Bienvenue sur weppsy, un ensemble d’articles écrits par des psychologues à destination du grand public.
Ce blog est issu du souhait de partager des idées du monde de la psychologie, de créer des échanges grâce à “une rencontre” avec des praticiens sur des sujets qui vous touchent et vous interrogent. Une rencontre car chaque texte est le fruit du travail personnel et de l’expérience d’un psychologue et porte dès lors sa signature. Vous trouverez ici une grande diversité d’approches : chaque article est l’expression d’un point de vue, d’une pratique. Nous sommes convaincus que la pluralité des approches et la dimension intégrative des pratiques nourrissent une réflexion riche et en mouvement. Nous vous invitons ainsi à explorer ces ressources avec ouverture et bienveillance, valeurs essentielles de notre réseau, que nous souhaitons prolonger et faire vivre dans ce projet avec vous.
L’objectif est ainsi de vous donner un maximum d’informations afin de faire avancer votre réflexion sur des sujets, et que vous puissiez faire des choix éclairés, concernant par exemple le type de psychologue ou de courant qui pourraient vous convenir au mieux.
Afin d’approfondir les thématiques abordées, vous trouverez des sources et des liens en bas des articles, qui sont des invitations à approfondir les thématiques abordées, ainsi que des informations sur l’auteur. Nous vous proposons de les retrouver sur leur fiche weppsy ou via leur site si vous souhaitez les contacter. Par ailleurs, comme vous le savez, ces écrits ne pourront pas répondre totalement à une problématique spécifique et personnelle, mais seront, nous l’espérons, un point de démarrage et un début d’éclairage pour vous. Aussi, rien ne remplacera un entretien avec un psychologue.
Les auteurs de weppsy sont des psychologues cliniciens, du travail, ou chercheurs, qui travaillent dans différentes organisations telles que l’hôpital, l’entreprise, les écoles ou encore comme indépendant. Ils sont tous diplômés de l'Ecole de Psychologues Praticiens.
Vous trouverez ci-contre des catégories, qui évolueront et s’enrichiront au fil du temps, afin de pouvoir vous repérer au mieux et cibler vos recherches.
Maintenant, à vous d’explorer !
par Rose de Cherisey, Psychologue clinicienne
le 2020-05-27
Nous sommes issus, en France et plus largement en Europe occidentale, d’une histoire, entre autres, cartésienne, qui sépare l’émotion de la raison.
Nous avons longtemps considéré que l’émotion était un frein à la raison. Selon Descartes, l’émotion, au même titre que la passion, représenterait même des affections, venant alors entraver le raisonnement et le bon fonctionnement du cerveau.
Les recherches plus récentes, effectuées par les neurologues et psychologues, montrent à l’inverse, que les émotions et le cerveau travaillent ensemble, s'apportant des informations complémentaires importantes, participant à ce que l’on appelle les compétences logiques et les compétences émotionnelles (1).
Dans différentes cultures et notamment en Asie par exemple, la prise en compte des émotions est ancestrale et constitue une énergie positive au service de chacun, tant d’un point de vue professionnel que personnel, collectif qu’individuel.
Il n’est pourtant pas rare encore aujourd’hui d’entendre des demandes impossibles telles que « on laisse le perso chez soi et le pro au travail » ou des clichés tels que « les émotions n’ont pas leur place en entreprise ».
Alors, qu’en est-il de ces fameuses émotions dans notre vie professionnelle ? Celles que nous savons maintenant nécessaires à la gestion de notre vie quotidienne, mais surtout, indissociables de notre être et de notre essence même ?
Notre société actuelle est duelle dans bien des sens (2), et la crise sanitaire que nous venons de traverser nous a confrontés à ces ambivalences qui se sont creusées, mais également à nous-mêmes (3). Le retour au monde professionnel comme nous le connaissions il n’y a que quelques mois encore ne pourra pas se faire sans transformation ni changement.
Les entreprises qui se sont le mieux adaptées à la crise d’un point de vue professionnel ont écouté les collaborateurs dits « de terrain », ont développé en eux une confiance, une volonté de pousser à l’autonomie, à la créativité, tout en créant des espaces de paroles où chacun pouvait s’exprimer librement (4). On arrive donc ici à ce qu’on appelle l’Intelligence émotionnelle.
Si sa définition paraît évidente, son application ne l’est pas pour autant, principalement à cause de nos croyances concernant les émotions et leur utilité, ceci, autant dans la vie professionnelle que personnelle. Nous entendons encore fréquemment qu’un garçon ne doit pas pleurer (et donc être triste) ni avoir peur, et qu’une fille ne doit pas se mettre en colère mais privilégier la douceur et la tranquillité. Il semble donc important, avant d’aborder l’intelligence émotionnelle, de considérer les émotions en elles-mêmes.
On parle d’abord des émotions primaires, dites biologiques, innées, instinctives. Au nombre de six, elles participent à notre survie. On retrouve la Joie, la Colère, la Peur, la Tristesse, le Dégoût et la Surprise. Tout comme les couleurs primaires qui forment, en se mélangeant, un arc-en-ciel, les émotions primaires vont s’imbriquer et donner des émotions plus complexes, appelées les émotions secondaires, plus communément connues sous le nom de « sentiments » : la colère associée à la peur peut par exemple donner un sentiment de frustration, ou d’injustice. La joie et la tristesse se transformeront en nostalgie.
Chaque émotion a une origine et un besoin qui lui sont propres. La peur, provoquée par une situation perçue comme dangereuse indique un besoin de sécurité. La colère, générée par une atteinte à l’intégrité demande la réparation du dommage commit. Une fois cette base posée, nous pouvons nous demander ce qu’est l’intelligence émotionnelle et quelles sont ses compétences (5) ?
Comme évoqué plus haut, nous avons des compétences logiques et des compétences émotionnelles. Quelles sont, alors, les 5 compétences émotionnelles ?
Les émotions sont encore parfois méconnues et donc, difficilement identifiables. En parallèle, elles arrivent en nombre et il n’est pas toujours évident de savoir quelle est l’émotion la plus présente à tel ou tel moment. Il est donc important, lorsqu’on se sent pris dans un flot émotionnel, de se poser la question : qu’est-ce que je ressens ? Les techniques sont aujourd’hui variées pour se mettre en condition d’écoute de ses émotions et de leurs ressentis corporels, allant du balayage corporel au yoga, passant par la respiration, l’écriture, l’entretien psychologique ou encore la méditation. Il ne tient donc qu’à chacun d’entre nous de développer cette posture d’identification qui nous amènera à la deuxième compétence émotionnelle.
Une fois l’identification de l’émotion principale terminée, il nous faut comprendre ce qui l’a engendrée (la situation, et donc le comment) et la raison pour laquelle c’est cette émotion qui s’installe plutôt qu’une autre (la réaction, et donc le pourquoi).
Chacun d’entre nous avons des réactions qui nous sont propres, dirigées par nos expériences précoces et actuelles, notre personnalité, nos injonctions, notre seuil de tolérance…. Ainsi, la compréhension de l’émotion nous aidera à nous rapprocher de nous-même, de nos valeurs, et nous permettra donc de l’exprimer.
L’émotion peut s’exprimer en deux temps (à chaud ou avec une prise de recul), mais de bien des manières. Elle peut rester pour nous ou être communiquée à l’autre, se décharger dans le sport ou dans l’écriture, la musique, ou dans un courriel à un collègue qui nous a énervé.
L’important, dans cette notion d’intelligence émotionnelle sera de pouvoir exprimer son émotion sans être sous son emprise, que l’on puisse l’accepter et s’en servir, au lieu de tenter de la refouler ou de la dénier car on ne lui trouve pas d’utilité instantanée.
Réguler ses émotions, c’est réussir à ne pas être dirigé par elles, mais s’en servir de manière efficace et sereine, pour avancer en accord avec nous-mêmes. C’est aussi réussir à réguler celles de notre interlocuteur, de l’aider à les identifier, à comprendre et exprimer ses propres émotions, même si elles sont en désaccord avec les nôtres. Il y a donc la notion du respect de l’autre et de ce qu’il ressent, de ce que ses comportements et émotions viennent provoquer chez nous. Si l’Intelligence émotionnelle passe par un travail individuel, elle prend forcément en compte l’autre, puisque nous sommes avant tout des êtres sociaux. Comme nous l’avons vu plus haut, les méthodes de régulation des émotions sont nombreuses et il ne tient qu’à chacun d’entre nous de trouver la méthode en accord avec nous-même.
L’émotion participe au passage à l’action. Lorsque je traverse la route, la peur me fait regarder sur les côtés pour m’assurer de passer en toute sécurité. Ne pas prendre nos émotions en considération lors du passage à l’action nous ferait bien souvent foncer droit dans le mur, puisque nous n’aurions pas conscience ni des risques, ni de notre réelle motivation à le faire. Devenir manager d’une équipe lorsqu’on n’apprécie pas particulièrement les responsabilités, asseoir son statut de supérieur hiérarchique et prendre la parole en public, par exemple, risque de faire de nous un manager en difficultés qui risquerait de dégrader un collectif.
A la lecture de ces cinq compétences, on comprend alors qu’elles s’appliquent non seulement dans le milieu professionnel, mais également dans le milieu personnel.
Il s’agit d’une démarche individuelle ayant un impact fort sur soi, mais également chez nos différents interlocuteurs.
La crise du Covid-19 a eu un impact sur chacun d’entre nous. Elle a aidé à des prises de consciences personnelles et sociétales, environnementales et économiques. De nombreux groupes veulent voir émerger de nouvelles actions, méthodes, pour intensifier le respect de la planète, repenser l’économie individuelle, nationale, mondiale, le monde du travail, la course au « tout, tout de suite » et aussi et surtout, être plus proche de l’humain. De la prise de conscience du travail des soignants à celle du besoin d’être avec nos proches, de travailler, de sortir, de bouger, en passant par la nécessité de trouver du sens à nos actions et notre quotidien, ces prises de conscience ont pour idéologie de nous rapprocher de l’essentiel (6).
Dans nos conditions professionnelles et dans l’optique d’un retour dit « à la normale », il sera donc important de privilégier cet espace d’échange autour des ressentis individuels et collectifs, où chaque membre de l’équipe, collaborateur comme manager, arrivera à se munir de ces compétences pour les exploiter et s’en servir dans le but d’agir et d’interagir, en adéquation avec soi-même et les autres.
Loin d’être l’unique clef, l’intelligence émotionnelle à travers une communication plus ouverte, transparente et bienveillante nous rapprochera de cet essentiel et nous guidera vers nos besoins fondamentaux.
Rose de Cherisey
Sources
La raison des émotions Antonio R. Damasio, paru en janvier 2010 Essai (Poche)
https://www.institut-entreprise.fr/limpact-de-la-crise-du-covid-19-sur-le-travail-premiere-analyse
Manager avec l’intelligence émotionnelle. Pierre-Marie Burgat, Ed. Dunod. 2016.
par Sophie Cappe de Baillon, Psychologue et coach en orientation
le 2020-05-19
Le déconfinement a sonné. Néanmoins pour certains, le télétravail, les révisions à domicile, la garde des enfants laissent un goût de confinement prolongé ou en tout cas, n’aide pas à se mobiliser plus pour son travail.
Une réunion à forts enjeux prochainement ou des examens à préparer ? Au fil des jours cela peut devenir de plus en plus urgent. C’est idéal de commencer maintenant car vous avez (encore ?) du temps. Et pourtant. Rien à faire. Vous ne trouvez pas l’énergie.
Qu’on soit salarié ou étudiant, travailler est un défi encore plus grand en ce moment. Au début, il y a eu l’excitation de découvrir un nouveau rythme de travail, de chez soi, à distance. Mais les jours ont passé et l’énergie manque vraiment… Dans cet article je vous propose de : comprendre pourquoi cette période est si propice à la démotivation, d’ouvrir des pistes de réflexions afin de comprendre ce qui vous motive, et concrètement, qu’est-ce que je peux faire pour retrouver de l’énergie ?
Pourquoi cette période est si propice à la démotivation ?
Depuis le début du confinement, on a tous changé nos habitudes de travail à cause d’un seul élément : notre cadre social n’existe plus. Le rythme de nos vies personnelles a changé de manière évidente mais côté professionnel, ça a été un peu plus insidieux. Au début, on était ravis d’échapper au temps de transport, aux réunions à rallonge et autres désagréments. Pourtant, toutes ces habitudes apportent un rythme et une structure à nos quotidiens, sans même que nous en ayons conscience.
Prenez la réunion d’équipe hebdomadaire: elle vous sortait souvent de la tête mais voir vos collègues quitter leurs bureaux tous en même temps vous rappelait à l’ordre. Désormais, vous êtes le seul et unique acteur de votre rythme, à vous de vous organiser avec vos contraintes professionnelles ET personnelles. Cela demande beaucoup plus d’énergie. (D’autant plus si certains de vos co-confinés ont moins de 10 ans !)
En plus de cela, il y a le manque ou le trop plein de travail, le chômage partiel ou encore l’assignation de “travail de fond” toujours repoussé jusqu’alors. En bref, c’est l’incertitude et on se questionne : est-ce que mon travail actuel est vraiment utile ?
Modification du lien social, absence de temporalité, résultats peu visibles, manque d’objectifs, autant de raisons de baisser les bras ?
Bill Gates disait : “Je choisis une personne paresseuse pour un travail difficile, car une personne paresseuse va trouver un moyen facile de le faire.”
Toutes ces contraintes pourraient être l’opportunité de développer votre capacité à être un paresseux-heureux. Parlons plus en détail de la motivation pour mieux agir !
La motivation c’est la raison qui va nous mettre en mouvement, la cause qui va susciter l’énergie. Regardons cela plus en détails.
La théorie de l'autodétermination a défini 3 types de motivation principaux :
L’amotivation est l’absence de motivation. Pas trop besoin de vous expliquer, je pense qu’on a tous vécu récemment où on passe d’une tâche à l’autre, sans conviction. Cet état de léthargie très désagréable renvoie à la question du sens : pour quoi faire cela ? L’attitude à adopter peut être de vous interroger sur le besoin auquel répond cette activité.
La motivation extrinsèque est la réalisation de tâches pour des motifs externes. L’enfant puni qui se retrouve à écrire 100 fois la même phrase pour une punition est un bon exemple. Il y a différents types de régulations de cette motivation. Prenons l’exemple du travail.
Je travaille pour faire plaisir à mes parents/mon boss → Il s’agit d’une régulation externe.
Je travaille parce que si je ne le fais pas je vais culpabiliser → Il s’agit d’une régulation introjectée.
Je travaille car ça me permettra d’atteindre un poste qui me plaira → Il s’agit d’une régulation identifiée.
Je travaille car c’est aligné avec mes valeurs de travail bien fait → Il s’agit d’une régulation intégrée.
Différentes type de régulations qui vous permettent de gagner en motivation à court/moyen terme.
La motivation intrinsèque est le plus haut degré de motivation, le plus durable et aussi le plus personnel ! Vous souvenez vous d’un moment où vous vous êtes engagé spontanément et volontairement dans une tâche par intérêt ou plaisir personnel ?
Pour expérimenter ce qu’est la motivation intrinsèque, pensez à la dernière activité que vous avez aimé faire sans solliciter trop d’énergie. Ca peut être la cuisine, la lecture, le sport… Il y a 3 piliers dans la motivation intrinsèque :
Avoir de l’autonomie : pouvoir orienter ses désirs comme on le souhaite
Agir pour quelque chose qui a du sens pour nous.
Développer une envie de maîtrise : réaliser qu’on peut toujours apprendre plus sur ce sujet !
Attention, il n’y a pas une motivation meilleure que l’autre. On a besoin de la motivation intrinsèque ET extrinsèque pour se mettre en marche. Ces différents types de motivation s’inscrivent dans un continuum où l’énergie fluctue selon notre capacité à écouter nos envies personnelles et à reconnaître nos forces et compétences.
Ces périodes de confinement et déconfinement sont une belle occasion de faire plus avec moins, l’occasion de développer une paresse efficace et d’aller au plus simple comme le disait Bill Gates. Dans ce but, je vous propose deux expériences.
Expérience 1 : dans les dernières semaines, quelles sont les activités qui vous ont mobilisé sans effort ? Celles pour lesquelles vous pouvez-vous mettre en mouvement facilement ? Identifier ces moments de mise en mouvement facilitée vous permet d’identifier vos forces : les choses que vous savez bien faire spontanément.
Expérience 2 : Pour affiner la connaissance de vos motivations, je vous propose de reprendre 3 moments professionnels où vous vous êtes senti particulièrement motivé. Décrivez les en détail (votre rôle, vos interlocuteurs, vos actions exactes…) Puis sous votre texte, tracez 2 colonnes à compléter à lumière des types de motivations décrits ci-dessus. D’un côté, vous inscrivez vos motivations intrinsèques et de l’autre côté, vos motivations extrinsèques pour comprendre ce qui marche pour vous motiver personnellement. Et la prochaine fois que l’absence de motivation se fait sentir, allez piocher dans cette liste !
Prenez soin de vous,
Sophie Cappe de Baillon
Psychologue - Coach en orientation
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Sources :
https://www.ted.com/talks/dan_pink_the_puzzle_of_motivation?language=fr
par Pauline d'Heucqueville, Psychologue du travail
le 2020-05-12
Je vais être honnête, je suis devenue incollable sur le programme télévisé, j’ai repoussé mon réveil jusqu’au dernier moment, le micro-ondes est dorénavant mon meilleur ami et je n’ai pas encore revêtu mon jogging commandé en express le 17 mars dernier …
Avez-vous suivi le challenge abdominaux, cuisiné avec des grands chefs et aidé vos enfants à résoudre le problème de mathématiques : celui avec le trou dans la baignoire ?
C’est étrange de s’apercevoir que les vingt-quatre heures qui constituent nos journées peuvent être à la fois interminables et nous filer entre les doigts. Organiser ce temps a constitué un défi majeur lors du confinement : remplir ses journées pour lutter contre l’ennui pour certains ou au contraire arriver au bout de sa liste de tâches pour d’autres.
Notre niveau d’énergie fluctue sans cesse, nous sommes soumis à nos différents rythmes biologiques :
les cycles circadiens qui durent 24 h et nous permettent d’alterner les phases de veille et de sommeil, ils sont synchronisés par l’alternance jour/ nuit
les cycles ultradiens eux, sont plus courts : c’est l’alternance de périodes de grande efficacité avec des moments où nous sommes moins éveillés.
Tout au long de la journée, nous alternons les phases de vivacité (de 90 à 120 minutes) avec des moments où nos organismes ont besoin de se régénérer (15 à 20 minutes).
Alors si vous avez envie de vous étirer, de bailler, que vos pensées s’emmêlent, c’est que vous n’êtes pas disposé à accomplir des tâches coûteuses en énergie : votre organisme a besoin de faire une pause pour repartir de plus belle !
Ces cycles se synchronisent automatiquement mais sont aussi influencés par nos modes de vie et quand ils se désynchronisent nous somme à plat !
Voici quelques conseils pour prévenir le risque d’épuisement :
Pour expliquer la charge mentale, on compare souvent notre cerveau à un canal de transmission.
Ainsi, le flot d’informations professionnelles, les contraintes personnelles et l’actualité viennent remplir notre « disque dur interne » et quand il surchauffe : la facture peut être salée !
A la différence d’un circuit électrique où les appareils s’éteignent lorsqu’ils sont trop nombreux, le cerveau va filtrer les informations qu’ils jugent moins importantes pour les mettre au second plan. Résultat: plus une tâche est difficile à résoudre, moins nous sommes capables d’en effectuer d’autres au même moment.
Lire un mail et écouter les informations tout en surveillant du coin de l’œil votre enfant demandent au cerveau un effort considérable pour rester attentif et concentré. Vous sollicitez au même moment votre cortex préfrontal qui doit sans cesse faire l’aller-retour entre les différentes zones cérébrales impliquées dans ces activités.
Votre cerveau ne sait pas faire plusieurs choses à la fois et être optimal dans la gestion de chaque tâche.
Il n’y a pas que les tâches à accomplir qui fatiguent notre cerveau. Le contrôle des émotions qui accompagnent l’ensemble de ces pensées est éreintant !
Par les temps qui courent, il est tout à fait naturel, quelles qu’aient pu être nos conditions de confinement, de ressentir des émotions plus fortes que d’habitude : la peur, la tristesse ou la frustration par exemple.
Que vous soyez seul ou en famille, que vous soyez actif ou en activité partielle, il n’est pas toujours simple de prendre le temps d’analyser ses ressentis, pas toujours adapté de parler de ce qui nous gêne. Nous sommes enfermés dans un huis clos émotionnel :
Soyez le Sherlock Holmes de votre état intérieur :
Placez vous devant une feuille de papier et écrivez vos pensées comme elles viennent,, sans les juger. Au début, elles seront peut-être confuses mais à force de les extérioriser vous allez au bout d’un moment mettre le doigt sur l’origine de vos ressentis. Pour vous aider, partez d’une situation banale et racontez-la simplement. Si vous rêvez, couchez vos souvenirs sur le papier et nommez les émotions que vous ressentez. Il n’y a pas de mauvais sujet ! A force d’associations, vous allez vous libérer des émotions et des pensées qui se sont accumulées et qui peuvent modifier votre humeur et votre comportement.
Gardez votre routine :
D’après une étude longitudinal menée par l’IFOP, 74 % des personnes confinées rapporteraient des troubles du sommeil. Ces derniers sont réputés pour leurs impacts sur les activités quotidiennes et sur le niveau d’anxiété.
Les facteurs environnementaux jouent un rôle fondamental dans la régulation de notre énergie :
L’alimentation par sa quantité (excès et restriction) et par sa qualité joue un rôle essentiel dans votre apport en énergie : si vous le pouvez, il est nettement recommandé d’éviter la prise d’excitants et la nourriture industrielle.
Délimitez vos espaces :
Pour beaucoup, déconfinement ne rime pas avec retour au travail. Alors une fois encore, essayez de séparer l’espace de travail de l’espace de vie : même si c’est symbolique ! Ranger vos affaires de travail une fois la journée terminée pour les ressortir le lendemain.
L’explosion de l’offre culturelle et la profusion des recommandations sont certes, une chance inouïe d’être plus créatif, d’apprendre de nouvelles choses, de faire passer ces temps de confinement et de déconfinement pour ressortir grandi de cette expérience. Mais attention, pas de panique si vous ne trouvez rien qui vous attire, c’est peut-être simplement que votre besoin se trouve ailleurs : laissez vous le temps d’aller à sa recherche …
« Les hommes connaissent leur désir mais pas les causes qui les déterminent »
Pauline d'Heucqueville
Sources :
- Génétique des rythmes circadiens et des troubles du rythme circadien du sommeil - Genetics of circadian rhythms and of circadian rhythm sleep disorders, Y.Dauvilliers12
- Enquête réalisée par l’Ifop pour le consortium COCONEL, qui réunit des chercheurs de l’UMR VITROME, 2020
par Marion de Champsavin, Psychologue clinicienne
le 2020-05-07
La pandémie actuelle confronte la population toute entière à une situation imprévisible. Et nous voilà confinés depuis presque deux mois, afin de se protéger de cette invisible menace. Vie sociale, mode de travail, économie, quotidien s’en retrouvent bousculés.
Afin d’apporter un éclairage à cette question, nous explorerons le processus de crise à l’échelle planétaire et individuelle, et les changements qu’elles supposent. Les éléments théoriques rapportés ici ont pour objectif de mieux comprendre ce qui se joue en nous et autour de nous à l’heure de la situation pandémique et de proposer des outils thérapeutiques pour nous aider à la traverser.
La crise au sens large
La crise marque la rupture d’un équilibre par la survenue d’un évènement inattendu, laissant vulnérable, limité, celui qui la subit. « Présentant en effet le visage d’une situation insolite par nature, la Crise est faite d’instabilité et de surprise, de tensions et de paradoxes, d’incertitude et de désordre, d’ignorance et d’aveuglement collectif ou individuel ». (T. Portal, 2009). Les incertitudes se trouvent accrues et l’équilibre doit alors être retrouvé.
Alors que l’homme percevait le monde à travers une logique cartésienne, plaçant la raison au cœur de sa pensée, la succession d’évènements chaotiques fait peu à peu place à la dimension d’inconstance.
Ces évolutions nous amènent à sortir de l’ère de l'individualisme pour aller vers une vision holistique du monde, reliant davantage l’homme à un système. Pour faire face à un univers qui nous dépasse, hors de de notre maîtrise, « Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille… » (E. Morin, 2020).
Edgar Morin nous explique que le désordre réside dans tout système vivant, l’homme compris, et que nous fonctionnons avec, malgré, à cause, tandis qu’une partie est « refoulée, vidangée, corrigée, transmutée, intégrée ». La crise nous confronterait alors à un désordre jusque-là dissimulé.
Crise du sujet
A l’échelle individuelle, cette perte de repères vient accentuer les réactions émotionnelles, mêlant tensions, stress, émotivité. Révélatrice des troubles de l’homme, la crise nous renvoie à notre sentiment d’impuissance. Ainsi, l’apparition du COVID-19 expose l’individu à la menace de sa propre mort ou bien à celle de ses proches. C’est la confrontation à notre propre mort qui vient faire trauma. Bouleversant nos croyances, cette menace fragilise nos personnalités. Devant le traumatisme psychique, Louis Crocq met en évidence trois types de perte qu’il me semble intéressant de développer afin de mieux saisir la vulnérabilité à laquelle nous sommes exposée.
- la perte de « l’illusion d’invulnérabilité » : Face à un danger de mort, l’homme se sentirait en insécurité, redoutant d’être menacé à tout moment par un évènement qui le rendrait faillible. Cela nous renvoie à la perte du fantasme d’immortalité.
- la perte de la « croyance en un environnement physique sécurisant, solide et protecteur ». Confronté aux limites de son environnement avec l’apparition d’une menace, l’évènement traumatique révèle une défaillance extérieure, renvoyant l’homme à un sentiment d’insécurité profond. Or pour vivre sans souffrance, l’homme a besoin de sentir en sécurité dans le monde qui l’entoure.
- la perte de la « conviction que l’humanité est bonne ». Afin de se sentir en sécurité dans la rencontre avec l’autre, l’homme a besoin de pouvoir compter sur autrui. Or dans un évènement traumatique, le groupe peut nier ce besoin, ou bien parce qu’il se trouve impuissant face aux besoins de la victime, ou bien parce qu’il est lui-même agresseur. Dans la situation actuelle, force est de constater que le secours nécessaire à la protection de la population se trouve entravé entre autres par la survenue imprévisible d’un virus et sa rapidité de propagation. A cet évènement s’ajoute le phénomène de contagion, qui vient interroger notre rapport au soin, au soutien, dans un contexte où l’individu est une potentielle menace pour l’autre car possiblement contagieux.
Face à l’effondrement de trois croyances nécessaires à la sécurité interne du sujet, l’homme se retrouve « démunis de tout moyen de défense » (Louis Crocq, 1997). Derrière la dimension de vulnérabilité à laquelle nous sommes exposés, la pensée psychiatrique aborde la notion de changement dans les phénomènes de crise. Celle-ci est décrite comme « un état temporaire de déséquilibre, de changement remettant en question l’ordre ou la stabilité du sujet et dont l’évolution est ouverte et variable. La crise participe ainsi de la succession de deux temps, celui de l’incertitude et de l’indécision, de l’angoisse ou d’un sentiment de rupture, puis celui de la résolution, d’une issue favorable ou défavorable ». (J-J Rassial, E. Bidaud, P. Lévy, 2001) Pour Jean-Claude Carrière, la crise implique « à la fois tout le passé et tout l’avenir de l’action dont il marquait le cours ».
Vers un changement
La phase d’agitation émotionnelle amenée par la crise nous met face à notre vérité jusque-là ignorée. Cette étape certes inconfortable, nous donne l’occasion de mettre au grand jour ce qui était caché jusque-là, et de trouver du sens dans ce qui pouvait nous échapper, aussi bien au niveau individuel que collectif. Elle nous confronte à la fois à notre rapport au monde, à nos croyances et à nos profondes incertitudes. Ce passage révèle en nous des ressources insoupçonnées, mettant en lumière nos capacités d’adaptation, de transformation. « Niveau de perception, capacité d’adaptation, imagination » font parties des ressources nommées par Thierry Portal pour pouvoir vivre cette crise et la dépasser. L’accueil de nos émotions et notre capacité d’acceptation sont également des ressources que nous développerons par la suite. Ce cheminement nous amène peu à peu à un processus de discernement, à l’action de trier, d’analyser.
L’origine du mot Crise « krisis » signifiant « jugement, décision », trouve alors tout son sens. Ainsi derrière le passage de confusion, se dessine la possibilité d’une décision, nous amenant vers une nouvelle direction. A nous d’inventer la suite, d’en déchiffrer le sens.
A l’échelle planétaire la crise suppose donc des changements au niveau de nos représentations. Comme le souligne Thierry Portal, les périodes de grandes instabilités ont vu éclore de nouvelles perspectives telles que la théorie de l’évolution de Charles Darwin au 19e siècle, ou encore la découverte de l’inconscient et sa théorisation par Sigmund Freud. « Petit à petit, de nouveaux discours d’explication du monde « tel qu’il vient » entrent en scène comme autant d’articulations majeures entre des moments de grands basculements où tout change, rendant possible ce qui n’était hier qu’illusion » (T. Portal 2009). Ce propos se voit renforcé par Edgar Morin qui explique que « Toute évolution naît toujours d’évènements/accidents, de perturbations qui donnent naissance à une déviance, qui devient la tendance, … laquelle entraîne des désorganisations/réorganisations plus ou moins dramatiques ou profondes ». Selon lui, la crise crée de nouvelles conditions pour l’action, impliquant des mouvements de progression et de régression, de possibles réorganisations, créations et dépassements. « Elle met en marche, ne serait-ce qu’à un moment, ne serait-ce qu’à l’état naissant, tout ce qui peut apporter changement, transformation, évolution ». (E. Morin)
Impliquant ruptures et changements, le processus de crise est à penser comme un passage ouvrant une voie à la créativité et à l’imaginaire. J-J Rassial, E. Bidaud, P. Lévy (2001) présentent la crise comme contribuant à la construction de l’individu, tout en rappelant qu’il peut s’y perdre. Ce passage suppose alors un choix entre « La voie du sens et celle du non-sens ; de l’être et du non-être. », ainsi exprimé par Derrida. Ces auteurs proposent alors de « penser l’espace de la crise, l’espace transitionnel et l’espace analytique » comme un tout « théoriquement cohérent où le sujet se met en « jeu ».
Face au caractère urgent de la situation, il est naturel de mettre en place des comportements nous assurant une certaine maîtrise, visant à nous rassurer en partie. La durée du confinement peut également nous amener à remplir notre emploi du temps pour éviter l’ennui, l’angoisse, la fatigue et autres sensations désagréables qu’il peut faire remonter. Les concepts amenés ici, visent au contraire à accepter la réalité telle qu’elle est, et laisser la place à notre intériorité pour mieux accéder à nos ressources.
Le stoïcisme développé par Xénon nous enseigne à percevoir la réalité telle qu’elle l’est réellement et ainsi vivre en accord avec le monde, en replaçant la nature comme source des lois de l’univers. Il s’agit « de cette possibilité d'adjoindre aux manifestations incertaines de l'existence individuelle ou collective un équilibre menant à une part relative de stabilité, nous laissant alors la possibilité de comprendre la nature et de réfléchir sur notre conduite » pour mieux s’y adapter comme l’explique Thierry Portal. Cette vision amène à une certaine sagesse, à l’exemple de Sénèque, pour qui rien ne peut le perturber car il intègre qu’un événement hors de sa portée modifie ce qu’il avait anticipé.
Le stoïcisme nous invite à une philosophie de l’instant présent et de l’acceptation afin d’aller vers un mieux-être. En psychologie, plusieurs outils thérapeutiques soutiennent la dynamique d’acceptation. Nous allons proposer ici certains principes développés par la thérapie d’acceptation et de l’engagement (dite ACT « Acceptation Commitment Therapy »), ainsi que la pratique de la méditation. Ces outils sont des pistes pour nous aider à vivre cette période de crise pour mieux la dépasser.
La Thérapie ACT nous invite à accepter nos expériences négatives (pensée, émotion, situation, douleur), contre lesquelles nous avons habituellement tendance à lutter, afin de soigner nos maux. L’acceptation participe à l’augmentation du sentiment de maîtrise des phénomènes, et de cohérence. Il s’agit dans un premier temps de reconnaître les failles des comportements mis en place pour lutter. Cette dynamique nécessite une démarche volontaire et active. L’expérience peut être pénible sur le court terme en tant qu’elle renvoie à des émotions ou pensées désagréables. La démarche est à penser sur le moyen ou long terme pour être efficace.
La thérapie ACT repose sur plusieurs principes dont les valeurs et la défusion du langage que nous allons décrire ici.
Des exemples de métaphores données par J-L Monestès et M. Villatte amènent à prendre conscience que nous pouvons agir de manière indépendante de nos pensées ou émotions négatives qui s’imposent parfois comme barrière psychologique. Un des exercices consiste à penser dans sa tête « Je ne peux pas lever la main », et dès que cette pensée apparaît, nous l’indiquons en levant la main.
La pratique de la méditation est également une aide à l’acceptation et à l’accueil de l’instant présent. Cette méthode nous propose d’observer les pensées qui nous traversent, sans émettre de jugement dessus. Il s’agit également de faire davantage de place à notre corps, en recentrant notre attention sur nos sensations corporelles ou bien en se focalisant sur notre respiration. Les situations anxiogènes peuvent altérer notre respiration « Quand nous sommes stressés, nous la mettons même en hypofonctionnement » nous rappelle Michel Odoul. Être en silence, simplement relié à son souffle permet de faire davantage d’espace. Cet espace, qui fait place au vide est nécessaire à l’émergence de notre créativité que nous pouvons avoir tendance à sous-estimer. Dans sa pratique, le thérapeute Thierry Janssen insiste sur l’importance du silence pour éveiller notre conscience et se détacher peu à peu des peurs qui nous conditionnent. Par cette discipline du silence, il présente une voie d’accès à notre vérité intérieure nécessaire pour choisir en liberté.
Les outils présentés ci-dessus ne donnent pas une solution immédiate aux émotions ou situations désagréables. Elles sont des invitations à accueillir la réalité telle qu’elle est. Sur le court-terme, ces outils peuvent donner un effet de soulagement et nous renvoyer également à des expériences inconfortables comme nous avons pu le voir. Dans la pratique, cette prise de contact avec le monde et avec nous-mêmes qu’implique ces théories, sont des axes de travail pour poser des choix en cohérence avec ce que nous sommes et ainsi faire de cette crise l’occasion de revenir à un essentiel qui était peut-être négligé, une créativité inexploitée.
Sources :
- Janssen, T. (2018). Ecouter le silence à l’intérieur. Paris : l’iconoclaste
- Monestès, J-L,. Villatte, M. (2011). La thérapie d’acceptation et d’engagement ACT. Issy-les-Moulineaux : Elsevier Masson
- Morin, E. (1976). Pour une crisologie. Communications. 25, 149-163
- Ponseti-Gaillochon, A., Duchet, C., Molenda, S (2009). Debriefing psychologique. Paris :Dunod
- Portal, T. (2009). Avant-Propos. Crises et facteur humain. 13-31
- Portal, T. (2007). Du pouvoir en situation extrême. Magazine de la communication de crise sensible. 14, 4-49
- Rassial, J-J., Bidaud, E., Lévy, P. (2001) La crise du sujet. Connexions. 76, 105-113
par Claire Raynaud de Lage, Psychologue Clinicienne
le 2020-05-05
« Sauver ou périr », cette devise de la Brigade de Sapeurs-pompiers de Paris pourrait résumer le fonctionnement psychique des personnes souffrant du syndrome du sauveur : sauver l’autre, dépenser une énergie incommensurable pour le porter, démêler les nœuds de sa vie, l’aider à corps perdu, ou ne pas exister.
Le sauveur a un besoin irrépressible de s’engager dans le sauvetage de ses proches, de ses amis, de sa famille, il répond toujours présent lorsque vous avez besoin d’aide, est prêt à passer des heures entière avec vous pour solutionner vos problèmes, à traverser la France pour vous rejoindre si vous avez mal, il fait preuve d’une abnégation sans limite dans toutes ses relations. « À première vue, le sauveur contemporain de la vraie vie peut sembler être le partenaire idéal, mais en réalité c’est un héros tragique. » (Lamya, Krieger, 2012)
En effet, l’altruisme sans limite voire l’héroïsme dont font preuve les personnes souffrant du symptôme du sauveur cache en réalité une tentative de « restaurer une perception de lui-même négative ou endommagée, héritée de son enfance. » (Lamya, Krieger, 2012)
« La problématique du sauveur renvoie systématiquement à la petite enfance. Si nous sommes concernés, c’est que nous avons été précocement placés dans un rôle de sauveur vis à vis de l’un de nos parents » (Leblanc, 2015). L’enfant est confronté à un parent qui n’a pas les moyens d’être suffisamment bon, de prendre soin de lui, car lui-même en souffrance. Cette réalité qui génère de l’angoisse chez l’enfant le pousse à prendre en charge l’adulte.
Se développe alors une grande intuition, orientée vers les besoins et désirs de l’autre ainsi qu’une très grande sensibilité à sa souffrance. […] L’enfant et ses besoins s’effacent devant la nécessité de combler les failles narcissiques du parent concerné et de lui éviter toute souffrance. Le bénéfice initial (rendre son parent suffisamment bon pour lui) s’efface également et l’enfant trouve peu à peu sa raison d’être dans l’apaisement et le bien-être de l’autre, s’éloignant de ce qu’il est réellement, lui. (Leblanc, 2015)
Ainsi l’enfant grandit et devient un adulte qui a fait sien le rôle qui lui a été préalablement assigné. Ce rôle est, en outre, accompagné de nombreuses croyances.
Croyance et attachement en la valeur de l’altruisme, croyance que sa valeur réside dans l’altruisme. Autrement dit, « c’est parce que je suis utile que l’autre m’aime, si je n’aide pas l’autre je ne vaux rien. » Pour être aimé, il doit tout faire pour rendre la vie des personnes qui l’entourent moins pesante. Ainsi le sauveur est dépendant de l’autre, ce qui motive son désir de devenir indispensable. « Qui suis-je si l’autre n’a pas besoin de moi ? »
Dans cette répétition au sein de ses relations, le sauveur finit toujours par ressentir un profond mal être car il est de nouveau confronté aux sentiments d’impuissance et de détresse qui ont jalonné sa propre histoire. "La difficulté majeure de ces personnes programmées pour prendre en charge l'autre, c'est qu'elles ne savent pas s'abandonner, explique Stéphanie Haxhe. Elles n'ont jamais été enlacées dans des bras qui les rassuraient, et ce qu'elles réclament à l'autre, c'est la part d'amour infantile qu'elles n'ont jamais reçu. Une quête insatiable, forcément.» (Senk, 2013) Le sauveur trouve plus évident et moins effrayant de prendre soin des autres que de prendre soin de lui-même.
Le sauveur est donc une personne qui souffre d’une très faible estime de soi, qui ne croit pas à sa valeur intrinsèque. Toute la difficulté pour la personne souffrant du syndrome du sauveur réside dans le fait de déposer les armes et d’accepter qu’elle a besoin d’aide. En effet, les souffrances de l’autre sont souvent moins abyssales et effrayantes que les siennes.
Le renoncement à la position de sauveur nécessite bien souvent l’aide d’un psychothérapeute pour être accompagné dans cette confrontation avec le vide intérieur, « pour pouvoir affronter une culpabilité sidérante, jusqu’à l’interdit de vivre, […] [pour] accepter de renoncer à la toute-puissance, accepter de rencontrer ses limites et son impuissance, au risque de revenir aux blessures narcissiques précoces à l’origine de la situation de sauveur» (Leblanc, 2015), Mais aussi pour apprendre à s’aimer soi-même, et à reconnaître et à écouter ses émotions, ses besoins, et les faire exister.
Toutefois, le renoncement à la position de sauveur ne signifie pas qu’il faut abandonner toutes démarches altruistes, mais au contraire cela vient équilibrer et ajuster l’aide offerte.
En se libérant de l’emprise de l’archétype du sauveur, on ne cesse pas de se préoccuper des autres. Les valeurs et talents que nous avons développés sont réels, et il s’agit maintenant de les mettre au service de l’autre de manière juste, sans porter atteinte à son intégrité ni à la nôtre. Cela demande une position d’humilité, en acceptant d’être un «humain ordinaire», conscient aussi bien de ses qualités (à assumer) que de ses limites (à respecter). (Leblanc, 2015)
Le syndrome du sauveur en pratique :
Tendance à porter secours dans toutes les situations (famille, amis, travail)
Besoin de se sentir indispensable ou besoin de trouver les solutions aux problèmes des autres
Capacité à faire passer ses besoins sous silence et à faire passer ceux des autres en priorité
Grande capacité d’abnégation ou de sacrifice
Se sentir responsable du bien-être de l’autre
Capacité à se rendre disponible à n’importe quel moment
Difficulté à opposer une réponse négative à quelqu’un qui vous demande de l’aide
Estime de soi défaillante
Besoin de reconnaissance pour exister
Le sauveur a tendance à se donner à corps perdu dans tous les endroits de sa vie, toujours prêt à rendre service, à accepter une charge de travail supplémentaire, ce qui le rend plus à risque de développer des pathologies comme le burn-out.
Le sauveur a aussi un insatiable besoin de reconnaissance, pas toujours comblé, qui peut parfois lui causer des difficultés dans ses relations : rupture de lien, ou au contraire abus de sa largesse. Ces ruptures, vécues comme des échecs, peuvent alimenter une spirale négative qui le conduit vers la dépression.
Enfin, comme le sauveur a tendance à oublier ses propres besoins au profit de ceux des autres, ses besoins trouvent une autre voie d’expression dans le corporel, ce qui peut conduire à de nombreux soucis de santé comme l’insomnie, l’asthme, les problèmes de dos, les problèmes digestifs…
Le syndrome du sauveur est un mode de fonctionnement hérité de la petite enfance. C’est pourquoi il est souvent nécessaire d’effectuer une psychothérapie afin de travailler sur ses blessures infantiles.
En outre, pour amoindrir ce mode de fonctionnement, plusieurs pistes peuvent être suivies par la personne souffrant de ce syndrome :
Apprendre à définir son identité en dehors de son rapport à l’autre
Apprendre à reconnaître qu’elle aussi a besoin d’aide
Combattre sa crainte de ne plus être aimée si elle se montre faillible
Apprendre aussi à identifier ses besoins
Pouvoir les nommer
Apprendre à dire non
Apprendre à différencier sa valeur des actes posés
Apprendre à recevoir
Apprendre à s’aimer et s’accepter
Le contexte actuel favorise le désir de prendre soin des autres, d’appeler nos proches, de s’occuper de nos voisins trop âgés pour sortir, et cette solidarité qui s’instaure est belle.
Toutefois, il est important de conserver un équilibre. Etre présent pour l’autre, lui tendre la main, l’aider si je peux le faire oui, mais la tentation du sauveur sera toujours d’en faire plus, souvent pour ne pas se confronter à sa propre angoisse, son inactivité, sa crainte de l’avenir ou son sentiment de solitude. Pourtant, ce temps donné pourrait aussi être l’occasion pour lui d’accepter ses émotions, positives ou négatives, de se recentrer, d’apprendre à s’écouter, à définir ses besoins et les nommer, de prendre le temps, puisque nous en avons, prendre le temps de s’apprivoiser, de se découvrir, d’exister en dehors de la relation à l’autre.
Toute personne qui aurait tendance à se jeter à corps perdu dans l’aide aux autres se trouve confrontée à un choix pendant cette période : passer sa journée au téléphone pour être certaine qu’elle n’a pas oublié quelqu’un qui pourrait potentiellement aller mal, ou s’asseoir et se demander comment elle va et de quoi elle a besoin.
Claire Raynaud de Lage
Sources :
Lamya M., Krieger M. (2012). Le syndrome du sauveur, Eyrolles, pp 1-7
Leblanc E. (2015). Le Sauveur : de l’Archétype à… moi. Savoir psy. Repéré à http://savoirpsy.com/wp-content/uploads/2015/12/Article-Leblanc-Le-Sauveur.pdf
Senk P. (2013). Ce que cache le «syndrome du sauveur ». Le Figaro Santé, Repéré à https://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/10/11/21371-ce-que-cache-syndrome-sauveur
par Yolaine de Nanteuil et Marie Chaligné, Psychologues cliniciennes
le 2020-05-02
La résilience. Un mot qui résonne souvent à nos oreilles ces derniers temps : dans la bouche de nos dirigeants, de nos soignants, des titres de journaux
et le 25 mars dernier l’armée française a même lancé une opération résilience. Mais qu’est-ce c’est vraiment la résilience ?Résilience…Un terme passé dans le langage courant pour décrire un phénomène psychologique que d’aucuns pourraient assimiler à une forme de guérison. Terme originellement utilisé par les physiciens pour désigner la capacité d’un matériau à résister aux chocs, il est devenu depuis synonyme de force permettant de sortir vainqueur d’une situation difficile, parfois tragique. ll s’agit d’un processus, ce qui veut dire que ce n’est pas simplement une résistance au choc, ce n’est pas seulement absorber le choc et rester droit. C’est quelque chose de dynamique et en mouvement pour avancer dans le cheminement de sa vie, malgré des conditions difficiles.
« La résilience est la capacité d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir, en présence d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères. » (Manciaux)
On ne peut aborder le sujet de la résilience sans énoncer de prime abord le traumatisme psychique. « [Ce] « choc » est équivalent à l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre » (Ferenczi). On retrouve ce traumatisme dans la violence sous toutes ses formes, y compris au sein des événements qui relèvent pas directement de la responsabilité de l’Homme: catastrophes naturelles, pandémies.
Le traumatisme psychique touche profondément l’individu et le rend particulièrement vulnérable. Or, l’être humain a ceci de fortement bien constitué qu’il cherchera – de manière plus ou moins efficace, allant parfois jusqu’à développer des symptômes – à utiliser des ressources, des stratégies adaptatives afin de sortir d’une situation qui lui est insupportable.
Parmi ces moyens opérants, se trouve la résilience. Celle-ci pourrait se définir comme la capacité d’un individu soumis à des événements difficiles et déstabilisants – voire parfois des traumatismes graves –, à s‘en remettre et à retourner à l’état précédant le choc ; à se développer « sainement », en se tournant vers l’avenir.
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre français, a beaucoup pensé la résilience et la présente comme une série de postures de protection faisant appel à la créativité et permettant la transformation psychique de la souffrance humaine. Selon lui, il s’agirait de la faculté de résistance au choc et de la capacité de récupération : « Le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur. Un mot permet d'organiser une autre manière de comprendre le mystère de ceux qui s'en sont sortis : la résilience, qui désigne la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit d'adversité. »
Dans le contexte mondial actuel, cette « résilience » peut être vue comme la capacité de la société à faire face à la crise sanitaire à laquelle elle est confrontée. Cette pandémie plonge en effet chaque individu dans un événement qu’il peut appréhender comme quelque chose de difficile, voire traumatisant.
Au travers de ce regard porté sur une maladie possiblement mortelle qui petit à petit gagne et touche le monde entier, le sujet doit faire le deuil de sa toute puissance illusoire, accepter la finitude de son existence, se trouvant ramené à la triste condition de sa vulnérabilité.
Pour survivre à la menace du virus, chacun doit ainsi faire preuve de résilience.
Pour survivre à la menace du virus, cette résilience pousse en partie à accepter de s’enfermer, appelant à nouveau à des nécessités d’adaptation. Comme si la résilience appelait la résilience.
La résilience provient de l’interaction entre la personne elle-même et son entourage, son histoire de vie et le contexte actuel dans lequel elle évolue (environnement social, économique, politique), mais aussi entre les facteurs de risques et les facteurs de protection. Que sont ces facteurs ? Un même facteur peut être risque ou protection selon la personne, ou même selon les périodes de vie, le contexte, pour un même individu.
Les principaux facteurs de protection pour une personne résiliante seront : l’estime de soi, avoir un certain sens de l’humour, la sociabilité, avoir un projet de vie, être entouré d’une famille unie ou au moins d’un proche aimant, et plus largement avoir un soutien social.
Les deux facteurs de protection essentiels pour pouvoir faire preuve de résilience sont, dans cet ordre : le soutien et le sens.
Le sujet confiné se trouve isolé de ceux qu’il côtoie au quotidien. Que l’on soit confinés à plusieurs ou non, il faut savoir faire face à la capacité d’être seul (Winnicott, 1958) chez soi ou parmi ses pairs.
Quoi qu’il en soit donc, du fait de sa durée et de son aspect exceptionnel et subi, ce confinement confrontera l’individu à un moment ou à un autre à la solitude, à l’ennui, la monotonie. Un vide qu’il faudra combler, habiter. En famille, « ce havre de sécurité [qui] est en même temps le lieu de la violence extrême », l’isolement remet en question le lien, le « comment être » avec l’autre. Le désœuvrement et la lassitude génèrent ainsi des pensées qui pourraient venir combler ce sentiment de vide, ces pensées laissant parfois, selon les sujets, émerger certaines angoisses archaïques bien ancrées.
Ces angoisses archaïques, sont liées à la prime enfance, et selon le style d’attachement du sujet, celui-ci trouvera une réponse plus ou moins adaptée à la situation. John Bowlby, dans sa théorie (1960-1970) développe l’idée que le style d’attachement sécure permettrait à l’enfant de développer sa résilience : se sentant protégé par ses parents, il acquerrait la capacité à se défendre, à faire face. L’attachement du bébé à sa mère le protège, c’est ainsi que dans sa mémoire et dans sa biologie, la personne sait qu’elle a la capacité de se défendre et d’être protégée. Ce lien est la racine d’un sentiment de sécurité.
« Le bonheur et l’efficacité créative sont à leur maximum chez les êtres humains, de tous âges, lorsque ceux-ci sont assurés de la présence, à leurs côtés d’une ou plusieurs personnes de confiance pour leur venir en aide en cas de difficulté. » (Bowlby, 1979)
On peut donc aisément concevoir que chez les « insécures », les pensées émergentes entreraient en résonance avec le sentiment d’isolement (d’abandon) actuel et pourraient entraver le processus de résilience. L’entraver, mais pas l’empêcher : Sécure ou non, le sujet devra mobiliser d’autres ressources, contourner ses problématiques face à ce que l’enfermement lui renvoie, et le « coût psychique » de cette manœuvre dépendra de son vécu, de sa capacité à faire face.
« A chaque instant, la résilience résulte de l’interaction entre l’individu lui-même et son entourage, entre les empreintes de sa vie antérieure et le contexte du moment en matière politique, économique, sociale, humaine. Elle résulte aussi de l’interaction entre facteurs de risque et facteurs de protection ». (Manciaux)
Ainsi, être résilient ne signifie pas nécessairement « bien vivre » l’événement, mais savoir le vivre et le transformer, le sublimer en une force, une ressource psychique pour « l’à-venir ».
On peut donc souffrir et être résilient : il s’agit ici de faire au mieux ; de transcender la souffrance. Et si cette résilience est efficace, la pensée doit pouvoir continuer dans l’après : « Pour ceux qui arriveront à ne pas se laisser dissoudre par l’enfermement, à s’ordonner malgré la souffrance, cette expérience deviendra un pilier dans leur existence ». (Bensayag)
La résilience n’est jamais acquise une fois pour toutes puisqu’il s’agit d’un processus évolutif. Parfois, les ressources de la personne peuvent être dépassées par la force d’un traumatisme. Cette capacité est variable selon les circonstances extérieures, les étapes de la vie et la nature de l'événement traumatique.
Il est aussi important de savoir qu’elle se manifeste de façon très diverse selon les différentes cultures.
Pour la mettre en œuvre, chacun mobilisera ses propres ressources : créatrices, sportives, affectives, spirituelles…
Aussi, il semble opportun d’achever cet article sur les vers de Musset, qui, emprisonné, a su se montrer résilient et saisir la beauté du monde extérieur restreint qu’il apercevait depuis sa cellule et qui illustrent parfaitement ce processus :
« Ceux à qui ce séjour tranquille
Est inconnu
Ignorent l’effet d’une tuile
Sur un mur nu
Je n’aurais jamais cru moi-même,
Sans l’avoir vu,
Ce que ce spectacle suprême
A d’imprévu ».Yolaine de Nanteuil et Marie Chaligné
Le profil de Yolaine sur weppsy
- de Musset A, « Le mie prigioni »
(20 septembre 1843)., in. Poésies nouvelles, 1850.
- Manciaux, M., (2001). La résilience : un regard qui fait vivre, Études 2001/10 (Tome 395)
- Cyrulnik, B., (2018). Traumatisme et résilience, Rhizome 2018/3-4 (N° 69-70)
- Cyrulnik B, (1993), Les nourritures affectives, Odile Jacob, Paris
- Cyrulnik B., (1999), Un merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob
- Ferenczi S., (2006) Le traumatisme, Petite Bibliothèque Payot, Paris
- Bowlby, John. (1979) The Bowlby-Ainsworth attachment theory. Behavioral and Brain Sciences 2 (4):637-638 (1979)