Prendre la décision d’aller consulter le psychologue ne va pas toujours de soi.
A quel moment le décider? Est-ce que cela va être « utile » de parler à un étranger? Est-ce que j’en ai vraiment besoin? A quoi bon parler des choses qu’on ne peut pas changer? Comment est-ce que cela va se passer? En quoi parler va-t-il me soigner? Combien de temps cela va-t-il durer?
Voici quelques-unes des questions légitimes et récurrentes qui interrogent, parfois, ceux et celles que cette idée traverse.
Souvent - et sans doute pour une majorité de personnes - consulter s’accompagne de peurs, de craintes, d’appréhensions, de doutes, d’anxiété. Ces émotions freinent voire empêchent de prendre rendez-vous ou bien d’aller jusqu’à pousser la porte du cabinet du psychologue. Si ces questions attendent bien sûr des réponses, le déferlement de questions avant un premier rendez-vous traduit, d’abord et avant tout, l’appréhension face à une situation inconnue, inédite. La grande clinicienne qu’était Françoise Dolto a fait inscrire en épitaphe sur sa tombe l’injonction « N’ayez pas peur ! », sans doute le fruit de sa longue expérience.
Si la question « Est-ce que j’ai besoin d’aller consulter un psychologue ? » a pu se former en vous ou si quelqu’un vous l’a conseillé et que vous y repensez, c’est que cette idée résonne. L’intuition est déjà là. On se demande si l’on doit ou non la suivre.
Il est vrai que dans nos sociétés occidentales actuelles prime la pensée spéculative, la pensée logique et rationnelle sur une pensée plus intuitive, créative et associative. C’est l’erreur de Descartes (1) qui, dans une vision dualiste, en a séparé le corps et l’esprit. Sa célèbre phrase « Je pense donc je suis » néglige la question des affects. Pourtant « la dimension humaine est d’abord et avant tout corporelle" (2). Les émotions ont toujours à voir avec le corps.
« Je ressens donc je vis » ne pourrait-il pas aujourd’hui être substitué à la phrase du philosophe?
Ressentir, se mettre à l’écoute de ses sens… pas si simple lorsque la souffrance est présente. C’est généralement ce qui amène une personne chez le psychologue : alléger ce qui pèse dans sa vie, permettre que cesse la douleur, éclaircir ce qui est obscur.
Pour trouver cette nouvelle place confortable dans sa vie on entend souvent en cabinet libéral « Pour que « ça » change, il faut que je comprenne ». Il existe une croyance tenace que comprendre rime avec solution. L’implacable logique cartésienne « si je comprends ce qui se passe en moi, cela va aller mieux » n’est pas toujours tout à fait exacte en ce qui concerne le processus de changement en psychothérapie. Combien ont déjà analysé ce qui se passe pour eux, fait des liens avec leur histoire ou leur vécu sans que cela ne modifie grand-chose ? Et si comprendre suffisait pour soigner, alors on pourrait se contenter de vendre des livres et des manuels explicatifs ; les thérapeutes en tous genres mettraient alors la clef sous la porte ! Ce serait surtout omettre la place du corps et des émotions en psychologie (3).
S’il ne suffit pas seulement de comprendre, il ne s’agit pas non plus d’envisager cet espace pour uniquement déverser un mal-être ou encore se complaire dans une sempiternelle plainte (4) dont on connaît les effets pervers d’enfermement.
Au-delà des mots prononcés et échangés, chez le psychologue clinicien, une attention particulière est portée à l’écoute du corps qui exprime et ressent, aux mots chargés d’affects. (5)
Prendre rendez-vous avec le psychologue demande de porter attention à ces ressentis douloureux, ce qui suppose d’avoir préalablement reconnu que « ça ne va pas » et que « ça pourrait être différent ». (Le « ça » chez Freud est une instance inconsciente, le siège des pulsions, des envies, réservoir premier de l’énergie psychique).
Cette rencontre avec son mal-être peut constituer un frein à la consultation.
Consulter est donc déjà, en soi, un acte qui engage la personne physiquement et émotionnellement.
Il est question par cette prise de rendez-vous de reconnaître qu’on ne se sent pas bien, de donner une place à cette partie en soi qui souffre, d’asseoir un désir que quelque chose change, se modifie, se transforme, sans savoir tout à fait comment s’y prendre. La présence et l’écoute d’un professionnel de santé accompagnent ce mouvement avec une distance qu’il n’est généralement pas facile d’avoir sur soi-même.
Le rendez-vous pris est donc déjà la concrétisation d’une intuition que ce qui est vécu pourrait l’être d’une autre manière peut-être plus légèrement, plus simplement, plus tranquillement. Il inscrit un premier mouvement vers autre chose. Autre chose, c’est ce qui pose difficulté à nos esprits rationnels qui voudraient déjà savoir comment cela va se passer, est-ce que cela va bien se passer, savoir ce qui va être vécu avant de l’avoir vécu. Ces questions normales et fréquentes, témoignent de notre peur devant l’inconnu (ce que je vais ressentir, quel sera le chemin à prendre, etc…). Lors de la séance, on se livre au départ à un inconnu (le psychologue), à l’inconnu (le processus de changement), à sa part d’inconnu (ce que l’on ne connaît pas encore de soi). On y évoque ce qui est confidentiel et qui relève de l’intimité de la vie personnelle.
Rencontrer le psychologue demande d’une part, d’accepter cette part d’inconnu, d’autre part de faire confiance à l’autre à qui l’on choisit de s’adresser et que l’on ne connaît pas. C’est-à-dire faire confiance à l’accompagnement qu’il peut apporter et à notre faculté de nous en saisir pour en bénéficier.
Christophe Colomb, aventurier voyageur, qui découvrit l’Amérique alors qu’il croyait se trouver en Inde, nous a laissé cette phrase qui pourrait bien s’appliquer au voyage intérieur réalisé au cours d’une psychothérapie.:
« On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l’on va. »
Ainsi, celui qui consulte a déjà commencé l’aventure vers un ailleurs : Pourra-t-il la poursuivre ? À quel rythme ? Pour quelle durée ? Avec quels obstacles, quelles étapes sur son chemin? C’est la question de l’engagement et de l’implication personnelle plus ou moins forte dans ce type de démarche qui se manifestera au travers d’une relation (6) qui a toute son importance. En effet, quelles que soient les approches thérapeutiques (plus ou moins conscientes), quels que soient les « outils » thérapeutiques proposés, la dynamique du changement est d’abord portée par le sujet qui vient consulter.
Le psychologue clinicien vient accompagner une personne pour l’aider à traduire ce qu’il vit et à le traverser. Il ne suffit pas de savoir qu’il faut aller sur une autre berge, encore faut-il traverser le ruisseau, le torrent, le fleuve -plus ou moins agité- qui nous en sépare.
Le psychologue est celui qui tend la main pour passer de l’autre côté. Encore faut-il avoir envie d’y aller, de saisir la main du psychologue. De lui faire confiance. D’en sentir toute la présence, la bienveillance et la solidité. Quand et comment allez-vous saisir cette main ? C’est à vous d’en décider. La santé est aussi un choix :
« Le bonheur ne nous est pas donné, ni le malheur imposé. Nous sommes à chaque instant à une croisée des chemins, et il nous appartient de choisir la direction à prendre » dit Matthieu Ricard.
Consulter un psychologue est, vous l’aurez compris, sans doute moins un lieu de compréhension -même si en soi il est toujours confortable et rassurant de comprendre pour les êtres rationnels que nous sommes-, qu’un espace pour vivre une expérience relationnelle et affective, source de changement.
Alors, si cette question de consulter un psychologue vous trotte encore tête, tentez l’expérience en découvrant une nouvelle place !
Astrid ROUSTANG-JEGLOT