Aujourd’hui je vois un petit
garçon de 5 ans.
La maman m’a demandé un rendez-vous car les nuits deviennent
insupportables. Elle et le papa sont à bout, ils n’en peuvent plus.
Elle me dit
avoir tout testé. « On a essayé d’être fermes, de le punir, de le
rassurer, le co-endormissement où on reste avec lui jusqu’à ce qu’il s’endorme.
Rien ne marche. Éventuellement, il va s’endormir dans son lit mais deux heures
après il pleure, il vient nous rejoindre. Si on l’en empêche, il se couche
devant la porte de notre chambre». Les parents, inquiets de ce que le manque de
sommeil fera du lendemain, finissent souvent par accepter qu’il vienne les
rejoindre et dorme avec eux. Jusqu’au moment où, trop à l’étroit à trois, l’un
des deux parents va finir la nuit dans le lit de l’enfant pour essayer d’avoir
au moins deux bonnes heures de sommeil avant d’attaquer la journée.
Les difficultés d’endormissement,
cauchemars, réveils nocturnes, terreurs nocturnes sont parmi les raisons
récurrentes de consultation. Dans le cabinet où je reçois des enfants à partir
de 2 ans, la question du sommeil de
l’enfant - si elle n’est pas la raison même de la demande d’aide - est toujours
évoquée. C’est une question qui ponctue nos vies dès le plus jeune âge quand on
demande si le nourrisson fait ses nuits ; jusqu’à l’âge adulte où le
« As-tu bien dormi ? » est aussi commun dans les échanges
quotidiens que le « As-tu passé une bonne journée ? ». Nous
avons tellement conscience que le sommeil est une nécessité, que s’enquérir de
la nuit de l’autre est aujourd’hui une politesse. Une façon de montrer à
l’autre que nous lui portons de l’attention.
Les besoins vitaux sont tous des
alarmes qui résonnent jusqu’au cabinet de psychologie. Les troubles alimentaires chez l’enfant en font bien sûr partie.
Moins récurrents, car nous avons une variété en terme d’offre alimentaire qui
laisse la possibilité de trouver, souvent, au moins un repas que l’enfant
accepte quand il refuse tout le reste. Cependant un enfant qui mange moins ou
moins varié est un enfant qui devient « difficile » avec la
nourriture.
Quand je demande à l’enfant s’il
sait ce qu’est mon métier, souvent il n’en a pas une idée claire. La réponse la
plus simple que j’ai trouvée c’est de lui dire qu’il vient me voir pour que
j’essaie de l’aider. Pour que ce qui est compliqué pour lui devienne plus
simple.
L’enfant avant l’adolescence n’a pas encore acquis la capacité
d’analyse et de synthèse qui lui permet d’expliquer ce qui est compliqué pour
lui. Il n’a par contre aucun mal à admettre que c’est compliqué et qu’il
aimerait être aidé.
En tant que psychologue
j’interviens quand l’enfant devient difficile ; avec la nourriture, au
moment du coucher, dans les interactions avec les parents, à l’école. « Il
est difficile, elle est dure ». Les rapports se tendent. Les parents
multiplient les tentatives de solution et arrivent souvent démunis devant nous.
Nous voyons les enfants quand les parents inquiets ne savent plus quoi mettre en
place.
Au-delà des besoins vitaux, la question de l’école reste un des
premiers motifs de consultation. Il serait difficile de donner une définition
claire et concise de ce que sont les difficultés scolaires. Par contre, nous
avons une idée plutôt bien définie de ce qu’est la réussite scolaire. Un enfant
qui réussit à l’école est un enfant qui a de bons résultats, un bon
comportement et des copains avec qui jouer. Vous enlevez n’importe lequel de
ces éléments dans toutes ses déclinaisons possibles et cela génère de la
tension. Pour l’enfant, pour les parents qui s’inquiètent, pour l’enseignant
qui ne sait plus comment transmettre. « L’inadéquation scolaire » est
aujourd’hui un des générateurs d’angoisse les plus actifs. Quand le lieu de la
future réussite et survie sociale de nos enfants vient nous dire qu’il y a un
problème, l’inquiétude est immédiate. Tous les adultes ont conscience qu’un
échec scolaire handicape lourdement. Inquiétude pour un avenir professionnel
encore lointain, incertain qui effraie déjà par son caractère inconnu, mais pas
uniquement. L’actualité même de l’enfant inquiète. Le décrochage scolaire, le
retard dans les apprentissages qui est si difficilement rattrapable. Cette
phrase qui trop répétée alarme : « Je veux pas aller à l’école ».
De loin en loin elle est entendue comme un signe de bonne santé. Après tout,
avoir envie de temps, de liberté, de jeux, c’est merveilleusement sain pour un
enfant. Pour un adulte aussi. Mais quand l’expression d’une frustration saine
devient un refus ; quand ce qui est actuellement reconnu comme le passage
unique et obligatoire vers le minimum de connaissances nécessaires pour
survivre est obstrué, c’est le gyrophare qui s’allume.
Aujourd’hui, nous parlons de comportement de l’enfant comme d’une
jauge de bonne adaptation. Nous oublions souvent de l’entendre comme une
manifestation directe de son état intérieur.
Un enfant qui ne se comporte pas
comme l’adulte le lui demande n’est pas un enfant qui a de mauvaises
intentions. C’est un enfant qui ne va pas bien.
Un enfant va, en toutes
circonstances, d’abord tenter de satisfaire la demande de l’adulte qu’il aime.
Ce que nous qualifions d’opposition ne démarre pas comme un combat dans un ring
de boxe. L’enfant cherche son plaisir et son bien-être et va tenter de changer
les limites pour l’obtenir. Il ne cherche pas à les ignorer ou les éliminer. Au
contraire, elles sont le cadre qui sécurise. Simplement si elles l’empêchent de
se sentir bien, il tentera de les adapter. Si malgré un refus répété il
persiste, alors c’est le signe qu’il ne peut pas tolérer la situation telle
qu’elle est. Il y a quelque chose qui le dérange trop. Qu’il manque d’attention
au point de chercher la réprimande plutôt que de se sentir seul ; qu’il
manque de confiance en ses capacités au point de mettre en échec tout ce qui
est entrepris plutôt que d’essayer ; dans ces situations, l’enfant vient
par son comportement dire sa détresse.
Combien de fois nous nous
apercevons nous adultes, que nous nous sommes mal compris dans nos mots. Et
nous parlons là du domaine du verbal. Domaine codifié pour permettre une
compréhension mutuelle sur une base commune. Le non verbal est infiniment plus
complexe. Le comportement d’un enfant sera interprété par l’adulte selon sa
connaissance de l’enfant, son cadre de référence. Il sera influencé par ses
attentes, perçu différemment en fonction de la fatigue de l’observateur. Si en
plus l’enfant ne peut exprimer avec des mots ce qui le pousse à agir ainsi, se
comprendre devient un jeu d’équilibriste.
Alors nous intervenons. Pour
poser les questions qui vont permettre de mettre en mots une situation dans
laquelle les parents sont tellement impliqués qu’ils n’en voient plus les
contours. Nous sommes des archéologues de l’explication, des révélateurs de
liens qui sont invisibles pour ceux qui sont pris dans la toile.
Parce qu’un enfant pour éviter de
blesser ou de ne pas faire plaisir va se contorsionner comme seule le permet
leur souplesse de petit être encore en devenir.
Une petite fille prise dans un conflit de loyauté depuis la séparation a décidé, ne sachant plus
comment faire plaisir à deux parents qui décidément n’étaient plus d’accord sur
rien, de ne plus rien dire ou faire à l’école. Parce que l’école est le lieu
neutre où il ne s’agit ni de papa ni de maman mais d’elle. C’est le lieu où
elle ne blessera ni l’un ni l’autre donc c’est le lieu où elle exprime son
désarroi. Le positif c’est que ses deux parents sont enfin d’accord pour dire
que ça ne va pas. Le négatif c’est qu’ils sont d’accord pour la gronder. Ne
sachant plus comment sortir de l’ornière elle y reste et la creuse. Les parents
se sentant déjà coupables de n’avoir pas réussi à sauver l’unité familiale,
portant le poids du quotidien en parent célibataire, ne comprennent pas qu’elle
ne fasse plus aucun effort à l’école. Elle qui réussissait si bien, elle qui a
pourtant toutes les capacités nécessaires. Chargés de la peur pour l’avenir
scolaire de leur fille, la fatigue de la journée et le doute coupable d’avoir,
par la séparation, bousculé l’équilibre de leur enfant, ils s’énervent. Puis
ils s’en veulent de s’être énervés. Alors il faut démêler les fils. Aller
donner une couleur et des mots au ressenti de chacun. Leur permettre de
s’écouter eux-mêmes d’abord, puis d’entendre l’autre.
L’énurésie, l’encoprésie, la dyslexie, l’hyperactivité, les difficultés liées à la précocité,
sont autant de troubles qui au-delà de leurs origines, qu’elles soient
physiologique, génétique, développementale, psychologique, tissent une toile
serrée et complexe de peurs, d’espoirs, de déceptions. Ajoutons à cela la
frustration du parent impuissant qui ne sait plus comment aider son enfant.
Autant de nœuds sur une corde qui rétrécit jusqu’à ne plus laisser aucune
souplesse dans un quotidien déjà surchargé entre la préparation du matin, les
trajets, le travail, les devoirs, la douche, le dîner, le temps de jeu
nécessaire, les dents et le coucher (enfin).
Aller voir un psychologue, c’est
déposer son paquet de nœuds dans un espace où le professionnel, lui bien
extérieur à la pelote, va tirer des fils, refaire les chemins des
entrelacements, expliquer les boucles pour recréer de la souplesse.
Consulter un psychologue n’est
pas affaire de folie ou de troubles graves. Il s’agit des torsions du
quotidien, des pliures et des courbatures qui entravent et épuisent. Les
demandes varient comme autant de motifs d’une même trame. La question de soi,
de l’autre, et du respect est au cœur de notre travail. Comment faire de chaque
groupe social, de la famille à la classe, de l’équipe de foot au groupe
éphémère d’un dîner entre amis, un espace harmonieux de vivre ensemble dans
lequel chacun s’épanouit.
Roseline Bailly
Son profil sur weppsy
Des pistes pour
approfondir :
Alvarez, C. (2016). Les lois
naturelles de l’enfant. Paris : Les Arènes.
Dolto, F. (1974). Le cas
Dominique. Paris : Points.
Doukhan-Zyngierman, D. (2004). Une
psy dans une cité. Paris : Leduc S.
Winnicott,
D. W. (1975). Jeu et réalité. Paris : Gallimard.