par Arthur Durif Meunier, Psychologue clinicien
le 2020-10-27
En cette période hors du commun, quelques-uns d’entre nous ont effectivement pu trouver en l’humour un moyen de s’aérer l’esprit, de s’évader en échappant brièvement à la réalité dans laquelle nous nous trouvions. Mieux encore, ce mécanisme nous offre la possibilité de partager cette escapade avec ceux qui nous entourent et à un prix bien moins élevé que celui de nos compagnies aériennes.
Sur le papier, l’efficacité de l’humour semble imbattable : il rayonne sur soi comme sur les autres, il peut être utilisé dans un grand nombre de situations et ne nécessite d’aucun matériel particulier. Pourtant, telle la poudre noire, son usage peut participer à l’embellissement de nos vies comme à l’assombrissement de notre existence.
Du feu d’artifice à la poudre à canon, l’humour dispose d’un fabuleux pouvoir tantôt protecteur et tantôt destructeur.
Je vous propose, dans un premier temps, de commencer par un bref résumé des bienfaits et des méfaits de l’humour. Nous aborderons par la suite le rôle qu’il peut jouer pour notre survie en agissant sur notre rapport à la réalité et au sens que nous lui accordons.
« La faculté de rire aux éclats est preuve d'une âme excellente » Jean Cocteau
Sur le plan physiologique, le rire aurait une quantité d’effets bénéfiques ; Fry en décrit un certain nombre. Le rire agirait sur le système musculo-squelettique en contractant par exemple les muscles du visage ou ceux de la ceinture abdominale. Il aurait un impact sur le système cardio-vasculaire. Lyttle comparera même les bénéfices du rire à ceux d’un jogging. Selon Fry le rire stimulerait aussi le système endocrinien, le fonctionnement immunitaire et le système nerveux. Plus difficile à mettre en évidence, de nombreux bienfaits physiologiques occasionnés par l’humour découlent de la réduction du stress que l’on sait aujourd’hui responsable d’une grande quantité de maladies.
Sur le plan psychologique, plusieurs auteurs (Martin, Kuiper, Olinger et Dance) considèrent l’humour comme une stratégie de coping, une stratégie d’adaptation contre le stress. En psychologie positive (Peterson et Seligman), il est d’ailleurs considéré comme l’une des forces qui transcendent la réalité quotidienne. Mais l’humour a aussi sa place dans le référentiel psychanalytique où il fut décrit par Freud comme un mécanisme de défense particulièrement efficace et dont il dira « L’humour, lui, peut être conçu comme la plus haute [...] réalisation de défense » (Freud). Il est en effet le moyen d’extérioriser une problématique dans une forme socialement acceptable et de la rendre agréable à son public. Nous conclurons la partie des bienfaits psychologiques de l’humour sur son lien avec la résilience. En effet, Cyrulnik le considère comme « […] un des plus précieux facteurs de résilience : l’humour ». Il est, selon l’auteur, le moyen de dépasser certains évènements difficiles voire traumatiques, en leur proposant une autre interprétation, une interprétation qui prête à rire.
Passons maintenant aux bénéfices sociaux. L’humour serait selon Guibert, Paquerot et Roques un facteur puissant de cohésion sociale, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement il facilite la communication en renforçant l’interaction et en améliorant la compréhension mutuelle d’un groupe. Deuxièmement il traduit une attention particulière à autrui, ce qui développerait la confiance et faciliterait la création d’un réseau social. Pour Bottega l’humour permet de jouer avec les représentations et ainsi de proposer un autre point de vue, une autre façon de concevoir la même réalité.
Abordons maintenant les bienfaits cognitifs apportés par l’humour. D’après la théorie Jungienne, l’humour peut constituer une source d’énergie. En effet son aspect social ainsi que le plaisir occasionné par son usage permettent de lutter contre l’épuisement professionnel. L’un des meilleurs exemples, est l’humour parfois décalé que l’on entend dans des milieux professionnels difficiles comme celui du secteur médical. De nombreuses recherches comme celle de Rambaud tendent à montrer que son usage dans les milieux hospitaliers est un mécanisme de défense qui sert à protéger les équipes de la souffrance à laquelle elles sont exposées. Il permet d’après Lyttle de court-circuiter les modèles de pensée fermés et improductifs, ce qui conduirait d’après Isen, Daubman et Nowicki à des méthodes de résolution de problèmes créatives et innovantes.
« Tout ce qui permet de guérir, peut également être utilisé à mauvais escient » Platon.
Les méfaits de l’humour vont du simple quiproquo aux manipulations perverses et malveillantes. Le meilleur moyen de différencier la simple maladresse de la volonté de nuire consiste à s’intéresser à la question de l’intentionnalité. Si le droit parle d’homicide involontaire ou volontaire pour définir l’intention qui se cache derrière un acte, Freud parle au sujet de l’humour de contenus « innocents » et « tendancieux ». Ce n’est pas parce que l’intention n’est pas mauvaise en soi que l’humour ne peut pas blesser. Même le plus petit malentendu, par manque de tact, de délicatesse ou par naïveté, une fois dit, ne peut être retiré. Mais le plus grand danger que peut représenter l’humour réside dans sa forme « hostile », selon Freud, qui consiste à « exploiter le ridicule » pour discréditer et rabaisser un individu.
Rien ne semble mieux représenter le pouvoir salvateur de l’humour que la citation suivante :
« If I had no sense of humor, I would long ago have committed suicide » Mahatma Gandhi
(Si je n’avais pas le sens de l’humour, je me serais suicidé depuis longtemps)
Nous avons vu précédemment que l’humour est un excellent mécanisme de défense, il est aussi un excellent facteur de résilience ; mais concrètement, comment agit-il, quel est son mécanisme permettant de préserver la santé mentale d’un individu ? Pour trouver un élément de réponse, je vous propose de nous pencher sur l’ambiguïté que suggère l’humour. Pour reprendre les écrits de Freud à ce sujet, l’humour est constitué d’un contenu manifeste (explicite) et un contenu latent (implicite). C’est la superposition de ces deux sens qui permet de créer l'ambiguïté. Prenons un exemple tout simple :
Mon collègue me demande comment je trouve sa nouvelle chemise, ce à quoi je lui réponds « Oui, oui, oui, elle est très belle. Probablement l’une des plus belles que tu n’as jamais portée ». Nul doute que pour certains d’entre vous, cette réponse passe pour de l’ironie, mais elle induit chez d’autre le doute. Suis-je alors parfaitement franc (contenu manifeste), ou purement ironique (contenu latent) ?
Explorons encore un peu plus le pouvoir qu’a l’humour dans sa capacité à créer l’alternative, car c’est là qu’en réside la clef de voûte. L’humour semble avoir ce pouvoir créateur, pouvoir qui en dépit des normes sociales, métaphysiques, voire même éthiques, peut proposer une compréhension, une interprétation alternative à la réalité rencontrée. Un existentialiste qui passerait par là évoquerait très certainement la capacité de l’humour à créer du sens et nous savons pertinemment ce à quoi mène l’absence de sens :
Que ce soit au travail dans ces “bullshit jobs” menant au burn-out.
Ou bien lors d’un traumatisme quand le sens des faits se révèle si insoutenable pour l’esprit qu’il mène au déni.
Quand la frustration de subir une situation non choisie et sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir mène au désespoir ou à la dépression.
Alors oui, l’humour avec sa capacité à créer un sens, même fantasmé ou illusoire, peut servir de parade à une situation dénuée de toute logique, de toute explication rationnelle ou simplement insupportable.
Il y a cependant un deuxième mécanisme qui se met en place à la suite de cette création de sens : l’apparition d’un choix.L’humour semble alors incarner l’une des armes dont nous disposons pour faire face à la fatalité de la vie en nous donnant le choix d’en changer le sens. Je vous propose ici un exemple permettant d’illustrer mon propos :
Lors d’un groupe d’analyse de pratique post-confinement, je rappelle en début de séance la nécessité de porter le masque, ce à quoi l’une des participante répond : « Ça y est, ça repart en bal masqué ! ». Nous avons tous expérimenté le déplaisir qu’occasionne le port du masque, mais par une habile pirouette elle sut changer la représentation que nous nous faisions de cette directive. Je vous rassure tout de suite, nous ne nous sommes pas mis à faire la danse des canards pour autant. Mais l’espace d’un instant, elle a su nous proposer un voyage en pleine renaissance italienne.
Partant d’un non choix, d’une situation subie sur laquelle nous n’avions aucun pouvoir (le port du masque), ce trait d’humour a su créer un choix alternatif, nous accordant de ce fait la possibilité de ne plus subir en faisant un choix. Si pour de nombreuses raisons nous avons collectivement retenu le choix le plus réaliste à savoir celui de se remettre au travail, cette décision nous appartenait !
Si l’humour dispose de fabuleux pouvoirs, comme ceux de créer du sens en s’exemptant de toutes règles rationnelles ou d’introduire la notion de choix face à des situations semblant sans issue, il incarne aussi l’outil parfait pour fuir. Quand l’humour est au service du désengagement, de la déresponsabilisation, quand il est utilisé pour fuir la réalité, la dégrader ou bien la cacher, son usage devient profondément toxique. Il existe un certain nombre d’indicateurs permettant d’identifier ce type d’usage. D’abord sa fréquence : une utilisation systématique de l’humour peut traduire une forme de rigidité dans la manière d’appréhender certaines situations. Puis son intensité, un humour trop lourd, trop artificiel voire disproportionné peut révéler un malaise face la situation rencontrée. Enfin, il est souhaitable de prendre en compte les formes de cet humour, car certaines d’entre elles comme la dérision, le sarcasme ou l’ironie peuvent s’avérer nocives tant pour l’auteur que pour son entourage.
Pour conclure sur le rôle que peut jouer l’humour dans la survie d’un individu, nous pouvons retenir les choses suivantes. D’abord les bienfaits de l’humour rayonnent aussi bien sur la santé psychique que physique. Ensuite, il agit directement sur l’appropriation d’une situation ou d’un évènement en y proposant dans un premier temps un autre sens, puis en créant un choix. Enfin, si l’humour a pour effet de soulager les individus se trouvant face à une situation désagréable ou subie (soit par manque de sens, soit par manque de choix), il peut le faire de deux manières :
Soit par un processus sain permettant l’acceptation puis le dépassement de la situation.
Soit par un processus toxique menant au déni, à la fuite ou à l’évitement.
Pour plus d’informations sur les bienfaits et méfaits de l’humour je vous invite à consulter des études comme « Etude exploratoire sur les usages de l’humour en milieu professionnel » (Durif Meunier 2019) ou d’autres méta-analyses du même type.
Arthur Durif Meunier
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Sources :
Bottega, C. (2008). L'humour est-il un outil de management ?. Humanisme et Entreprise, 288(3), 21-34. doi:10.3917/hume.288.0021.
Cyrulnik, B. (2001). Les Villains Petits Canards. Paris : Odile Jacob
Durif Meunier, A. (2019). Etude exploratoire sur les usages de l’humour en milieu professionnel. (Mémoire mention très bien, école de psychologues praticiens, Paris).
Freud, S., (1992). Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient. Paris: Gallimard
Fry, W. F. (1994). The biology of humor. Humor: International Journal of Humor Research, 7(2), 111-126. Repéré à : http://dx.doi.org/10.1515/humr.1994.7.2.111
Guibert, N., Paquerot, M., & Roques, O., (2002) L’humour en management : un essai de structuration du domaine, Congrès des IAE, Paris
Isen, A.M., Daubman, K.A., & Nowicki, G.P. (1987), Positive affect facilitates creative problem saving, Journal of personality and social psychology, vol.52, p.1122-1131
Jung, C.G., (1991) Les types psychologiques, 7ème édition, Genève : Georg Ed.
Lyttle, J. (2007). The judicious use and management of humor in the workplace. Business Horizons, 50 (3), 239-245. Repéré à: https://doi.org/10.1016/j.bushor.2006.11.001
Martin, R. A., Kuiper, N. A., Olinger, L. J., & Dance, K. A (1993). Humor, coping with stress, self-concept, and psychological well-being. Humor: international Journal of Humor Research, 6, 89-104.
Peterson, C., & Seligman, M. E. P. (2004). Character strengths and virtues: A handbook and classification. Oxford, England: Oxford University Press.
Rambaud, A. C. (2016). L’humour aux frontières de la vie et de la mort. (Mémoire mention très bien, École de psychologues praticiens, Paris) Repéré à : http://www.psycho-prat.fr/e/bibliotheque?w[bibliotheque_l][where]=#form_bibliotheque_l