L’épuisement professionnel est-il le nouveau mal du siècle ? “Je suis au bord du burn-out”, l’expression depuis quelques années s’est immiscée dans notre langage courant et on y recourt à tout bout de champ, des unes des journaux aux conversations des dîners mondains. Si l’expression est utilisée à tort et à travers pour désigner des réalités parfois bien différentes, on se pose la question de la nature de ce mal qui ronge nos sociétés et tout particulièrement le monde du travail.
Crise de sens, signe d’un ras-le-bol face à un monde du travail jugé violent, ou véritable maladie professionnelle, les spécialistes hésitent.
En mai 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé, lors de sa 72ème assemblée, a rappelé que le burn-out était avant tout un phénomène lié au travail dont les conséquences s’étendaient à l’état de santé général des personnes, mais qui ne pouvait figurer en tant que maladie à proprement parler au sein de la classification internationale des maladies.
Mais alors, comment comprendre ce mal qui semble gagner le monde du travail ?
Rappelons tout d’abord que le burn-out, aussi appelé épuisement professionnel, n’est pas un mal, mais un syndrome: “Le burn-out, ou épuisement professionnel est un syndrome conceptualisé comme résultat d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré” (1). Le syndrome d’épuisement professionnel peut alors se définir alors comme le résultat de ce stress chronique qui se manifeste à travers trois dimensions décrites par Christina Maslach (2), psychologue américaine : l’épuisement émotionnel, où le sujet ressent un véritable manque d’énergie psychique et physique, la déshumanisation des relations, c’est-à-dire une attitude de retrait et de détachement du sujet dans ses relations au niveau professionnel qui s’accompagne de cynisme, et enfin un ressenti de diminution de l’accomplissement personnel au travail, où un sentiment de perte d'efficacité s'immisce peu à peu en nous, s'accompagnant d'un sentiment d'échec, de frustration qui le conduit à une dévalorisation de soi au travail.
Les conséquences de ce syndrome sont visibles à tous les niveaux : émotionnel, physique, cognitif, mais aussi dans les relations interpersonnelles. Le syndrome d’épuisement professionnel conduit la personne qui le vit de manière quasi-systématique vers un arrêt de travail allant de quelques jours, quelques semaines, à plusieurs mois. Dans certains cas, le burn-out peut s’accompagner de consommation de substances psychotropes, et peut même parfois mener son sujet jusqu’à un état psychique proche d’un tableau clinique psychiatrique.
Le coût financier du burn-out est non-négligeable pour les entreprises et les systèmes de santé, notamment la sécurité sociale, qui couvrent les arrêts de travail. Mais c’est surtout au niveau psychologique que la note est salée pour les individus qui le vivent : effondrement physique et mental, émergence de pathologies liées, difficultés à se réinsérer professionnellement. Les séquelles se ressentent dans le temps et plusieurs années sont parfois nécessaires pour se remettre.
Mais alors, pourquoi le burn-out n’est pas considéré comme une maladie à proprement parler ? Il semble en fait très difficile de poser un diagnostic clinique précis sur le burn-out, ses causes étant multiples et ses effets assez fluctuants. Un état d’épuisement professionnel se distingue très clairement d’une situation de stress au travail, qui ne s’accompagne pas nécessairement d’une remise en question du sens du travail et n’altère pas toujours la relation des personnes envers leur entourage professionnel. Il se distingue aussi clairement de la fatigue chronique, qui n’a pas pour objet principal le travail, et se déclenche après une période de stress généralisé. Il est aussi très important de bien le distinguer de la dépression qui, quant à elle, dépasse largement le cadre du travail pour s’étendre à tous les aspects de la vie, avec son propre tableau clinique bien précis.
C’est pour cela que l’on parle de syndrome : il existe en effet de signes cliniques et des symptômes divers qui coexistent sans pour autant qu’ils ne donnent naissance à une maladie à proprement parler. Les médecins du travail et les psychologues peuvent eux-mêmes attester de la variété et de la diversité des cas d’épuisement professionnel qu’ils reçoivent dans leurs cabinets, et privilégient souvent une approche multi-factorielle pour en expliquer l’origine.
Alors, de quoi s’agit-il ? Peut-être que le burn-out ne peut s’expliquer qu’en rapport avec le contexte professionnel. Pour Herbert Freudenberger (3), psychiatre américain, le burn-out manifeste le décalage entre les besoins et idéaux d’une personne et la demande extérieure, ce qui entraîne une incapacité du sujet à répondre à cette demande.
Nos sociétés malades entreraient donc en collision avec les fragilités individuelles.
Christina Maslach développe cette théorie dans ces recherches, insistant sur la violence qui règne dans le monde du travail, qui possède en soi de moins en moins de valeur intrinsèque, ce qu’on observe notamment depuis la crise économique de 2008. Le monde du travail, traversé par les difficultés économiques, tend à exiger de plus en plus des personnes tout en les sécurisant moins : les restrictions budgétaires s’accompagnent d’une surcharge de travail, tirant chaque jour un peu plus sur la corde des individus qui ne trouvent plus de sens.
Face à cette pression constante, les personnes mettent en place des stratégies d’adaptation dysfonctionnantes, jusqu’à un point de rupture. Le contexte professionnel agressif entre en collision avec la vulnérabilité des individus. Le burn-out s’installe et l’employé se retrouve contraint de quitter son travail, le temps de se remettre sur pied.
Il demeure donc essentiel de faire la différence entre les implications personnelles des individus en souffrance, et celles liées au type de travail et à l’organisation au sein de laquelle ils évoluent.
Aussi, pour sortir du burn-out, il semble adéquat de se diriger vers une prise en charge individuelle qui prenne aussi en compte le contexte de travail. Maslach insiste en parallèle de cela sur le besoin de "réparer" les entreprises et le monde du travail. Michel Delbrouck (4), médecin et psychothérapeute belge, insiste quant à lui sur la nécessité d’envisager la prise en charge par une approche médico-psycho-sociale dans la thérapie. Il propose aux psychologues d’adopter une posture spécifique entre le coaching et la psychothérapie, le médical et l’organisationnel, intégrant un maximum de facteurs ayant pu mener une personne au burn-out.
Identifier et soigner les souffrances individuelles qui se cachent derrière l’épuisement professionnel, sans pour autant omettre le contexte psycho-social spécifique rempli de stresseurs qui l’a causé pourrait permettre aux individus de reprendre le contrôle de leur vie et de trouver de nouvelles stratégies d’adaptation au service de leur équilibre personnel et d’une vie professionnelle satisfaisante.
En parallèle de ça, un réel réveil du monde de l’entreprise reste nécessaire afin de transformer les systèmes pour éviter qu’ils ne mènent à de telles situations.
Cécile Pichon
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Sources :
(1) : CIM-11, International Classification of disorders, Organisation mondiale de la santé (OMS), 2019
(2) : Burn-out. Le syndrome d'épuisement professionnel, Christina Maslach, avec Michaël P. Leiter, Editions Les Arènes, 2011
(3) : L'épuisement professionnel : la brûlure interne, Herbert Freudenberger, Editions G. Morin, 1987
(4) : Comment traiter le burn-out ? Principes de prise en charge du syndrome d'épuisement professionnel, Michel Delbrouck, avec Pascale Vénara, François Goulet et Roger Ladouceur, Editions de Boeck, 2015