Nous sommes issus, en France et plus largement en Europe occidentale, d’une histoire, entre autres, cartésienne, qui sépare l’émotion de la raison.
Nous avons longtemps considéré que l’émotion était un frein à la raison. Selon Descartes, l’émotion, au même titre que la passion, représenterait même des affections, venant alors entraver le raisonnement et le bon fonctionnement du cerveau.
Les recherches plus récentes, effectuées par les neurologues et psychologues, montrent à l’inverse, que les émotions et le cerveau travaillent ensemble, s'apportant des informations complémentaires importantes, participant à ce que l’on appelle les compétences logiques et les compétences émotionnelles (1).
Dans différentes cultures et notamment en Asie par exemple, la prise en compte des émotions est ancestrale et constitue une énergie positive au service de chacun, tant d’un point de vue professionnel que personnel, collectif qu’individuel.
Il n’est pourtant pas rare encore aujourd’hui d’entendre des demandes impossibles telles que « on laisse le perso chez soi et le pro au travail » ou des clichés tels que « les émotions n’ont pas leur place en entreprise ».
Alors, qu’en est-il de ces fameuses émotions dans notre vie professionnelle ? Celles que nous savons maintenant nécessaires à la gestion de notre vie quotidienne, mais surtout, indissociables de notre être et de notre essence même ?
Notre société actuelle est duelle dans bien des sens (2), et la crise sanitaire que nous venons de traverser nous a confrontés à ces ambivalences qui se sont creusées, mais également à nous-mêmes (3). Le retour au monde professionnel comme nous le connaissions il n’y a que quelques mois encore ne pourra pas se faire sans transformation ni changement.
Les entreprises qui se sont le mieux adaptées à la crise d’un point de vue professionnel ont écouté les collaborateurs dits « de terrain », ont développé en eux une confiance, une volonté de pousser à l’autonomie, à la créativité, tout en créant des espaces de paroles où chacun pouvait s’exprimer librement (4). On arrive donc ici à ce qu’on appelle l’Intelligence émotionnelle.
Si sa définition paraît évidente, son application ne l’est pas pour autant, principalement à cause de nos croyances concernant les émotions et leur utilité, ceci, autant dans la vie professionnelle que personnelle. Nous entendons encore fréquemment qu’un garçon ne doit pas pleurer (et donc être triste) ni avoir peur, et qu’une fille ne doit pas se mettre en colère mais privilégier la douceur et la tranquillité. Il semble donc important, avant d’aborder l’intelligence émotionnelle, de considérer les émotions en elles-mêmes.
On parle d’abord des émotions primaires, dites biologiques, innées, instinctives. Au nombre de six, elles participent à notre survie. On retrouve la Joie, la Colère, la Peur, la Tristesse, le Dégoût et la Surprise. Tout comme les couleurs primaires qui forment, en se mélangeant, un arc-en-ciel, les émotions primaires vont s’imbriquer et donner des émotions plus complexes, appelées les émotions secondaires, plus communément connues sous le nom de « sentiments » : la colère associée à la peur peut par exemple donner un sentiment de frustration, ou d’injustice. La joie et la tristesse se transformeront en nostalgie.
Chaque émotion a une origine et un besoin qui lui sont propres. La peur, provoquée par une situation perçue comme dangereuse indique un besoin de sécurité. La colère, générée par une atteinte à l’intégrité demande la réparation du dommage commit. Une fois cette base posée, nous pouvons nous demander ce qu’est l’intelligence émotionnelle et quelles sont ses compétences (5) ?
Comme évoqué plus haut, nous avons des compétences logiques et des compétences émotionnelles. Quelles sont, alors, les 5 compétences émotionnelles ?
Identifier
Les émotions sont encore parfois méconnues et donc, difficilement identifiables. En parallèle, elles arrivent en nombre et il n’est pas toujours évident de savoir quelle est l’émotion la plus présente à tel ou tel moment. Il est donc important, lorsqu’on se sent pris dans un flot émotionnel, de se poser la question : qu’est-ce que je ressens ? Les techniques sont aujourd’hui variées pour se mettre en condition d’écoute de ses émotions et de leurs ressentis corporels, allant du balayage corporel au yoga, passant par la respiration, l’écriture, l’entretien psychologique ou encore la méditation. Il ne tient donc qu’à chacun d’entre nous de développer cette posture d’identification qui nous amènera à la deuxième compétence émotionnelle.
Comprendre
Une fois l’identification de l’émotion principale terminée, il nous faut comprendre ce qui l’a engendrée (la situation, et donc le comment) et la raison pour laquelle c’est cette émotion qui s’installe plutôt qu’une autre (la réaction, et donc le pourquoi).
Chacun d’entre nous avons des réactions qui nous sont propres, dirigées par nos expériences précoces et actuelles, notre personnalité, nos injonctions, notre seuil de tolérance…. Ainsi, la compréhension de l’émotion nous aidera à nous rapprocher de nous-même, de nos valeurs, et nous permettra donc de l’exprimer.
Exprimer
L’émotion peut s’exprimer en deux temps (à chaud ou avec une prise de recul), mais de bien des manières. Elle peut rester pour nous ou être communiquée à l’autre, se décharger dans le sport ou dans l’écriture, la musique, ou dans un courriel à un collègue qui nous a énervé.
L’important, dans cette notion d’intelligence émotionnelle sera de pouvoir exprimer son émotion sans être sous son emprise, que l’on puisse l’accepter et s’en servir, au lieu de tenter de la refouler ou de la dénier car on ne lui trouve pas d’utilité instantanée.
Réguler
Réguler ses émotions, c’est réussir à ne pas être dirigé par elles, mais s’en servir de manière efficace et sereine, pour avancer en accord avec nous-mêmes. C’est aussi réussir à réguler celles de notre interlocuteur, de l’aider à les identifier, à comprendre et exprimer ses propres émotions, même si elles sont en désaccord avec les nôtres. Il y a donc la notion du respect de l’autre et de ce qu’il ressent, de ce que ses comportements et émotions viennent provoquer chez nous. Si l’Intelligence émotionnelle passe par un travail individuel, elle prend forcément en compte l’autre, puisque nous sommes avant tout des êtres sociaux. Comme nous l’avons vu plus haut, les méthodes de régulation des émotions sont nombreuses et il ne tient qu’à chacun d’entre nous de trouver la méthode en accord avec nous-même.
Agir
L’émotion participe au passage à l’action. Lorsque je traverse la route, la peur me fait regarder sur les côtés pour m’assurer de passer en toute sécurité. Ne pas prendre nos émotions en considération lors du passage à l’action nous ferait bien souvent foncer droit dans le mur, puisque nous n’aurions pas conscience ni des risques, ni de notre réelle motivation à le faire. Devenir manager d’une équipe lorsqu’on n’apprécie pas particulièrement les responsabilités, asseoir son statut de supérieur hiérarchique et prendre la parole en public, par exemple, risque de faire de nous un manager en difficultés qui risquerait de dégrader un collectif.
A la lecture de ces cinq compétences, on comprend alors qu’elles s’appliquent non seulement dans le milieu professionnel, mais également dans le milieu personnel.
Il s’agit d’une démarche individuelle ayant un impact fort sur soi, mais également chez nos différents interlocuteurs.
La crise du Covid-19 a eu un impact sur chacun d’entre nous. Elle a aidé à des prises de consciences personnelles et sociétales, environnementales et économiques. De nombreux groupes veulent voir émerger de nouvelles actions, méthodes, pour intensifier le respect de la planète, repenser l’économie individuelle, nationale, mondiale, le monde du travail, la course au « tout, tout de suite » et aussi et surtout, être plus proche de l’humain. De la prise de conscience du travail des soignants à celle du besoin d’être avec nos proches, de travailler, de sortir, de bouger, en passant par la nécessité de trouver du sens à nos actions et notre quotidien, ces prises de conscience ont pour idéologie de nous rapprocher de l’essentiel (6).
Dans nos conditions professionnelles et dans l’optique d’un retour dit « à la normale », il sera donc important de privilégier cet espace d’échange autour des ressentis individuels et collectifs, où chaque membre de l’équipe, collaborateur comme manager, arrivera à se munir de ces compétences pour les exploiter et s’en servir dans le but d’agir et d’interagir, en adéquation avec soi-même et les autres.
Loin d’être l’unique clef, l’intelligence émotionnelle à travers une communication plus ouverte, transparente et bienveillante nous rapprochera de cet essentiel et nous guidera vers nos besoins fondamentaux.
Rose de Cherisey
Son profil sur Linkedin
Sources
La raison des émotions Antonio R. Damasio, paru en janvier 2010 Essai (Poche)
Notre société, une réponse obsessionnelle ? Sébastien Rose, paru en Janvier 2011 dans Cliniques méditerranéennes n°83
Confinement et déconfinement : comprendre la crise pour mieux la traverser. Marion de Champsavin, 2020-05-07 Weppsy épisode n°19
https://www.institut-entreprise.fr/limpact-de-la-crise-du-covid-19-sur-le-travail-premiere-analyse
Manager avec l’intelligence émotionnelle. Pierre-Marie Burgat, Ed. Dunod. 2016.
https://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/2020-03-24/serge-guerin-le-covid-19-une-lecon-d-humilite-843079.html