gottman, célèbre thérapeute de couple américain, propose la CNV lorsqu’il évoque sa théorie sur les 4 cavaliers de l'apocalypse. Après des décennies d’études, il dit aujourd’hui être capable de prédire, avec 90% de justesse, si un couple va rester ensemble ou non. Comment ? Le repérage de ces 4 cavaliers dans le discours du couple : la critique, le mépris, la contre-attaque et l’évitement. Il est donc intéressant d’en faire le repérage, notamment durant le confinement. Mais rassurez-vous, il y a des “antidotes” pour chacune de ces façons de communiquer. Pour approfondir cela, lisez cet article : https://medium.com/@roche.nicolas38/les-tueurs-de-couples-les-4-cavaliers-de-lapocalypse-9515fbf19c9b
Gottman explique dans une conférence TED que pour qu’un couple fonctionne bien et soit stable, il faut idéalement un ratio d’environ 5 émotions positives pour 1 négative lorsqu’on fait le bilan des interactions. On comprend donc la nécessité d’apaiser au maximum la façon de communiquer, et d’essayer d’installer durablement “le calme, la confiance et l’engagement”: https://www.ted.com/talks/john_gottman_the_science_of_love
Les langages d’amour : comment remplir le réservoir d’amour de mon partenaire ?
Gary Chapman, auteur et conseiller conjugal américain, propose également une théorie et un exercice intéressants. Il explique que nous avons tous un langage d’amour de prédilection, qui remplit notre “réservoir” (un peu comme une voiture doit avoir son essence spécifique !). Il existe 5 langages :
Les paroles valorisantes
les moments de qualité
les cadeaux
les services rendus
le toucher physique
Les couples ont tendance à “se rater” un peu sur cette question-là. Pourquoi ? Parce nous donnons généralement ce que nous aimons recevoir, alors que l’autre a peut-être des besoins tout autres. Surveillez le réservoir d’amour de notre partenaire, surtout en temps de confinement, est essentiel donc weppsy vous encourage à faire le test !
En français : https://test.psychologies.com/tests-couple/tests-amour/quel-est-votre-langage-amoureux
En anglais, sur le site de Chapman: https://www.5lovelanguages.com/quizzes/
Faites-en un jeu. Remplissez le test en parallèle et essayez de deviner le classement des langages d’amour chez votre partenaire.
Le coaching Peppsy : Guide de survie pour une famille en confinement
Et enfin, pour les couples ayant des enfants, je pense qu’il est essentiel de faire un planning . Ainsi chacun se sentira respecté dans le temps qu’il a imaginé qu’il allait avoir pour lui, pour son travail, etc... Juliette Lachenal, de Peppsy, propose justement cet outil, parmi tant d’autres, dans son guide de survie pour les familles en confinement. Retrouvez cela ici : https://www.mon-coaching-peppsy.com/mag/parentalite/mon-plan-daction
Mais surtout, surtout, j’invite les couples à ne pas se mettre la pression. Essayez de ne pas vous mettre des challenges du type “ça passe ou ça casse” ! Ce n’est pas une mise à l’épreuve. Donnez-vous le temps d’attendre.
Il y aura aussi le temps de l’après, de l’assimilation de ce confinement. Ce sont des bouleversements individuels, de couple, de famille et donc il y a ce qui se passe sur le moment et dans l’après-coup. Et c’est en ça qu’il est essentiel de se laisser le temps, car ce confinement aura aussi des effets, positifs ou négatifs, bien après sa fin.
Christelle Goldner
Interview réalisée par Laetitia Ribeyre, responsable de la coordination du blog et psychologue clinicienne.
par Yolaine de Nanteuil, Psychologue clinicienne
le 2020-04-08
« Les hommes d’aujourd’hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu’avec leur aide il est devenu facile de s’exterminer mutuellement jusqu’au dernier. Ils le savent bien, et c’est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse. Et maintenant, il y a lieu d’attendre que l’autre des deux « puissances célestes », L’Eros éternel, tente un effort afin de s’affirmer dans la lutte qu’il mène contre son adversaire non moins immortel »
Cette phrase de Freud, tirée de son œuvre Malaise dans la civilisation (1929), semble prendre tout son sens aujourd’hui.
En effet, depuis le 17 Mars 2020, nombreuses sont les exhortations : « Je sauve des vies, je reste chez moi ». L’intention paraît noble. Et ainsi « désobéissent » à ces injonctions au demeurant bienveillantes ceux qui ne peuvent procéder autrement…
Alors que jusqu’ici, « l’enfermé » était celui qui vivait en marge de la société, il semblerait que certains événements – en l’occurrence une pandémie mondiale – viennent déranger l’ordre préétabli.
Dans son article sur L'enfermement, Bernard Guiter évoque en effet l’idée que « le névrosé s’enferme du lit au fauteuil et du fauteuil au lit, il réduit ses trajets, il évite les gens ».
Il est intéressant de constater que la norme actuelle consiste justement en une limitation de tout contact extérieur, offrant ainsi à « l’enfermé » le statut d’être responsable, doté de raison.
Mais d’après Guiter, tout n’est qu’affaire d’enfermement dans l’univers de la déraison. Combien de temps le sujet va-t-il supporter le confinement avant de redevenir « le névrosé » ?
Celui qui sort délibérément serait actuellement « le fou », l’inconscient, aux prises avec ses mécanismes de défense : déni, clivage… Se heurtant à la lutte entre Eros et Thanatos ; la pulsion de vie et la pulsion de mort. Celle qui pousse vers l’extérieur, vers le monde, et celle qui tend à voir que ce même extérieur peut s’avérer contaminant, donc potentiellement mortel.
Le retour de quelques professionnels soumis à ce non-confinement peut faire saisir combien ces sorties, aussi libératrices puissent-elles être (principe de plaisir), sont avant tout particulièrement anxiogènes (principe de réalité).
Tout d’abord, un sentiment d’irréalité a pu être rapporté par divers témoins, assez semblable à celui ayant suivi les vagues d’attentats ces dernières années. La vie a disparu de la vie, elle se cache, se confine entre les murs. On la devine sans la percevoir. La ville est silencieuse.
Anxiogène du fait des potentielles contaminations, corollaires au nombre de sorties. Cette anxiété s’habille alors de culpabilité face à ce virus que l’on peut ramener au domicile. Le sujet devient objet ; objet-navette, objet-contaminant/contaminé entre un extérieur souillé et un chez-soi confiné, protégé. En ce sens, le « sortant » vit à contre-courant et prend le risque d’infecter ceux qui restent enfermés.
Anxiogène du fait de l’infantilisation, malheureuse et nécessaire, de devoir penser à son attestation. Remplir, signer, faire tamponner, rendre des comptes, être puni – ou pas. Comme un goût d’école primaire.
On retrouve également une anxiété liée à l’environnement professionnel. A l’annonce du confinement, comme pour la plupart crises émergentes, la pensée s’est d’abord figée. Puis les instances se sont désorganisées, les incertitudes ont fleuri et les injonctions paradoxales se sont, de ce fait, multipliées.
Depuis ce jour, la vie s’est structurée. Les équipes sont réduites, chacun porte un masque, les gestes barrières doivent être respectés, on se parle à travers une vitre… Ces éléments, bien que protecteurs au demeurant, participent activement de l’anxiété résiduelle évoquée par les hôtes de caisse, secrétaires, professionnels hospitaliers…
Enfin, ces sorties sont, pour les professions liées au domaine médico-social empreintes d’une ambivalence et à nouveau de culpabilité, mises en exergue ici à travers les mots d’un collègue : « Je pars soigner, mais pas tout à fait. Pas comme il faudrait. Je sors sous le regard des gens dont certains pensent, me voyant rentrer dans un hôpital, que je suis le soignant qui prend des risques. En fait, je suis derrière mon téléphone à appeler les patients confinés. Alors j’aide à mon échelle, mais cela justifie-t-il de sortir de chez moi et de risquer de contaminer mes enfants ? ».
Il semblerait donc que tant qu’elles sont imposées, ces sorties revêtent une anxiété particulière, tantôt doublée de culpabilité, tantôt teintée d’angoisse.
Si le sujet reste libre de choisir de sortir, il le fera sans anxiété.
S’il est libre de choisir de travailler, l’anxiété probable sera supportée et le sens sera préservé.
Si enfin la liberté d’un individu se voit contrainte et qu’on l’exhorte à quitter son foyer confiné, alors, on pourra assister à une perte de sens générant une anxiété plus marquée.
Le confinement – ou le non-confinement – viennent donc soulever, entre autres, les questions de la liberté, mais également de l’identité et de la responsabilité… Sans doute est-ce là ce qui le rend si discuté.
Face à ces nombreux questionnements, comment faire pour vivre au mieux ce fameux décalage ?
- Se dire que ce dernier n’existe pas nécessairement. D’aucuns s’exposent pour le bien-être de tous, sortent soigner les malades du COVID-19, vendre des produits alimentaires ou œuvrer pour le bon fonctionnement de la société… Et certains se confinent pour éradiquer le virus. Au fond, quelle que soit sa tache, tout un chacun participe, à sa hauteur, à l’effort commun.
- De nombreuses plateformes gratuites se sont créées pour apporter un soutien psychologique ou une écoute à ceux qui le souhaiteraient. N’hésitons pas à demander de l’aide. Certaines lignes sont spécialement dédiées aux soignants, d’autres à la population plus « générale ». Nul n’est égal face à la crise. Chacun vit la situation au regard de son vécu, de ses problématiques… Alors osons appeler.
Yolaine de Nanteuil
Sources
- Freud, S., Malaise dans la civilisation (1929), Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p.107, l. 19-32.
- Guiter, B. (2001). L'enfermement. VST - Vie sociale et traitements, no 69(1), 25-28. doi:10.3917/vst.069.0025.
par Priscille Marchand, Psychologue clinicienne
le 2020-04-07
« On ne connaît aucune société, sauf en période de grand traumatisme (guerre, famine, grande endémie), qui n’entoure pas ses morts d’un cérémonial, si élémentaire soit-il » (L.-V. Thomas, 1985).
Le 16 Mars 2020, le gouvernement annonce que les rassemblements de plus de 20 personnes sont interdits. Le Premier Ministre, Edouard Philippe, précise avec regret que cela concerne également les funérailles. Certains proches des défunts ne pourront alors pas assister aux cérémonies. En quoi cette mesure est-elle si pénible à dire et à entendre ? De quoi sommes-nous privés ?
Un rite est un ensemble de règles qui définit une cérémonie, c’est-à-dire une célébration reconnue par un groupe social. Il rythme une société, donne des règles, des perspectives. C’est un « instrument d’ordre social » (Offenstadt, 1998), une marque d’appartenance. Au sein de notre société occidentale, nous observons surtout des rites de passage : la naissance (baptême, circoncision…etc.), la fécondité (fiançailles, mariage…etc.), la mort (enterrement, crémation…etc.).
Ces rites existent depuis toujours, sous différentes formes et dans toutes les civilisations. Ils semblent fonder et maintenir une société : nous en avons hérité de nos ancêtres, et les transmettrons. Ils perdurent et maintiennent une continuité dans le temps. Ils permettent le sentiment d’appartenance à un grand collectif – l’espèce humaine – et à un plus petit collectif, la société. Penchons-nous un peu plus précisément sur la fonction du rite funéraire.
Le rite funéraire permet de s’occuper du défunt, mais aussi, et surtout, des vivants.
Il permet de donner un sens à la disparition, une finalité au défunt (le Ciel, par exemple). C’est accompagner le défunt jusqu’au bout de son destin. Cela permet la continuité du lien : je te suis jusqu’au bout, toi, avec qui j’ai un lien particulier.
La mort est le point ultime de distanciation, de séparation et oblige à considérer ce qui lie au défunt et à se repositionner face à la solitude. Comment maintenir le lien avec quelqu’un qui n’est plus et continuer d’exister malgré l’absence de ce regard ? Le rite funéraire répond à cela en faisant appel aux souvenirs, et en permettant le partage et l’intégration de ceux-ci. Le travail de deuil consiste en la reconnaissance de l’expérience passée comme étant passée, en l’investissement de l’énergie dirigée dans la relation au défunt vers de nouveaux liens. Cela supporte le présent et engage dans le projet futur.
Le rite, organisé pour une personne, confirme la valeur de chacun en tant qu’individu singulier ; au travers du rite funéraire, on le reconnaît comme unique et temporel. Rien de plus glaçant et déshumanisant qu’une fosse où on jetterait les corps sans les nommer, les reconnaître et les accompagner individuellement (nous le savons d’expérience). En cela, les vivants sont assurés de la place du défunt dans le groupe et par là même, sont assurés de leur propre place. Le rite permet donc de confirmer les liens sociaux, la place de chacun dans cet ensemble, et de maintenir la structure du groupe, les relations. Le rite funéraire acte la continuité du collectif et de l’individu.
Toute la particularité du deuil en cette période de confinement réside dans l’impossibilité de réaliser deux éléments essentiels du rite funéraire : se rassembler autour d’un corps et prendre conscience ensemble de la perte concrète.
Mlle M. est privée du corps de l’être aimé et donc de la réalité de la perte. Mme D, qui a perdu son époux, confiné en EHPAD depuis 1 mois témoigne un certain malaise : « ça fait quatre semaines que je ne l’ai pas vu, c’est très bizarre comme sensation… C’est comme si rien n’avait changé ». Mme D. exprime une difficulté à croire au décès de son époux, cela lui paraît irréel. Mme D. a besoin de concret – heureusement, elle pourra assister aux obsèques de son mari, mais ce n’est pas le cas des autres membres de la famille.
Ce besoin fait écho aux propos d’Yves Lamoureux : « la rencontre autour du corps du défunt concrétise la perte » (2002). Il précise que cela protège du danger du déni, qui, si c’est une phase normale du deuil, doit laisser place à d’autres ressentis.Voir le corps du défunt, tout au moins le cercueil, ou voir les effets sur les autres personnes touchées, est une étape essentielle dans le travail de deuil.
Aussi, toutes deux expriment la difficulté de ne pas pouvoir se rassembler, être avec les autres : « Je voudrais voir ce que les autres vivent, et je voudrais écouter les souvenirs des autres et raconter les miens… Que l’on se souvienne d’elle ensemble » (Mlle M.). On peut créer des rites symboliques (allumer une bougie chez soi, chanter une chanson qui rappelle l’être aimé, écrire, faire une minute de silence…), mais, dans cette situation, nous sommes privés du rassemblement qui permet la continuité des liens, le sentiment d’appartenance et le sentiment de soi. Ces éléments risquent de fragiliser le processus de deuil.
« Chaque perte est personnelle et ne peut être comparée à nulle autre ; vous seul savez ce que vous avez perdu » (Kübler-Ross, 2011). Il n’y a pas de recette, pas de ligne à suivre, notre système nerveux est programmé pour vivre cela, il sait quel chemin il a besoin d’emprunter pour se réorganiser. Si vous souhaitez en savoir plus, je vous renvoie vers l’épisode 1 du challenge confinement & weppsy, sur le deuil : cliquez ici pour le consulter.
Pour pallier les privations, ne restez pas seul et parlez-en ! Restez en lien avec vos proches, vos amis. Comme vous l’auriez fait dans un contexte normal. Les nouvelles technologies sont une véritable ressource pour communiquer, le confinement ne nous isolera pas complètement ! Il est facile d’envoyer des photos, possible de communiquer en visioconférence à plusieurs… Et, comme Mme D., reportez le rassemblement lorsque les circonstances le permettront, planifiez une commémoration. Projeter cet évènement dans l’avenir peut répondre en partie à vos besoins.
Si cependant vous vous sentez débordé, que vous souhaitez en parler à quelqu’un d’autre qu’un proche, vous pouvez consulter un psychothérapeute.
par Aude Mouton et Laetitia Ribeyre, Psychologues cliniciennes
le 2020-04-03
Récemment, nous vous avons présenté sur weppsy un article sur la gratitude, qui reprend et encourage la capacité de chacun à trouver du positif dans cette période où nous avons perdu nos repères. Trouver du positif n'exclut pas la présence actuelle d’émotions de différentes natures. La gestion de ces émotions n’est pas toujours simple, nous en témoignons dans nos consultations (en visio bien évidemment!): nos patients souffrent, sont perdus, culpabilisent, stressent.
Nous souhaitons ainsi vous proposer quelques outils pour traverser la tempête, au début de cette deuxième quinzaine.
Dans le contexte actuel, nous pouvons éprouver des émotions intenses et nouvelles qui nous déstabilisent. Cet article vous permettra de commencer le travail, parfois difficile, d’écoute et d’acceptation de celles-ci.
L’éducation occidentale traditionnelle demande généralement à l’enfant de faire cesser les comportements qu’il met en place lorsqu’il est submergé par ses émotions. Il n’a pas toujours le droit d’être en colère ou d’avoir peur, ou encore d’exprimer un désir clairement, par un comportement qu’il apprendrait avec la maturité à moduler. Aujourd’hui, en tant que psychologues, nous travaillons beaucoup avec des adultes qui sont en difficulté face à ces émotions qui remontent et dont il apparaît comme difficile de se défaire. Travailler avec, les comprendre et les accepter, peut s’avérer être un véritable challenge.
La première chose qu’il semble importante à comprendre est qu’une émotion est valide, quelle qu’elle soit.
On peut considérer l’émotion comme l’expression naturelle, instinctive d’un besoin. Une émotion apparaît lorsqu’il y a une différence significative entre ce que je voudrais et ce qui est en train de se dérouler.
- Je voudrais qu’on me respecte, et ce n’est pas le cas : je ressens de la colère
- Je voudrais toujours pouvoir parler à cette personne que j’aime mais elle est décédée ou elle m’a quitté : je suis triste
Cette vidéo peut vous aider à mieux comprendre : https://www.youtube.com/watch?v=_DakEvdZWLk
Aude Mouton, comme d’autres psychologues de notre réseau d’anciens de L’EPP, a voulu apporter une contribution à cet effort global. Ils tentent de donner des réponses concrètes aux personnes qui souffrent de cette situation. Dans son Facebook Live sur la gestion des émotions, elle utilise un image très intéressante: celle du messager.
Une émotion est un message. Imaginez un messager qui tient une lettre et veut vous transmettre une information. C’est une information qui vient vous dire qu’il y a quelque chose dans votre vie qui ne correspond pas à vos désirs ou vos besoins. Si vous n’ouvrez pas la porte à ce messager, il va rester dans votre jardin et frapper à votre porte toutes les cinq minutes, et donc beaucoup vous embêter. Si vous décidez d’ouvrir le message et regardez en face ce que vous ressentez et pourquoi vous le ressentez, un mieux-être apparaît instantanément. Cette expérience a fait l’objet de nombreuses recherches en neurosciences, notamment évoquées dans le livre de Tal Ben Shahar, L’Apprentissage du bonheur.
Mettre son attention cognitive au service de la reconnaissance de son émotion fait diminuer de façon significative l’intensité de la dite emotion.
Nous avons souvent une peur, une fausse croyance : “En écoutant mes émotions, j’irai encore plus mal”. En fait, la réalité biologique et neurologique est tout autre : si on prend le temps de reconnaître une émotion, elle s’apaise naturellement.
On peut aussi confondre l’émotion et la mise en action de cette émotion. Ce n’est pas parce que je me sens en colère que je vais tout casser et ce n’est pas parce que je me sens triste que je vais passer ma vie dans mon lit (tentant durant le confinement, tout de même !). C’est la balance miraculeuse de notre cortex préfrontal qui entre en jeu: je suis capable de distinguer l’intensité de mon émotion de la réalité concrète. J’écoute cette émotion, je la valide : “je t’ai entendu, j’ai peur, je suis anxieux.”
Le rationnel va maintenant pouvoir faire la part des choses entre ce que je ressens et ce que je décide de mettre en action. Je reste et je resterai toujours maître de moi-même et de mes comportements si j’écoute mon vécu interne. C’est lorsque le dialogue émotionnel-rationnel ne se fait plus que les comportement excessifs apparaissent: quand les mots ne peuvent plus exprimer, le sens du vécu ne se fait pas et on voit apparaître l’agressivité (qui n’est pas la même chose que la colère), la dépression (qui n’est pas la même chose que la tristesse).
Ainsi passer par les mots et la prise de conscience de ce que je ressens me permettra de ne pas être victime d’actions menées sous le coup d’une émotion négative.
Pour faire simple : une émotion est naturelle et son apparition n’est pas du domaine de notre volonté. Ecouter et valider ce que l’on ressent nous permet dans un deuxième temps de rationaliser et gérer au mieux nos comportements par rapport à cette émotion dont l’intensité diminuera naturellement. Cette compétence est ce qu’on appelle la gestion ou la régulation émotionnelle. La développer permettra une valorisation de l’estime de soi qui ne sera plus entachée par des comportements mus par ces émotions négatives.
Ceci peut vous paraître simple, mais c’est efficace. En effet, deux mécanismes nous font souffrir:
Le premier, évoqué précédemment par Aude, est la non acceptation de la survenue de l’émotion. Je nie son existence, je repousse le messager donc il s’impatiente et prend de plus en plus de place.
Le deuxième mécanisme qui fait souffrir est le commentaire souvent peu bienveillant que l’on peut avoir vis à vis de cette émotion une fois qu’on en prend conscience.Ce “commentaire”, c’est ce que l’on appelle la métacognition (nos pensées au sujet de nos pensées) ou le méta-émotionnel (nos émotions par rapport à nos émotions). Par exemple, je peux ressentir du stress en lien avec le confinement et la nouvelle gestion de la famille. Mais si face à ce stress je me dis : “Mais tu es nulle de ressentir ce stress, comment ça se fait que tu n’arrives pas à gérer ? C’est n’importe quoi, et puis ça va durer encore 1 mois, ma grande !”, les choses peuvent sérieusement se complexifier.
Vous pouvez dès à présent prendre l’habitude de vous dire : “J’ai le droit de ressentir la colère/la tristesse/…”. Il s’agit d’émotions aussi naturelles et légitimes que la joie ou la surprise.. J’ai le droit de me sentir fatiguée, d’avoir peur, ou encore d'être inquiet.
La méditation en pleine conscience nous permet aussi d’entretenir un rapport plus apaisé avec nos pensées et nos émotions et ne pas se sentir happées par elles. Et c’est bien nécessaire en ce moment ! De nombreuses études montrent que l’acceptation inconditionnelle de nos émotions fait baisser le sentiment de souffrance.
Petit conseil ! Toujours se demander: Je ferais ce même commentaire désagréable à mon meilleur ami s’il ressentait la même chose ? Si la réponse est non, c’est que vous manquez de bienveillance envers vous-même, et il faut y faire très attention.
Tout d’abord, nous voyons souvent nos émotions négatives comme des ennemis. Je suis angoissée ? Je veux que cette émotion disparaisse, tout de suite ! Mais il faut comprendre que chacune de nos émotions sont adaptatives, elles ont un sens comme le disait très justement Aude Mouton dans son live. Le message émotionnel est donc essentiel à écouter. Cette angoisse vient me signifier que quelque chose ne va pas, que j’ai un besoin qui n’est pas assouvi. Les émotions sont des guides, des sources de créativité et de bien-être.
Kelly McGonigal reconnaît qu’elle a enseigné une idée pendant longtemps en laquelle elle ne croit plus: le stress est mauvais, rend malade, augmente les risques pour toutes les maladies. Mais en réalité, le stress peut être un allié. Il devient un problème si on est persuadés qu’il est mauvais pour notre santé. L’étude qui a changé son avis sur la question (comprenant 300 000 américains durant 8 ans, quand même !) prouve que le stress devient un problème si, et seulement si, on est persuadé qu’il est mauvais pour notre santé. Il peut donc être bénéfique si on l’utilise à bon escient. Il faut donc changer notre avis sur le stress pour en avoir les bénéfices physiologiques !
Pour regarder la conférence TED de Kelly McGonigal : https://www.ted.com/talks/kelly_mcgonigal_how_to_make_stress_your_friend
Elle a d’ailleurs dédié un livre intéressant à cette idée que le stress peut avoir des effets positifs. En effet, elle explique qu’il peut :
stimuler la production de neurones et ainsi améliorer la performance
améliorer le système immunitaire (si ce sont de courts moments de stress!)
améliorer l’apprentissage et la mémoire
vous rendre plus sociable
Je vous invite à lire cet article : https://ideas.ted.com/7-ways-stress-does-your-mind-and-body-good/
Un programme coaching de gestion de stress : Juliette Lachenal et son exceptionnel équipe Peppsy ont débloqué un programme sur le stress qui peut vous plaire et vous aider. Cliquez ici pour vous inscrire !
Les Facebook Live d’Aude Mouton, qui a abordé la gestion des émotions en première semaine et qui abordera de nombreux autres sujets. Lundi/Mardi en français, Jeudi/vendredi en anglais
Episode exceptionnel de Change ma vie (podcast) + celui sur l’inquiétude
par Sophie Cappe de Baillon, Psychologue et coach en orientation
le 2020-04-01
47 notifications Whatsapp; 17 notifications Facebook. C’est en moyenne le nombre de notifications que j’ai au réveil depuis 10 jours maintenant. Je vous épargne celles d’Instagram et je ne suis pas sur Twitter.
Dans ces messages, il y a de tout : l’avis de l’oncle de la belle famille de mon frère sur la durée du confinement, la meilleure blague sur les réserves de papier toilette, un appel à applaudir les soignants à 20h, des conseils pour fabriquer un masque home-made ou encore les conseils d’un médecin anonyme pour s'auto-diagnostiquer. Plutôt léger et encourageant ? Oui, sauf qu’au milieu de tout ça il y a aussi le témoignage d’un médecin urgentiste italien qui raconte les choix éthiques qu’il fait dans un couloir, un article sur le nombre de décès en une journée en Chine pendant la crise et des photos de l’armée qui s’installe en ville pour faire respecter le confinement. Boule au ventre et vertige. A côté, il faut gérer l’inquiétude pour soi et pour ses proches exposés; les courses et le rythme à la maison.
Au cours des 30 minutes consacrées à la lecture de ces messages, mes réactions émotionnelles ont été du fou rire à la bouffée d’angoisse. Dans un contexte déjà compliqué, cet ascenseur émotionnel risque d’être de plus en plus dur à gérer. Alors, comment développer une juste distance avec l’actualité et les réseaux sociaux dans cette période ?
Voici ce que je vous propose dans cet article :
Quel que soit le contexte, une application est conçue pour qu’un maximum d’utilisateurs s’y connecte de manière récurrente. Ainsi, nos actions, guidées par les algorithmes, sont conçues pour que nos cerveaux génèrent la molécule responsable du plaisir, de la motivation et de l’addiction : la dopamine. En d’autres termes, lorsqu’on reçoit des likes ou qu’on en donne, ce stimulus génère un bien-être rapide et immédiat. Ainsi, les réseaux sociaux par leur immédiateté et l’immensité des informations proposées permettent une récompense cognitive avec un investissement cognitif quasiment nul. Alors, si vous avez la sensation d’être addict aux applications de votre smartphone, c’est normal et ce n’est pas de votre faute !
A cette dimension addictive des réseaux sociaux s’ajoute le besoin légitime d’informations sur une situation inédite. D’ailleurs, il a été observé une hausse du trafic sur les sites d’actualités depuis le début de la crise sanitaire. Mais, en soit, qu’est-ce qui différencie l’époque de nos grands-parents écoutant la TSF en temps de guerre et nous devant notre smartphone ? La quantité d’informations et leur immédiateté.
Là où la génération précédente se réunissait une fois par jour pour écouter la radio, on se retrouve chacun devant la page de BFMTV Live à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Depuis notre canapé, on observe en continu l’évolution de la pandémie en France et dans chaque pays du monde. Vertigineux ! Mais du coup on fait comment, on se coupe du monde en fuyant les réseaux sociaux et l’actualité ? Non, ça serait trop facile...
Il est essentiel de comprendre la réalité de la situation et son niveau de gravité. C’est d’ailleurs en intégrant le niveau de dangerosité d’une situation qu’on peut agir pour s’en protéger. Il serait impossible de s’appliquer les contraintes du confinement si on ne savait pas que ça sauve des vies !
Les réseaux sociaux nous permettent aussi d’être en lien avec nos proches et de soutenir de magnifiques initiatives. C’est une fenêtre sur le monde qui nous sort du quotidien et où la solidarité fleurit. Entre les coups de pouce pour trouver un appartement à une infirmière, les soutiens gratuits proposés par les psychologues, la nourriture offerte aux hôpitaux…
Pour trouver l’équilibre, ce qui importe est de redevenir maître de l’information :
Ne plus subir l’information reçue mais aller chercher l’information
Choisir le temps qu’on consacre aux réseaux sociaux et à l’information
Choisir les informations, c’est se préparer en amont en cas de mauvaises nouvelles, c’est développer une vision critique pour déceler les fake news et sélectionner les informations à transmettre.
Avant de vous proposer 3 conseils concrets, je vous encourage à chercher des bonnes nouvelles en lien avec le coronavirus. Il y a régulièrement des articles du style “10 faits positifs sur le coronavirus”, foncez dessus car recevoir des pensées positives aide à gérer l’anxiété et le stress !
Ces conseils simples vont vous permettre de dégager plus de temps libre à votre cerveau et donc plus de temps pour appréhender vos émotions et donc gérer le quotidien.
1. Désactiver les notifications des réseaux sociaux et des médias
Vous avez déjà entendu des personnes âgées dire en levant les yeux au ciel : “Moi je me fais pas siffler par mon téléphone, hé!”. Ici, l’idée est du même ordre : ne plus aller vers votre téléphone quand il vibre mais quand vous en avez envie !
Concrètement, il s’agit de regarder chacune des applications qui vous envoient des notifications puis de choisir quelles notifications vous souhaitez garder et leur type : une pastille rouge chiffrée est moins invasive qu’un bandeau avec prévisualisation d’un message.
Recommandation spéciale Whatsapp : consultez chacune de vos conversations et interrogez-vous : quelles émotions cette conversation génèrent elles chez moi ? En fonction, mettez-la en silencieux ou non !
2. Se tenir informé auprès de sources fiables
Pour éviter de propager des fausses informations, renseignez-vous auprès de sources sûres:
Le site du Ministère des Solidarités et de la Santé
3. Bannir l’utilisation de son téléphone dans son lit
Le plus difficile des 3 conseils en raison des éléments cités ci-dessus mais qui permet à notre cerveau d’avoir du temps libre et donc de mieux assimiler nos émotions. Besoin d’envoyer un message juste avant de se coucher ? Pas de souci mais on le fait debout à côté de son lit ! Pourquoi ? Essayez une fois, vous verrez comme c’est inconfortable et donc beaucoup plus rapide... !
Prenez soin de vous et de votre smartphone !
Sophie Cappe de Baillon
Psychologue & Coach en orientation
Suivez-moi sur Instagram !
Sources :
- | Dopamine | ARTE - Youtube, consulté le 20 mars 2020Comment Twitter vous rend accro
- https://www.blogdumoderateur.com/covid-19-comportement-consommateurs-crise-coronavirus/
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S000344871730197X
------weppsy vous informe également que notre collègue, Juliette Lachenal, a mis en place de nombreuses ressources pour l’addiction au portable sur son site Peppsy.
Vous pouvez regarder gratuitement de courtes vidéos et lire des articles qui vous permettent de faire le point sur la question de l’addiction au téléphone sur son site.
Ici pour faire le point et savoir si vous êtes addict : Regardez cette vidéo !
Et ici pour avoir quatre bon conseils pour réduire votre addiction : Regardez cette vidéo !
par Sophie du Bouetiez, Psychologue clinicienne
le 2020-03-31
En tant que psychologue, la question du lien social est au cœur de notre réflexion clinique quotidienne. Nombre de nos patients nous sollicitent pour améliorer leur rapport aux Autres. Certains souhaitent comprendre pourquoi ils peinent à tisser des liens durables et épanouissants, d’autres aimeraient pouvoir mieux poser leurs limites face à leurs proches, d’autres encore cherchent à se sentir plus indépendants et à se dégager de l’emprise d’autrui... Autant d’objectifs thérapeutiques que de patients, chaque fois dans la lignée d’un questionnement unique et propre au parcours de vie de chacun.
Ces axes de réflexion doivent bien sûr s’articuler dans une lecture globale de notre société et de notre époque : pendant la seconde moitié du XXème siècle, la quête d’indépendance a constitué un enjeu majeur dans la lutte pour l’égalité des droits. L’individu est revenu au centre de son existence, la recherche du bonheur individuel et de l’autonomie a été propulsée au premier plan. Ce tournant engagé par notre civilisation a permis l’émancipation identitaire, sociale et matérielle de toute une génération, en réaction aux modèles antérieurs.
Mais aujourd’hui, cette quête d’autonomie atteint peut-être ses limites : plusieurs études suggèrent que le sentiment de solitude s'accroît de manière exponentielle dans la population depuis une trentaine d’années, et le nombre de personnes vivant seules ne cesse d’augmenter depuis vingt ans. Ainsi, une fois admise la nécessité de pouvoir s’épanouir seul, se pose aujourd’hui la question suivante : comment se réinscrire dans le groupe social sans renoncer à son indépendance ? Comment conjuguer notre besoin de liens socio-affectifs avec celui de l’affirmation de soi et de l’épanouissement individuel ? En consultation, on entend que ce compromis peut être difficile à trouver pour certains patients.
L’expression du sentiment de solitude peut leur apparaître comme une faiblesse, voire une honte : l’injonction à être bien seul étouffe quelquefois la capacité à reconnaître le besoin affectif.Certains patients expriment même la peur de se trouver « dépendants » d’autrui et donc vulnérables s’ils s’investissent dans une relation affective. Comme si le lien d’attachement, à la fois craint et recherché, venait menacer le sentiment de stabilité personnelle et d’identité. Paradoxe apparemment insoluble !
Et paradoxe d’autant plus douloureux quand on sait que l’être humain est un animal social : nous ne sommes pas faits pour être seuls, l’isolement prolongé active une détresse chez chacun d’entre nous, même si bien sûr nous n’avons pas tous le même seuil de tolérance à la solitude. Preuve en est, s’il le faut, dans ce contexte de confinement : l’isolement dans la durée exacerbe la souffrance de certains de nos patients, ce qui est tout à fait normal. Mais ce qui m’interroge le plus dans ces circonstances, c’est la réaction de honte et de culpabilité formulée par certains (« J’ai honte de si mal vivre la solitude, car ça signifie que je suis faible, que je n’ai pas de ressources »).
Il est temps de se réconcilier, je crois, avec nos besoins affectifs. Il est absolument normal de mal vivre la solitude, cela n’est en aucun cas un signe de fragilité ou de pathologie.De nombreuses études montrent que la solitude prolongée génère chez l’être humain des effets psychologiques douloureux : sensibilité exacerbée aux informations négatives, méfiance, affects anxieux et/ou dépressifs, altération des fonctions cognitives..., et ce quelle que soit la personnalité du sujet (extraverti ou introverti, anxieux ou non), quel que soit le contexte (contexte sérieux ou dérisoire, exclusion sociale intentionnelle ou non). On sait également que le sentiment d’isolement génère une souffrance proche de celle ressentie lorsque nous sommes blessés physiquement, et les manifestations physiologiques observées sont d’ailleurs similaires (augmentation de la pression sanguine, sécrétion de cortisol).
D’autre part, de nombreuses recherches montrent à bien des niveaux les bienfaits du contact social : le lien à l’Autre provoque une libération d’endorphines qui génère une sensation de bien-être, la difficulté anticipée ressentie face à un obstacle est moindre lorsque l’on est accompagné par une autre personne (à fortiori lorsqu’il s’agit d’un proche), le fait d’être entouré diminue le sentiment de souffrance physique en cas de maladie ou de blessure, il aide à réduire le stress et donc à améliorer le système immunitaire et l’espérance de vie... Tout cela n’est pas si surprenant : le lien social a permis la survie de notre espèce. L’Homme a eu besoin du groupe pour s’adapter et survivre : il a pu ainsi partager ses connaissances et s’associer à ses pairs pour lutter contre les prédateurs, trouver de l’aide en cas de danger et être soigné si nécessaire... Il a appris que l’isolement pouvait être synonyme de danger. Ainsi, la solitude active un réflexe archaïque de peur et de détresse.
Pas étonnant, donc, que le confinement actuel active un mal-être important chez certains, et surtout chez les personnes isolées présentant une prédisposition à l’anxiété ou à la dépression. Dans nos consultations, et plus précisément dans le contexte actuel de confinement social, je crois donc qu’il est primordial de repenser cette fameuse « capacité à être seul », et de redéfinir avec nos patients les enjeux qui y sont associés.
Être capable d’être seul ne veut pas dire être parfaitement heureux sans avoir besoin de personne et s’auto-suffire pour s’épanouir pleinement. La capacité à être seul, c’est accepter d’être seul en présence de l’autre. La différence est radicale.On passe de « Je n’ai besoin de personne pour être heureux » à « Je sais que j’ai besoin de l’autre pour être heureux, mais je sais aussi qu’il n’est pas loin et qu’il répondra à mes besoins si je l’appelle : donc je supporte bien de ne pas être en contact direct avec lui et d’investir agréablement une activité solitaire pour une durée limitée ».
Cette nuance est très bien décrite par Christophe André et Rebecca Shankland dans leur ouvrage « Ces liens qui nous font vivre » : ils y évoquent avec justesse la distinction entre « autonomie » et « indépendance ». C’est cette nuance que nous pouvons travailler en thérapie avec nos patients : visons l’autonomie, c’est-à-dire la capacité fondamentale à mieux se connaître, à affirmer son identité, à savoir fonctionner par et pour soi-même (travailler, gagner sa vie, se nourrir, prendre soin de soi, accepter sereinement et avec plaisir les temps limités de solitude, investir des occupations agréables seul). En revanche, faisons la paix avec la notion de dépendance : acceptons que nous ayons besoin d’être en lien avec les autres, ne serait-ce qu’un minimum, pour être heureux.
Et on peut absolument faire cohabiter l’autonomie avec les besoins affectifs : en travaillant avec nos patients la capacité à aller vers l’Autre tout en pouvant affirmer leur identité propre, leurs ressentis et leurs besoins. Encourageons-les ainsi à poser leurs limites et à se défendre si l’Autre menace leur intégrité et ne respecte pas leurs valeurs. Et en ces temps de confinement, plus que jamais, renforçons la capacité de nos patients isolés à accepter qu’il est difficile de traverser la solitude, à comprendre cela sans se juger. Aidons-les à se sentir plus légitimes dans leur souffrance et rassurons-les sur le fait que c’est justement cette souffrance qui fait d’eux des êtres sensibles et sociaux. Encourageons-les à accepter et nommer le manque affectif, et à solliciter (virtuellement pour l’instant !) leurs proches pour se sentir compris et soutenus avec bienveillance dans ce qu’ils vivent. Cette épreuve leur permettra peut-être d’ailleurs, une fois le confinement terminé, de mieux partir à la rencontre de leurs besoins affectifs profonds et de se diriger plus sereinement vers des rencontres nouvelles et riches !
Sophie du Bouëtiez
Sources :
Bohler, S. (2009, novembre 4). Un gène de la solitude. Consulté le 25 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/un-gene-de-la-solitude-10390.php
Bohler, S. (2010, novembre 1). La solitude nuit au cerveau. Consulté le 23 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/science-societe/la-solitude-nuit-au-cerveau-10747.php
Dieguez, S. (2011, mai 14). Frankenstein : le drame de l’exclusion. Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/cognition/frankenstein-le-drame-de-lexclusion-6381.php
Dieguez, S. (2012, janvier 7). Robinson Crusoé, archétype de la solitude. Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/robinson-crusoe-archetype-de-la-solitude- 6607.php
Killam, K. (2020, mars 17). Confinement : comment surmonter la solitude ? Consulté le 26 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie-sociale/confinement-comment- surmonter-la-solitude-18968.php
Loneliness: Information, Resources and Support | Cigna. (s. d.). Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cigna.com/about-us/newsroom/studies-and-reports/combatting-loneliness/
Taly, V., Pesneau, A., Nagara, E., Riou-Bourdon, M., Clouët-Coudreuse, M. & Amar, M. (2013). Le développement de la capacité à être seul chez un enfant observé. La psychiatrie de l'enfant, vol. 56(2), 585-601. doi:10.3917/psye.562.0585.
par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-03-28
« Quête futile mais désespérée que de supprimer l’incertitude… »
Montaigne
Nous avons entendu de nombreux spécialistes début mars qui minimisaient les effets de l’épidémie du coronavirus en mettant en avant les ravages annuels de la grippe saisonnière.
La grippe est une maladie connue et gérée chaque année par les autorités de santé, la pandémie du coronavirus nous a surpris, et c’est cet effet de surprise qui a des effets psychologiques. Non seulement ce virus est inédit, mais il est également difficile à contenir par les plus hautes autorités de santé.
L’incertitude face à l’avenir est vécue comme un problème majeur pour l’être humain qui n’a de cesse de chercher à s’adapter pour conserver l’équilibre de son organisme. Nous cherchons naturellement l’homéostasie. C’est le manque de maîtrise sur les événements qui nous perturbe : Nous n’aimons pas être ignorants, Nous détestons être surpris.
Le fait de ne pas maîtriser les événements va générer chez nous un fort sentiment d’inconfort. Le gouvernement, pour notre sécurité, nous impose de changer notre routine et de remettre en cause nos projets : pendant le confinement, je perds ma liberté d’aller et venir et mon sentiment de sécurité. Nous comprenons les raisons de ces mesures mais la forte demande d’adaptation psychologique qu’elles génèrent rend difficile l’accès à nos ressources internes pour y faire face.
L’effet de surprise de l’annonce de la pandémie puis du confinement est un moment de violence émotionnel très fort : l’épreuve du confinement ou de la quarantaine pour certains mais aussi la crainte de la maladie voire de la mort pour d’autres. Au-delà des contraintes, ce virus nous met devant notre impuissance pour nous maintenir en pleine santé.
Par effet, la peur d’être contaminé et la contrainte du confinement peut faire renaître des souvenirs d’événements traumatiques vécus et ainsi réveiller de l’anxiété, du stress, des symptômes dépressifs. Selon le vécu individuel, le confinement peut réveiller des traumatismes de guerre, des épreuves d’une maladie vécue, un éloignement subi…
Sénèque
Nous sommes confrontés à la frustration depuis notre plus jeune âge, malheureusement l’expérience ne nous aide pas toujours à la gérer !
En psychologie, elle est décrite comme l’état d'insatisfaction provoqué par le sentiment de n'avoir pu réaliser un désir. Dans le cas du confinement ou de la quarantaine, le désir entravé ici est est celui de la possibilité de jouir d’une liberté fondamentale pour endiguer collectivement un problème de santé. Dans cet unique but, je dois gérer la frustration de ne pas sortir comme je le voudrais, de ne pas participer à des réunions d’amis ou familiales, de mettre en pause mes sorties culturelles, etc.
Le vécu individuel et les ressources perçues par l’individu vont guider notre manière de gérer notre frustration.
Durant le confinement chinois, une enquête réalisée dans plus de 36 provinces révèle que 35% des répondants pendant la quarantaine présentaient un stress psychologique modéré et 5,14% présentaient un stress psychologique sévère.
Plus largement, lorsqu’on étudie les effets des quarantaines, on s’aperçoit que les changements comportementaux prédominants sont la mauvaise humeur et l'irritabilité (73% et 64% des personnes interrogées).
Les études menées sur le sujet montrent que les symptômes s’amoindrissent chez la plupart 4 à 6 mois après la quarantaine.
On peut aisément imaginer que l’irritabilité et la colère, au-delà d’avoir une conséquence sur notre santé, ont des effets néfastes sur la qualité des relations que vous pouvez entretenir avec vos compagnons de confinement… et six semaines c’est long … !
Camus s’exprimait ainsi à propos de la peste il y a plus d’un demi-siècle.
D’aucuns trouveront pourtant cette citation particulièrement d’actualité. La situation que nous vivons est hors temps, comme un souffle du passé qui viendrait nous rappeler la fragilité de la condition humaine.
L’expérience d’isolement n’est pas évidente surtout parce qu’elle est contrainte et qu’elle vient en totale rupture avec nos modes de vie qui mettent en avant le voyage, la découverte, le bien-être : le mouvement.
La solitude est associée à la tristesse si ce n’est au macabre : on s’isole quand on est tristes et historiquement pour se préparer à la mort.
En ces temps si particuliers, voir l’isolement autrement pourrait presque être un acte citoyen, à l’heure où le personnel médical met sa vie entre parenthèses pour sauver les nôtres.
Apprenons à "demeurer au repos dans une chambre " !
Pauline d’Heucqueville,
Psychologue, consultante pour le cabinet Stimulus
Sa fiche sur weppsy.
Richard Lazarus et Susan Folkman, Stress, Appraisal and Coping, 1984
Mental health status of people isolated due to middle east respiratory syndrome, 2016
par Cécile Pichon, Psychologue et Coach en Transition Professionnelle
le 2020-03-27
Voilà désormais plusieurs jours que vous êtes confinés chez vous. Vous recevez de toutes parts des suggestions d’activités pour mettre à profit cette
période à la maison : sport en ligne, journal de bord, podcasts culturels, idées pour occuper les enfants, recettes de cuisines, activités solidaires… Vous vous êtes enthousiasmés pour toutes ces bonnes idées qui font clairement chaud au cœur, mais au final vous ne savez plus trop où donner de la tête…D’un côté, nous sommes tous heureux d’observer la créativité et le positivisme des gens dans une situation de crise telle que nous la traversons. Mais nous nous sentons peut-être un peu tétanisés face à cette multiplication de propositions... Comment choisir, et comment être sûr que tout cela va-t-il vraiment vous aider ?
La première chose qui semble ralentir notre capacité de trancher est notre disponibilité mentale… Dans le contexte d’épidémie, nombreux sont ceux qui s’inquiètent un peu pour eux et pour leurs proches, et se posent des questions quant à l’évolution de la situation. On peut alors comprendre que malgré toutes nos envies de nous distraire et d’organiser ce confinement pour qu’il soit confortable, une grande partie de notre attention est captée par le suivi des événements… Les questionnements nous prennent pas mal d’énergie, nous laissant peu de bande passante pour réfléchir aux sujets qui semblent moins essentiels. Difficile alors de prendre des décisions dans ce contexte !
De plus, il y a eu tellement d’idées géniales proposées que l’on ne sait pas nécessairement par quel bout commencer. Et c’est normal, car il semblerait qu’avoir trop de choix complique nettement le processus de décision chez l’homme. En effet, d’après une étude de l’American Marketing Association en 1974, la surabondance de choix aurait des effets négatifs sur les mécanismes de choix des personnes (Overchoice Effect). Un psychologue américain, Barry Schwartz a lui observé des phénomènes similaires. Il explique que la multiplication des options lorsqu’on doit faire un choix peut avoir deux effets négatifs :
Une paralysie : lorsque l’on fait face à trop d’options, il devient complexe de décider
Une insatisfaction : une fois la décision prise, les personnes qui avaient à choisir parmi de multiples options ont davantage tendance à regretter leurs choix
C’est un réel paradoxe, car si on pense que plus d’opportunités sont pour nous le signe d’une plus grande liberté, le tri à faire pour traiter l’info nous tétanise. Un excès d’idées d’activités aurait alors tendance à provoquer… notre inactivité !
Par ailleurs, d’après les psychologues William Edmund Hick et Ryan Hyman, il existe une relation de cause à effet entre le temps de réaction d’une personne et les possibilités de choix auxquelles elle fait face. Plus les choix possibles se multiplient, plus le temps de décision augmente. Normal dans ce cas-là que nous n’ayons peut-être pas encore réussi à faire le tri de notre côté. La bonne nouvelle, c’est que du temps, nous allons en avoir, alors nul besoin de nous précipiter pour choisir et décider.
Mais d’ailleurs, quelle différence entre choisir et décider ? Pour le philosophe français Charles Pépin, il existe une réelle différence entre les deux verbes :
Choisir : choisir se fait rationnellement, en analysant et examinant les données à disposition pour réduire l’incertitude et sélectionner celle qui présente le plus d’avantages. En neurosciences, on pourrait dire que cela correspondrait à favoriser l’option qui apporte le plus de récompense, ou réduirait au maximum l’inconfort ou le niveau de risque.
Ex : entre deux émissions de divertissement, vous choisirez probablement la plus distrayante ou la plus abordable en terme de contenus, afin d’être sûr de passer la meilleure soirée possible
Décider : si les différentes options sont également attirantes, c’est là que survient la nécessité de décider, explique le philosophe. Il n’y a alors pas d’élément objectif pour nous aider dans cette sélection; il va falloir agir sans être sûr de prendre la meilleure option ! Et c’est souvent là que nous bloquons…
Ex : choisir entre deux parfums chez le glacier est une pure affaire de décision
Il décrit très bien cette différence dans son livre consacré à la confiance en soi, qui est primordial à consolider en ce moment. En effet, pour lui, la confiance en soi est notre capacité à agir même quand tout n’est pas maîtrisé. C’est ce savant mélange entre maîtrise et abandon : on est suffisamment entraînés pour savoir faire face à l’inconnu, l’imprévu. On commence à bien connaître la notion de l’imprévu en ce moment en tout cas !
Si la question vous intéresse, vous pouvez écouter son intervention sur le sujet dans cette émission de France Inter : écouter l'émission ici !
Beaucoup de temps et pas mal d’idées ou de suggestions d’occupations ? Tant mieux ! Cependant, si le confinement doit durer longtemps, il n’y a pas d’urgence à se ruer sur mille activités. Vous avez le droit de prendre votre temps.Vous pouvez déjà faire faire un tri dans les différentes propositions pour les réduire en grandes catégories qui les regroupent. Le choix s’en trouvera facilité. Et surtout, vous pouvez faire abstraction de ces informations extérieures pour vous recentrer et réfléchir à ce que vous avez généralement envie de faire en temps normal, de manière instinctive, si vous viviez l’un de ces weekends pluvieux d’hiver qui donnent envie d’hiberner…
En vous fiant à votre instinct, votre intuition, vous y verrez sûrement plus clair... Pas très rationnel comme mode de décision ? Pas si sûr ! Si la pensée analytique résulte d’une étude détaillée des données pour produire un raisonnement, il semblerait que la pensée intuitive, elle, se forme en lien avec notre mémoire émotionnelle des choses. Donc en fonction de notre expérience, en quelque sorte. Elle a donc toute sa place dans nos mécanismes de décisions !
Janet Metcalf, responsable du laboratoire métacognition et mémoire à l’université Columbia décrivent bien ces deux « routes cérébrales » : l’une analytique qui fonctionne par étape, et l’autre qui fonctionne à notre insu, à une vitesse remarquable et qui permet d’arriver à une conclusion très rapidement. Le dramaturge Henry Bernstein parle bien de ce phénomène :
« L’intuition est comme l’intelligence qui a commis un excès de vitesse ». Alors, appuyons un peu sur le champignon !
Conclusion, restons à l’écoute de notre intuition, elle peut vraiment nous aider à y voir clair. Et si nous nous sentons envahis pas les informations, positives et négatives, n’hésitons pas à vous débrancher plusieurs heures par jour de l’actualité. Quitte à ne rien faire !
Sources :
https://nesslabs.com/overchoice
https://www.ted.com/talks/barry_schwartz_the_paradox_of_choice?language=fr
https://www.usabilis.com/definition-de-loi-de-hick-loi-de-hick-hyman/
https://www.scientificamerican.com/article/can-we-rely-on-our-intuition/
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/intuition-le-cerveau-en-roue-libre_104367
Charles Pépin : La confiance en soi. Allary Editions. 2018
par Hermine Béthune et Amélie Champeix, Psychologues cliniciennes
le 2020-03-24
Finis les métros bondés ! Terminés les déplacements qui fatiguent ! Au revoir voisins de trains ayant oublié le déo ou qui se racontent les derniers gossips détaillés de leur soirée trop arrosée ! On pourrait penser qu’il s’agit de vacances anticipées mais non, nous parlons de notre situation actuelle. En effet les évènements liés à la pandémie du Covid-19 nous obligent à des changements, certes temporaires, mais conséquents dans notre organisation quotidienne. Le confinement est déclaré et l’ordre du jour : rester chez soi. On est en mercure rétrograde ou quoi ?
Cette mesure prise à contre cœur par la France, nous permettra néanmoins d’aider nos soignants dans la gestion de cette crise et diminuer la contagion. Il en va ainsi de notre responsabilité et nous allons relever le défi collectivement.
Certains découvrent ainsi le télétravail, ou s’ils le connaissaient déjà de façon ponctuelle, vont le pratiquer aujourd’hui plus intensivement. Maintenant, vous êtes chez vous et vous êtes l’Amiral de votre espace de travail ! Bon pour l’instant - on ne va pas commencer à se mentir - on en est plus au stade du petit mousse. Alors nous avons réuni ici quelques avis de télétravailleurs aguerris et de psychologues s’étant penchés sur la question du télétravail dans le cadre de leurs recherches, afin d’accéder au moins au grade de capitaine, le plus vite possible.
« Je me souviens de la fois où tu es arrivé au bureau en boxer, les dents pas lavées et la gueule enfarinée, tu es resté comme ça jusqu’à 16h, c’était fun ! » Voilà une phrase que normalement vous n’avez pas dû entendre souvent dans la bouche de vos collègues. Et bien figurez-vous que pour le home office, il est important de rester celui qu’on est habituellement. Préserver au maximum sa routine du matin, quelle qu’elle soit (douche, radio, tartine, etc) aidera à maintenir un bon équilibre mental (Kowalski et Swanson, 2005). En effet, cette routine et cette tenue vestimentaire qui sont les nôtres quand nous travaillons, nous aident à délimiter le temps personnel et le temps de travail (Larry Kim, CEO of Mobile Monkey, 2015).
D’autant qu’en maintenant ce rythme, les week-ends resteront marqués par cette décontraction qu’on aime tant. Celle qui nous permet de redevenir un « nous » plus cool et plus zen. Alors oui, cela se passera dans un même espace, mais non, on n’est pas prêts à oublier le plaisir d’un réveil qui sonne plus tard et d’enfiler un T-shirt à la place du costume !
Avant toute chose, tentez de prendre le temps seul ou avec votre coloc, conjoint, enfant, chat… de délimiter l’espace et l’organisation de votre temps de travail. Décidez d’un lieu précis pour travailler (pièce, bureau, table etc) et organisez-le pour vous y sentir au mieux : lumière, plante, stylos, feuilles, pas loin d’une prise pour l’ordinateur. “Les frontières sont des limites physiques, temporelles, émotionnelles, cognitives et relationnelles qui définissent une entité comme séparée d’une autre. Les frontières sont doubles, au travail et dans le hors travail. Une frontière marque le point où les comportements relatifs à un domaine commencent et s’achèvent. La frontière définit un périmètre qui délimite un rôle”. (Dumas, Ruiller, 2014, p. 76)
Ainsi afin de définir ces frontières, vous pouvez échanger avec les personnes vivant avec vous sur la nouvelle « symbolique » de ce lieu. Si vous habitez dans un château, un étage chacun et on n’en parle plus. Si vous habitez comme nous autres - commun des mortels - dans un petit deux pièces avec balcon d’1 m2 carré (qui fait habituellement notre fierté), effectivement, cela demandera un peu plus de logistique. Ainsi, si nous n’avons pas le luxe de pouvoir varier les espaces, il convient donc d’organiser une routine de fin de journée : fermer l’ordinateur, fermer sa trousse, rassembler ses affaires et dossiers dans un coin jusqu’au lendemain, etc. L’important est de marquer cette différence pro / perso !
Bonne nouvelle pour nous : l’autonomie dans l’emploi et la flexibilité des horaires de travail ont un effet modérateur du télétravail sur le conflit travail-famille (Golden, Veiga et Simsek 2006). Une des raisons permettant d’expliquer cela réside dans la flexibilité temporelle (Tremblay, Chevrier et Di Loreto, 2006) autorisant notamment la prise de rendez-vous dans la journée, une source de diminution du stress relatif à la gestion de rôles multiples (professionnels et parentaux).
Voici par ailleurs un site mettant à disposition des ressources pour réussir son télétravail: https://www.challengeteletravail.com/, vous y trouverez des petites pépites !
Sans ce collègue qui d’un regard vous fait comprendre que la pause-café ou le déjeuner est i.m.m.i.n.e.n.t, il sera moins spontané de se mettre en « pause ». Cette fameuse quinzaine de minutes pendant lesquelles d’habitude vous vous levez, entretenez une conversation où finalement vous vous déconnectez. Cette pratique fait consensus pour tous les télétravailleurs : pensez à faire des pauses ! Vous en feriez sur votre lieu de travail, conservez-en quelques-unes (en plus de la pause déjeuner). Si vous réalisez beaucoup de travail sur écran, profitez de ces pauses pour regarder au loin, cela soulagera notamment vos yeux.
Il paraît aussi pertinent de décider en concertation avec votre équipe et / ou responsable d’horaires minimum et maximum pendant lesquels vous devez être joignable (exemple : 09h-12h / 14h-16h30). En dehors de ces horaires, vous organisez votre travail comme vous le souhaitez et avez donc le droit de ne pas répondre à toutes les sollicitations.
Comme nous le rappelle Shannon Belew (2020) : le suivi du temps ne vous encouragera pas seulement à interrompre efficacement votre journée de travail, cela vous aidera également à maintenir des heures de travail régulières.
Pourquoi ? Et bien parce que des émotions négatives telles que l’irritabilité, la solitude, ou l’anxiété ou encore la culpabilité (Mann et Holdsworth, 2003) peuvent émerger pour certaines personnes et sont associées à un travail difficilement délimité ou à une difficulté à le stopper (Baines et Gelder, 2002 ; Derks et Bakker, 2010) et ce en raison de l’absence de repères temporels. Même si votre travail est à la maison, il faut trouver la force d’ouvrir cette porte le matin et de la fermer le soir. A ce titre, tentez d’organiser précisément quelques objectifs pour votre journée et anticipez si possible la semaine pour vous rendre compte de vos avancées.
En fonction de vos habitudes de travail, n’hésitez pas à proposer des points réguliers avec vos collègues et votre manager sur les tâches accomplies, les difficultés, les idées d’amélioration etc. Ce peut être un point rapide en début ou fin de journée ou tous les deux jours par exemple. Pour cela - outre whatsapp avec ses 20 conversations actives qui tonnent dans tous les sens - vous pouvez convenir ensemble d’un système de communication qui convienne à tout le monde (collaborateurs et manager), en fonction des moyens de communication à disposition : téléphone ? mail ? téléconférence possible ?
Il existe aussi des applications permettant de faire des listes de tâches collaboratives, visibles et modifiables par tous les collaborateurs. Ceci permet aussi d’établir une forme de confiance avec les collègues, qui voient concrètement ce sur quoi on avance.
Il est souvent relevé que plus le télétravail se fait de manière continue, régulière, plus il peut avoir des effets négatifs sur le sentiment d’appartenance du salarié au collectif mais aussi sur les marques de reconnaissance du collectif envers ce travailleur (Klein et Ratier, 2012). Si vous avez des collègues dont vous êtes proches, n’hésitez pas à garder vos habitudes avec eux : s’appeler quelques minutes lors d’une pause-café le matin ou l’après-midi, ou à la pause déjeuner. N’hésitez pas non plus lors de votre pause déjeuner ou le soir sur votre temps personnel à prendre des nouvelles de vos proches : téléphone, mail, skype, whatsapp, lettre manuscrite, hiboux : nous avons l’embarras du choix !
Dans les études que nous avons consultées (bibliographie en fin d’article), le risque principal du télétravail en continu comme nous le vivons actuellement, semble être l’isolement. Ainsi rester en contact avec vos collègues et vos proches permettra de minimiser ce sentiment. Du sentiment d’isolement peuvent naître différentes manifestations telles qu’une tristesse grandissante, une impression de vide, d’être seul face à ses émotions. Donc n’hésitons pas à faire du lien, il s’agira d’un bon allié anti-dépresseur qui présente l’avantage de ne pas avoir d’effets secondaires et d’être particulièrement efficace !
Certaines ressources mises en ligne par Simundia: https://www.simundia.com/inscription-gratuite?hs_preview=CsJJrcvk-27222137781 pourront vous éclairer à ce sujet !
C’est le moment de se reconnecter à l’instant présent, parfait allié pour gérer son stress et accompagner sa concentration. Redécouvrons le concept de « prendre du temps » pour aller faire vos courses alimentaires, sortir votre chien, descendre les poubelles, etc. Des exercices de pleine conscience autour des 5 sens sont intéressants pour redécouvrir notre environnement. On trouve toujours des choses nouvelles autour de soi !
Les applications et vidéos tuto foisonnent sur le web afin de vous proposer le meilleur accompagnement dans ces pratiques. Nous y consacrerons un article mais voici déjà quelques recommandations d’applications et de vidéos:
En français :
Petit Bambou: programme gratuit de 8 jours (12 minutes par jour environ) avec des vidéos illustrant certains concepts.
Respirelax: une application gratuite de cohérence cardiaque qui permet d’accéder rapidement à la respiration relaxante.
https://sofrocay.com/, site présentant la Sophrologie Caycedienne et proposant des podcast pour commencer à pratiquer
En anglais :
Headspace : Un programme de méditation est maintenant déverrouillé dans l’application Headspace. Intitulé: Weathering the storm. Il comprend des exercices de méditation (en anglais et en français), de sommeil et de mouvement conçus pour vous guider à travers cela.
Buddhify
Une courte vidéo Youtube de Headspace pour faire une mini relaxation : à découvrir ici !
OpenMind : https://lab.omind.me/blog/ dont vous trouverz l’application smartphone via l’url: https://apps.apple.com/us/app/better-self/id1401877652
Finalement aujourd’hui, l’enjeu est d’organiser, de séparer temps de travail et temps de vie personnelle alors que tout se passe dans un même espace physique. Nous espérons que dans ces différentes suggestions vous piocherez et vous pourrez vous approprier ce qui vous convient le mieux.
Même si chacun d’entre nous rencontrera des difficultés, n’oublions pas l’intérêt public de rester chez nous. Gardons en tête l’aspect « provisoire » de la situation. Plus nous serons rigoureux et plus nous pourrons rapidement reprendre la route de notre quotidien habituel !
Amélie Champeix et Hermine Béthune
Sources :
- MANN, S. et HOLDSWORTH L. (2003), “The psychological impact of teleworking : Stress, emotions and health”, New Technology, Work and Employment, Vol. 18, p. 196-211
par Laetitia Ribeyre, Psychologue clinicienne
le 2020-03-19
La psychologie positive est un courant récent et passionnant qui pose une question nouvelle dans l’étude de la santé mentale : que font les gens qui vont bien pour maintenir cet état de contentement ou de bonheur ? Comment “améliorer des vies normales” ? Nos vies ne sont pas vraiment "normales" en ce moment, mais les apports de cette théorie vont nous faire du bien !
Martin Seligman, chef de file de ce mouvement né aux Etats Unis, n’était plus satisfait de “ramener ses patients dépressifs à zéro”, c’est-à-dire de leur apprendre à ne plus aller mal, mais sans qu’ils sachent profiter de la vie, ressentir du bonheur, savourer les moments, etc...
Pour comprendre son cheminement, voici sa conférence.
Ainsi, avec ce que nous traversons tous actuellement, j'aimerais vous inviter via cet article à réaliser quelques exercices phares de la psychologie positive. Ils sont simples, très efficaces et validés scientifiquement.
Le premier est l’exercice de gratitude.
Gratitude en ces temps de confinement ? Je sais que cela peut paraître "dingue", mais écoutez-moi jusqu’au bout ! Vous connaissez peut-être déjà cet exercice grâce au livre de Florence Servan Schreiber, “3 kifs par jour”. Elle a été la première française à introduire cet exercice en France. “Je me rends compte de la quantité de merveilles qui proviennent de l’extérieur de nous”. Elle nous en parle dans cette vidéo.
La proposition est simple : le soir, posez vous et trouvez trois choses pour lesquelles vous éprouvez de la gratitude aujourd’hui. L'intérêt de cet exercice est double :
nous avons la fâcheuse tendance à conclure nos journées en nous focalisant sur le négatif. Les émotions négatives retiennent davantage notre attention et prennent plus de place dans notre mémoire. Avec cette proposition, vous terminez la journée en vous focalisant sur le positif, l’essentiel. Je suis en bonne santé, ma famille aussi. J’ai eu un bel échange avec mon compagnon, mes enfants. C’est un confinement, mais il n’y a pas de zombies. J’ai réussi à travailler aujourd’hui, d’autres ne peuvent pas le faire, etc.
savoir que l’exercice va clore votre journée vous met dans un état de recherche durant la journée: qu’allez-vous noter ce soir ? Vous avez donc une attention toute particulière pour ces moments-là lorsqu’ils se déroulent, et vous les savourez d’autant plus.
Pour Tal Ben Shahar, autre figure marquante de la psychologie positive, les effets de la gratitude sont exceptionnels ! Comparé à un groupe contrôle, le groupe qui faisait l’exercice de gratitude appréciait davantage sa vie et les gens qui le composaient étaient plus heureux, plus déterminés, plus énergiques et plus optimistes. On ne dit pas non à ça en ce moment, n'est-ce pas? Lui-même fait cet exercice tous les soirs à l’oral avec ses enfants, le transformant en moment de partage. A essayer avec vos enfants, vos colocs, votre compagnon ou vos amis !
David Steindl-Rast est un moine qui prône aussi l’importance de la gratitude. Comment imaginons-nous notre bonheur, ce but que nous avons tous en commun ? Nous pensons que les gens heureux ont de la gratitude. Mais ce sont les gens qui ont de la gratitude qui sont heureux !
Il estime que la reconnaissance fondamentale vient du fait que chaque moment nous est “offert”, comme un cadeau et détient un immense potentiel, un immense champ des possibilités. Il nous rassure, on ne doit pas ressentir de la gratitude pour un évènement difficile (ouf, on est sauvés !), mais plutôt face à l’opportunité que ce moment difficile nous offre (écrire des articles pour aider le grand public pour nous par exemple !).Aujourd’hui, ce confinement fait émerger tellement de créativité, d’élans de solidarité : là est notre opportunité. Pourquoi pas se servir de cette épreuve et lui donner un sens? Au quotidien, cette gratitude nous fait tenir, et ce sens nous fera accepter cette difficulté sur la durée. “L’opportunité, la possibilité, est le cadeau au sein de chaque cadeau”. C’est-à-dire que chaque moment est un cadeau en soit, et que le potentiel qui existe au sein de ce moment est également un cadeau. On aura besoin de quelques jours de confinement pour méditer ces mots puissants ! Ici, pour regarder sa conférence.
Je me mets au calme, et j’essaie d'être dans l’instant présent. Je prends l’exercice au sérieux !
Un conseil est de visualiser ou d’essayer de tenter d’éprouver à nouveau l’expérience que l’on cite. Par exemple, si je note “mon apéro visio avec mes amis”, j’essaie de me focaliser sur ce moment et de ressentir à nouveau le sentiment de ce moment.
Si vous voulez une application, plutôt que de noter dans un carnet, pour répertorier vos listes de gratitudes vous en avez de nombreuses qui sont gratuites : Bliss, Presently, Gratitude Journal, etc. L’application vous enverra un petit rappel à l’heure que vous souhaitez !
Une chaîne Youtube très originale et drôle, Soul Pancake (Pancake de l'âme, oui oui !) propose des vidéos qui illustrent de nombreux exercices de la psychologie positive d’une façon ludique et souvent poignante. Voici l'exercice de gratitude en action !
Le psychologue norvégien, Atle Dyregrov, rappelle que pour mieux vivre la quarantaine, il faut savoir se rappeler que l’on est en train de mettre en place un comportement civique et altruiste en restant confinés, et nous devons en être fiers.
Laetitia Ribeyre
par Tiffanie Dufetel-Drouglazet, Psychologue Clinicienne
le 2020-03-19
Nous sommes face à une situation inédite. Un confinement pour la majorité d’entre nous, avec quelques sorties autorisées. D’autres sont toujours sur le pont, avec autorisation de travail pour continuer un semblant de vie ou maintenir l’aide aux plus fragiles. Il nous faut alors renoncer à nos libertés individuelles au profit d’une cause plus grande que nous, limiter la propagation de ce virus et sauver des vies. Chaque jour apporte son lot de nouveaux cas, de vies volées…Il me semble que la confrontation même indirecte à la mort dans ce contexte mais aussi au renoncement à notre vie d’avant, même temporairement, justifie l’utilisation du mot deuil.
Dans ce contexte, quel cadeau ?
Pour le comprendre, penchons nous sur les différentes étapes de deuil. En 1975, la psychologue Elisabeth Kübler-Ross, s’intéresse aux processus que nous traversons lorsque nous sommes confrontés à la mort. Elles permettent de comprendre le processus que nous traversons face à la perte. Dans ma clinique, je trouve que cette théorie des étapes du deuil, peut se transporter de manière très aidante, sur de nombreuses situations où nous sommes confrontées à une nouvelle brutale, parfois traumatique mais pas toujours, mais surtout à la situation de changement majeur ou de porte.
Et là nous y sommes…
Malheureusement, parfois la perte d’un être proche. Et plus fréquemment une période de grande déstabilisation sociale qui induit des bouleversements psychiques : perte de nos repères, perte de nos certitudes, perte de nos convictions, perte de nos libertés, perte d’une forme de spontanéité…Freud ( 1915) définit le deuil : « Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc… ».
Ces phases ne sont pas nécessairement linéaires, la personne peut réaliser des retours en arrière afin de poursuivre son cheminement. De même, des nuances existent. Cliquez ici pour voir un schéma qui permet de mieux comprendre.
Après l’annonce, vient la phase de déni. Il s’agit d’une manière pour le psychisme de se défendre face à un événement non élaborable dans un premier temps.Nous l’avons certains ont continué ou tentent de continuer leur vie comme si de rien n’était et que le coronavirus n’était pas là.
Survient ensuite la colère. Elle peut cibler différentes victimes. La sinophobie s’y inscrit.
Puis la négociation arrive, devant l’incapacité de la colère à solutionner le problème. Il s’agit de marchander avec une entité extérieure toute puissante : Dieu, le hasard, la chance. Peut-être les complotistes peuvent-ils être considérés comme étant bloqués dans cette phase ?
Puis l’impuissance face à la situation, entraine la personne dans une phase de dépression. L’avenir semble irrémédiablement compromis. Nécessaire, elle marque une phase de transition vers l’acceptation du deuil. Une fois la perte assimilée, notre ressenti est moins intense, même s’il peut rester des moments difficiles. Les yeux se tournent alors vers le futur. La situation devient acceptable pour le psychisme.
Puis vient le pardon, l'acceptation : se pardonner à soi-même, renoncer à l’illusion de la toute puissance, puis pardonner aux responsables de la perte.
Enfin, la quête du sens et du renouveau, permettent la révélation du Cadeau caché. Qu’est-ce que ce moment douloureux m’a permis ? Qu’est-ce que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai réalisé lors de cette période difficile? Grâce à …. j’ai pu…
Alors dans un premier temps, accueillons les émotions qui nous traversent quelles qu’elles soient. Elles sont légitimes et ont une fonction : nous accompagner vers un nouvel état de sérénité.Parlons-en avec nos proches, cela nous aidera à mieux les vivre. Puis, réfléchissons à ce cadeau caché. Trouver du sens aux évènements permet de diminuer le vécu d’impuissance très désagréable et parfois très déstructurant. Comment y voir un cadeau ? Quel sens ? Comment transformer cette situation qui nous est imposée en en faisant quelque chose dans lequel nous avons le « pouvoir » ? Comment agir pour ne plus subir ?
Voici ma réflexion.
Cela fait des années plus particulièrement des mois, que la situation écologique me préoccupe voire m’alarme et m’angoisse. Malgré des actions concrètes sur le plan personnel et social, le découragement me guettait avec l’impression de vider la mer à la petite cuillère. Quels effets ? Si ce n’est celui d’avoir tenté, de ne pas être resté impassible.
Aujourd’hui, dans ce quotidien source d’insécurité, de belles nouvelles nous rejoignent toutefois : la pollution atmosphérique a fortement diminué en Chine, en raison de l’arrêt des industries notamment ; nous n’entendons presque plus que le bruit des oiseaux et des rires des enfants ; les canaux de Venise sont propres et des poissons y nagent à nouveaux, des actions de solidarités émergent …
Ce joli texte de Catherine Testa diffusé sur les réseaux m’a beaucoup parlé :
"Et les français restèrent chez eux
Et ils se mirent à lire et à réfléchir.
Et ils n’oublièrent plus de prendre des
nouvelles de leurs proches.
Dans l’incertitude de demain, ils
comprirent enfin ce que voulait dire
profiter de l’instant présent.
Progressivement les publicités vantant des
produits dont ils n’avaient pas besoin leur
semblèrent bien vides.
Et ils comprirent.
Ils n’étaient pas en train
de survivre mais bien de vivre.
On venait de leur faire un cadeau
incroyable : on leur avait offert du temps.
Et la terre les trouva digne d’elle et elle
commença à respirer à nouveau"
Alors malgré les doutes, les incertitudes et la peur, c’est bien pour moi, étrangement peut être mais l’optimisme qui domine.Un autre monde serait-il possible ? Il aura fallu passer par cette pause imp(au)osée pour changer de paradigme : mettre les usines, les avions, les machines et le travail à l’arrêt.Et être forcé de s’arrêter, de ne plus circuler… Papiers s’il vous plaît !
Se re-centrer sur le privé. Se pauser, penser, respirer… un air presque pur ! Prendre le temps de faire tout ce que l’on n’a jamais le temps de faire. Regarder, observer, être disponible… pour voir la beauté de notre nature, bourgeonnante. Et alors quelle chance pour nos enfances ce bouton « pause » activé ! Préservons leur innocence de l’enfance, rassurons-les comme nous le pouvons. Malgré les difficultés de télétravailler à leur côté, nous allons pouvoir leur offrir le plus beau cadeau qui soit : la présence. Combien sommes-nous à regretter de ne pas être assez là, assez disponibles, de voir le temps filer et nous lui courir après ? Prenons le temps avec nos enfants. C’est ce qui va contribuer à remplir leur réservoir affectif et à leur permettre de faire grandir leur sécurité interne. C’est cette sécurité affective et émotionnelle qui va les guider toute leur vie durant.
Etre là, juste là.
Les professionnels de l’enfance et de l’éducation s’accordent tous à dire : on ne peut s’improviser enseignant et un enfant ne peut perdre si rapidement son niveau scolaire. Il lui faudra peut être une semaine pour reprendre le rythme mais qu’importe, ce qu’il aura vécu est une expérience sans précédent. Alors quel cadeau de pouvoir profiter de nos enfants, les voir grandir et devenir sous nos yeux. Oui, c’est fatiguant, parfois éprouvant car l’enfant déstabilisé vient décharger auprès des figures qui sont ses parents, toutes ses ressentis.
Alors comme nous avons accueilli nos émotions, accueillons les siennes, mettons des mots dessus : « Je vois que tu es…. », « C’est une grosse colère/tristesse »… Décrivez ce qu’il manifeste dans son corps, ce que vous observez. Soyons compréhensifs, c’est difficile aussi pour nous, alors pour nos enfants, dont le cerveau ne sera totalement mature qu’à…. 21 ans ! On imagine le tsunami émotionnel…La verbalisation en miroir, sans jugement, permet souvent un apaisement rapide des décharges émotionnelles intenses. Etre parent pour soi, présent, être là, juste là, malgré les incertitudes, les doutes, la tristesse et la peur parfois.
Être là…. Avec Sénèque qui nous dit dans une toute petite voix : La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie.
Tiffanie Dufetel-Drouglazet
Sources :
- Kübler-Ross, E., 1975. Les derniers instants de la vie. Labor et Fides, Genève
- Freud, S., 1976. Deuil et Mélancolie. Métapsychologie. Gallimard, Paris.
par Hugues Faucheux, Psychologue clinicien et de l'Education nationale. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre.
le 2020-03-17
Comment définir la psychanalyse ? C'est une question complexe et d'une brûlante actualité (une fois de plus). Les débats autour de la psychanalyse furent encore très endiablés dans la presse lors du 50ème anniversaire de la mort de Sigmund Freud l'année dernière.
Comme le rappelle Edgard Morin, si le monde pose des questions complexes, nous nous devons d'y apporter des réponses complexes. Les lignes qui vont suivre n'ont pas la prétention d'apporter ces réponses, ni l'objectif de défendre ou de montrer la supériorité de ce modèle sur un autre, mais plutôt d’approcher de manière « complexe » la psychanalyse, et en particulier la psychothérapie psychanalytique.
Replacer la psychanalyse dans son histoire
Un élément que nous n'aurons pas le temps de détailler au sein de cet article, mais qui nous paraît primordial pour bien comprendre ce que recouvre la psychanalyse, serait de replacer cette science ? Cet art ? Dans son histoire. Replacer en effet la psychanalyse dans son histoire nous permettrait de dessiner son contexte d'apparition, ses influences, mais aussi son évolution. La psychanalyse naissante, du début du XXème siècle à Vienne, était sûrement bien différente de celle des années 60 à Paris ou encore des théories psychanalytiques actuelles. Ce travail historique permettrait aussi de replacer la psychanalyse dans l'histoire de la psychologie, discipline finalement très récente (1889 en France avec Théodule Ribot) mais qui prend en revanche sa source depuis l'antiquité par un questionnement existentiel que l'on retrouve dans l'étymologie "Psyché-logos" : discours sur l'âme.
Tentative de définition : une ou des psychanalyses ?
Si nous laissons avec regret ce travail historique de côté, nous souhaitons nous concentrer sur une tentative de définition, car lorsque nous parlons de psychanalyse, finalement de quoi parlons-nous ?
De l'inconscient, de l'analyse des rêves, d'une vision de l'homme et de la femme, de la société, ou encore de la maladie mentale ? En effet, comme le rappelle Laplanche et Pontalis dans leur Vocabulaire de Psychanalyse, il y aurait « trois psychanalyses ».
La première serait ce procédé d'investigation de l'inconscient, une méthode pour accéder à cette partie "non-consciente" du sujet (comme disent d'autres modèles).
La deuxième : l'ensemble des théories psychologiques que recouvre la psychanalyse. D’ailleurs, elles aussi ont évolué au cours de l'histoire et sont parfois passées dans le langage courant : tel le complexe d'Œdipe, les lapsus, ou encore le refoulement (au risque d’être simplifiés et de perdre la complexité qui entoure ces éléments théoriques).
Enfin, et c'est ce point que nous détaillerons plus loin, lorsque nous parlons de psychanalyse nous évoquons aussi le modèle thérapeutique : la cure ou la psychothérapie psychanalytique ; avec ou sans le fameux divan.
Aujourd'hui, nous dénombrons plus de trois cents modèles de psychothérapies, alors comment s'y retrouver ? Si nous reprenons le troisième point de définition du Vocabulaire, les auteurs nous disent que la psychanalyse est : " une méthode psychothérapeutique fondée sur cette investigation (des processus inconscients) et spécifiée par l’interprétation contrôlée de la résistance, du transfert et du désir." Sans développer ces différents points théoriques ici, nous pourrions avancer dans un premier temps l’idée que, lorsqu’une psychothérapie s'appuie sur le modèle psychanalytique, cette psychothérapie s'attache plus à une vision holistique du sujet qu'à un travail sur une problématique spécifique.
Les autres modèles de psychothérapies ne s'occupent pas seulement du symptôme (ce serait les caricaturer) et écoutent bien évidemment le patient dans sa globalité, mais la spécificité du modèle psychanalytique tient dans son travail de compréhension de la subjectivité du sujet en étant à l'écoute de sa réalité psychique.Nous pourrions dire que ce type de psychothérapie est moins stratégique, moins "centrée sur le problème", mais qu'elle tente, à partir du problème posé par le patient, d'amener ce dernier à reprendre une prise sur son histoire, ses répétitions et donc son fonctionnement actuel, car tout serait lié. Comme toute psychothérapie, l'objectif reste le changement, mais ce changement est plus interne qu'externe. Cela entraîne évidemment des répercussions dans la vie externe du sujet, mais cela n'est peut-être pas l'objectif premier du travail thérapeutique ou le changement recherché à tout prix.
Le cadre de la psychothérapie psychanalytique
Pour terminer, nous pourrions rappeler rapidement le cadre de la psychothérapie psychanalytique (nous laissons de côté sciemment la cure psychanalytique moins présente aujourd'hui et plus spécifique). La première règle, que Freud avait détaillée en son temps et qui est restée comme un élément central de ce modèle, serait de dire tout ce qui nous passe par l’esprit sans rien n’omettre ni retenir - à la manière, rappellera le médecin viennois, d’un voyageur en train qui regarderait le paysage défiler et le décrirait à son compagnon de voyage. Ce principe de libre association donne en effet cette tonalité très ouverte et libre du discours. Enfin, la fréquence des rencontres est variable en fonction des patients et des demandes, mais on pourrait dire qu'une fois par semaine est un minimum, pouvant aller jusqu'à deux à trois fois par semaine dans le dispositif de la cure. Sur la durée, il n'y a pas de règle, l'objectif n'étant pas fixé sur une problématique précise, cela peut varier de plusieurs mois à plusieurs années.
Nous serions tous constitués de cette même réalité psychique façonnée par notre histoire passée, notre environnement et nos évènements de vie qui feraient bouger ce curseur.
par Damien Fouques, Psychologue clinicien et Maitre de Conférences. Interview réalisée par Laetitia Ribeyre
le 2020-03-10
Damien Fouques est psychologue, psychothérapeute, pratiquant la TCC et la thérapie EMDR. Formateur et superviseur en TCC à l’AFTCC, il est actuellement Maître de conférences en psychologie clinique empirique et TCC à l’université de Paris Nanterre. Il y conduit des recherches sur les syndromes psychotraumatiques, le surpoids et l’obésité et la question de l’évaluation psychologique en général.
Il est diplômé de l’EPP (promotion 1997), et des universités de Nanterre et de Dijon. Il a exercé auprès d’adultes, à l’hôpital ainsi qu’en libéral. Il a enseigné à l’EPP Lyon et Paris pendant 18 ans le test de Rorschach en Système Intégré, la psychologie clinique et une initiation aux TCC.
Dans le cadre de PsyYou pourriez -vous nous aider à appréhender la TCC aujourd’hui par quelques repères historiques et épistémologiques, mais aussi méthodologiques, d’observations de pratique ?
La grande particularité de la TCC par rapport aux autres thérapies, est qu’elle est née dans le laboratoire. Ce n’est qu’ensuite qu’elle s’est exportée à la pratique clinique, auprès de patients. Les premiers travaux remontent au début du XXe siècle, durant les années 20, mais il faudra attendre beaucoup plus tard, vers les années 50, pour que les applications en clinique commencent à se diffuser. En France, l’AFTC (Association Française des Thérapies Comportementales) à l’époque, réunion de quelques rares cliniciens, psychologues et psychiatres, ne date que de 1971. Depuis, le développement de la TCC ne cesse de croître en France, même si nous conservons un certain retard par rapport à d’autres pays. Si, durant les années 80, la deuxième vague (approche cognitive) a permis au modèle de s’enrichir et de continuer à se développer, le réel boom de développement s’est produit, il me semble, il y a environ 10 ans, avec les thérapies TCC dites de 3ème vague incluant la Pleine Conscience ou encore la Thérapie d’Acceptation et d’Engagement (ACT). Ce boom a permis une plus grande diffusion auprès du grand public et une meilleure connaissance des TCC.
Quels sont les troubles ou les types de patients pour lesquels vous conseilleriez une TCC ?
C’est une question délicate, que ce soit pour la TCC ou pour n’importe quelle forme de thérapie. Il me semble qu’il est très difficile de parler d’indication uniquement en termes de pathologie. Cette question est d’ailleurs un champ de recherche passionnant, insuffisamment défriché à ce jour.
Bien sûr, du fait de la filiation expérimentale de la TCC, cette dernière se prête beaucoup à une approche scientifique empirique et donc elle a tout de suite eu à cœur de tester son efficacité par le biais d’études scientifiques rigoureuses. Pour montrer l’efficacité, on a dû isoler des groupes de patients en fonction de leurs pathologies (Trouble Anxieux Généralisé, état de stress post traumatique ...). C’est grâce à ces études que l’on sait que les TCC sont efficaces pour les troubles anxieux, les troubles sexuels… On sait également, par exemple, que si on associe cette thérapie à un traitement par antidépresseur, on fait baisser nettement le risque de rechute chez des patients souffrant de dépression.
Pour des questions méthodologiques, on a dû écarter de ces études les patients présentant d’autres troubles au même moment (ce qu’on appelle des comorbidités). Ce qui fait que l’on a inclus dans ces études des patients “purs”, qui ne correspondent que partiellement aux patients rencontrés en pratique clinique institutionnelle ou libérale, pouvant eux présenter de l’anxiété et bien d’autres troubles (addiction, scarifications, trouble de la personnalité, etc). Il est alors plus difficile de se référer aux recherches existantes.
C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle un des nouveaux développements très prometteurs des TCC s’appuie sur l’approche dite transdiagnostique. Il s’agit non plus de se centrer sur les pathologies, mais sur les processus communs que l’on va retrouver dans différentes pathologies (ex. : l’évitement émotionnel, les biais attentionnels, les ruminations, …)
Au-delà de la question du diagnostic, les caractéristiques personnelles du patient (traits de personnalité, mécanismes de défenses, antécédents…) et notamment ce que l’on pourrait appeler son « épistémologie personnelle », doivent correspondre à la philosophie du traitement TCC.
Quels éléments expliquent l’efficacité de la TCC ?
En TCC, la démarche est très active du côté du patient comme du thérapeute. Un contrat s’établit donc entre eux avec une définition précise et consensuelle des objectifs thérapeutiques. On demande alors au patient de s’observer selon une grille d’apparence simple. Il aura ainsi à observer dans les situations qui lui sont problématiques ce qu’il pense (cognitions), ce qu’il ressent (sensations, émotions), et ce qu’il fait (comportement). Avec l’aide du thérapeute, les difficultés son conceptualisées, ce qui permet de définir une stratégie thérapeutique. Le patient devra alors s’impliquer dans des actions, des tâches définies ensemble pour permettre progressivement le changement, par le biais de nouveaux apprentissages, allant dans le sens des objectifs, d’un mieux-être.
On retrouve ici pleinement la démarche scientifique empirique dans la TCC. Avec le patient, on va construire si possible une hypothèse sur l’origine de son trouble (cela n’est cependant pas indispensable). Mais nous avons absolument besoin de faire des hypothèses expliquant pourquoi le comportement posant problème est toujours là aujourd’hui (quels sont les facteurs qui le maintiennent ?). Pour ce faire, on fait appel aux théories de l’apprentissage (issues de travaux de Pavlov, Skinner et Bandura, pour les principaux). Elles expliquent que bien que générant de la souffrance, si le symptôme est toujours présent, c’est qu’il y a des facteurs -échappant au contrôle du patients- qui le renforcent. Ce sont sur ces facteurs que nous allons essentiellement essayer d’intervenir de manière quasi expérimentale, en testant différents types de techniques ou exercices - dont on sait grâce aux études scientifiques qu’il ont une efficacité- dans le but de favoriser une amélioration, un changement dans le sens que le patient souhaite, en jouant sur les différents pôles : cognitif, émotionnel et comportemental. Il est aussi possible de travailler en amont, sur les facteurs qui déclenchent le comportement problème.
Cet esprit de collaboration, de participation active, dynamique et régulière est nécessaire pour s’engager dans les tâches prescrites. Les études montrent que les TCC marchent à condition que le patient s’engage dans les tâches proposées. C’est aussi le travail du thérapeute de favoriser l’engagement et la motivation du patient.
Un des éléments qui va favoriser cet engagement est qu’en TCC tout est partagé : la manière que l’on a de comprendre les difficultés, le choix des techniques thérapeutiques. Tout est expliqué au patient, discuté avec lui, adapté à sa propre situation. On lui explique par exemple les modèles de compréhension de son trouble. Cette collaboration est un des atouts majeurs de la TCC, même si on la retrouve dans d’autres thérapies.
Donc, en un mot, ce qui fait que la TCC est efficace c’est qu’elle favorise de manière expérientielle et concrète des nouvelles manières de voir, de ressentir et d’agir chez le patient.
Quelles sont les particularités de la TCC par rapport à d’autres formes de thérapie ?
Tout d’abord, son style relationnel, sa typicité, en tant qu’elle met au premier plan cet aspect collaboratif. Le fait que le patient ait le sentiment que le thérapeute s’implique dans la compréhension et la résolution de ses problèmes est un facteur de réussite de la thérapie. Le thérapeute n’est pas neutre : il est empathique bien sûr mais aussi chaleureux, impliqué. Il n’hésite pas à renforcer le patient, comme on dirait techniquement, à le féliciter quand il agit dans le sens du changement, ce qui est un ingrédient qui va favoriser ce dernier. Le thérapeute peut parfois être amené à accompagner le patient dans la réalisation de certains exercices, à l’extérieur du cabinet. L’autre aspect saillant, je crois, est le côté scientifique de la démarche (cf. plus haut).
Les TCC sont dites brèves. En 15 ou 20 séances, en général, on a déjà obtenu une amélioration bien sensible, voire la thérapie est terminée. Mais elle peut durer des mois, voire quelques années, selon le nombre et la nature des difficultés présentées par le patient. Quoi qu’il en soit, on fait régulièrement des points avec le patient pour savoir si on est sur la bonne voie ou pas, si le patient conserve sa motivation, s’il faut changer de cap, de méthode, d’objectifs, de thérapeute ou de thérapie. Au bout de quelques séances, s’il n’y pas déjà un changement significatif observable, c’est qu’il y a un problème à identifier et à résoudre. Parfois, certains patients arrivent avec une attente magique, croyant qu’en 3 à 5 séances, sans efforts particuliers de leur part, leur problème sera réglé. Il est aussi beaucoup question de l’engagement et de la motivation du patient, dont nous sommes en partie garants en tant que thérapeute bien sûr, mais que nous ne maîtrisons heureusement pas entièrement. Des études montrent qu’un thérapeute convaincu de la pertinence de son approche aura de meilleurs résultats qu’un thérapeute moins convaincu (cf. : travaux de Bruce Wampold). Il est vrai qu’un thérapeute convaincu est plus engagé, plus apte à amener le patient, dans son enthousiasme et avec espoir, vers les changements désirés.
Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit lorsque nous parlons de validation scientifique ?
C’est une question très vaste. La validation scientifique se décline à plusieurs niveaux, je n’en aborderai que quelques-uns. Qui dit validation scientifique dit nécessité de se prêter à une méthode d’obtention du savoir, qui repose sur la démarche scientifique (ou disons empirique) qui est bien différente d’une opinion ou d’une croyance. Cela implique une épistémologie qui est celle de l’objectivation, de la quantification, de la mesure. Notons que tout le monde ne partage pas cette vision.
Dans le champ des psychothérapies, tout d’abord, on tente de répondre à la question de l’efficacité : est-ce qu’il est mieux de proposer un traitement x plutôt que rien ? Pour cela, typiquement on compare un groupe de patients qui est en thérapie et un groupe de patients qui est sur liste d’attente.
Ensuite, est-ce que la thérapie x fait plus que l’effet placebo ou qu’une thérapie y ? Les groupes sont constitués de façon aléatoire et on propose à l’un la thérapie et à l’autre quelque chose qui n’en est pas ou l’autre thérapie. Il est difficile de trouver un placebo en thérapie, alors qu’en médecine on peut prescrire une pilule sans aucun principe actif.
Une autre manière de montrer l’efficacité, c’est en comparant avec le traitement “comme d’habitude”, c’est à dire que le patient voit son psychiatre, va aux divers groupes proposés par l’institution, etc. et on ajoute la thérapie pour savoir si on a un gain à l’ajouter. Cela n’écarte malheureusement pas tous les biais.
La méthode la plus reconnue pour faire des études sont les essais randomisés contrôlés. Des patients, comparables par ailleurs, et les groupes sont déterminés de façon aléatoire. Le problème c’est que pour cela il faut des patients assez “purs” comme je l’évoquais tout à l’heure, mais ce n’est pas une réalité clinique car très souvent le patient présente des comorbidités (NDLR : c’est-à-dire la présence d’un ou plusieurs troubles associés à un trouble ou une maladie primaire). Ces essais sont très complexes et coûteux à mettre en œuvre et sont de plus en plus controversés car jugés « non écologiques », ne correspondant pas à la réalité de la pratique clinique.
Un autre champ, très étudié aujourd’hui, concerne les études d’efficience, qui tentent de réponde à la question suivante : quels sont, au sein d’une thérapie, les ingrédients actifs ?
Un autre aspect de la validation scientifique concerne le modèle sous-jacent (les hypothèses que la thérapie propose pour expliquer le fonctionnement psychique, la santé, la maladie et le rétablissement). La TCC met aussi beaucoup cette forme de validité en avant par rapport aux autres thérapies. Elle dit que ce qu’elle propose est de plus en plus étayé par des données neurobiologiques. Il y a maintenant des études faites en IRM fonctionnelle, avant et après thérapie, qui montrent quelles zones ou aspects du fonctionnement du cerveau ont pu être modifiés, par exemple.
Quelles sont les critiques de la TCC et que répondriez-vous à cela ?
Historiquement, les critiques envers la TCC sont nées quasiment en même temps que la TCC. La première publication d'efficacité était sur la phobie, et tout de suite les psychanalystes ont critiqué, en cohérence avec leur propre modèle, que ce n’était pas possible, argumentant que seul le symptôme était pris en compte, pas sa source, et qu’il y allait avoir nécessairement un déplacement de celui-ci. Ce désaccord est-il une simple expression de querelle des chapelles ?
Quoi qu’il en soit, ne pourrait-on pas se dire que plusieurs modèles, plusieurs thérapies coexistent; que l’important est d’avoir plusieurs modèles et plusieurs armes à disposition pour aider nos différents types de patients, sachant qu’aucune thérapie ne présente à ce jour des résultats garantis pour tous les patients ?
Si cette critique sur la question du déplacement du symptôme a été battue en brèche par les données de la recherche longitudinale - il n’y aurait pas plus de déplacement que cela, en tout cas pas plus que dans d’autres thérapies - il y a quand même dans un certain nombre de cas, réapparition du symptôme ou de nouveaux symptômes qui apparaissent. Les querelles ou au mieux les débats se poursuivent, prenant parfois l’aspect d’une guerre, et parfois d’échanges plus apaisés.
Donc les critiques sont majoritairement de cet ordre : on ne traiterait en TCC que le symptôme, que la surface. Cette critique est cohérente quand on adhère au modèle psychanalytique qui postule qu’il faut aller chercher la cause refoulée d’un symptôme pour le voir se résorber. Mais c’est un modèle et aujourd’hui il en existe d’autres. Par exemple, l’approche systémique a aussi montré qu’un changement peut se produire au sein d’un système sans avoir eu besoin de faire l’archéologie intrapsychique du phénomène. A chacun alors de voir à quoi il adhère, et là il ne s’agit plus vraiment de science …
Certaines critiques étaient fondées. Il y a longtemps, pour valider les modèles des TCC, des chercheurs ont parfois accompli des choses pas du tout éthiques : par exemple, en créant des phobies chez des enfants en les jetant dans l’eau. Aujourd’hui heureusement, les thérapeutes TCC n’ont pas recours à ce genre de stratégies ! Mais cela a nourri l’idée que les thérapeutes TCC était des bourreaux, des sadiques, des personnes pas éthiques…
D’autres part, si certains reprochent aux thérapeutes TCC de ne pas considérer la personne dans son entièreté, de s’intéresser au « Sujet » comme on l’entend parfois, ils se trompent. Ce n’est pas parce que le traitement vise la diminution d’un symptôme (sachant que ce n’est d’ailleurs jamais l’unique but recherché) que la personne globale est ignorée. Nous prenons bien sûr en compte la personne dans sa totalité, mais pour la psychanalyse cela englobe l’Inconscient, au sens Freudien du terme. On ne nie pas qu’il existe des processus inconscients en TCC, mais on ne leur donne pas le même statut qu’en psychanalyse.
On a pu aussi entendre que la TCC était « pauvre intellectuellement ». Si le modèle peut se montrer simple en apparence (pensée, émotion, comportement, comme unité de base d’observation), les lois qui gouvernent les apprentissages et les modifications de ceux-ci sont en effet scientifiques. Les dimensions littéraires, philosophiques, esthétiques ne peuvent être retenues. Il s’agit de modélisations scientifiques pour lesquelles le principe de parcimonie est normalement recherché. Dirait-on de la physique de Newton qu’elle est pauvre intellectuellement ? Par ailleurs, la pratique des TCC n’est en aucun cas répétitive et nécessite adaptation et créativité.
Une autre critique est qu’il existe des protocoles “tout faits” en TCC, qui seraient appliqués de manière quasi « robotisée ». C’est vrai qu’il existe des protocoles, mais le thérapeute sait qu’on a besoin d’une importante souplesse pour la prise en charge de nos patients. Il est toujours question d'être inventif, et d’adapter ces protocoles. Je crois qu’aujourd’hui toutes les thérapies convergent vers une posture rogérienne* concernant la relation patient-thérapeute, avec une acceptation inconditionnelle de la personne dans sa singularité, qui implique à chaque fois de pratiquer du « sur mesure , ce qui n’empêche pas d’utiliser un patron, si on utilise une métaphore couturière. Par ailleurs, les nouvelles approches en TCC sont quasiment non-protocolaires, comme l’ACT (Thérapie de l’Acceptation et de l’Engagement).
D’autres critiques ont mis en avant le primat de la science. C’est vrai que la TCC met en avant son côté scientifique et ceci n’est pas forcément autant valorisé en France que dans la culture anglo-saxonne par exemple. Et c’est vrai que l’approche empirique n’est pas celle de toutes les psychothérapies, par exemple en psychanalyse, les concepts psychanalytiques étant spéculatifs, quels que soient leur pertinence ou leur intérêt, ils sont difficilement accessibles à la validation empirique. Si les études d’efficiences semblent alors complexes, cela ne veut pas dire qu’il ne soit pas possible de montrer empiriquement l’efficacité de la psychanalyse. D’ailleurs, certains psychanalystes, Outre-Atlantique le plus souvent, ont œuvré en ce sens. Tout dépend du critère de mesure que l’on choisit comme marqueur d’amélioration (réduction des symptômes, meilleure qualité de vie, baisse de consommation de psychotropes,…).
Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
J’espère que les TCC vont continuer à se développer, à évoluer et à progresser, pour diversifier l’offre de soins psychiques en France. Je souhaite qu’elles restent scientifiques, sans dérive scientiste.
Gardons à l’esprit que certains patients ne sont pas améliorés par la TCC, comme d’autres ne le sont pas par une thérapie analytique et vice versa.
Il me semble nécessaire de rester humble, de garder l’esprit ouvert et de favoriser le dialogue entre thérapies et thérapeutes d’obédiences différentes. Il est aussi important que les personnes aient le choix, et il faut donc continuer à diffuser des informations sur cette thérapie-là et sur les autres, pour amplifier l’aide aux personnes à s’autodéterminer.
*La posture rogérienne est caractérisée par un contact très chaleureux et authentique. Le thérapeute pose un regard positif inconditionnel sur le patient et fait preuve de congruence, c’est à dire d’authenticité.
par Roseline Bailly, Psychologue Clinicienne
le 2020-03-03
Chaque parent souhaite le meilleur pour son enfant. Mais qu’est-ce que le meilleur ? Quels outils veut-on leur transmettre pour leur donner les meilleures chances dans la vie qui sera la leur ? Et avec qui, quand, comment doit-on le partager pour s’assurer que c’est bien intégré ?
Les parents : guides rassurés-rassurants dans ce qui leur est connu
Les parents sont ceux qui connaissent le mieux leur enfant. Ils sont ceux qui le voient grandir, évoluer, devenir un individu avec son caractère, ses envies, ses besoins et ses limites. Ce sont aussi ceux qui vont ouvrir des chemins, guider les premiers pas de l’enfant dans le monde. Ils vont faire des choix pour lui et - parfois souhaitons-le - accompagner aussi ses propres choix.
Chaque parent va souhaiter le meilleur pour son enfant selon ses propres références. En effet nous désirons donner ce qui nous est précieux. Pour son enfant on ne veut pas se tromper. Et quoi de plus risqué que de donner de l’inconnu. Par définition, nous n’en avons pas les coordonnées et le résultat n’est pas garanti. L’inconnu est un risque dur à prendre pour son enfant tant l’on souhaite son bonheur. Mais nous sommes infiniment limités. Nous ne serons jamais qu’une personne constituée par l’ensemble de ses (nos) expériences. Et bien que nous puissions compléter, inventer, tenter, pour l’enfant, nous ne pouvons pas tout. Alors parfois on se retrouve coincé à ne plus comprendre sur quel fil tirer pour le sortir de l’ornière de l’incompréhension.
Trouver l’équilibre entre le connu et l’expérimentation, le degré d’adaptation nécessaire pour faire face quotidiennement aux défis que rencontre l’enfant, n’a rien d’aisé. Le connu rassure le parent, et un parent rassuré c’est un parent rassurant pour l’enfant.Mais l’enfant peut exprimer un besoin, une détresse à laquelle on ne sait pas comment répondre parce que celle-là on ne l’a pas rencontrée. Parce que dans notre boîte à outils il n’y a pas le bon tournevis. On a testé tous ceux que l’on avait mais aucun ne convient. Alors l’inconnu devient le lieu de la réponse et le parent se retrouve en terrain étranger avec plus ou moins d’inquiétude.
Quand l’école vient signaler une inadéquation
Parmi les partenaires qui « cultivent » l’enfant il y a l’école. Le premier lieu où il y a un cadre, des règles à respecter. Ceci à un âge où l’on considère que l’enfant peut s’adapter, apprendre, faire et ne pas faire. Plus petit il nous semble naturel de nous, adultes, nous adapter. Parce que l’enfant ne peut pas choisir en conscience, prendre sur lui, temporiser. A partir de 3 ans, on estime que l’enfant est prêt à intégrer, progressivement, de l’ailleurs, de l’extérieur avec tout ce que cela engage. L’école est le lieu de cet apprentissage 8h par jour, au moins quatre jours par semaine, 36 semaines par an pour tous les enfants à partir de 3 ans.
Le regard de l’enseignant est précieux. Ce qu’il perçoit de l’enfant n’a rien à voir avec ce que nous pouvons voir. Il a un référentiel de connaissances et d’expériences qui lui permettent de déceler des nuances et des reliefs que les parents ne peuvent pas relever. Et ceci simplement parce que le lieu de l’école est le même pour tous les enfants de la classe. Tandis que la famille, ses règles, son rythme, ses codes et ses valeurs diffèrent pour chacun.
Dans le tissage d’adaptation réciproque entre les parents et l’enfant, un tas de manques, de défauts de compréhension vont être absorbés parce que les parents ont cette écoute fine de leur enfant. Ils les anticipent, y parent, les préviennent, ce sont des pare-ents.Mais l’école n’est pas le lieu d’une écoute de cette nature. Il ne s’agit pas d’amortir le choc de la découverte du monde pour chaque graine fragile qui le découvre. Il s’agit du vivre ensemble dans la différence, la pluralité, et de la transmission d’un savoir formalisé. C’est intrinsèque à la façon dont est pensée l’école en France.
Alors l’enseignant avec son regard plus global va repérer les besoins, les facilités et les difficultés de chacun. Il va tenter d’accompagner au mieux chaque enfant pour l’amener à trouver sa place dans le groupe classe, dans l’ensemble école et dans la société en tant qu’élève, apprenant, et individu en devenir.
C’est donc souvent l’école qui tire le signal d’alarme. Qui vient signaler que là, l’enfant ne peut plus, ne peut pas. Que quelque chose n’est pas en place. Dans les familles où il y a plusieurs enfants les parents peuvent comparer. Mais les enfants sont tellement différents, très vite il n’y a plus d’échelle qui donne la mesure. Et puis un parent entre le premier et le deuxième enfant n’est pas non plus le même parent. Il n’aura plus les mêmes craintes ni les mêmes exigences. Par contre l’enseignant demande à 25, 27, 30 enfants de faire la même chose. Certains y arrivent, d’autres non. C’est normal, il n’est attendu de personne de savoir ce que l’on ne lui a pas enseigné. Cependant, si en dépit du travail de pédagogie, d’apprentissage de l’enseignant, l’élève-enfant ne peut s’adapter, évoluer, s’enrichir et acquérir la capacité ; alors l’enseignant convoque les parents et leur fait part de son inquiétude.
Et nous arrivons à la question de la responsabilité. Qui est chargé de former l’enfant au respect des règles ? Qui doit lui apprendre à rester assis, à lever la main, à respecter la parole et le corps de l’autre ? Qui doit s’assurer que la leçon est comprise ? Les enfants doivent-ils avoir des devoirs à faire à la maison ?
Lorsqu’un enseignant convoque les parents c’est forcément un aveu d’impuissance. Qu’il soit de son ressort ou non de transmettre ces apprentissages, si l’on regarde simplement le résultat, en tant qu’adulte chargé d’enseigner, il échoue. Il vient dire l’imperméabilité de l’enfant à des apprentissages - qu’ils concernent le scolaire à proprement parler ou le vivre-ensemble – et l’échec de sa mission d’enseignement. Mais il s’agit aussi de l’échec de l’enfant qui comprend qu’il n’est pas comme il faut. Et enfin il s’agit de l’échec des parents qui n’ont pas pu éviter ça à leur enfant. Alors on peut essayer de définir des frontières de responsabilités. De faire des fiches de poste et des détails de missions. Mais surtout on peut réfléchir ensemble. C’est dans la co-construction que le meilleur travail se fait.
Soit les parents et l’enseignant arrivent ensemble à rétablir le cap, à aider l’enfant à s’adapter à ce que l’on attend de lui. Si ce n’est pas le cas et que les difficultés perdurent, alors ils en viennent à demander de l’aide extérieure.
Quels leviers pour redonner élan à l’enfant et cap aux accompagnants
Le cabinet d’un psychologue est un lieu de travail privilégié mais ce n’est pas le seul. Une activité de groupe peut tout à fait être le lieu de l’intégration d’un apprentissage que ni les parents ni l’enseignant n’arrivent à faire passer. Au judo, au foot, à la danse, les contraintes et les enjeux ne sont pas les mêmes. Il y a des règles, des objectifs. Le droit à l’erreur et l’attente d’un effort fourni.
Mais surtout l’activité est normalement choisie par l’enfant, et parce que c’est le lieu où réside son désir, il aura une écoute, un élan, une motivation qu’il n’aura pas ailleurs. Il récupère de la souplesse dans son fonctionnement et peut à nouveau absorber.Là où dans le milieu scolaire il produit déjà de tels efforts d’adaptation qu’il n’est plus en mesure de faire plus. Quant au milieu familial, il est le théâtre de quantité d’enjeux qui sont déjà difficiles à réguler dans le temps imparti entre les soirées et les weekends. Pour intégrer de nouvelles règles du vivre ensemble, encore faut-il en créer les circonstances qui les rendent nécessaires. Pour motiver un effort d’apprentissage en mathématiques, encore faut-il que l’enfant en voit l’utilité pour fournir l’effort supplémentaire nécessaire à l’intégration du savoir.
Les enfants ont cependant une capacité épatante à récupérer de l’élan. Un petit espace/temps de bien-être où ils sont regardés, valorisés, écoutés suffit à relancer toute la machine. C’est vite dit mais quand un enseignant ou un parent a-t-il le temps de se poser au calme avec l’enfant pour passer un moment où l’on fait ensemble l’activité qu’il souhaite ? Encore faut-il en avoir envie de cette activité. Sinon les mille choses à faire, à transmettre prennent vite le dessus. Et pourtant souvent elle est là, la clé du cadenas qui empêche de rouler.
Le rôle de l’adulte quel qu’il soit est de faire en sorte d‘encourager l’épanouissement de l’enfant. D’accompagner son développement. Aucun d’entre nous ne peut donner à un enfant tout ce dont il aura besoin pour tracer toute sa route. Je ne suis pas enseignante, je ne pourrais pas faire de judo avec lui, quant à mes capacités de footballeuse, mieux vaut ne pas en parler. Je peux prendre le temps de l’écouter, faire avec lui une activité où je sais que l’on va toucher du doigt la question de l’échec, de la règle, du respect, de l’échange. Une activité qu’il souhaitera réussir et où il ne veut peut-être pas perdre. Mais surtout, parce que c’est une activité qu’il aura choisi, parce que l’on partagera un moment dont il aura défini un certain nombre de paramètres, il sera plus ouvert. L’élastique de sa capacité à absorber se détend et alors il peut entendre les mots que je pose sur ses maux.
Comme on vient tendre la main à un enfant qui ne sait plus vers où aller et qui n’est plus capable de faire ne serait-ce qu’un pas en avant ou un pas de côté pour se décaler et mieux voir ; je viens mettre des mots et le chercher là où il est bloqué sans visibilité ni direction. La boussole ne vous dit pas où aller, elle vous redonne le nord. Encore faut-il que l’on vous en donne une si vous avez perdu la vôtre.
Espérons qu’ensemble nous puissions guider quand c’est nécessaire, encourager et soutenir quand manque le regard qui relance. Nous mobiliser pour que l’enfant se déploie au mieux en ayant toujours en tête que, par chance, nous ne sommes pas les seuls qui croiseront son chemin. L’enfant vivant apprend de tout, permettons-lui quand nous ne savons plus comment le guider, d’apprendre aussi de tous pour que son chemin s’étende plus loin encore et plus librement.
par Laetitia Devalois, Psychologue Clinicienne
le 2020-02-25
Pourquoi utiliserait-on des jeux dans un cabinet de psychologie ? Le psychologue pourrait-il avoir besoin d’autre chose que de fauteuils et d’une table ? Il pourrait même vous proposer des jeux de société accessibles à votre famille ? Qu’est-ce donc que cette histoire !
Le jeu de société a le vent en poupe depuis quelques années : les bars à jeux fleurissent, les ludothèques regorgent de boîtes colorées, YouTube voit émerger des chaînes parlant de jeux de société, de jeux de rôle ; on parlerait même d’une psychologue ayant mis en place un jeu de rôle policier dans un EHPAD.
Pourquoi je vous évoque cela ? Car le jeu de société, en psychothérapie, permet une médiation lorsque l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place par l’échange verbal. Cet outil va fonctionner comme l’objet transitionnel mis en évidence par Winnicott. C’est un objet qui permet d’aménager le réel lorsque ce dernier peut devenir anxiogène. Winnicott a en effet élaboré cette théorie pour expliquer entre autres l’existence des “doudous”. Au début de sa vie, l’enfant doit être en permanence en lien avec les figures d’attachement (généralement les parents), puis ensuite le doudou permet de supporter leur absence car il symbolise le lien. Il s’agit de la première expérience créatrice de l’enfant. Ensuite, ce lien est intériorisé, ce qui permet à l’enfant de progressivement se détacher de l’objet au profit d’un investissement plus large de ce qu’on appelle l’espace transitionnel. C’est cet espace qui permet d’accéder au jeu et à la créativité et donc de faire baisser l’angoisse. Le jeu permet de faire le pont entre la réalité et le besoin d’omnipotence, c’est à dire le besoin de ressentir du contrôle. On remarque à quel point ce phénomène est frappant dans l’investissement des jeux vidéos par les adolescents, par exemple : je crée mon avatar et donc mon identité, je contrôle certains aspects du jeu quand la réalité ne me convient pas toujours...
Si cela est possible en psychothérapie, pourquoi cela ne le serait-il pas dans la relation au sein d’une famille ?
La médiation en psychothérapie permet de créer ce que nous appelons une « alliance thérapeutique », élément nécessaire pour le bon déroulement d’une prise en charge. Elle la soutient lorsqu’un patient peut avoir des difficultés à verbaliser. La médiation peut également avoir un effet cathartique, qui permettrait d’extérioriser le trop plein d’émotions pouvant être présent dans le quotidien de la personne. « L’expérience psychique n’est pas immédiatement saisissable – du moins à l’origine –, l'individu va devoir ainsi la « médiatiser » pour pouvoir s’en saisir, pour la décondenser et réduire, peu à peu, la complexité de sa présentation, pouvoir explorer ses aspects énigmatiques » (Roussillon, 2012).
Plusieurs types de médiations existent : artistiques, psycho-corporelles ou encore celles utilisant le jeu vidéo. Je vais plus particulièrement vous parler des jeux de société. Le jeu de société est un outil utile en séance aussi bien auprès d’enfants, d’adolescents que d’adultes.
Il permet d’expérimenter un certain nombre de choses qui ne sont pas propres à la relation thérapeutique, comme la tolérance à la frustration ou la capacité à coopérer, par exemple. Expérimenter dans le Réel et avec son thérapeute peut permettre d’ouvrir des portes qui ne se seraient ouvertes que plus tard dans la relation thérapeutique.De plus, le thérapeute, témoin et acteur de l’activité, permet un échange plus fourni avec son patient.
Si un échange est facilité dans une relation thérapeutique, pourquoi ne pas l’envisager aussi dans une relation intra-familiale ?
Être parent n’est pas toujours facile, être un enfant ou un adolescent non plus. Il arrive que des tensions puissent émerger pour diverses raisons (problématiques à l’école, au travail, au sein du couple parental, de comportement, etc.), que les relations entre membres d’une même famille se dégradent et que la communication se tarisse. Dans les moments comme ceux-là, il peut être compliqué de faire un pas de côté pour aller vers l’autre car on ne se sent pas reconnus dans son opinion ou ses émotions. Cela peut entraîner une répétition de situations qui mettent en souffrance tous les membres de la famille et qui renforcent les tensions déjà existantes. On se sent alors aspiré dans une situation complexe dont on ne sait plus comment en sortir. Alors, se retrouver autour d’une autre situation, une situation qui sort du contexte habituel peut servir à créer d’autres interactions, développer d’autres liens et se redécouvrir voire, pourquoi pas, discuter sereinement.
Le jeu de société a cette particularité qu’il met un objet au milieu de la relation; on ne parle donc pas de la relation en elle-même ou des problèmes en eux-mêmes mais du jeu.Vous pouvez également choisir le type de jeu qui correspond à vos besoins : un jeu en « one to one » qui met à l’épreuve les capacités de stratégie pour gagner (comme Sushi Go ou Paper Tales). Un jeu en coopération, qui permet de trouver des façons de s’allier pour gagner contre le jeu, comme The Game ou Magic Maze. Ce type de jeu de société est d’ailleurs propice aux échanges.
Il existe également des jeux plus narratifs comme le Dixit ou encore Feelinks. Ce dernier propose des situations, auxquelles chaque joueur doit associer l’émotion qu’elles suscitent. On lance alors un dé qui désigne une émotion puis chacun des joueurs parie sur le nombre de personnes qui auraient choisi cette émotion par rapport à la situation évoquée. Feelinks fait partie de ces jeux qui permettent d’échanger et de débattre sur des situations tout en ayant un support sur lequel on peut revenir si besoin, lorsque l’échange devient compliqué.
Le jeu de société a la particularité de pouvoir créer de nouvelles situations au sein du milieu familial, « ce recours peut […] s’envisager comme facilitant des liens et rencontres (vers les autres et via son « corps-en-relation » » (Joly, 2012). Le « corps-en-relation » est une formulation de Ajuriagerra qui appuie le fait que les interactions entre les personnes ne sont pas basées que sur des échanges verbaux mais également sur la prise en compte du corps de l’autre, de son existence corporelle.
Le manque de temps dû au rythme de vie qui s’accélère, aux métiers des adultes, aux journées denses des enfants et adolescents, peut mettre de la distance dans le rapport à l’autre au sein d’une famille. Un moment jeu de société serait un peu comme la soirée DVD qui pouvait se faire du temps des vidéoclubs.
Le jeu de société donne ainsi de nouvelles opportunités de construire de nouveaux souvenirs et de se retrouver autour d’une même activité.
Sa fiche sur weppsy
Sources :
- Donald Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 2002
- Donald Winnicott, Les objets transitionnels, Payot, 2010
par Astrid Roustang-Jeglot, Psychologue clinicienne-psychothérapeute
le 2020-02-18
Conduite par un professionnel de santé reconnu (psychologue, psychomotricien, infirmier ou médecin), cette proposition psychothérapique est généralement bien acceptée.
Elle peut être réalisée en individuel ou en groupe. Elle convient aussi bien pour les enfants, les adolescents que les adultes ce qui en fait une pratique très intéressante.
Pratique psychothérapique transversale dans le champ de la psychologie, elle peut, selon la formation du praticien, être utilisée dans différents cadres et avec des objectifs variés.
A côté des thérapies verbales, il s’agit d’une thérapie dite « à médiation corporelle » où il est proposé au patient de « vivre une expérience » de relaxation et de se mettre à l’écoute de ses sens. Ce premier temps est souvent suivi d’un temps de parole.
Du soulagement d’un état de tension physique à l’amélioration de la gestion émotionnelle ou du stress quotidien, la pratique de la relaxation peut être soit plutôt « recouvrante » en se focalisant sur le symptôme et en se concentrant sur cette tâche, ou plutôt « découvrante », en offrant toute liberté d’expression à la créativité.
L’intérêt de la relaxation thérapeutique est aussi d’offrir du temps et une attention centrée sur le corps.Dans notre société actuelle, il n’est en effet plus fréquent ni spontané de mettre son flux de pensées en pause au profit d’une écoute bienveillante et centrée sur ce qui se passe au niveau corporel.
De nombreuses indications sont possibles, notamment lorsque le « corps parle ». On peut observer parfois des manifestations somatiques (troubles du sommeil, mal de dos, migraines) qui peuvent être l’expression physique d’une cause psychologique telle qu’un stress ou une angoisse non-conscientisés. “Tout va bien, pourtant je dors de moins en moins bien, je ne comprends pas”.
L’attention portée au corps lors de la relaxation permettra à la personne qui consulte de déposer ce qu’il porte en lui de souffrant tout en favorisant une reconnexion corps-esprit source d’apaisement.
Il est à noter que toutes les relaxations qui existent ne sont pas psychothérapiques. Parmi celles qui se situent dans cette visée on a :
Certaines relaxations psychothérapiques sont plus adaptées pour travailler avec les enfants comme la relaxation activo-passive de Wintrebert et la relaxation Bergès.
D’autres relaxations sont dites plus "conscientes". Elles sont basées sur des exercices comme pour la relaxation de la méthode Vittoz.
Enfin, certaines s’intéressent aussi à ce qui est inconscient comme celle de la méthode Ajuriaguerra ou la relaxation analytique méthode Sapir.
L’intérêt de la relaxation est globalement aussi neuro-physiologique. En effet, la littérature scientifique a mis en lumière que les activités contemplatives telles que la relaxation et la méditation permettent le renforcement de ce qu’on appelle le système nerveux parasympathique. Ce système nerveux permet de doser la réaction face à un stress.
Ainsi en pratiquant la relaxation, la personne reprend contact avec un potentiel de ressources souvent insoupçonnées dont nous sommes tous détenteur sans toujours en avoir conscience.
Enfin, il existe d’autres pratiques de relaxation qui peuvent avoir des effets thérapeutiques sans pour autant s’inscrire dans le champ des psychothérapies. Nous n’allons pas les développer mais nous pouvons les citer rapidement : la sophrologie (souvent ce sont des sortes d’exercices à base de respiration), la méthode Fedenkreis en kinésithérapie, ou encore toutes les pratiques venant de l’orient : Taï chi, Qi Gong, Yoga nidra (relaxation profonde) Hatha Yoga avec la posture de Savasana, ou encore toutes les pratiques de méditation dont la plus en vogue chez nous - car adaptée au monde occidental par Jon Kabat-Zinn - est le Mindfulness (la pleine conscience).
Ci-dessous quelques-unes de ces associations pour vous renseigner et trouver un thérapeute :
ou via weppsy ( type d'approche "Thérapie psycho-corporelle")
Astrid Roustang-Jeglot
par Ondine Peyron, Psychologue Clinicienne
le 2020-02-11
L’Analyse Transactionnelle, ou AT, est un courant de psychothérapie qui naît dans les années 70 dans le champ des thérapies dites humanistes. C’est une théorie de la communication créée par le psychiatre Eric Berne aux Etats-Unis. Ce dernier travaillait à l’hôpital en Californie et cherchait un moyen de soigner ses patients par la psychothérapie. Très inspiré par les travaux de la psychanalyse, il a décidé d’y apporter un vocabulaire plus clair, plus pragmatique et donc plus accessible à tous. Ainsi, il a développé la théorie des États du Moi.
Il part du postulat que nous évoluons de notre naissance à notre mort avec ces trois États du Moi dans notre psychisme, qui interagissent ensemble et avec autrui. L’analyse de ces transactions permet d’observer des schémas répétitifs ou bloquants. En effet, les Etats du Moi ont un aspect complémentaire, et souvent un Enfant appelle un Parent en face dans la communication, tout comme un Parent appelle un Enfant.
Les différents États du Moi sont :
Le Parent : qui se réfère aux valeurs, aux règles avec lesquels nous avons grandi. Il existe deux types de Parents : tout d’abord le Parent Normatif dont la fonction est la protection et la transmission de valeurs. Il peut être positif ou négatif (lorsqu’il est dans la critique). Il y a également le Parent Nourricier ou Bienveillant qui a une fonction de permission et de soutien. Il est positif lorsqu’il encourage, négatif lorsqu’il infantilise et surprotège.
L’Adulte : qui se réfère à l’ici et le maintenant dans l'environnement qui nous entoure et de nos capacités internes d’analyse et de traitement d’information.
L’Enfant : qui se réfère aux vécus et souvenirs de l’enfance. Cet État du Moi rejoue les désirs, les envies et peurs : ce sont les émotions qui priment. Il peut être Rebelle (dans l’opposition légitime), Adapté (qui s’adapte au contexte) ou Libre (qui est dans les émotions avant tout, naturel et intuitif).
Il est 18h15. Pierre rentre pour une fois avant sa compagne. Il est ravi de pouvoir se détendre dans son canapé et d’alterner entre télécommande et smartphone. Le temps passe et il prend beaucoup de plaisir à se prélasser en attendant Marie.
19h30. Sa compagne rentre ! Elle est étonnée de le voir déjà rentré. Épuisée de sa journée de travail, elle a pris le temps d’aller faire des courses pour le dîner et faire plaisir à son homme.
Pierre (détendu): Salut chérie ! Ça va ? Tu as passé une bonne journée ?
Marie (tendue) : Bah t’es déjà rentré ?!
Pierre (sur la défensive) : Wow ! Du calme !
Marie (agressive) : Comment ça du calme ?! J’ai passé une journée exténuante, je rentre des courses et tu ne me proposes même ton aide pour porter les sacs ! Tu restes affalé là comme un pacha !
Pierre (agressif, il se lève d’un bond) : Un pacha ?! Non mais tu racontes n’importe quoi ! Qui a fait les courses toute la semaine dernière et a préparé une pizza maison hier soir ??
Marie (elle craque et commence à pleurer) : On est en train de faire les comptes c’est ça ? (Elle fond en larmes) Et moi qui t’avais acheté ton dessert préféré pour ce soir…
Pierre (toujours énervé) : Voilà il faut toujours que tu te victimises !
À la base, Pierre et Marie n’avaient rien à se reprocher en apparence mais se sont quand même disputés comme à l’accoutumée et terminent chacun dans leur coin.
Note: EDM signifie État du Moi.
Pierre (détendu): Salut chérie ! Ça va ? Tu as passé une bonne journée ? C’est l’EDM Adulte de Pierre vers l’EDM Adulte de Marie – Pierre parle à Marie en fonction de ce qu’il est et de ce qui se passe dans l’ici et le maintenant.
Marie (tendue) : Bah t’es déjà rentré ?! EDM Parent Critique Négatif de Marie qui vise l’Enfant Adapté de Pierre.
Pierre (sur la défensive) : Wow ! Du calme ! EDM Enfant Rebelle de Pierre qui vise le Parent de Marie.
Les transactions continuent de se croiser. Marie ne va plus répondre via son Parent mais va rentrer dans la plainte de l’Enfant en visant le Parent Nourricier de son compagnon.
Marie (agressive) : Comment ça du calme ?! J’ai passé une journée exténuante, je rentre des courses et même pas tu me proposes de l’aide pour porter les sacs ! Tu restes affalé là comme un pacha !
Le compagnon va encore prendre cette transaction comme une critique et va continuer à se défendre depuis son EDM Enfant Rebelle en visant l’EDM Parent de sa compagne.
Pierre (agressif, il se lève d’un bond) : Un pacha ?! Non mais tu racontes n’importe quoi ! Qui a fait les courses toute la semaine dernière et a préparé une pizza maison hier soir ??
Elle qui recherchait de l’attention et du soutien se sent incomprise et va chercher à attendrir/culpabiliser son compagnon depuis son EDM Enfant en visant toujours l’EDM Parent Nourricier.
Marie (elle craque et commence à pleurer) : On est en train de faire les comptes c’est ça ? (elle fond en larmes) Et moi qui t’avais acheté ton dessert préféré pour ce soir…
Sauf que ça ne fonctionne toujours pas… C’est bien le Parent qui répond mais c’est le Critique Négatif !
Pierre (dépité et impuissant) : Voilà il faut toujours que tu te victimises !
On peut observer ici ce qu’on appelle un Jeu Psychologique. Marie a joué à « Pauvre de moi ».
On peut imaginer que c’est un jeu familier rejoué régulièrement depuis son enfance. Pierre lui aussi a appris à jouer à ce jeu où il termine en se sentant impuissant et triste. Malgré l’issue bien connue, Marie et Pierre ne peuvent s’empêcher de jouer et rejouer à ce jeu qui pourtant leur fait du mal et vient renforcer leurs croyances négatives sur eux-mêmes.
Pour éviter qu’une situation comme celle-ci ne se reproduise nous pourrions proposer à ce couple d’essayer de déceler l’appât qui a permis à ce jeu de se mettre en place. Ici, l’appât serait la transaction de Marie « Bah t’es déjà rentré ?! ». Ici, elle ne répond pas à la transaction directe de Pierre mais sous entend beaucoup de choses derrière cette phrase. On peut imaginer : « Pourquoi tu ne m’as pas prévenue que tu rentrais plus tôt ? – Tu sais que je n’aime pas les surprises de ce genre ! – Tu rentres plus tôt et tu ne m’aides pas ? » .
Bref on peut imaginer beaucoup de choses ! Ici pour éviter à Pierre de rentrer dans le jeu psychologique, une option aurait pu être de répondre à Marie quelque chose comme « Ta réaction vient me dire que toi, t’es tendue. Qu’est-ce qu’il se passe ? ».
Le principe est de répondre à ce qu’il se passe dans l’instant et non aux petites lignes induites.
La thérapie en AT, en décortiquant ces jeux et ces répétitions, peut permettre au client de mettre à jour des croyances très anciennes, que l’on appelle croyances de scénario. Cette analyse l’aidera à sortir de ce scénario qui ne semble plus adapté dans sa vie d’adulte.
Cette analyse des États du Moi, des Transactions, des Jeux et du Scénario s’effectue dans un cadre décrit dès le premier RDV avec le thérapeute. En effet, l’AT est une thérapie dite "contractuelle". Ensemble, client et psychologue établiront ensemble le cadre de leur travail : le lieu, le rythme, le coût des séances, le contrat de thérapie. La thérapie prendra fin lorsque le contrat est rempli. Ce qui n’empêche pas d’en établir de nouveaux ou même de le changer en cours de travail. Il est important de préciser la souplesse de l’espace qui est permis grâce à la parole. En effet, tout est bon à dire et est matière au travail : mettre des mots sur les pensées, les émotions et les comportements.
Pour conclure, l’Analyse transactionnelle est une psychothérapie qui peut être pratiquée en individuel, en couple et en groupe. Elle est particulièrement recommandée pour toute personne rencontrant des problématiques de type relationnelles, de place ou de conflit.Le but de ce travail analytique en face à face, est de retrouver, comme le disait Sigmund Freud, la capacité à aimer et à travailler.
Ondine Peyron
France Brécard, Laurie Hawkes, Le grand livre de l'analyse transactionnelle, Librairie Eyrolles.
Éric Berne, Que dites-vous après avoir dit bonjour ?
Éric Berne, Des jeux et des hommes.
https://www.ifat-asso.org/concepts-base/
par Philippine Héraud, Psychologue Clinicienne
le 2020-02-04
Différents types d’addiction
Il y a les consommations dites « avec produit » et celles dites « sans produit ».
Les consommations avec produit concernent toutes les substances fumées, ingérées ou injectées - 3 modes de consommation - qui vont modifier le fonctionnement habituel du notre cerveau, aussi appelé système nerveux central. Par exemple, un verre d’alcool viendra engourdir le cerveau : c’est ce que les scientifiques appellent l’effet dépresseur. Un joint de cannabis perturbera nos sensations en déformant nos perceptions. Une cigarette ou un rail de cocaïne, chacun à un degré différent, stimuleront notre cerveau en l’excitant. Les produits peuvent donc avoir 3 types d’effet sur le système nerveux central : dépresseur, perturbateur ou stimulant.
Les consommations sans produit concernent, quant à eux, tous les comportements qui finissent par prendre une place excessive dans nos vies. Par exemple, jouer à des jeux vidéo de manière trop importante peut avoir des conséquences sur notre vie scolaire ou professionnelle, sur notre santé (sommeil et alimentation affectés) et sur nos relations (isolement familial et amical). Même si la question est débattue dans la communauté scientifique, on pourrait alors parler de « dépendance aux écrans ». C’est la même chose pour les jeux de hasard et d’argent, pour la sexualité, le sport… Parmi les consommations sans produit, seule celle au jeu de hasard et d’argent est reconnue comme une addiction.
Lorsque l’on consomme un produit, on cherche à obtenir un certain effet. Ce faisant, on déséquilibre le fonctionnement de notre cerveau et de notre corps. Une fois l’effet recherché atteint, le corps pour retrouver son équilibre va passer par une phase de récupération. Si vous avez déjà consommé de l'alcool c’est ce qu’on appelle couramment “la gueule de bois”. Ainsi, l’effet recherché et ressenti en prenant un produit ou en ayant un comportement sera suivi d’un contre-effet.
Quand un produit ou un comportement s’invite dans nos vies, il peut y avoir une accroche forte en fonction du caractère de chacun, de son histoire, de sa personnalité, de sa physiologie…Le contexte singulier dans lequel nous sommes viendra alors inscrire ce produit ou ce comportement dans notre quotidien. C’est ce qu’on appelle la loi de l’effet ; l’expérience = individu + produit ou comportement + contexte environnemental. Ainsi, telle personne sera plus sensible à l’alcool, tandis que telle autre au cannabis.
A mesure que l’on prend l’habitude de consommer un produit, le corps et l’esprit s’habituent également. Or, avec une substance, le cerveau aura besoin d’une quantité toujours plus grande pour retrouver le même effet découvert lors de la première prise de produit - concept de tolérance. Peu à peu, le corps s’accoutume et la personne ne se laisse plus le temps de récupérer entre deux prises de produit. Rapidement cette personne peut perdre sa capacité à gérer une consommation car le circuit de la récompense et le circuit du contrôle présents dans le cerveau sont altérés. Plus les consommations sont rapprochées, moins le corps et l’esprit ont le temps de récupérer de cette perturbation et plus la dépendance s’installe, faisant entrer la personne dans une spirale.
Au début, c’est pour se sentir mieux que l’on consomme un produit ou que l’on a un certain comportement ; mais, lorsque la dépendance est là, c’est pour arrêter de se sentir mal que l’on doit répéter ces consommations ou ce comportement.
Selon les manuels de psychiatrie, on parlera de trouble lié à l’usage de substance avec une intensité plus ou moins importante (DSM V) ou de types d’usage (CIM 10). Les professionnels disposent de ces ouvrages comme des références théoriques mais c’est leur appréciation clinique de la situation d’une personne et la souffrance associée qui permettra de parler d’addiction.
Toutefois, chacun d’entre nous a également une représentation et une idée de ce qu’est l’addiction.
Pour certains, la consommation quotidienne d’un produit, même dans des doses limitées, sera déjà une forme addiction : par exemple, un somnifère tous les soirs ou une cigarette par jour.
Pour d’autres, c’est la perte de contrôle qui va être considérée comme une dépendance. Une consommation d’alcool ponctuelle, en soirée par exemple, qui se soldera systématiquement par une ivresse, avec un nombre de verres que l’on ne contrôle plus et supérieur à ce que l’on envisageait initialement, pourra être le signe d’une addiction.
Une dernière définition de l’addiction serait l’impact dans les sphères de vie (famille, ami, travail, judiciaire, santé, finances…).
Aussi longtemps que les consommations ou les comportements n’impacteront que peu les sphères de vie, alors on ne parlera pas de dépendance.
Pour faire un point sur ses consommations, l’Etat a créé des Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention des Addictions (CSAPA). Certains sont associatifs, d’autres sont rattachés à des hôpitaux, mais tous sont payés par nos impôts. Libre à vous d’aller y rencontrer un professionnel pour faire un état des lieux.
Pour trouver le CSAPA le plus proche des chez vous : www.drogues-info-service.fr
Si la question se pose pour un proche ou un patient, il est également possible d’aller demander conseils dans ces centres.
En fonction du type d’addiction et de la sévérité de cette addiction, les réponses seront adaptées par les professionnels.
Son Linkedin
Sources:
par Aude Mouton, Psychologue Clinicienne
le 2020-01-14
La question des écrans est un sujet très actuel : les parents d’aujourd’hui ne peuvent pas se baser sur leurs expériences car les écrans, leurs formes et utilisations ont rapidement évolué. Vous, parents actuels, avez un vécu de votre rapport aux écrans dans votre enfance qui se limitait à la TV, aux consoles de salon ou peut-être aux débuts des consoles portables, lourdes et en noir et blanc. On est loin des tablettes, des consoles portables à haute définition et des réseaux sociaux toujours en mouvement !
Il existe deux types d’écrans : les « passifs » et les « actifs ». Mettons dans la catégorie « écrans passifs » les activités qui ne nécessitent pas d'action de la part de l'enfant, comme un programme télé par exemple, ou un film sur n'importe quel support.
Les écrans actifs sont les activités interactives, qui demandent une participation de la part de l'enfant, typiquement les jeux vidéos. Les réseaux sociaux se retrouvent à la frontière de ces deux catégories puisque nous pouvons être consommateur ou acteur.
L'écran passif a un effet hypnotique qui met le cerveau sur « pause ». Adulte, il est possible de regarder une émission et de réfléchir, de se cultiver. Les enfants ne sont pas dans cette démarche, ils regarderaient n'importe quoi et l'effet hypnotique est bien agréable mais source de risques avérés pour le développement physique, cognitif et affectif (1). L’aspect récréatif du film peut-être bien entendu un moment de détente, de partage en famille, d’accès à la culture (culture générale et sociale). Toutefois, il doit se limiter à cela. La tendance actuelle de l’écran passif est de se débarrasser de l’aspect contraignant de l’enfant, au restaurant, en voiture, en soirée…
Demandez-vous à quel moment vous donnez accès à vos enfants à cette activité passive de détente. Le faites-vous par souci de relaxation, de détente, de partage ou parce que cela est pratique pour vous ?
L’écran actif peut avoir un effet d’apprentissage tout en restant limité. Dans sa recherche sur l’apprentissage au travers de plusieurs modes (avec des vidéos, via un appel en visio ou en face à face), la chercheuse Kathy Hirsch-Pasek (2) montre que rien ne remplace l’échange réel dans le transfert de compétences et dans l’apprentissage d’une langue, par exemple. Il faut donc bien voir l’écran comme un outil d’apprentissage parmi tant d’autres. Apprendre l’anglais, par exemple, peut s’appuyer sur des applications pour comprendre la grammaire ou mémoriser du vocabulaire. Tant que cet apprentissage ne sera pas passé en conversation, avec une composante émotionnelle, une mémoire des évènements et des situations, la connaissance de cette langue sera limitée et plus fragile dans le temps. Les enfants vont pouvoir apprendre la « chanson » des lettres ou la « chanson » des nombres, cependant comprendre la profonde signification d’un mot, d’un son, du nombre, devra passer par l’expérience matérielle ou relationnelle. Il leur est plus difficile de passer d’une expérience 2D à une expérience 3D car ils n’ont pas les mêmes capacités s’agissant du transfert de compétences ou de conceptualisation. Un mot ne prend son sens que dans son emploi et sa compréhension tacite.
C'est ici une question cruciale et une question d'éducation. Mettre les enfants devant un film ou un jeu permet d'avoir un moment de calme. Un enfant ne devrait pas avoir accès à un écran lorsqu'il est seul et le cas échéant, il devrait y avoir une discussion à la suite de l'utilisation pour permettre que l'expérience soit positive.
Beaucoup de parents d’adolescents mettent en avant l’aspect social de certains jeux ou de certains réseaux sociaux. Il est vrai que certains jeux peuvent permettre une certaine cohésion d’équipe, ou permettre à un jeune de se faire inclure dans un groupe de pairs. Le danger est la perte de regard du parent sur la situation. Lorsqu’on laisse son jeune aller à une fête ou chez un ami, il paraît évident de le faire selon certains critères définis avec lui au préalable (connaître les amis, règles quant aux horaires, etc.. ) alors que le jeu en ligne chez soi donne une fausse impression de sécurité et le parent est bien souvent incapable de décrire les jeux auxquels son enfant joue, les personnes avec qui il parle, etc… Si votre parti pris est de laisser votre enfant jouer, renseignez-vous, jouez avec lui, comprenez les règles du jeux mais aussi les règles du groupe auquel il appartient.
Tentez de compter vraiment la durée d'utilisation de votre enfant sur une semaine. Même les études ont du mal à se mettre d’accord et estiment le temps d’utilisation moyen entre 2h et 4h30 pour les enfants de 2 à 5 ans. Il existe une fonctionnalité dans votre téléphone qui vous permet de voir votre consommation quotidienne. Je vous invite à l’ouvrir et à prendre conscience de ce nombre d’heures pris dans votre journée. L’expérience est toujours enrichissante !
La durée que vous trouvez juste, de 0 à plusieurs heures dépend de votre propre vision de l’écran dans votre vie et votre famille. Serge Tisseron a d’ailleurs développé un outil très pratique en s’inspirant de multiples recherches, vous trouverez son site à la fin de l’article. (3)
Il est facile de donner de grandes leçons éducatives et tout le monde diffère. Voici cependant deux grands principes biologiques, qui permettent d’encadrer vos choix selon des critères objectifs.
Évitez le matin avant l'école. Nous avons besoin au réveil de nous préparer mentalement pour notre journée. Entamez au petit déjeuner la discussion avec votre enfant : Que va-t-il faire aujourd'hui ? En classe, avec les copains, après l'école. Quelles sont ses envies du jour et de la semaine. Ce moment de réveil est important et permet au cerveau de s'ouvrir aux possibilités du jour. Un enfant qui a fait une heure d'écran avant d'arriver en classe aura une longueur de retard sur le plan de la concentration et de l'énergie.
Les écrans devraient être éteints et rangés après 17h. À partir de cette heure, le corps se prépare à se coucher et à dormir. Proposer un écran après 17h peut provoquer des troubles de l'endormissement ou du sommeil. Si cet horaire est vraiment trop tôt, tentez de proposer un arrêt après le repas, puis avant le repas en reculant graduellement l'horaire d'arrêt.
Ne diabolisons pas : le mot clé étant équilibre. Il est toujours facile dans ces débats difficiles de santé publique de pencher d’un côté puis de son extrême opposé. Au même titre que tous les points de santé publique, il est du devoir des professionnels de mettre en garde. Idéalement, vous mangeriez bio, ni trop gras ni trop sucré, des produits locaux et frais, sans alcool, sans fumer, sans excès, avec du sport mais pas trop, en campagne sans pollution…
Mais la vie est aussi faite pour profiter, pour avoir du plaisir, du bien-être, de la détente.
Trouvez un point d’équilibre par rapport à l’écran, sans diaboliser et sans être trop permissif.
Réfléchissez à la place que cette activité a dans votre vie et celle de vos enfants. Demandez vous si vous trouvez cela adapté, bon pour son développement, ses compétences sociales et son équilibre psychique. Et adaptez en fonction !
Infographie intéressante : https://www.bloghoptoys.fr/infographie-quel-ecran-pour-quel-age-2
(3): https://www.3-6-9-12.org/ ainsi que le rapport de l’académie des sciences https://www.academie-sciences.fr/pdf/rapport/appel_090419.pdf
par Cécile Pichon, Psychologue et Coach en Transition Professionnelle
le 2020-01-14
L’épuisement professionnel est-il le nouveau mal du siècle ? “Je suis au bord du burn-out”, l’expression depuis quelques années s’est immiscée dans notre langage courant et on y recourt à tout bout de champ, des unes des journaux aux conversations des dîners mondains. Si l’expression est utilisée à tort et à travers pour désigner des réalités parfois bien différentes, on se pose la question de la nature de ce mal qui ronge nos sociétés et tout particulièrement le monde du travail.
Crise de sens, signe d’un ras-le-bol face à un monde du travail jugé violent, ou véritable maladie professionnelle, les spécialistes hésitent.
En mai 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé, lors de sa 72ème assemblée, a rappelé que le burn-out était avant tout un phénomène lié au travail dont les conséquences s’étendaient à l’état de santé général des personnes, mais qui ne pouvait figurer en tant que maladie à proprement parler au sein de la classification internationale des maladies.
Mais alors, comment comprendre ce mal qui semble gagner le monde du travail ?
Rappelons tout d’abord que le burn-out, aussi appelé épuisement professionnel, n’est pas un mal, mais un syndrome: “Le burn-out, ou épuisement professionnel est un syndrome conceptualisé comme résultat d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré” (1). Le syndrome d’épuisement professionnel peut alors se définir alors comme le résultat de ce stress chronique qui se manifeste à travers trois dimensions décrites par Christina Maslach (2), psychologue américaine : l’épuisement émotionnel, où le sujet ressent un véritable manque d’énergie psychique et physique, la déshumanisation des relations, c’est-à-dire une attitude de retrait et de détachement du sujet dans ses relations au niveau professionnel qui s’accompagne de cynisme, et enfin un ressenti de diminution de l’accomplissement personnel au travail, où un sentiment de perte d'efficacité s'immisce peu à peu en nous, s'accompagnant d'un sentiment d'échec, de frustration qui le conduit à une dévalorisation de soi au travail.
Les conséquences de ce syndrome sont visibles à tous les niveaux : émotionnel, physique, cognitif, mais aussi dans les relations interpersonnelles. Le syndrome d’épuisement professionnel conduit la personne qui le vit de manière quasi-systématique vers un arrêt de travail allant de quelques jours, quelques semaines, à plusieurs mois. Dans certains cas, le burn-out peut s’accompagner de consommation de substances psychotropes, et peut même parfois mener son sujet jusqu’à un état psychique proche d’un tableau clinique psychiatrique.
Le coût financier du burn-out est non-négligeable pour les entreprises et les systèmes de santé, notamment la sécurité sociale, qui couvrent les arrêts de travail. Mais c’est surtout au niveau psychologique que la note est salée pour les individus qui le vivent : effondrement physique et mental, émergence de pathologies liées, difficultés à se réinsérer professionnellement. Les séquelles se ressentent dans le temps et plusieurs années sont parfois nécessaires pour se remettre.
Mais alors, pourquoi le burn-out n’est pas considéré comme une maladie à proprement parler ? Il semble en fait très difficile de poser un diagnostic clinique précis sur le burn-out, ses causes étant multiples et ses effets assez fluctuants. Un état d’épuisement professionnel se distingue très clairement d’une situation de stress au travail, qui ne s’accompagne pas nécessairement d’une remise en question du sens du travail et n’altère pas toujours la relation des personnes envers leur entourage professionnel. Il se distingue aussi clairement de la fatigue chronique, qui n’a pas pour objet principal le travail, et se déclenche après une période de stress généralisé. Il est aussi très important de bien le distinguer de la dépression qui, quant à elle, dépasse largement le cadre du travail pour s’étendre à tous les aspects de la vie, avec son propre tableau clinique bien précis.
C’est pour cela que l’on parle de syndrome : il existe en effet de signes cliniques et des symptômes divers qui coexistent sans pour autant qu’ils ne donnent naissance à une maladie à proprement parler. Les médecins du travail et les psychologues peuvent eux-mêmes attester de la variété et de la diversité des cas d’épuisement professionnel qu’ils reçoivent dans leurs cabinets, et privilégient souvent une approche multi-factorielle pour en expliquer l’origine.
Alors, de quoi s’agit-il ? Peut-être que le burn-out ne peut s’expliquer qu’en rapport avec le contexte professionnel. Pour Herbert Freudenberger (3), psychiatre américain, le burn-out manifeste le décalage entre les besoins et idéaux d’une personne et la demande extérieure, ce qui entraîne une incapacité du sujet à répondre à cette demande.
Nos sociétés malades entreraient donc en collision avec les fragilités individuelles.Christina Maslach développe cette théorie dans ces recherches, insistant sur la violence qui règne dans le monde du travail, qui possède en soi de moins en moins de valeur intrinsèque, ce qu’on observe notamment depuis la crise économique de 2008. Le monde du travail, traversé par les difficultés économiques, tend à exiger de plus en plus des personnes tout en les sécurisant moins : les restrictions budgétaires s’accompagnent d’une surcharge de travail, tirant chaque jour un peu plus sur la corde des individus qui ne trouvent plus de sens.
Face à cette pression constante, les personnes mettent en place des stratégies d’adaptation dysfonctionnantes, jusqu’à un point de rupture. Le contexte professionnel agressif entre en collision avec la vulnérabilité des individus. Le burn-out s’installe et l’employé se retrouve contraint de quitter son travail, le temps de se remettre sur pied.
Il demeure donc essentiel de faire la différence entre les implications personnelles des individus en souffrance, et celles liées au type de travail et à l’organisation au sein de laquelle ils évoluent.
Aussi, pour sortir du burn-out, il semble adéquat de se diriger vers une prise en charge individuelle qui prenne aussi en compte le contexte de travail. Maslach insiste en parallèle de cela sur le besoin de "réparer" les entreprises et le monde du travail. Michel Delbrouck (4), médecin et psychothérapeute belge, insiste quant à lui sur la nécessité d’envisager la prise en charge par une approche médico-psycho-sociale dans la thérapie. Il propose aux psychologues d’adopter une posture spécifique entre le coaching et la psychothérapie, le médical et l’organisationnel, intégrant un maximum de facteurs ayant pu mener une personne au burn-out.
Identifier et soigner les souffrances individuelles qui se cachent derrière l’épuisement professionnel, sans pour autant omettre le contexte psycho-social spécifique rempli de stresseurs qui l’a causé pourrait permettre aux individus de reprendre le contrôle de leur vie et de trouver de nouvelles stratégies d’adaptation au service de leur équilibre personnel et d’une vie professionnelle satisfaisante.
En parallèle de ça, un réel réveil du monde de l’entreprise reste nécessaire afin de transformer les systèmes pour éviter qu’ils ne mènent à de telles situations.
par Astrid Roustang-Jeglot, Psychologue clinicienne-psychothérapeute
le 2020-01-14
Prendre la décision d’aller consulter le psychologue ne va pas toujours de soi.
A quel moment le décider? Est-ce que cela va être « utile » de parler à un étranger? Est-ce que j’en ai vraiment besoin? A quoi bon parler des choses qu’on ne peut pas changer? Comment est-ce que cela va se passer? En quoi parler va-t-il me soigner? Combien de temps cela va-t-il durer?
Voici quelques-unes des questions légitimes et récurrentes qui interrogent, parfois, ceux et celles que cette idée traverse.
Souvent - et sans doute pour une majorité de personnes - consulter s’accompagne de peurs, de craintes, d’appréhensions, de doutes, d’anxiété. Ces émotions freinent voire empêchent de prendre rendez-vous ou bien d’aller jusqu’à pousser la porte du cabinet du psychologue. Si ces questions attendent bien sûr des réponses, le déferlement de questions avant un premier rendez-vous traduit, d’abord et avant tout, l’appréhension face à une situation inconnue, inédite. La grande clinicienne qu’était Françoise Dolto a fait inscrire en épitaphe sur sa tombe l’injonction « N’ayez pas peur ! », sans doute le fruit de sa longue expérience.
Si la question « Est-ce que j’ai besoin d’aller consulter un psychologue ? » a pu se former en vous ou si quelqu’un vous l’a conseillé et que vous y repensez, c’est que cette idée résonne. L’intuition est déjà là. On se demande si l’on doit ou non la suivre.
Il est vrai que dans nos sociétés occidentales actuelles prime la pensée spéculative, la pensée logique et rationnelle sur une pensée plus intuitive, créative et associative. C’est l’erreur de Descartes (1) qui, dans une vision dualiste, en a séparé le corps et l’esprit. Sa célèbre phrase « Je pense donc je suis » néglige la question des affects. Pourtant « la dimension humaine est d’abord et avant tout corporelle" (2). Les émotions ont toujours à voir avec le corps.
« Je ressens donc je vis » ne pourrait-il pas aujourd’hui être substitué à la phrase du philosophe?
Ressentir, se mettre à l’écoute de ses sens… pas si simple lorsque la souffrance est présente. C’est généralement ce qui amène une personne chez le psychologue : alléger ce qui pèse dans sa vie, permettre que cesse la douleur, éclaircir ce qui est obscur.
Pour trouver cette nouvelle place confortable dans sa vie on entend souvent en cabinet libéral « Pour que « ça » change, il faut que je comprenne ». Il existe une croyance tenace que comprendre rime avec solution. L’implacable logique cartésienne « si je comprends ce qui se passe en moi, cela va aller mieux » n’est pas toujours tout à fait exacte en ce qui concerne le processus de changement en psychothérapie. Combien ont déjà analysé ce qui se passe pour eux, fait des liens avec leur histoire ou leur vécu sans que cela ne modifie grand-chose ? Et si comprendre suffisait pour soigner, alors on pourrait se contenter de vendre des livres et des manuels explicatifs ; les thérapeutes en tous genres mettraient alors la clef sous la porte ! Ce serait surtout omettre la place du corps et des émotions en psychologie (3).
S’il ne suffit pas seulement de comprendre, il ne s’agit pas non plus d’envisager cet espace pour uniquement déverser un mal-être ou encore se complaire dans une sempiternelle plainte (4) dont on connaît les effets pervers d’enfermement.
Au-delà des mots prononcés et échangés, chez le psychologue clinicien, une attention particulière est portée à l’écoute du corps qui exprime et ressent, aux mots chargés d’affects. (5)
Prendre rendez-vous avec le psychologue demande de porter attention à ces ressentis douloureux, ce qui suppose d’avoir préalablement reconnu que « ça ne va pas » et que « ça pourrait être différent ». (Le « ça » chez Freud est une instance inconsciente, le siège des pulsions, des envies, réservoir premier de l’énergie psychique).
Cette rencontre avec son mal-être peut constituer un frein à la consultation.
Consulter est donc déjà, en soi, un acte qui engage la personne physiquement et émotionnellement.Il est question par cette prise de rendez-vous de reconnaître qu’on ne se sent pas bien, de donner une place à cette partie en soi qui souffre, d’asseoir un désir que quelque chose change, se modifie, se transforme, sans savoir tout à fait comment s’y prendre. La présence et l’écoute d’un professionnel de santé accompagnent ce mouvement avec une distance qu’il n’est généralement pas facile d’avoir sur soi-même.
Le rendez-vous pris est donc déjà la concrétisation d’une intuition que ce qui est vécu pourrait l’être d’une autre manière peut-être plus légèrement, plus simplement, plus tranquillement. Il inscrit un premier mouvement vers autre chose. Autre chose, c’est ce qui pose difficulté à nos esprits rationnels qui voudraient déjà savoir comment cela va se passer, est-ce que cela va bien se passer, savoir ce qui va être vécu avant de l’avoir vécu. Ces questions normales et fréquentes, témoignent de notre peur devant l’inconnu (ce que je vais ressentir, quel sera le chemin à prendre, etc…). Lors de la séance, on se livre au départ à un inconnu (le psychologue), à l’inconnu (le processus de changement), à sa part d’inconnu (ce que l’on ne connaît pas encore de soi). On y évoque ce qui est confidentiel et qui relève de l’intimité de la vie personnelle.
Rencontrer le psychologue demande d’une part, d’accepter cette part d’inconnu, d’autre part de faire confiance à l’autre à qui l’on choisit de s’adresser et que l’on ne connaît pas. C’est-à-dire faire confiance à l’accompagnement qu’il peut apporter et à notre faculté de nous en saisir pour en bénéficier.
Christophe Colomb, aventurier voyageur, qui découvrit l’Amérique alors qu’il croyait se trouver en Inde, nous a laissé cette phrase qui pourrait bien s’appliquer au voyage intérieur réalisé au cours d’une psychothérapie.:
« On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l’on va. »
Ainsi, celui qui consulte a déjà commencé l’aventure vers un ailleurs : Pourra-t-il la poursuivre ? À quel rythme ? Pour quelle durée ? Avec quels obstacles, quelles étapes sur son chemin? C’est la question de l’engagement et de l’implication personnelle plus ou moins forte dans ce type de démarche qui se manifestera au travers d’une relation (6) qui a toute son importance. En effet, quelles que soient les approches thérapeutiques (plus ou moins conscientes), quels que soient les « outils » thérapeutiques proposés, la dynamique du changement est d’abord portée par le sujet qui vient consulter.
Le psychologue clinicien vient accompagner une personne pour l’aider à traduire ce qu’il vit et à le traverser. Il ne suffit pas de savoir qu’il faut aller sur une autre berge, encore faut-il traverser le ruisseau, le torrent, le fleuve -plus ou moins agité- qui nous en sépare.
Le psychologue est celui qui tend la main pour passer de l’autre côté. Encore faut-il avoir envie d’y aller, de saisir la main du psychologue. De lui faire confiance. D’en sentir toute la présence, la bienveillance et la solidité. Quand et comment allez-vous saisir cette main ? C’est à vous d’en décider. La santé est aussi un choix :
« Le bonheur ne nous est pas donné, ni le malheur imposé. Nous sommes à chaque instant à une croisée des chemins, et il nous appartient de choisir la direction à prendre » dit Matthieu Ricard.
Consulter un psychologue est, vous l’aurez compris, sans doute moins un lieu de compréhension -même si en soi il est toujours confortable et rassurant de comprendre pour les êtres rationnels que nous sommes-, qu’un espace pour vivre une expérience relationnelle et affective, source de changement.
Alors, si cette question de consulter un psychologue vous trotte encore tête, tentez l’expérience en découvrant une nouvelle place !
par Roseline Bailly, Psychologue Clinicienne
le 2020-01-14
Aujourd’hui je vois un petit garçon de 5 ans.
La maman m’a demandé un rendez-vous car les nuits deviennent insupportables. Elle et le papa sont à bout, ils n’en peuvent plus.
Elle me dit avoir tout testé. « On a essayé d’être fermes, de le punir, de le rassurer, le co-endormissement où on reste avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme. Rien ne marche. Éventuellement, il va s’endormir dans son lit mais deux heures après il pleure, il vient nous rejoindre. Si on l’en empêche, il se couche devant la porte de notre chambre». Les parents, inquiets de ce que le manque de sommeil fera du lendemain, finissent souvent par accepter qu’il vienne les rejoindre et dorme avec eux. Jusqu’au moment où, trop à l’étroit à trois, l’un des deux parents va finir la nuit dans le lit de l’enfant pour essayer d’avoir au moins deux bonnes heures de sommeil avant d’attaquer la journée.
Les difficultés d’endormissement, cauchemars, réveils nocturnes, terreurs nocturnes sont parmi les raisons récurrentes de consultation. Dans le cabinet où je reçois des enfants à partir de 2 ans, la question du sommeil de l’enfant - si elle n’est pas la raison même de la demande d’aide - est toujours évoquée. C’est une question qui ponctue nos vies dès le plus jeune âge quand on demande si le nourrisson fait ses nuits ; jusqu’à l’âge adulte où le « As-tu bien dormi ? » est aussi commun dans les échanges quotidiens que le « As-tu passé une bonne journée ? ». Nous avons tellement conscience que le sommeil est une nécessité, que s’enquérir de la nuit de l’autre est aujourd’hui une politesse. Une façon de montrer à l’autre que nous lui portons de l’attention.
Les besoins vitaux sont tous des alarmes qui résonnent jusqu’au cabinet de psychologie. Les troubles alimentaires chez l’enfant en font bien sûr partie. Moins récurrents, car nous avons une variété en terme d’offre alimentaire qui laisse la possibilité de trouver, souvent, au moins un repas que l’enfant accepte quand il refuse tout le reste. Cependant un enfant qui mange moins ou moins varié est un enfant qui devient « difficile » avec la nourriture.
Quand je demande à l’enfant s’il sait ce qu’est mon métier, souvent il n’en a pas une idée claire. La réponse la plus simple que j’ai trouvée c’est de lui dire qu’il vient me voir pour que j’essaie de l’aider. Pour que ce qui est compliqué pour lui devienne plus simple.L’enfant avant l’adolescence n’a pas encore acquis la capacité d’analyse et de synthèse qui lui permet d’expliquer ce qui est compliqué pour lui. Il n’a par contre aucun mal à admettre que c’est compliqué et qu’il aimerait être aidé.
En tant que psychologue j’interviens quand l’enfant devient difficile ; avec la nourriture, au moment du coucher, dans les interactions avec les parents, à l’école. « Il est difficile, elle est dure ». Les rapports se tendent. Les parents multiplient les tentatives de solution et arrivent souvent démunis devant nous. Nous voyons les enfants quand les parents inquiets ne savent plus quoi mettre en place.
Au-delà des besoins vitaux, la question de l’école reste un des premiers motifs de consultation. Il serait difficile de donner une définition claire et concise de ce que sont les difficultés scolaires. Par contre, nous avons une idée plutôt bien définie de ce qu’est la réussite scolaire. Un enfant qui réussit à l’école est un enfant qui a de bons résultats, un bon comportement et des copains avec qui jouer. Vous enlevez n’importe lequel de ces éléments dans toutes ses déclinaisons possibles et cela génère de la tension. Pour l’enfant, pour les parents qui s’inquiètent, pour l’enseignant qui ne sait plus comment transmettre. « L’inadéquation scolaire » est aujourd’hui un des générateurs d’angoisse les plus actifs. Quand le lieu de la future réussite et survie sociale de nos enfants vient nous dire qu’il y a un problème, l’inquiétude est immédiate. Tous les adultes ont conscience qu’un échec scolaire handicape lourdement. Inquiétude pour un avenir professionnel encore lointain, incertain qui effraie déjà par son caractère inconnu, mais pas uniquement. L’actualité même de l’enfant inquiète. Le décrochage scolaire, le retard dans les apprentissages qui est si difficilement rattrapable. Cette phrase qui trop répétée alarme : « Je veux pas aller à l’école ». De loin en loin elle est entendue comme un signe de bonne santé. Après tout, avoir envie de temps, de liberté, de jeux, c’est merveilleusement sain pour un enfant. Pour un adulte aussi. Mais quand l’expression d’une frustration saine devient un refus ; quand ce qui est actuellement reconnu comme le passage unique et obligatoire vers le minimum de connaissances nécessaires pour survivre est obstrué, c’est le gyrophare qui s’allume.
Aujourd’hui, nous parlons de comportement de l’enfant comme d’une jauge de bonne adaptation. Nous oublions souvent de l’entendre comme une manifestation directe de son état intérieur.
Un enfant qui ne se comporte pas comme l’adulte le lui demande n’est pas un enfant qui a de mauvaises intentions. C’est un enfant qui ne va pas bien.Un enfant va, en toutes circonstances, d’abord tenter de satisfaire la demande de l’adulte qu’il aime. Ce que nous qualifions d’opposition ne démarre pas comme un combat dans un ring de boxe. L’enfant cherche son plaisir et son bien-être et va tenter de changer les limites pour l’obtenir. Il ne cherche pas à les ignorer ou les éliminer. Au contraire, elles sont le cadre qui sécurise. Simplement si elles l’empêchent de se sentir bien, il tentera de les adapter. Si malgré un refus répété il persiste, alors c’est le signe qu’il ne peut pas tolérer la situation telle qu’elle est. Il y a quelque chose qui le dérange trop. Qu’il manque d’attention au point de chercher la réprimande plutôt que de se sentir seul ; qu’il manque de confiance en ses capacités au point de mettre en échec tout ce qui est entrepris plutôt que d’essayer ; dans ces situations, l’enfant vient par son comportement dire sa détresse.
Combien de fois nous nous apercevons nous adultes, que nous nous sommes mal compris dans nos mots. Et nous parlons là du domaine du verbal. Domaine codifié pour permettre une compréhension mutuelle sur une base commune. Le non verbal est infiniment plus complexe. Le comportement d’un enfant sera interprété par l’adulte selon sa connaissance de l’enfant, son cadre de référence. Il sera influencé par ses attentes, perçu différemment en fonction de la fatigue de l’observateur. Si en plus l’enfant ne peut exprimer avec des mots ce qui le pousse à agir ainsi, se comprendre devient un jeu d’équilibriste.
Alors nous intervenons. Pour poser les questions qui vont permettre de mettre en mots une situation dans laquelle les parents sont tellement impliqués qu’ils n’en voient plus les contours. Nous sommes des archéologues de l’explication, des révélateurs de liens qui sont invisibles pour ceux qui sont pris dans la toile.
Parce qu’un enfant pour éviter de blesser ou de ne pas faire plaisir va se contorsionner comme seule le permet leur souplesse de petit être encore en devenir.
Une petite fille prise dans un conflit de loyauté depuis la séparation a décidé, ne sachant plus comment faire plaisir à deux parents qui décidément n’étaient plus d’accord sur rien, de ne plus rien dire ou faire à l’école. Parce que l’école est le lieu neutre où il ne s’agit ni de papa ni de maman mais d’elle. C’est le lieu où elle ne blessera ni l’un ni l’autre donc c’est le lieu où elle exprime son désarroi. Le positif c’est que ses deux parents sont enfin d’accord pour dire que ça ne va pas. Le négatif c’est qu’ils sont d’accord pour la gronder. Ne sachant plus comment sortir de l’ornière elle y reste et la creuse. Les parents se sentant déjà coupables de n’avoir pas réussi à sauver l’unité familiale, portant le poids du quotidien en parent célibataire, ne comprennent pas qu’elle ne fasse plus aucun effort à l’école. Elle qui réussissait si bien, elle qui a pourtant toutes les capacités nécessaires. Chargés de la peur pour l’avenir scolaire de leur fille, la fatigue de la journée et le doute coupable d’avoir, par la séparation, bousculé l’équilibre de leur enfant, ils s’énervent. Puis ils s’en veulent de s’être énervés. Alors il faut démêler les fils. Aller donner une couleur et des mots au ressenti de chacun. Leur permettre de s’écouter eux-mêmes d’abord, puis d’entendre l’autre.
L’énurésie, l’encoprésie, la dyslexie, l’hyperactivité, les difficultés liées à la précocité, sont autant de troubles qui au-delà de leurs origines, qu’elles soient physiologique, génétique, développementale, psychologique, tissent une toile serrée et complexe de peurs, d’espoirs, de déceptions. Ajoutons à cela la frustration du parent impuissant qui ne sait plus comment aider son enfant. Autant de nœuds sur une corde qui rétrécit jusqu’à ne plus laisser aucune souplesse dans un quotidien déjà surchargé entre la préparation du matin, les trajets, le travail, les devoirs, la douche, le dîner, le temps de jeu nécessaire, les dents et le coucher (enfin).
Aller voir un psychologue, c’est déposer son paquet de nœuds dans un espace où le professionnel, lui bien extérieur à la pelote, va tirer des fils, refaire les chemins des entrelacements, expliquer les boucles pour recréer de la souplesse.
Consulter un psychologue n’est pas affaire de folie ou de troubles graves. Il s’agit des torsions du quotidien, des pliures et des courbatures qui entravent et épuisent. Les demandes varient comme autant de motifs d’une même trame. La question de soi, de l’autre, et du respect est au cœur de notre travail. Comment faire de chaque groupe social, de la famille à la classe, de l’équipe de foot au groupe éphémère d’un dîner entre amis, un espace harmonieux de vivre ensemble dans lequel chacun s’épanouit.
Roseline Bailly
Des pistes pour approfondir :
Alvarez, C. (2016). Les lois naturelles de l’enfant. Paris : Les Arènes.
Dolto, F. (1974). Le cas Dominique. Paris : Points.
Doukhan-Zyngierman, D. (2004). Une psy dans une cité. Paris : Leduc S.
Winnicott, D. W. (1975). Jeu et réalité. Paris : Gallimard.
par Claire Raynaud de Lage, Psychologue Clinicienne
le 2020-01-14
Il est déjà parfois difficile de « se faire suivre » ou « d’aller voir quelqu’un », il est souvent encore plus énigmatique de savoir vers qui se tourner. Un psychiatre ? Un psychologue ? Un psychothérapeute ? Un psychanalyste ?
Mais savons-nous bien qui est qui et à quoi sert chacun ?
Le psychiatre est un médecin, qui a effectué des études de médecine complète. Il est spécialiste de la santé mentale, et seul praticien habilité à effectuer un diagnostic médical et à proposer une prise en charge médicale et médicamenteuse.
Le psychologue : le titre de psychologue est un titre protégé par l’article 44 de la loi n°85-772 du 25 juillet 1985, et qui depuis le décret n°2005-97 du 3 février 2005 est utilisé uniquement par des personnes titulaires d’un Master 2 de psychologie, ou d’un diplôme d’études supérieures en psychologie.
Il existe plusieurs branches dans la psychologie dont la psychologie clinique et la psychologie du travail.
La psychologie clinique a pour but de s’intéresser aux difficultés, aux souffrances, et aux conflits de chaque sujet, et la manière dont il parvient à vivre avec, à son histoire. Le psychologue tente d’accompagner chaque personne afin de l’aider à faire face de la meilleure manière possible aux différents événements de vie douloureux qu’elle traverse, de soutenir et d’apaiser.
La psychologie du travail est davantage centrée sur les conduites humaines au sein de l’entreprise, et s’intéresse au couple personne-travail au sein de son environnement de travail.
Le psychothérapeute : il peut être psychologue, mais aussi psychiatre, médecin, ou professionnel certifié par des organismes agréés, justifiant avoir validé une formation universitaire de 400 heures en psychologie clinique et de 5 mois de stage professionnel dans une structure privée ou publique agréée. Ce titre est protégé en France par le décret du 7 Mai 2012.
La psychothérapie pourrait se définir comme la boîte à outils du soignant en santé mentale. Au sein d’une relation d’aide entre le patient et le soignant, le psychothérapeute est formé à une ou plusieurs méthodes de soins, qu’il propose à son patient afin de l’accompagner vers un mieux-être. Il existe de nombreuses psychothérapies différentes qui correspondent aux différents courants de la psychologie. Certaines d’entre elles sont décrites dans notre rubrique “Dossier”.
Parmi les professionnels de la santé mentale, le plus connu du grand public est souvent le psychanalyste. C’est un thérapeute qui pratique la psychanalyse, qui est un des courants de pensée de la psychologie. Elle se fonde sur l’étude des phénomènes inconscients. La psychanalyse comprend deux acceptions :
Le titre de psychanalyste n’est pas un titre protégé. Les pré-requis essentiels pour obtenir ce titre sont d’avoir soi-même fait une cure psychanalytique (allongé sur le divan) et d’avoir suivi une formation dans le cadre d’une association psychanalytique.
Bon à savoir : Il est possible de cumuler plusieurs casquettes. Ainsi un psychiatre peut être psychothérapeute. Un psychanalyste peut aussi être psychologue. Il est donc intéressant de se renseigner pour savoir si le praticien que nous allons voir est formé à la psychothérapie, par exemple.
En outre, il est bon de préciser que depuis quelques années maintenant, tous les étudiants de l’Ecole de Psychologues Praticiens ont le double diplôme de psychologue et de psychothérapeute, grâce aux nombreux stages effectués durant leur cursus, et aux différents cours de psychopathologie qu’ils ont l’opportunité de suivre.
Claire Raynaud de Lage
Sources :
Agence Régionale de Santé. Usage du titre de psychothérapeute.
Légifrance. Usage du titre de psychologue.
par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-01-14
Alice a fait de brillantes études,
elle est douée et n’a eu aucun mal à trouver le poste qu’elle souhaitait. Ses
premières expériences en entreprise sont de véritables succès même si elle ne
le reconnaitra jamais. Elle travaille beaucoup, s’investit et… ça marche :
son manager vient de lui parler d’une mission complexe dont elle serait le chef de projet pour le mois de janvier.
Mais Alice ne lui fournit qu’une réponse évasive et fuyante. Elle est persuadée que son patron la surestime. Malgré les bons retours sur son travail, elle n’a pas, selon elle, les compétences suffisantes pour une telle tâche. C’est à Michel, son collègue, qu’il aurait dû proposer…
Quelques jours plus tard, Alice vient consulter un psychologue qui lui a été recommandé. Le thérapeute découvre une jeune femme rongée par l’angoisse. La proposition qui lui a été faite la terrorise. Selon elle, cela ne fait aucun doute, l’image de la salariée sérieuse et brillante qu’elle renvoie n’a rien à voir avec ce qu’elle est vraiment : elle s’estime nulle et moins douée que ses collègues. Pour en arriver là, elle a eu de la chance, c’est tout.
“Trois critères qui permettent de l’identifier : l’incapacité de s’attribuer une réussite, l’impression d’être surestimé et la peur d’être démasqué”
Pourtant, quand le psychologue renvoie Alice à son expérience, elle est bien incapable de vous donner des exemples d’échecs ou de faits qui pourraient rendre rationnel ce sentiment. Tout laisse à penser qu’Alice mérite son succès et qu’elle est à la hauteur.
C’est en 1978, que deux chercheurs américains parlent du « syndrome de l’imposteur » pour la première fois et mettent en avant trois critères qui permettent de l’identifier : l’incapacité de s’attribuer une réussite, l’impression d’être surestimé et la peur d’être démasqué.
Ces symptômes, quand ils sont éphémères, sont assez courants, 62% à 70% de la population aurait douté "ne serait-ce qu’une fois de la légitimité de leur statut" selon les données avancées par Chassangre en 2016 (1). Ce sentiment peut d’ailleurs s’exprimer seul et de manière isolée dans un fonctionnement psychique sain et pas uniquement dans le milieu professionnel. Pauline Rosa Clance, experte du sujet, préférera parler d’ailleurs « d’expérience de l’imposteur ».
Au-delà de la question sémantique, ce trouble, même s’il a tendance à diminuer avec l’âge (2) peut persister chez certaines personnes engendrant une grande souffrance psychologique.
Les comportements que va mettre en place la jeune femme pour faire face à son illégitimité supposée peuvent être de deux types :
Soit elle se prépare de manière excessive pour réussir à tenir la mission quitte à mettre en péril sa santé; soit elle procrastine concernant les tâches qu’elle doit accomplir.
Dans les deux cas, si elle réussit elle aura tendance à attribuer son succès à des causes extérieures : « en travaillant autant, qui n’aurait pas réussi ?», « j’étais au bon endroit au bon moment ». Ce processus est l’attribution causale d’une réussite qui est généralement externe et instable chez les prétendus imposteurs. (3)
Ce qu’il faut retenir, c’est l’irrationalité de la croyance d’Alice qui conditionne l’ensemble de ses comportements. A terme, elle pourrait avoir tendance à :
- se fixer des objectifs moindres pour s’assurer de ne pas échouer : refuser cette mission par peur de l’échec par exemple ;
- éviter toute situation susceptible de la mettre en avant par l’avenir ;
La crainte d’Alice est d’être humiliée si elle échoue. (4)
La faible estime d’Alice pour sa propre personne est le résultat d’une évaluation dysfonctionnelle d’elle-même qui entraîne des états dépressifs et anxieux communs à la plupart des personnes souffrant du syndrome de l’imposteur. (5)
Fort de ce constat, un accompagnement psychothérapeutique pourrait amener Alice vers une acceptation inconditionnelle d’elle-même qui l’aiderait à considérer sa personne avec ses failles et ses points forts.
La réattribution causale de ses réussites peut se travailler grâce à un outil très simple (6) :
Si vous souhaitez vous évaluer : le Clance impostor phenomenon scale (CIPS) est une échelle validée scientifiquement (en anglais et en français) composé de 20 items et accessible facilement sur internet. Elle mesure les manifestations qui peuvent être induites par ce syndrome. Les réponses sont graduées de 1 (pas du tout) à 5 (tout le temps). Plus le résultat est élevé, plus vous faites vraisemblablement l’expérience du syndrome.
Pauline d'Heucqueville
(1) Kévin Chassangre. La modestie pathologique pour une meilleure compréhension du syndrome de l’imposteur. Psychologie. Université Toulouse le Mirail-Toulouse II 2016. Français.
(3) Clance, P. R. (1985). The Impostor Phenomenon : Overcoming the fear that haunts your success. Atlanta, GA: Peachtree. Cité par Chassangre 2016