par Marie-Violette Vellutini, Psychologue clinicienne
le 2020-04-24
La question du risque suicidaire en cette période de confinement est au cœur de nombreuses préoccupations dans le domaine de la santé psychologique. En effet, la situation de crise sanitaire actuelle que nous connaissons induit un remaniement du mode de vie de la population, et par là même l’isolement de nombreuses personnes, la solitude étant identifiée comme un des facteurs du risque suicidaire.
“Ne plus penser”, un motif de passage à l’acte souvent présent dans le discours des personnes suicidaires, qui en dit long sur la souffrance que certaines pensées peuvent provoquer. Le confinement, synonyme de ralentissement d’activités, peut-être à contrario une période d’hyperactivité psychique douloureuse pour certains.
Le confinement ou enfermement, maintient dans un même espace, clos, et au même titre que nous sommes limités dans nos déplacement physiques, certaines pensées sont comme emprisonnées elles aussi. Les pensées qui « tournent un peu en rond », trouvent difficilement une voie d’expression, en l’absence de l’autre, de stimulations et peuvent rapidement devenir envahissantes. Nous comprenons donc l’importance de ce qu’il se joue à l’intérieur de chacun, la place qu’occupent pensées, émotions, ressentis et la manière dont l’individu s’en saisit, les recours qu’il a autour de lui pour « gérer » son activité psychique. Nous comprenons donc qu’il n’est pas nécessaire qu’un évènement particulier ait lieu pour qu’un passage à l’acte suicidaire soit possible, certaines pensées « suffisant » à le déclencher.
Le confinement ne peut être en lui-même tenu responsable du passage à l’acte suicidaire. Les raisons, la mise en acte dans la réalité, tout cela dépend de l’équilibre psychologique initial. Chez une personne qui aura un « terrain » suicidaire pré-existant, ou tout type de fragilité psychologique, certains maux seront exacerbés par la solitude, mais aussi par tout le climat anxiogène ambiant, les informations et prévisions pessimistes, l’inquiétude pour soi et pour ses proches. L’absence de projection vers un avenir positif, l’incertitude quant à un retour à la normal, les nombreux questionnements sur la suite, « l’après-confinement », sont de puissants vecteurs d’anxiété.
Des fragilités psychologiques mises bout à bout et intensifiées, entraînent dans certains cas, l’émergence et la récurrence de pensées noires, pouvant mener à une volonté de passage à l’acte de plus en plus soutenue, et de plus en plus précise avec un mode opératoire réfléchi. Une personne souffrant de troubles dépressifs pourra se sentir davantage exposée à ses pensées pessimistes, un individu anxieux en proie à davantage d’angoisses etc.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’en cette période, l’individu ne dispose plus, ou différemment, des ressources protectrices qu’il peut habituellement trouver à l’extérieur, qu’il s’agisse du parcours de soin mis sur pause (groupe de parole, consultations en face à face, ateliers thérapeutiques) ; ou tout simplement des contacts sociaux protecteurs (entourage familial, amical).
Il est donc confronté à une double difficulté : la solitude ou tout du moins l’éloignement s’il n’est pas seul ; ainsi que la privation de soins.Ce sont ces facteurs de protection là, et d’autres comme le travail, les activités extérieurs, le sport ; qui, en temps normal, peuvent faire barrière, plus ou moins solide, entre un individu présentant des pensées suicidaires et le passage à l’acte.
L’usage de toxique divers, comme moyen de combattre l’angoisse liée à la solitude, gagne du terrain en période de confinement.
Une aide pour trouver le sommeil, un anesthésiant d’émotions douloureuses. Les « avantages » de ces toxiques sont malheureusement nombreux, tout autant que le sont leurs dangers.Le passage à l’acte en étant sous emprise d’alcool, de drogues ; le risque d’intoxication, d’overdose, etc. Certains toxiques tels que l’alcool, de par l’effet désinhibant qu’il possède, peuvent agir comme un court-circuit, entre la pensée suicidaire et le passage à l’acte. L’acte suicidaire est posé de manière impulsive.
Ces états sont d’autant plus inquiétants que l’isolement les rend difficilement visibles aux yeux de l’entourage. En temps normal, l’absence d’une personne sur son lieu de travail par exemple, peut rapidement solliciter l’inquiétude de l’entourage professionnel. En situation de télétravail, voire absence d’activité la possibilité de venir en aide à un collègue n’est pas la même ; et donc la prise en charge moins évidente, rapide.
Il convient de ne pas négliger le risque chez les enfants et adolescents de passage à l’acte.
La situation de confinement peut en première intention laisser penser que les plus jeunes sont protégés de l’extérieur et des risques qu’il représente. Mais les réseaux sociaux sont toujours actifs avec leur lot de dangers.
Être à la maison ne protège pas de la violence extérieure, que cela soit en temps de confinement ou de manière générale. On pense notamment aux situations de harcèlement qui peuvent continuer d’exister voire s’intensifier à distance.
La tentative de suicide chez l’adolescent souvent mise sur le compte de la crise d’adolescence, est au contraire, à considérer avec sérieux. Elle est signe d’une réelle souffrance avec ou sans antécédents de troubles psychiatriques. Le passage à l’acte suicidaire chez l’enfant ou l’adolescent est caractéristique de l’impulsivité de cette période de développement, la souffrance est agie et non pas pensée.
Préserver un espace de liberté chez l’adolescent, son besoin d’intimité, porter un regard attentif sur des changements significatifs de comportements chez l’enfant et/ou l’adolescent ; permet de prévenir certains passages à l’acte. Une escalade dans l’agressivité, la violence, la provocation, les mouvements de fugues, l’usage répété de toxiques, des prises de risques à répétition sont des facteurs qui peuvent alerter.
Il est important de ne pas sous-estimer l’accès à des modes opératoires pour passer à l’acte, sous prétexte que l’adolescent ou l’enfant partage le même espace que son entourage. De nombreux suicides ont malheureusement lieu au sein du domicile familial.
Toute suspicion de passage à l’acte imminent doit amener la personne à contacter les urgences, et ce même si un doute subsiste quant à sa probabilité. La prudence concernant ces questions n’est jamais trop importante. Rassembler le plus d’éléments possibles concernant la personne susceptible de passer à l’acte est un réflexe précieux pour permettre une action rapide des urgences (samu, pompiers, police etc.), essayer autant que faire se peut d’avoir l’adresse de la personne en danger notamment.
Pour des personnes qui présentent des pensées suicidaires, sans risque de passage à l’acte imminent, le maintien ou le démarrage d’un suivi psychologique même à distance, est important. Créer du lien et de l’échange là où la solitude place l’individu seul face à lui-même, à ses pensées à ses représentations, permet que ces dernières soient considérées avec un peu plus de hauteur, de recul. Rythmer les journées, ritualiser certaines activités qui maintiennent dans une certaine temporalité, apportent des repères rassurants, facilitent également le maintien du contact social, protecteur même à distance.
Pour évaluer le risque d’un passage à l’acte imminent, certains repères permettent de s’orienter. En premier lieu, la présence ou non de pensées suicidaires, leurs récurrences (quand, pour la dernière fois, la personne a présenté ce type de pensée) ; l’établissement d’un scénario précis, et notamment un mode opératoire pensé, réfléchi, accessible. Dans certains cas, la date du passage à l’acte est déjà précise, là encore, interroger sur l’existence d’un moment choisi alerte sur l’urgence de la situation. Il est légitime de se questionner sur la manière de poser ces délicates questions, l’exercice difficile que représente l’investigation du risque suicidaire.
Nous retrouvons très souvent chez les proches cette inquiétude à parler du suicide comme pouvant faire émerger un désir de mort chez l’individu présentant des symptômes dépressifs.
Parler du suicide, des pensées suicidaires, du passage à l’acte ne donne pas « d’idées » à celui qui n’en n’a pas. Ces mots bruts « suicide », « passage à l’acte », « mode opératoire », peuvent eux aussi effrayer, mais il faut pouvoir les poser avec confiance, ils ne peuvent inciter la personne à passer à l’acte.
Le retour au calme de l’individu présentant des pensées suicidaires, peut malheureusement être annonciateur d’un passage à l’acte imminent, décidé et accepté. L’intention suicidaire a glissé vers la mise en acte ; et le suicidaire en « paix » avec cette décision trouve une sensation d’apaisement. En tant que professionnel de santé, ou membre de l’entourage, il est important de ne pas relâcher la vigilance, dans un moment où l’individu semblerait « aller mieux ».
Se saisir des plateformes d’écoutes gratuites (Suicide écoute, ligne d’écoute diverses) est aidant autant pour celui qui présente des pensées suicidaires, que pour la personne confrontée à celles d’un de ses proches.
Le confinement et ses différentes modalités ont donc un impact sur la santé psychologique de manière générale. Les conditions de confinement et les fragilités psychologiques existantes sont déterminantes face au risque de passage à l’acte suicidaire, qui est décuplé en contexte de crise sanitaire. Que vous soyez concerné par cette situation ou au contact d’une personne présentant des risques, le premiers réflexes consistent à rompre la solitude, à se faire accompagner et à alerter en cas de danger imminent.
Le passage à l’acte suicidaire est un sujet épineux qui soulève bon nombre d’interrogations, d’inquiétudes, d’émotions diverses. Les professionnels de santé (psychologue, médecins, infirmiers) sont disponibles pour évoquer ces problématiques en amont de toute situation de danger et permettent de trouver des ressources internes comme externes, pour « prévenir » d’un éventuel passage à l’acte.
SOS Amitié :
Permanence d’écoute téléphonique 24h/24, 7j/7.
Permanence d’écoute par tchat tous les soirs de 19 h à 23 h ou par mail (réponse sous 48h maximum).
Tél. : 01 42 96 26 26 (Ile-de-France).Les numéros régionaux d’appel sur le site de l’association.
Site Internet : www.sos-amitie.org.
Suicide Ecoute :
Ecoute des personnes confrontées au suicide.
Permanence d’écoute téléphonique 24h/24, 7j/7.
Tél. : 01 45 39 40 00
Site Internet : www.suicide-ecoute.fr.
SOS Suicide Phénix :
Accueil et écoute de toute personne confrontée à la problématique du suicide.
Permanence d’écoute téléphonique 7j/7.
Permanence d’écoute par messagerie accessible depuis le site internet de l’association.
Ligne nationale : 0 825 12 03 64 (de 16 h à 23 h).
Ligne Ile-de-France : 01 40 44 46 45 (de 12h à minuit).
Site Internet : www.sos-suicide-phenix.org.
Marie-Violette Vellutini
Sources :
https://www.conduites-suicidaires.com/le-suicide/le-suicide-chez-les-adolescents/
http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confsuicide/vedrinne.html
http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/conf&rm/conf/confsuicide/lejoyeux.html