par Laetitia Devalois, Psychologue Clinicienne
le 2020-02-25
Pourquoi utiliserait-on des jeux dans un cabinet de psychologie ? Le psychologue pourrait-il avoir besoin d’autre chose que de fauteuils et d’une table ? Il pourrait même vous proposer des jeux de société accessibles à votre famille ? Qu’est-ce donc que cette histoire !
Le jeu de société a le vent en poupe depuis quelques années : les bars à jeux fleurissent, les ludothèques regorgent de boîtes colorées, YouTube voit émerger des chaînes parlant de jeux de société, de jeux de rôle ; on parlerait même d’une psychologue ayant mis en place un jeu de rôle policier dans un EHPAD.
Pourquoi je vous évoque cela ? Car le jeu de société, en psychothérapie, permet une médiation lorsque l’alliance thérapeutique a du mal à se mettre en place par l’échange verbal. Cet outil va fonctionner comme l’objet transitionnel mis en évidence par Winnicott. C’est un objet qui permet d’aménager le réel lorsque ce dernier peut devenir anxiogène. Winnicott a en effet élaboré cette théorie pour expliquer entre autres l’existence des “doudous”. Au début de sa vie, l’enfant doit être en permanence en lien avec les figures d’attachement (généralement les parents), puis ensuite le doudou permet de supporter leur absence car il symbolise le lien. Il s’agit de la première expérience créatrice de l’enfant. Ensuite, ce lien est intériorisé, ce qui permet à l’enfant de progressivement se détacher de l’objet au profit d’un investissement plus large de ce qu’on appelle l’espace transitionnel. C’est cet espace qui permet d’accéder au jeu et à la créativité et donc de faire baisser l’angoisse. Le jeu permet de faire le pont entre la réalité et le besoin d’omnipotence, c’est à dire le besoin de ressentir du contrôle. On remarque à quel point ce phénomène est frappant dans l’investissement des jeux vidéos par les adolescents, par exemple : je crée mon avatar et donc mon identité, je contrôle certains aspects du jeu quand la réalité ne me convient pas toujours...
Si cela est possible en psychothérapie, pourquoi cela ne le serait-il pas dans la relation au sein d’une famille ?
La médiation en psychothérapie permet de créer ce que nous appelons une « alliance thérapeutique », élément nécessaire pour le bon déroulement d’une prise en charge. Elle la soutient lorsqu’un patient peut avoir des difficultés à verbaliser. La médiation peut également avoir un effet cathartique, qui permettrait d’extérioriser le trop plein d’émotions pouvant être présent dans le quotidien de la personne. « L’expérience psychique n’est pas immédiatement saisissable – du moins à l’origine –, l'individu va devoir ainsi la « médiatiser » pour pouvoir s’en saisir, pour la décondenser et réduire, peu à peu, la complexité de sa présentation, pouvoir explorer ses aspects énigmatiques » (Roussillon, 2012).
Plusieurs types de médiations existent : artistiques, psycho-corporelles ou encore celles utilisant le jeu vidéo. Je vais plus particulièrement vous parler des jeux de société. Le jeu de société est un outil utile en séance aussi bien auprès d’enfants, d’adolescents que d’adultes.
Il permet d’expérimenter un certain nombre de choses qui ne sont pas propres à la relation thérapeutique, comme la tolérance à la frustration ou la capacité à coopérer, par exemple. Expérimenter dans le Réel et avec son thérapeute peut permettre d’ouvrir des portes qui ne se seraient ouvertes que plus tard dans la relation thérapeutique.De plus, le thérapeute, témoin et acteur de l’activité, permet un échange plus fourni avec son patient.
Si un échange est facilité dans une relation thérapeutique, pourquoi ne pas l’envisager aussi dans une relation intra-familiale ?
Être parent n’est pas toujours facile, être un enfant ou un adolescent non plus. Il arrive que des tensions puissent émerger pour diverses raisons (problématiques à l’école, au travail, au sein du couple parental, de comportement, etc.), que les relations entre membres d’une même famille se dégradent et que la communication se tarisse. Dans les moments comme ceux-là, il peut être compliqué de faire un pas de côté pour aller vers l’autre car on ne se sent pas reconnus dans son opinion ou ses émotions. Cela peut entraîner une répétition de situations qui mettent en souffrance tous les membres de la famille et qui renforcent les tensions déjà existantes. On se sent alors aspiré dans une situation complexe dont on ne sait plus comment en sortir. Alors, se retrouver autour d’une autre situation, une situation qui sort du contexte habituel peut servir à créer d’autres interactions, développer d’autres liens et se redécouvrir voire, pourquoi pas, discuter sereinement.
Le jeu de société a cette particularité qu’il met un objet au milieu de la relation; on ne parle donc pas de la relation en elle-même ou des problèmes en eux-mêmes mais du jeu.Vous pouvez également choisir le type de jeu qui correspond à vos besoins : un jeu en « one to one » qui met à l’épreuve les capacités de stratégie pour gagner (comme Sushi Go ou Paper Tales). Un jeu en coopération, qui permet de trouver des façons de s’allier pour gagner contre le jeu, comme The Game ou Magic Maze. Ce type de jeu de société est d’ailleurs propice aux échanges.
Il existe également des jeux plus narratifs comme le Dixit ou encore Feelinks. Ce dernier propose des situations, auxquelles chaque joueur doit associer l’émotion qu’elles suscitent. On lance alors un dé qui désigne une émotion puis chacun des joueurs parie sur le nombre de personnes qui auraient choisi cette émotion par rapport à la situation évoquée. Feelinks fait partie de ces jeux qui permettent d’échanger et de débattre sur des situations tout en ayant un support sur lequel on peut revenir si besoin, lorsque l’échange devient compliqué.
Le jeu de société a la particularité de pouvoir créer de nouvelles situations au sein du milieu familial, « ce recours peut […] s’envisager comme facilitant des liens et rencontres (vers les autres et via son « corps-en-relation » » (Joly, 2012). Le « corps-en-relation » est une formulation de Ajuriagerra qui appuie le fait que les interactions entre les personnes ne sont pas basées que sur des échanges verbaux mais également sur la prise en compte du corps de l’autre, de son existence corporelle.
Le manque de temps dû au rythme de vie qui s’accélère, aux métiers des adultes, aux journées denses des enfants et adolescents, peut mettre de la distance dans le rapport à l’autre au sein d’une famille. Un moment jeu de société serait un peu comme la soirée DVD qui pouvait se faire du temps des vidéoclubs.
Le jeu de société donne ainsi de nouvelles opportunités de construire de nouveaux souvenirs et de se retrouver autour d’une même activité.
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Sources :
- Donald Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 2002
- Donald Winnicott, Les objets transitionnels, Payot, 2010