par Marie Rengade, Psychologue clincienne
le 2020-07-22
Dans l’art-thérapie on considère que la créativité est le moteur de toute chose et notamment du changement. L’écriture même de cet article est un acte créatif qui peut laisser place aux mêmes fantasmes et peurs qu’à un patient devant une toile, un étudiant devant un projet de mémoire ou encore un entrepreneur avant une conférence. La peur de mal faire touche nombre d’entre nous. Pour autant, c’est dans le faire que l’on se rencontre. Dans cet article, je vais vous présenter l’art-thérapie qui est un moyen de se découvrir ou de se laisser découvrir par d’autres modes d’expression que le face à face classique entre deux personnes au sein d’un suivi.
En effet, l’art-thérapie intègre un tiers dans la prise en charge, une médiation artistique. La création déclenche un processus de transformation de la personne. A vrai dire, nous sommes tous nés d’un acte créateur. Et par la création, c’est-à-dire l’utilisation de toutes nos palettes internes (émotions, doutes, peurs, angoisses, fantasmes, besoins…), notre univers psychique et biologique, nous pouvons sortir quelque chose de nous-mêmes. Pour le psychiatre Jean-Pierre Klein, l’art-thérapie est un « accompagnement thérapeutique de personnes mises en position de création de telle sorte que leur parcours d’œuvre en œuvre fasse processus de transformation d’elle-même ». C’est un moyen de se connecter à la vie qui bouillonne en nous. L’art-thérapie ne demande pas à ceux qui la pratique d’être des De Vinci, des Van Gogh ou des Picasso, il n’y pas de notion de beau ou de laid. Elle est donc accessible à tous.
Cette approche permet de remettre la pensée en mouvement pour stimuler la verbalisation qui, elle-même, doit amener à l’action et au changement.
L’art a toujours été utilisé à des fins curatives pour le corps et l’esprit. Néanmoins, l’utilisation de l’art comme thérapie construite est relativement récente. A la fin du XIXe siècle, des psychiatres proposent à leurs patients de s’exprimer par des dessins ou des peintures pour pouvoir analyser par la suite leurs productions. Par ailleurs, au sein des institutions (psychiatrique, scolaire ou communautaire) des artistes, dont certains appartenant au courant de l’art brut, y travaillaient. L’art brut est souvent considéré comme étant le terreau de l’art-thérapie bien que ce soit une pratique tout autre. L’art brut est un courant artistique développé au XXe siècle par le sculpteur et peintre Jean Dubuffet. Ce dernier s’intéressait tout particulièrement aux œuvres de patients qu’il trouvait uniques, n’étant pas des créations d’artistes professionnels. Comme Dubuffet voyait dans ces œuvres une beauté naïve et spontanée, il décida de les exposer au grand public pour faire connaître cette nouvelle forme d’art. D’autres professionnels de l’art ont ensuite adhéré à cette vision. Ces artistes ont constaté les effets bénéfiques de la pratique artistique chez les personnes souffrant de troubles psychiques, physiques ou mentaux.
L’art-thérapie a également été investie par la psychanalyse avec Jung qui considérait que seule la personne elle-même a le pouvoir de se guérir et que l’activité artistique permet de mettre la personne en mouvement.Il y a une grande variété d’approches en art-thérapie (humaniste, systémique, psychodynamique, behavioriste…), néanmoins elles se rejoignent sur l’aspect thérapeutique du processus de création.
Aujourd’hui, le métier d’« art-thérapeute » est un titre reconnu par l’état.
L’art thérapie est indiquée pour des personnes présentant des fragilités psychiques ou en demande de développement personnel. Elle peut être pratiquée auprès d’enfants, d’adolescents, d’adultes ou de personnes âgées.
Par ailleurs, cette médiation est utilisée au sein d’institutions diverses comme des EHPAD, des entreprises, des prisons, des hôpitaux et peut s’adapter au public accompagné. Le public peut présenter une maladie neurodégénérative liée à l’âge (Alzheimer, parkinson), un handicap psychique ou mental (Autisme, trisomie, trouble dys), une maladie mentale (schizophrénie, anorexie etc.) ou encore des difficultés psychiques passagères ou cycliques de plus ou moins longue durée et intensité (deuil, dépression, bipolarité…). Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de présenter un « trouble » pour pratiquer l’art-thérapie. C’est également un moyen de mieux se connaître et de s’exprimer par d’autres voies.
Les médiations artistiques sont nombreuses et utilisent l’ensemble de notre corps. Cela peut être de l’expression vocale (chant, théâtre, slam, conte…), de l’expression corporelle (danse, yoga, clown…), des ateliers plastiques (dessin, peinture, collage), la photographie, les vidéos, l’écriture ou encore le travail d’une matière comme l’argile. Le patient se rencontre dans l’interaction avec la médiation artistique. Il y a un apprivoisement, la personne investit son œuvre et y dépose des émotions, des angoisses, des aspirations qui lui appartiennent. Il n’est plus question d’un « je » direct mais d’un « il » qui parle de soi.
Pour l’art-thérapeute Sylvain Bridet-Lamoureux, qui travaille dans un centre de santé mentale à Madagascar, l’art-thérapie ouvre les portes et les fenêtres de l’individu. Cela laisse entrer la lumière, les parfums et les couleurs.
C’est une ouverture vers l’intérieur (vers soi) et vers l’extérieur (l’Autre).Par les activités proposées dans le centre (Yoga, slam, peinture, danse, expression corporelle…), les intervenants autorisent les patients à être. Les rapports entre thérapeute et patients sont horizontaux. Le terme même de « patient » est questionné et sera remplacé par celui « d’ami ». Le matin, avant de commencer les activités, il y a un temps de parole qui s’appuie sur une œuvre artistique présentée à tous. Pour exemple, le tableau « Le Baiser » de Klimt pourra être projeté à l’écran pour que les amis puissent investir le sujet des relations entre hommes et femmes, de la sexualité et s’autoriser à parler de cela. L’œuvre devient un tremplin à la verbalisation.
Lorsque je travaillais dans ce centre, j’ai pu accompagner une adolescente en rupture avec sa famille. Elle avait fait plusieurs tentatives de suicide et lors de nos entretiens elle était très défensive, ce qui ne lui permettait pas d’être authentique avec elle-même et avec moi. Cependant, lors d’un atelier de slam, elle a pu sortir quelque chose de congruent, un texte fort sur ses ressentis, sur son parcours. C’étaient des éléments qu’elle n’avait pas pu amener en entretien. Elle a tenu à me faire écouter son œuvre et cela nous a permis d’avancer ensemble vers son rétablissement. C’est à travers des expériences comme celle-ci que j’ai pu constater l’utilité de l’art-thérapie et à quel point cela peut être complémentaire avec un suivi individuel. La relation d’une personne avec son œuvre permet de faire émerger des ressentis qui peuvent ensuite être verbaliser et élaborer. Ainsi, l’art amène la personne à puiser en elle en se connectant à ses ressources internes pour être dans l’autodétermination et se réinventer dans la vie.
Sources :
Entretien avec l’art-thérapeute Sylvain Bridet-Lamoureux le 01/03/2020
Hamel, J. & Labrèche, J. (2010). Art-thérapie. Larousse.
Klein, J. (2019). L’Art-thérapie. Paris : Presse Universitaire de France.