Le pari de l’intergénérationnel

Faivre, Psychologue et Entrepreneuse, Co-fondatrice de Tom&Josette)

par Pauline Faivre, Psychologue et Entrepreneuse, Co-fondatrice de Tom&Josette
le 2021-05-11

Le pari de l’intergénérationnel

«Le lien intergénérationnel est l’ultime manière de nous rendre sensible l’idée d’éternité dans un monde marchand et désenchanté.»

Serge Guérin, “La guerre des générations aura-t-elle lieu?” 

Les liens intergénérationnels ont été le ciment de notre société pendant des générations. Alors pourquoi ne pas les créer sous une forme nouvelle, adaptée aux enjeux d’aujourd’hui ? Nous avons tout à gagner à valoriser l’expérience de ceux qui nous précèdent en les plaçant, dès que cela est possible, dans une situation de transmission.

L’importance des 1000 premiers jours de la vie d’un jeune enfant fait aujourd’hui consensus au sein de la communauté scientifique : du 4ème mois de la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant, il connaît un rythme de croissance et de développement unique et rapide à l’échelle d’une vie humaine.

Le rôle des EAJE (Etablissements d'Accueil du Jeune Enfant), qui peuvent accueillir le jeune enfant dès l’âge de 10 semaines, est déterminant dans le développement de l’enfant au cours de ces 1000 premiers jours, et plus largement au cours des trois premières années de sa vie.



Les bienfaits de la relation intergénérationnelle avec une personne senior pour l’enfant


Une attention bienveillante et désintéressée


“Élever des enfants consiste essentiellement à les tourner vers les autres et à leur permettre de construire une relation de confiance en leur futur. Or, aujourd’hui, cette dynamique est renversée : nous sommes dans un climat de peur du futur et de suspicion envers la société”, expose le Rapport Giampino.


Or, la personne âgée peut porter sur l’enfant un regard neuf et désintéressé, là où la relation enfant-parent est aujourd’hui de plus en plus marquée par le stress, la pression qui repose sur les épaules des parents et les attentes projetées sur l’enfant. Par exemple, les parents d’un enfant dont l’acquisition du langage est plus tardive que celle d’autres enfants de leur entourage risqueront de s’en inquiéter et de sur-stimuler l’enfant. La personne âgée quant à elle, peut savoir d’expérience que le rythme d’acquisition langagière de chaque enfant lui est propre, et ainsi, ne pas s’en inquiéter.  

La personne âgée peut alors apporter à l’enfant une attention bienveillante et désintéressée, qui l’accepte pour ce qu’il est et sans angoisse; et cette relation va favoriser la prise de conscience par le jeune enfant de sa propre individualité en renforçant sa confiance en lui-même.
On peut d’ailleurs résumer cette phase du développement comme l’enfant exprimant son besoin vis-à-vis de l’adulte : “aide-moi à prendre conscience que je suis”.


La relation enfant-personne âgée fait expérimenter un rapport au temps apaisé à l’enfant

Le rapport au temps des parents n’est pas celui de l’enfant.

Le rapport Giampino souligne l’accélération du temps à laquelle les parents sont confrontés, et le décalage entre la temporalité du monde professionnel et celle de l’enfant : « Alors que les parents évoluent dans un monde professionnel où priment de plus en plus la rapidité, l’efficacité, la fluidité, les enfants sont comme des grains de sable qui bloquent les rouages de cette belle machinerie ». Dans ce cadre là, «souvent, les parents ne sont pas assez présents à la situation, à ce qu’ils font » (Béatrice Copper-Royer). On pourrait résumer en disant que la phrase que le jeune enfant entend le plus avant ses trois ans est “dépêche-toi !”.


L’équipe de la micro-crèche intergénérationnelle Tom&Josette à Rennes observe que les enfants, comme les adultes, sont plus calmes, sereins, patients, quand ils sont en présence des résidents.  Pour 6 familles sur 10, l’enfant a pris confiance en lui.


Notre entretien avec Mme Elodie Masanet, la psychologue de l’EHPAD Péan (dans lequel est intégrée une micro-crèche) avait fait ressortir le cas d’une jeune enfant d’ordinaire peu persévérante dans les activités proposées : là où elle ne pratiquait d’habitude une activité coloriage que pendant une dizaine de minutes, la présence et les encouragements d’un résident de l’établissement, placé dans une position de “tuteur” au cours de l’activité, avait permis à l’enfant de rester concentrée sur cette activité pendant près de 45 minutes.


Enfants et personnes âgées partagent un besoin universel : besoin d’attention, de tendresse, de temps.

Le lien intergénérationnel crée ainsi une rupture dans un monde où on ne prend plus le temps : l’intergénérationnel c’est finalement prendre le temps pour l’autre, prendre le temps de prendre soin, et appréhender la différence.



Pour l’enfant et sa famille : la rencontre avec la différence

Le jeune enfant n’a pas peur de la personne âgée : il accepte ses différences telles qu’elles sont. La rencontre régulière avec des personnes âgées, notamment à l’âge où l’enfant consolide son identité en se confrontant à l’Autre et découvre la socialisation et la relation à l’autre (entre 2 et 3 ans), est un rempart de taille contre les peurs et préjugés associés à la différence.


Pour les parents de l’enfant, les contacts fréquents et ordinaires avec des personnes âgées conduisent à un changement de regard et de perception de la personne âgée. Le lien intergénérationnel, dans le cadre d’une valorisation des capacités de chacun, est donc un levier d’inclusivité et un rempart contre l’âgisme, cette forme de discrimination qui touche les personnes âgées.


Les bienfaits de la relation intergénérationnelle avec un jeune enfant pour une personne âgée


Ajouter de la vie aux jours et retrouver un rôle social


“Les trois fléaux que sont la solitude, le sentiment d’impuissance et l’ennui constituent l’essentiel de ce qui contribue à la souffrance des personnes âgées”, énonce le manifeste de l’ONG américaine The EDEN Alternative, dédiée à la qualité de vie des seniors.


La relation avec un jeune enfant transforme le quotidien de la personne âgée par sa spontanéité et par l’absence de préjugés de l’enfant envers elle. La relation se noue alors d’abord par le regard, le sourire, le toucher, le jeu ou la transmission.


Ces relations, dans lesquelles la personne âgée adopte un rôle d’aîné ou de grand-parent, lui permettent de renouer avec le sentiment d’utilité sociale, de trouver un but et un rôle social valorisant, ce que le psychologue Cameron Camp traduit par la notion “d’engagement.” Les résultats de 3 études menées par Camp avec des activités intergénérationnelles mettant en relation des enfants et des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs montrent que les activités intergénérationnelles de type Montessori conduisent à davantage d’engagement : la personne âgée étant plus activement impliquée dans l’activité ou dans l’interaction avec le soignant que dans une condition standard d’activités.  


La société doit prendre conscience de la richesse immense qu'il y a à impliquer les personnes âgées, adapter l’environnement pour leur donner un rôle.

C’est la clé de l’intergénérationnel qui repose sur la réciprocité dans la relation.

Ce sentiment de pouvoir donner, être utile est vital et il doit correspondre à une réalité.


Stimulation cognitive et motrice


La relation avec l’enfant peut stimuler la mémoire, des émotions, de l’attention de la personne âgée : elle fait appel à des souvenirs et des émotions enfouis et à la mémoire des gestes.

Cette relation s’accompagne généralement d’une stimulation physique quasi-inconsciente et spontanée (se baisser pour ramasser ce qui est tombé, se lever pour montrer quelque chose à l’enfant…), qui vient du fait que la personne âgée sent que l’enfant a besoin de lui.  


Cette stimulation peut se révéler particulièrement pertinente en ce qui concerne les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Olivier de Ladoucette explique ainsi que “la maladie d’Alzheimer altère différentes fonctions cognitives, différentes mémoires. Néanmoins, la mémoire affective, celle des émotions et la capacité à entrer en relation avec l’autre demeurent longtemps conservées. C’est là-dessus qu’il faut capitaliser. Il est souvent vain de vouloir réanimer des fonctions cognitives très détériorées, mais on peut continuer à interagir au niveau émotionnel.”


En conclusion, développer davantage la relation intergénérationnelle répond aujourd’hui :


  • aux défis éducatifs que présente l’accélération dans notre rapport au temps dans le développement du jeune enfant,

  • au défi de la prise en charge de la dépendance et de l’entrée dans une société de la longévité : quel rôle social voulons-nous donner à nos aînés ?

  • au défi de société qu’est l’âgisme et la question du regard que nous portons en tant que société sur la personne âgée.



C’est sur cette vision forte que nous avons fondé avec mon associée, Astrid Parmentier, Tom&Josette.


Ce projet qui nous est cher se fonde sur les besoins que partagent le jeune enfant et la personne âgée (besoin de tendresse, d’un cadre rassurant qui favorise l’autonomie, d’un rapport au temps apaisé) et sur ce qu’ils peuvent s’apporter mutuellement.



En savoir plus sur notre projet


Tom&Josette est un réseau de micro-crèches intergénérationnelles. Tom&Josette intègre des micro-crèches dans des établissements pour les personnes âgées avec un projet pédagogique basé sur la richesse du lien intergénérationnel au quotidien pour les enfants et les personnes âgées.

Tom&Josette est entouré d’un comité scientifique qui mène une recherche dans les crèches afin de montrer les bienfaits de ce lien au quotidien.


Le projet de liens intergénérationnels mené par Tom&Josette concerne d’abord des jeunes enfants à partir du moment où ils marchent et sont en train d’acquérir le langage, âgés d’environ 18 mois à la veille des 4 ans.


Son ossature est un projet de lien quotidien basé sur activités très simples. Certaines d’entre elles peuvent avoir en particulier la finalité de stimuler l’éveil sensoriel de l’enfant (éveil musical par exemple), sa mémoire et son attention (lecture de contes, histoire), la coordination oeil-main, etc. La durée de ces activités est d’environ une demi-heure. Toutes ces activités ont pour finalité la création de liens entre le jeune enfant et la personne âgée. Elles se fondent sur les piliers de la pédagogie développée par Maria Montessori : autonomie, libre-choix, apprentissage par l’expérience. Ainsi, l'activité n'est jamais imposée mais proposée à l'enfant et à la personne âgée. Ceux qui veulent participent avec leurs capacités, sans aucun objectif de rendement ou de production.




Pauline Faivre

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Références


Serge Guérin et Pierre-Henri Tavoillot. La guerre des générations aura-t-elle lieu ?,Calmann Lévy (2017)

Rapport de Sylviane Giampino : Développement du jeune enfant – Modes d’accueil, Formation des professionnels (2016) 

https://solidarites-sante.gouv.fr/ministere/documentation-et-publications-officielles/rapports/famille-enfance/article/rapport-de-sylviane-giampino-developpement-du-jeune-enfant-modes-d-accueil


The Eden Alternative® is an international, non-profit 501(c)3 organization dedicated to creating quality of life for Elders and their care partners, wherever they may live.

https://www.edenalt.org/


Revolutionizing the Experience of Home by Bringing Well-Being to Life (The Eden Alternative) : 

https://www.edenalt.org/wp-content/uploads/2020/08/DomainsofWellBeingWhitePaper2020Revision-200802-212515.pdf