Bienvenue sur weppsy, un ensemble d’articles écrits par des psychologues à destination du grand public.
Ce blog est issu du souhait de partager des idées du monde de la psychologie, de créer des échanges grâce à “une rencontre” avec des praticiens sur des sujets qui vous touchent et vous interrogent. Une rencontre car chaque texte est le fruit du travail personnel et de l’expérience d’un psychologue et porte dès lors sa signature. Vous trouverez ici une grande diversité d’approches : chaque article est l’expression d’un point de vue, d’une pratique. Nous sommes convaincus que la pluralité des approches et la dimension intégrative des pratiques nourrissent une réflexion riche et en mouvement. Nous vous invitons ainsi à explorer ces ressources avec ouverture et bienveillance, valeurs essentielles de notre réseau, que nous souhaitons prolonger et faire vivre dans ce projet avec vous.
L’objectif est ainsi de vous donner un maximum d’informations afin de faire avancer votre réflexion sur des sujets, et que vous puissiez faire des choix éclairés, concernant par exemple le type de psychologue ou de courant qui pourraient vous convenir au mieux.
Afin d’approfondir les thématiques abordées, vous trouverez des sources et des liens en bas des articles, qui sont des invitations à approfondir les thématiques abordées, ainsi que des informations sur l’auteur. Nous vous proposons de les retrouver sur leur fiche weppsy ou via leur site si vous souhaitez les contacter. Par ailleurs, comme vous le savez, ces écrits ne pourront pas répondre totalement à une problématique spécifique et personnelle, mais seront, nous l’espérons, un point de démarrage et un début d’éclairage pour vous. Aussi, rien ne remplacera un entretien avec un psychologue.
Les auteurs de weppsy sont des psychologues cliniciens, du travail, ou chercheurs, qui travaillent dans différentes organisations telles que l’hôpital, l’entreprise, les écoles ou encore comme indépendant. Ils sont tous diplômés de l'Ecole de Psychologues Praticiens.
Vous trouverez ci-contre des catégories, qui évolueront et s’enrichiront au fil du temps, afin de pouvoir vous repérer au mieux et cibler vos recherches.
Maintenant, à vous d’explorer !
par Sophie du Bouetiez, Psychologue clinicienne
le 2020-03-31
En tant que psychologue, la question du lien social est au cœur de notre réflexion clinique quotidienne. Nombre de nos patients nous sollicitent pour améliorer leur rapport aux Autres. Certains souhaitent comprendre pourquoi ils peinent à tisser des liens durables et épanouissants, d’autres aimeraient pouvoir mieux poser leurs limites face à leurs proches, d’autres encore cherchent à se sentir plus indépendants et à se dégager de l’emprise d’autrui... Autant d’objectifs thérapeutiques que de patients, chaque fois dans la lignée d’un questionnement unique et propre au parcours de vie de chacun.
Ces axes de réflexion doivent bien sûr s’articuler dans une lecture globale de notre société et de notre époque : pendant la seconde moitié du XXème siècle, la quête d’indépendance a constitué un enjeu majeur dans la lutte pour l’égalité des droits. L’individu est revenu au centre de son existence, la recherche du bonheur individuel et de l’autonomie a été propulsée au premier plan. Ce tournant engagé par notre civilisation a permis l’émancipation identitaire, sociale et matérielle de toute une génération, en réaction aux modèles antérieurs.
Mais aujourd’hui, cette quête d’autonomie atteint peut-être ses limites : plusieurs études suggèrent que le sentiment de solitude s'accroît de manière exponentielle dans la population depuis une trentaine d’années, et le nombre de personnes vivant seules ne cesse d’augmenter depuis vingt ans. Ainsi, une fois admise la nécessité de pouvoir s’épanouir seul, se pose aujourd’hui la question suivante : comment se réinscrire dans le groupe social sans renoncer à son indépendance ? Comment conjuguer notre besoin de liens socio-affectifs avec celui de l’affirmation de soi et de l’épanouissement individuel ? En consultation, on entend que ce compromis peut être difficile à trouver pour certains patients.
L’expression du sentiment de solitude peut leur apparaître comme une faiblesse, voire une honte : l’injonction à être bien seul étouffe quelquefois la capacité à reconnaître le besoin affectif.Certains patients expriment même la peur de se trouver « dépendants » d’autrui et donc vulnérables s’ils s’investissent dans une relation affective. Comme si le lien d’attachement, à la fois craint et recherché, venait menacer le sentiment de stabilité personnelle et d’identité. Paradoxe apparemment insoluble !
Et paradoxe d’autant plus douloureux quand on sait que l’être humain est un animal social : nous ne sommes pas faits pour être seuls, l’isolement prolongé active une détresse chez chacun d’entre nous, même si bien sûr nous n’avons pas tous le même seuil de tolérance à la solitude. Preuve en est, s’il le faut, dans ce contexte de confinement : l’isolement dans la durée exacerbe la souffrance de certains de nos patients, ce qui est tout à fait normal. Mais ce qui m’interroge le plus dans ces circonstances, c’est la réaction de honte et de culpabilité formulée par certains (« J’ai honte de si mal vivre la solitude, car ça signifie que je suis faible, que je n’ai pas de ressources »).
Il est temps de se réconcilier, je crois, avec nos besoins affectifs. Il est absolument normal de mal vivre la solitude, cela n’est en aucun cas un signe de fragilité ou de pathologie.De nombreuses études montrent que la solitude prolongée génère chez l’être humain des effets psychologiques douloureux : sensibilité exacerbée aux informations négatives, méfiance, affects anxieux et/ou dépressifs, altération des fonctions cognitives..., et ce quelle que soit la personnalité du sujet (extraverti ou introverti, anxieux ou non), quel que soit le contexte (contexte sérieux ou dérisoire, exclusion sociale intentionnelle ou non). On sait également que le sentiment d’isolement génère une souffrance proche de celle ressentie lorsque nous sommes blessés physiquement, et les manifestations physiologiques observées sont d’ailleurs similaires (augmentation de la pression sanguine, sécrétion de cortisol).
D’autre part, de nombreuses recherches montrent à bien des niveaux les bienfaits du contact social : le lien à l’Autre provoque une libération d’endorphines qui génère une sensation de bien-être, la difficulté anticipée ressentie face à un obstacle est moindre lorsque l’on est accompagné par une autre personne (à fortiori lorsqu’il s’agit d’un proche), le fait d’être entouré diminue le sentiment de souffrance physique en cas de maladie ou de blessure, il aide à réduire le stress et donc à améliorer le système immunitaire et l’espérance de vie... Tout cela n’est pas si surprenant : le lien social a permis la survie de notre espèce. L’Homme a eu besoin du groupe pour s’adapter et survivre : il a pu ainsi partager ses connaissances et s’associer à ses pairs pour lutter contre les prédateurs, trouver de l’aide en cas de danger et être soigné si nécessaire... Il a appris que l’isolement pouvait être synonyme de danger. Ainsi, la solitude active un réflexe archaïque de peur et de détresse.
Pas étonnant, donc, que le confinement actuel active un mal-être important chez certains, et surtout chez les personnes isolées présentant une prédisposition à l’anxiété ou à la dépression. Dans nos consultations, et plus précisément dans le contexte actuel de confinement social, je crois donc qu’il est primordial de repenser cette fameuse « capacité à être seul », et de redéfinir avec nos patients les enjeux qui y sont associés.
Être capable d’être seul ne veut pas dire être parfaitement heureux sans avoir besoin de personne et s’auto-suffire pour s’épanouir pleinement. La capacité à être seul, c’est accepter d’être seul en présence de l’autre. La différence est radicale.On passe de « Je n’ai besoin de personne pour être heureux » à « Je sais que j’ai besoin de l’autre pour être heureux, mais je sais aussi qu’il n’est pas loin et qu’il répondra à mes besoins si je l’appelle : donc je supporte bien de ne pas être en contact direct avec lui et d’investir agréablement une activité solitaire pour une durée limitée ».
Cette nuance est très bien décrite par Christophe André et Rebecca Shankland dans leur ouvrage « Ces liens qui nous font vivre » : ils y évoquent avec justesse la distinction entre « autonomie » et « indépendance ». C’est cette nuance que nous pouvons travailler en thérapie avec nos patients : visons l’autonomie, c’est-à-dire la capacité fondamentale à mieux se connaître, à affirmer son identité, à savoir fonctionner par et pour soi-même (travailler, gagner sa vie, se nourrir, prendre soin de soi, accepter sereinement et avec plaisir les temps limités de solitude, investir des occupations agréables seul). En revanche, faisons la paix avec la notion de dépendance : acceptons que nous ayons besoin d’être en lien avec les autres, ne serait-ce qu’un minimum, pour être heureux.
Et on peut absolument faire cohabiter l’autonomie avec les besoins affectifs : en travaillant avec nos patients la capacité à aller vers l’Autre tout en pouvant affirmer leur identité propre, leurs ressentis et leurs besoins. Encourageons-les ainsi à poser leurs limites et à se défendre si l’Autre menace leur intégrité et ne respecte pas leurs valeurs. Et en ces temps de confinement, plus que jamais, renforçons la capacité de nos patients isolés à accepter qu’il est difficile de traverser la solitude, à comprendre cela sans se juger. Aidons-les à se sentir plus légitimes dans leur souffrance et rassurons-les sur le fait que c’est justement cette souffrance qui fait d’eux des êtres sensibles et sociaux. Encourageons-les à accepter et nommer le manque affectif, et à solliciter (virtuellement pour l’instant !) leurs proches pour se sentir compris et soutenus avec bienveillance dans ce qu’ils vivent. Cette épreuve leur permettra peut-être d’ailleurs, une fois le confinement terminé, de mieux partir à la rencontre de leurs besoins affectifs profonds et de se diriger plus sereinement vers des rencontres nouvelles et riches !
Sophie du Bouëtiez
Sources :
Bohler, S. (2009, novembre 4). Un gène de la solitude. Consulté le 25 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/un-gene-de-la-solitude-10390.php
Bohler, S. (2010, novembre 1). La solitude nuit au cerveau. Consulté le 23 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/science-societe/la-solitude-nuit-au-cerveau-10747.php
Dieguez, S. (2011, mai 14). Frankenstein : le drame de l’exclusion. Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/cognition/frankenstein-le-drame-de-lexclusion-6381.php
Dieguez, S. (2012, janvier 7). Robinson Crusoé, archétype de la solitude. Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/robinson-crusoe-archetype-de-la-solitude- 6607.php
Killam, K. (2020, mars 17). Confinement : comment surmonter la solitude ? Consulté le 26 mars 2020, à l’adresse https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie-sociale/confinement-comment- surmonter-la-solitude-18968.php
Loneliness: Information, Resources and Support | Cigna. (s. d.). Consulté le 27 mars 2020, à l’adresse https://www.cigna.com/about-us/newsroom/studies-and-reports/combatting-loneliness/
Taly, V., Pesneau, A., Nagara, E., Riou-Bourdon, M., Clouët-Coudreuse, M. & Amar, M. (2013). Le développement de la capacité à être seul chez un enfant observé. La psychiatrie de l'enfant, vol. 56(2), 585-601. doi:10.3917/psye.562.0585.
par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-03-28
« Quête futile mais désespérée que de supprimer l’incertitude… »
Montaigne
Nous avons entendu de nombreux spécialistes début mars qui minimisaient les effets de l’épidémie du coronavirus en mettant en avant les ravages annuels de la grippe saisonnière.
La grippe est une maladie connue et gérée chaque année par les autorités de santé, la pandémie du coronavirus nous a surpris, et c’est cet effet de surprise qui a des effets psychologiques. Non seulement ce virus est inédit, mais il est également difficile à contenir par les plus hautes autorités de santé.
L’incertitude face à l’avenir est vécue comme un problème majeur pour l’être humain qui n’a de cesse de chercher à s’adapter pour conserver l’équilibre de son organisme. Nous cherchons naturellement l’homéostasie. C’est le manque de maîtrise sur les événements qui nous perturbe : Nous n’aimons pas être ignorants, Nous détestons être surpris.
Le fait de ne pas maîtriser les événements va générer chez nous un fort sentiment d’inconfort. Le gouvernement, pour notre sécurité, nous impose de changer notre routine et de remettre en cause nos projets : pendant le confinement, je perds ma liberté d’aller et venir et mon sentiment de sécurité. Nous comprenons les raisons de ces mesures mais la forte demande d’adaptation psychologique qu’elles génèrent rend difficile l’accès à nos ressources internes pour y faire face.
L’effet de surprise de l’annonce de la pandémie puis du confinement est un moment de violence émotionnel très fort : l’épreuve du confinement ou de la quarantaine pour certains mais aussi la crainte de la maladie voire de la mort pour d’autres. Au-delà des contraintes, ce virus nous met devant notre impuissance pour nous maintenir en pleine santé.
Par effet, la peur d’être contaminé et la contrainte du confinement peut faire renaître des souvenirs d’événements traumatiques vécus et ainsi réveiller de l’anxiété, du stress, des symptômes dépressifs. Selon le vécu individuel, le confinement peut réveiller des traumatismes de guerre, des épreuves d’une maladie vécue, un éloignement subi…
Sénèque
Nous sommes confrontés à la frustration depuis notre plus jeune âge, malheureusement l’expérience ne nous aide pas toujours à la gérer !
En psychologie, elle est décrite comme l’état d'insatisfaction provoqué par le sentiment de n'avoir pu réaliser un désir. Dans le cas du confinement ou de la quarantaine, le désir entravé ici est est celui de la possibilité de jouir d’une liberté fondamentale pour endiguer collectivement un problème de santé. Dans cet unique but, je dois gérer la frustration de ne pas sortir comme je le voudrais, de ne pas participer à des réunions d’amis ou familiales, de mettre en pause mes sorties culturelles, etc.
Le vécu individuel et les ressources perçues par l’individu vont guider notre manière de gérer notre frustration.
Durant le confinement chinois, une enquête réalisée dans plus de 36 provinces révèle que 35% des répondants pendant la quarantaine présentaient un stress psychologique modéré et 5,14% présentaient un stress psychologique sévère.
Plus largement, lorsqu’on étudie les effets des quarantaines, on s’aperçoit que les changements comportementaux prédominants sont la mauvaise humeur et l'irritabilité (73% et 64% des personnes interrogées).
Les études menées sur le sujet montrent que les symptômes s’amoindrissent chez la plupart 4 à 6 mois après la quarantaine.
On peut aisément imaginer que l’irritabilité et la colère, au-delà d’avoir une conséquence sur notre santé, ont des effets néfastes sur la qualité des relations que vous pouvez entretenir avec vos compagnons de confinement… et six semaines c’est long … !
Camus s’exprimait ainsi à propos de la peste il y a plus d’un demi-siècle.
D’aucuns trouveront pourtant cette citation particulièrement d’actualité. La situation que nous vivons est hors temps, comme un souffle du passé qui viendrait nous rappeler la fragilité de la condition humaine.
L’expérience d’isolement n’est pas évidente surtout parce qu’elle est contrainte et qu’elle vient en totale rupture avec nos modes de vie qui mettent en avant le voyage, la découverte, le bien-être : le mouvement.
La solitude est associée à la tristesse si ce n’est au macabre : on s’isole quand on est tristes et historiquement pour se préparer à la mort.
En ces temps si particuliers, voir l’isolement autrement pourrait presque être un acte citoyen, à l’heure où le personnel médical met sa vie entre parenthèses pour sauver les nôtres.
Apprenons à "demeurer au repos dans une chambre " !
Pauline d’Heucqueville,
Psychologue, consultante pour le cabinet Stimulus
Sa fiche sur weppsy.
Richard Lazarus et Susan Folkman, Stress, Appraisal and Coping, 1984
Mental health status of people isolated due to middle east respiratory syndrome, 2016
par Cécile Pichon, Psychologue et Coach en Transition Professionnelle
le 2020-03-27
Voilà désormais plusieurs jours que vous êtes confinés chez vous. Vous recevez de toutes parts des suggestions d’activités pour mettre à profit cette
période à la maison : sport en ligne, journal de bord, podcasts culturels, idées pour occuper les enfants, recettes de cuisines, activités solidaires… Vous vous êtes enthousiasmés pour toutes ces bonnes idées qui font clairement chaud au cœur, mais au final vous ne savez plus trop où donner de la tête…D’un côté, nous sommes tous heureux d’observer la créativité et le positivisme des gens dans une situation de crise telle que nous la traversons. Mais nous nous sentons peut-être un peu tétanisés face à cette multiplication de propositions... Comment choisir, et comment être sûr que tout cela va-t-il vraiment vous aider ?
La première chose qui semble ralentir notre capacité de trancher est notre disponibilité mentale… Dans le contexte d’épidémie, nombreux sont ceux qui s’inquiètent un peu pour eux et pour leurs proches, et se posent des questions quant à l’évolution de la situation. On peut alors comprendre que malgré toutes nos envies de nous distraire et d’organiser ce confinement pour qu’il soit confortable, une grande partie de notre attention est captée par le suivi des événements… Les questionnements nous prennent pas mal d’énergie, nous laissant peu de bande passante pour réfléchir aux sujets qui semblent moins essentiels. Difficile alors de prendre des décisions dans ce contexte !
De plus, il y a eu tellement d’idées géniales proposées que l’on ne sait pas nécessairement par quel bout commencer. Et c’est normal, car il semblerait qu’avoir trop de choix complique nettement le processus de décision chez l’homme. En effet, d’après une étude de l’American Marketing Association en 1974, la surabondance de choix aurait des effets négatifs sur les mécanismes de choix des personnes (Overchoice Effect). Un psychologue américain, Barry Schwartz a lui observé des phénomènes similaires. Il explique que la multiplication des options lorsqu’on doit faire un choix peut avoir deux effets négatifs :
Une paralysie : lorsque l’on fait face à trop d’options, il devient complexe de décider
Une insatisfaction : une fois la décision prise, les personnes qui avaient à choisir parmi de multiples options ont davantage tendance à regretter leurs choix
C’est un réel paradoxe, car si on pense que plus d’opportunités sont pour nous le signe d’une plus grande liberté, le tri à faire pour traiter l’info nous tétanise. Un excès d’idées d’activités aurait alors tendance à provoquer… notre inactivité !
Par ailleurs, d’après les psychologues William Edmund Hick et Ryan Hyman, il existe une relation de cause à effet entre le temps de réaction d’une personne et les possibilités de choix auxquelles elle fait face. Plus les choix possibles se multiplient, plus le temps de décision augmente. Normal dans ce cas-là que nous n’ayons peut-être pas encore réussi à faire le tri de notre côté. La bonne nouvelle, c’est que du temps, nous allons en avoir, alors nul besoin de nous précipiter pour choisir et décider.
Mais d’ailleurs, quelle différence entre choisir et décider ? Pour le philosophe français Charles Pépin, il existe une réelle différence entre les deux verbes :
Choisir : choisir se fait rationnellement, en analysant et examinant les données à disposition pour réduire l’incertitude et sélectionner celle qui présente le plus d’avantages. En neurosciences, on pourrait dire que cela correspondrait à favoriser l’option qui apporte le plus de récompense, ou réduirait au maximum l’inconfort ou le niveau de risque.
Ex : entre deux émissions de divertissement, vous choisirez probablement la plus distrayante ou la plus abordable en terme de contenus, afin d’être sûr de passer la meilleure soirée possible
Décider : si les différentes options sont également attirantes, c’est là que survient la nécessité de décider, explique le philosophe. Il n’y a alors pas d’élément objectif pour nous aider dans cette sélection; il va falloir agir sans être sûr de prendre la meilleure option ! Et c’est souvent là que nous bloquons…
Ex : choisir entre deux parfums chez le glacier est une pure affaire de décision
Il décrit très bien cette différence dans son livre consacré à la confiance en soi, qui est primordial à consolider en ce moment. En effet, pour lui, la confiance en soi est notre capacité à agir même quand tout n’est pas maîtrisé. C’est ce savant mélange entre maîtrise et abandon : on est suffisamment entraînés pour savoir faire face à l’inconnu, l’imprévu. On commence à bien connaître la notion de l’imprévu en ce moment en tout cas !
Si la question vous intéresse, vous pouvez écouter son intervention sur le sujet dans cette émission de France Inter : écouter l'émission ici !
Beaucoup de temps et pas mal d’idées ou de suggestions d’occupations ? Tant mieux ! Cependant, si le confinement doit durer longtemps, il n’y a pas d’urgence à se ruer sur mille activités. Vous avez le droit de prendre votre temps.Vous pouvez déjà faire faire un tri dans les différentes propositions pour les réduire en grandes catégories qui les regroupent. Le choix s’en trouvera facilité. Et surtout, vous pouvez faire abstraction de ces informations extérieures pour vous recentrer et réfléchir à ce que vous avez généralement envie de faire en temps normal, de manière instinctive, si vous viviez l’un de ces weekends pluvieux d’hiver qui donnent envie d’hiberner…
En vous fiant à votre instinct, votre intuition, vous y verrez sûrement plus clair... Pas très rationnel comme mode de décision ? Pas si sûr ! Si la pensée analytique résulte d’une étude détaillée des données pour produire un raisonnement, il semblerait que la pensée intuitive, elle, se forme en lien avec notre mémoire émotionnelle des choses. Donc en fonction de notre expérience, en quelque sorte. Elle a donc toute sa place dans nos mécanismes de décisions !
Janet Metcalf, responsable du laboratoire métacognition et mémoire à l’université Columbia décrivent bien ces deux « routes cérébrales » : l’une analytique qui fonctionne par étape, et l’autre qui fonctionne à notre insu, à une vitesse remarquable et qui permet d’arriver à une conclusion très rapidement. Le dramaturge Henry Bernstein parle bien de ce phénomène :
« L’intuition est comme l’intelligence qui a commis un excès de vitesse ». Alors, appuyons un peu sur le champignon !
Conclusion, restons à l’écoute de notre intuition, elle peut vraiment nous aider à y voir clair. Et si nous nous sentons envahis pas les informations, positives et négatives, n’hésitons pas à vous débrancher plusieurs heures par jour de l’actualité. Quitte à ne rien faire !
Sources :
https://nesslabs.com/overchoice
https://www.ted.com/talks/barry_schwartz_the_paradox_of_choice?language=fr
https://www.usabilis.com/definition-de-loi-de-hick-loi-de-hick-hyman/
https://www.scientificamerican.com/article/can-we-rely-on-our-intuition/
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/intuition-le-cerveau-en-roue-libre_104367
Charles Pépin : La confiance en soi. Allary Editions. 2018
par Laetitia Ribeyre, Psychologue clinicienne
le 2020-03-19
La psychologie positive est un courant récent et passionnant qui pose une question nouvelle dans l’étude de la santé mentale : que font les gens qui vont bien pour maintenir cet état de contentement ou de bonheur ? Comment “améliorer des vies normales” ? Nos vies ne sont pas vraiment "normales" en ce moment, mais les apports de cette théorie vont nous faire du bien !
Martin Seligman, chef de file de ce mouvement né aux Etats Unis, n’était plus satisfait de “ramener ses patients dépressifs à zéro”, c’est-à-dire de leur apprendre à ne plus aller mal, mais sans qu’ils sachent profiter de la vie, ressentir du bonheur, savourer les moments, etc...
Pour comprendre son cheminement, voici sa conférence.
Ainsi, avec ce que nous traversons tous actuellement, j'aimerais vous inviter via cet article à réaliser quelques exercices phares de la psychologie positive. Ils sont simples, très efficaces et validés scientifiquement.
Le premier est l’exercice de gratitude.
Gratitude en ces temps de confinement ? Je sais que cela peut paraître "dingue", mais écoutez-moi jusqu’au bout ! Vous connaissez peut-être déjà cet exercice grâce au livre de Florence Servan Schreiber, “3 kifs par jour”. Elle a été la première française à introduire cet exercice en France. “Je me rends compte de la quantité de merveilles qui proviennent de l’extérieur de nous”. Elle nous en parle dans cette vidéo.
La proposition est simple : le soir, posez vous et trouvez trois choses pour lesquelles vous éprouvez de la gratitude aujourd’hui. L'intérêt de cet exercice est double :
nous avons la fâcheuse tendance à conclure nos journées en nous focalisant sur le négatif. Les émotions négatives retiennent davantage notre attention et prennent plus de place dans notre mémoire. Avec cette proposition, vous terminez la journée en vous focalisant sur le positif, l’essentiel. Je suis en bonne santé, ma famille aussi. J’ai eu un bel échange avec mon compagnon, mes enfants. C’est un confinement, mais il n’y a pas de zombies. J’ai réussi à travailler aujourd’hui, d’autres ne peuvent pas le faire, etc.
savoir que l’exercice va clore votre journée vous met dans un état de recherche durant la journée: qu’allez-vous noter ce soir ? Vous avez donc une attention toute particulière pour ces moments-là lorsqu’ils se déroulent, et vous les savourez d’autant plus.
Pour Tal Ben Shahar, autre figure marquante de la psychologie positive, les effets de la gratitude sont exceptionnels ! Comparé à un groupe contrôle, le groupe qui faisait l’exercice de gratitude appréciait davantage sa vie et les gens qui le composaient étaient plus heureux, plus déterminés, plus énergiques et plus optimistes. On ne dit pas non à ça en ce moment, n'est-ce pas? Lui-même fait cet exercice tous les soirs à l’oral avec ses enfants, le transformant en moment de partage. A essayer avec vos enfants, vos colocs, votre compagnon ou vos amis !
David Steindl-Rast est un moine qui prône aussi l’importance de la gratitude. Comment imaginons-nous notre bonheur, ce but que nous avons tous en commun ? Nous pensons que les gens heureux ont de la gratitude. Mais ce sont les gens qui ont de la gratitude qui sont heureux !
Il estime que la reconnaissance fondamentale vient du fait que chaque moment nous est “offert”, comme un cadeau et détient un immense potentiel, un immense champ des possibilités. Il nous rassure, on ne doit pas ressentir de la gratitude pour un évènement difficile (ouf, on est sauvés !), mais plutôt face à l’opportunité que ce moment difficile nous offre (écrire des articles pour aider le grand public pour nous par exemple !).Aujourd’hui, ce confinement fait émerger tellement de créativité, d’élans de solidarité : là est notre opportunité. Pourquoi pas se servir de cette épreuve et lui donner un sens? Au quotidien, cette gratitude nous fait tenir, et ce sens nous fera accepter cette difficulté sur la durée. “L’opportunité, la possibilité, est le cadeau au sein de chaque cadeau”. C’est-à-dire que chaque moment est un cadeau en soit, et que le potentiel qui existe au sein de ce moment est également un cadeau. On aura besoin de quelques jours de confinement pour méditer ces mots puissants ! Ici, pour regarder sa conférence.
Je me mets au calme, et j’essaie d'être dans l’instant présent. Je prends l’exercice au sérieux !
Un conseil est de visualiser ou d’essayer de tenter d’éprouver à nouveau l’expérience que l’on cite. Par exemple, si je note “mon apéro visio avec mes amis”, j’essaie de me focaliser sur ce moment et de ressentir à nouveau le sentiment de ce moment.
Si vous voulez une application, plutôt que de noter dans un carnet, pour répertorier vos listes de gratitudes vous en avez de nombreuses qui sont gratuites : Bliss, Presently, Gratitude Journal, etc. L’application vous enverra un petit rappel à l’heure que vous souhaitez !
Une chaîne Youtube très originale et drôle, Soul Pancake (Pancake de l'âme, oui oui !) propose des vidéos qui illustrent de nombreux exercices de la psychologie positive d’une façon ludique et souvent poignante. Voici l'exercice de gratitude en action !
Le psychologue norvégien, Atle Dyregrov, rappelle que pour mieux vivre la quarantaine, il faut savoir se rappeler que l’on est en train de mettre en place un comportement civique et altruiste en restant confinés, et nous devons en être fiers.
Laetitia Ribeyre
par Tiffanie Dufetel-Drouglazet, Psychologue Clinicienne
le 2020-03-19
Nous sommes face à une situation inédite. Un confinement pour la majorité d’entre nous, avec quelques sorties autorisées. D’autres sont toujours sur le pont, avec autorisation de travail pour continuer un semblant de vie ou maintenir l’aide aux plus fragiles. Il nous faut alors renoncer à nos libertés individuelles au profit d’une cause plus grande que nous, limiter la propagation de ce virus et sauver des vies. Chaque jour apporte son lot de nouveaux cas, de vies volées…Il me semble que la confrontation même indirecte à la mort dans ce contexte mais aussi au renoncement à notre vie d’avant, même temporairement, justifie l’utilisation du mot deuil.
Dans ce contexte, quel cadeau ?
Pour le comprendre, penchons nous sur les différentes étapes de deuil. En 1975, la psychologue Elisabeth Kübler-Ross, s’intéresse aux processus que nous traversons lorsque nous sommes confrontés à la mort. Elles permettent de comprendre le processus que nous traversons face à la perte. Dans ma clinique, je trouve que cette théorie des étapes du deuil, peut se transporter de manière très aidante, sur de nombreuses situations où nous sommes confrontées à une nouvelle brutale, parfois traumatique mais pas toujours, mais surtout à la situation de changement majeur ou de porte.
Et là nous y sommes…
Malheureusement, parfois la perte d’un être proche. Et plus fréquemment une période de grande déstabilisation sociale qui induit des bouleversements psychiques : perte de nos repères, perte de nos certitudes, perte de nos convictions, perte de nos libertés, perte d’une forme de spontanéité…Freud ( 1915) définit le deuil : « Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d’une personne aimée ou d’une abstraction venue à sa place, comme la patrie, la liberté, un idéal, etc… ».
Ces phases ne sont pas nécessairement linéaires, la personne peut réaliser des retours en arrière afin de poursuivre son cheminement. De même, des nuances existent. Cliquez ici pour voir un schéma qui permet de mieux comprendre.
Après l’annonce, vient la phase de déni. Il s’agit d’une manière pour le psychisme de se défendre face à un événement non élaborable dans un premier temps.Nous l’avons certains ont continué ou tentent de continuer leur vie comme si de rien n’était et que le coronavirus n’était pas là.
Survient ensuite la colère. Elle peut cibler différentes victimes. La sinophobie s’y inscrit.
Puis la négociation arrive, devant l’incapacité de la colère à solutionner le problème. Il s’agit de marchander avec une entité extérieure toute puissante : Dieu, le hasard, la chance. Peut-être les complotistes peuvent-ils être considérés comme étant bloqués dans cette phase ?
Puis l’impuissance face à la situation, entraine la personne dans une phase de dépression. L’avenir semble irrémédiablement compromis. Nécessaire, elle marque une phase de transition vers l’acceptation du deuil. Une fois la perte assimilée, notre ressenti est moins intense, même s’il peut rester des moments difficiles. Les yeux se tournent alors vers le futur. La situation devient acceptable pour le psychisme.
Puis vient le pardon, l'acceptation : se pardonner à soi-même, renoncer à l’illusion de la toute puissance, puis pardonner aux responsables de la perte.
Enfin, la quête du sens et du renouveau, permettent la révélation du Cadeau caché. Qu’est-ce que ce moment douloureux m’a permis ? Qu’est-ce que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai réalisé lors de cette période difficile? Grâce à …. j’ai pu…
Alors dans un premier temps, accueillons les émotions qui nous traversent quelles qu’elles soient. Elles sont légitimes et ont une fonction : nous accompagner vers un nouvel état de sérénité.Parlons-en avec nos proches, cela nous aidera à mieux les vivre. Puis, réfléchissons à ce cadeau caché. Trouver du sens aux évènements permet de diminuer le vécu d’impuissance très désagréable et parfois très déstructurant. Comment y voir un cadeau ? Quel sens ? Comment transformer cette situation qui nous est imposée en en faisant quelque chose dans lequel nous avons le « pouvoir » ? Comment agir pour ne plus subir ?
Voici ma réflexion.
Cela fait des années plus particulièrement des mois, que la situation écologique me préoccupe voire m’alarme et m’angoisse. Malgré des actions concrètes sur le plan personnel et social, le découragement me guettait avec l’impression de vider la mer à la petite cuillère. Quels effets ? Si ce n’est celui d’avoir tenté, de ne pas être resté impassible.
Aujourd’hui, dans ce quotidien source d’insécurité, de belles nouvelles nous rejoignent toutefois : la pollution atmosphérique a fortement diminué en Chine, en raison de l’arrêt des industries notamment ; nous n’entendons presque plus que le bruit des oiseaux et des rires des enfants ; les canaux de Venise sont propres et des poissons y nagent à nouveaux, des actions de solidarités émergent …
Ce joli texte de Catherine Testa diffusé sur les réseaux m’a beaucoup parlé :
"Et les français restèrent chez eux
Et ils se mirent à lire et à réfléchir.
Et ils n’oublièrent plus de prendre des
nouvelles de leurs proches.
Dans l’incertitude de demain, ils
comprirent enfin ce que voulait dire
profiter de l’instant présent.
Progressivement les publicités vantant des
produits dont ils n’avaient pas besoin leur
semblèrent bien vides.
Et ils comprirent.
Ils n’étaient pas en train
de survivre mais bien de vivre.
On venait de leur faire un cadeau
incroyable : on leur avait offert du temps.
Et la terre les trouva digne d’elle et elle
commença à respirer à nouveau"
Alors malgré les doutes, les incertitudes et la peur, c’est bien pour moi, étrangement peut être mais l’optimisme qui domine.Un autre monde serait-il possible ? Il aura fallu passer par cette pause imp(au)osée pour changer de paradigme : mettre les usines, les avions, les machines et le travail à l’arrêt.Et être forcé de s’arrêter, de ne plus circuler… Papiers s’il vous plaît !
Se re-centrer sur le privé. Se pauser, penser, respirer… un air presque pur ! Prendre le temps de faire tout ce que l’on n’a jamais le temps de faire. Regarder, observer, être disponible… pour voir la beauté de notre nature, bourgeonnante. Et alors quelle chance pour nos enfances ce bouton « pause » activé ! Préservons leur innocence de l’enfance, rassurons-les comme nous le pouvons. Malgré les difficultés de télétravailler à leur côté, nous allons pouvoir leur offrir le plus beau cadeau qui soit : la présence. Combien sommes-nous à regretter de ne pas être assez là, assez disponibles, de voir le temps filer et nous lui courir après ? Prenons le temps avec nos enfants. C’est ce qui va contribuer à remplir leur réservoir affectif et à leur permettre de faire grandir leur sécurité interne. C’est cette sécurité affective et émotionnelle qui va les guider toute leur vie durant.
Etre là, juste là.
Les professionnels de l’enfance et de l’éducation s’accordent tous à dire : on ne peut s’improviser enseignant et un enfant ne peut perdre si rapidement son niveau scolaire. Il lui faudra peut être une semaine pour reprendre le rythme mais qu’importe, ce qu’il aura vécu est une expérience sans précédent. Alors quel cadeau de pouvoir profiter de nos enfants, les voir grandir et devenir sous nos yeux. Oui, c’est fatiguant, parfois éprouvant car l’enfant déstabilisé vient décharger auprès des figures qui sont ses parents, toutes ses ressentis.
Alors comme nous avons accueilli nos émotions, accueillons les siennes, mettons des mots dessus : « Je vois que tu es…. », « C’est une grosse colère/tristesse »… Décrivez ce qu’il manifeste dans son corps, ce que vous observez. Soyons compréhensifs, c’est difficile aussi pour nous, alors pour nos enfants, dont le cerveau ne sera totalement mature qu’à…. 21 ans ! On imagine le tsunami émotionnel…La verbalisation en miroir, sans jugement, permet souvent un apaisement rapide des décharges émotionnelles intenses. Etre parent pour soi, présent, être là, juste là, malgré les incertitudes, les doutes, la tristesse et la peur parfois.
Être là…. Avec Sénèque qui nous dit dans une toute petite voix : La vie ce n’est pas d’attendre que les orages passent, c’est d’apprendre comment danser sous la pluie.
Tiffanie Dufetel-Drouglazet
Sources :
- Kübler-Ross, E., 1975. Les derniers instants de la vie. Labor et Fides, Genève
- Freud, S., 1976. Deuil et Mélancolie. Métapsychologie. Gallimard, Paris.