par Marie-Astrid d’Alteroche, Psychologue clinicienne
le 2020-04-29
Regarder l’heure passer, allonger ses pauses café, surfer les réseaux sans but précis, nous connaissons tous ces creux d’activités au travail. Pour certains dont ces moments d’ennui font partie de leur quotidien, la situation peut devenir difficilement supportable. Fatigue, honte, culpabilité, perte de confiance en soi, déprime peuvent apparaître et constituent un terrain pour le développement d’un bore-out.
Révélateur de notre époque, le bore-out (“to be bored” en anglais signifie “s’ennuyer”) est bien moins médiatisé que le burn-out. Il inquiète les chercheurs en sciences sociales qui alertent depuis 2005 sur ses risques. Le syndrome peine à trouver sa place en tant que maladie reconnue, pourtant les conséquences psychologiques peuvent être importantes et vont de la fatigue à la perte d’estime de soi en passant par la dépression ou des passages à l’acte auto-agressifs.
Les définitions du bore-out sont nombreuses. Elles mettent toutes en avant une souffrance psychique engendrée par un manque d’activité au travail.
En 2008, une enquête réalisée par Stepstone révèle que 30 % des Allemands, 33 % des Belges, 29 % des Suédois et 21 % des Danois, soit en moyenne 1 Européen sur 3, n’a pas assez de travail pour combler ses journées. Selon Christian Bourion (2015), en France, 30% des salariés seraient concernés par le bore-out !
Vous vous ennuyez au travail ? Apparemment vous n’êtes pas seul. Nous vous présentons ici le cheminement de Gaston, jeune analyste en marketing:
« Je travaillais dans une entreprise en réorganisation. Ils avaient d’autres priorités. Même si j’étais jeune, ils m’ont mis au placard. Apparemment ça ne touche pas que les vieux. J’avais l’impression de servir à rien, j’étais crevé alors que je ne faisais rien de la journée…l’enfer ».
En effet, contrairement aux idées reçues, le bore-out ne touche pas seulement les quinquagénaires.. Il n’existe pas de « profil type du salarié » sensible au bore-out, nous pouvons tous être concernés à un moment donné de notre carrière. Comme Gaston, vous pouvez être jeune et être touché par ce phénomène.
Nous retrouvons ainsi, trois racines au bore-out, développées par Bataille : l’organisation (répartition du travail), le savoir-faire (les compétences de chacun) et les motivations (ambition, souhaits, intérêts) qu’il ne faut pas oublier de mettre en lien avec l’expérience individuelle de chacun (estime de soi, parcours de vie, besoin de reconnaissance…).
« J’étais crevé, je n’avais plus envie de rien faire, je culpabilisais et j’étais de plus en plus anxieux. Je me sentais nul. » Gaston
Les salariés dépossédés de leurs tâches se déshabituent et se désinvestissent du travail. Ils doutent de leurs capacités et leurs compétences à effectuer leurs tâches quotidiennes. Cette situation est particulièrement à risque car ces salariés deviennent inemployables à force d’accumuler de l’inexpérience. De plus, on observe que les salariés sont épuisés. Ils peinent à réaliser les tâches qui leurs sont confiées ce qui engendre de nombreuses conséquences dans une équipe. Pour la plupart des personnes, s’ennuyer au travail et être fatigué est inconcevable et sera durement jugé.
Les sentiments de honte et de culpabilité sont donc présents d’autant plus qu’il est difficile d’en parler autour de soi. Le bore-out se développe dans le temps. Il se nourrit du tabou, de la honte et du doute.Le salarié cache son état psychologique jusqu’au bout dans le but de préserver son travail. Il souhaite éviter le pire : être considéré comme « le fainéant », le « nul » mis au placard.
Cette situation est difficile à assumer au travail mais aussi en société. Dévoiler sa profession est souvent la première question dans un échange lors d’un dîner ou une soirée. La question « Que fais-tu dans la vie ? », au même titre que « Bonjour, comment ça va ? », est un reflex social plus ancré dans des normes de politesse qu’une réelle curiosité engagée. Si vous tentez l’expérience d’évoquer votre ennui au travail dans une conversation avec des inconnus, il se pourrait que vous ne receviez pas un accueil très valorisant. Observez les médias, la communication sur le burn-out est telle que s’en est devenu une expression courante : « Je suis au bord du burn-out ». Conséquence d’une société où la consommation et la performance sont très valorisées. Oser avouer son ennui c’est courir le risque d’une rupture sociale voire un signe de provocation aux yeux de tous.
Il est important de différencier le syndrome du bore-out de l’ennui. Le bore-out est une dimension de l’ennui.
Le Bore-out résulte de causes externes liées aux contextes professionnels soit à l’organisation, la motivation et le savoir-faire. Toutefois, celui-ci peut être un écho d’une possible intolérance à l’ennui, d’où l’intérêt d’une intervention thérapeutique comme le souligne Bataille. Avec le thérapeute, le rapport à l’ennui doit donc être questionné dans les loisirs, dans la manière d’être au monde et pas seulement dans l’environnement professionnel. Ainsi, il est nécessaire de se poser la question suivante : l’ennui est-il la cause ou la conséquence du bore-out ?
Amandine nous exprime son doute: « Dans mon job, je m’ennuie, j’ai besoin d’être stimulée par différents projets j’aimerais avoir de nouvelles responsabilités, de nouveaux challenges. Mais j’ai une situation confortable, je ne peux pas prendre de risque. Ça finira par s’améliorer. »
Ici rien d’alarmant me direz-vous. Pourtant, le désir de travail, est ici empêché voire étouffé. Pour fuir l’ennui et ses effets négatifs, plusieurs stratégies de contournement sont mises en place par les salariés.
La première tentative est de rationaliser l’ennui. Amandine est dans cette situation, tout en étant dans la passivité, elle met en place une croyance prédictive : « ça finira par s’améliorer ».
La deuxième étape est de mettre en place des stratégies d’évitements en faisant preuve de créativité : occuper le temps, faire un planning…
Lorsque ces deux stades sont dépassés, le salarié enclenche un autre plan de contournement : traiter ses affaires personnelles sur son lieu de travail. Les stratégies de comportements sont nombreuses mais lorsqu’elles sont toutes épuisées, la personne perd pied et s’enfonce. Elle risque de se sentir inutile et de perdre confiance en elle.
« Vous êtes bien gentille, mais si je fais un bore-out en quoi un psy va m’aider ? » Amandine
Aller voir un psychologue peut être difficile et si en plus c’est pour parler de son ennui cela peut sembler absurde voire rasoir ! Pourtant le psychologue peut être d’une aide précieuse dans ces moments difficiles.
Gaston dans notre vignette clinique s’ennuie, s'affaiblit, se fatigue, devient anxieux, perd confiance en lui… l’anxiété et la dépression le guettent. Il a été encouragé au cours de sa psychothérapie à faire un travail d’introspection. Il a cherché dans son histoire des moments empreints de sens à ses yeux : un instant spirituel, mystérieux ou merveilleux. Après avoir exploré des moments où il a ressenti des émotions comme l’amour, l’admiration, l’étonnement, la joie, Gaston grâce à la pleine conscience a développé sa capacité à centrer son attention. Avec bienveillance, il a fait expérience du moment présent, en contact avec toutes ses sensations (bonnes et mauvaises).
L’ennui est une expérience personnelle parfois douloureuse. Il est souvent placé sous le signe du vide. Pour Rhodes (2015), l’ennui est un rappel du manque de sens dans l’existence humaine.
Face à l’ennui nous éprouvons un désir fort de faire quelque chose d’utile, de s’investir dans une activité engageante, satisfaisante et porteuse de sens. Ainsi, il décrit cet état comme un « appel à la créativité ». Il peut nous permettre de mettre en perspective notre quotidien, si nous pouvons faire de l’ennui un levier d’action, des talents peuvent émerger lors de cette période.
Gaston a constaté que l’ennui n’est pas une fatalité et se transforme. Il a renoncé à être dans une situation passive. Cet épisode lui a permis d’identifier ses valeurs essentielles mais aussi le sens qu’il voulait donner à sa vie. Le suivi psychologique, ses différentes rencontres, son entourage, le développement d'activité de loisirs ont contribué à l’amélioration de son état. Différentes stratégies issues des thérapies cognitives et comportementales peuvent être utilisées avec succès face au bore-out.
Sources :
- Bataille, S. (2016). Le bore-out, nouveau risque. Références en santé au travail, 145, 19-27.
- Rengade, C. E. (2016). De l’ennui au bore-out, une revue de la littérature. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 26(3), 123-130.
- Chapelle, F. G. (2016). Modélisation des processus d’épuisement professionnel liés aux facteurs de risques psychosociaux: burn out, bore out, stress chronique, addiction au travail, épuisement compassionnel. Journal de thérapie comportementale et cognitive, 26(3), 111-122.
- Bourion, C. (2015). Le bore-out syndrom: quand l'ennui au travail rend fou. Albin Michel.
- Bourion, C., & Trébucq, S. (2011). Le bore-out-syndrom. Revue internationale de psychosociologie, 17(41), 319-346.